Focus

Entretien avec Christophe Dénouveaux autour des éditions de La Loutre Rôliste

Qui dit jeu de rôle dis généralement Dragons, Orcs, Gobelins et autres Liches, voire Licornes.
Traditionellement donc, lorsque l’on évoque le sujet, on se place plutôt d’emblée dans un univers médiéval fantastique, avec toute son imagerie et ensuite, en creusant un peu, on s’aperçoit que finalement tous les genres y sont représentés :
Horreur, S-F, Drama, Comédie, Historique, Uchronique, Action, … tout y passe.
Bien souvent, les noms des différentes maisons d’édition sont apparentés plus ou moins directement au champs lexical de l’un des genres évoqués plus haut… Black Book¹, Wizards of the Coast², Necrotic Gnome³, Antre-Monde⁴, … et j’en passe.
Au milieux de tout cela, nous croisons toutefois occasionnellement quelques ovnis au positionnement un peu moins clair pour la clientèle, portant le genre animalier pour étendard : Lapin Marteau⁵, Les Livres de l’Ours⁶, et surtout, celui qui nous occupe aujourd’hui, La Loutre Rôliste⁷.
Mais quoi qu’est-ce ? Et qu’est-ce qui anime l’éditeur derrière ce mystérieux (mais néanmoins sympathique) intitulé ?
Sans plus attendre, allons poser nos questions à Christophe Dénouveaux⁸, la loutre en chef, afin de tirer tout ceci au clair.

Salut Christophe.
Déjà, je vais commencer en te souhaitant un joyeux anniversaire. Huit ans dans le monde de l’édition avec La Loutre Rôliste, c’est un joli chiffre.
Quand tu as démarré la boîte, tu t’étais fait un plan de carrière jusque là ou tu t’étais dit « advienne que pourra, il est temps d’y aller » ?

Ma devise : “En avant et Loutre là !”

J’en rêvais depuis des années et puis ce fut plus fort que moi. J’ai tout lâché et je me suis lancé. Sans le soutien de Madame Loutre et de la famille, je n’aurais sûrement pas fait le grand saut au-dessus de la rivière.
J’ai dit adieu à l’Education Nationale, à mes élèves de maternelle et d’élémentaire et je me suis transformé en Loutre. Aucun regret.
Et puis on a tâtonné, fait des conventions, brisé un certain nombre de règles de-ci de-là et tout s’est enchaîné. Quand je me retourne, là, sur la butte qui domine la rivière, je vois le parcours et je me dis qu’il faudrait 1000 vies pour faire tout ce que j’ai fait depuis 2014.
Coup de bol, la Loutre est éternelle.
Et wif aussi.  

Tu pourrais nous en dire un peu plus sur la Loutre… Ce qui t’as motivé à passer le pas de l’édition, comment ça s’est goupillé et qu’est-ce qui fait qu’on arrive à durer envers et contre tout ?

Comme je l’ai dit, une envie de longue date. Et c’est comme si tout se goupillait naturellement. De toute manière, quelque chose me disait que je n’avais plus le choix. Intellectuellement, je ne trouvais plus de joie à aller bosser à l’école. Et puis le besoin de changer. Tout simplement.

Et pour arriver à durer ? C’est un secret. Mais je peux te dire que ce n’est absolument pas de tout repos !
D’ailleurs, je ne sais plus écrire les mots « saumeïl » ou « vakansses ». Tu vois, j’te l’avais dit !
Il faut être prêt à beaucoup de sacrifices. Gagner son poisson à la sueur de son pwal, c’est loutrement dur ! Wif !
En plus de mes activités éditoriales, je propose des animations de parties de jeux de rôle dans le Morbihan ou Bretagne proche de mon rayon d’action. Cela me permet de rencontrer pas mal de monde au niveau local, que ce soient des entreprises, des communautés de communes, des particuliers ou des associations.
De même, je propose depuis quelques mois tout un panel de prestations dédiées aux éditeurs étrangers et aux auteurs indépendants principalement. Parmi ces prestations, il y a, par exemple, la traduction, la mise en page et le conseil éditorial. Toutes les prestations sont listées ici (t’as vu comment j’renvoie vers mon site ?) 

La loutre étant un animal social, je suppose que tu n’agites pas tes seules petites papates dans la mare. Tu as des gens (enfin, des loutres) à nous présenter, qui travaillent avec toi ?

Madame Loutre, qui est incontournable (câlin) et un certain nombre de membres du Culte Secret de La Loutre Ancestrale. Mais si je te révèle leurs noms, je devrai te livrer aux pattes des castors (de vrais psychopapattes ces gars). Je viens de te donner le nom de cette organisation. Ah mince, pas de chance, je t’emmènerai voir les Castors tout à l’heure.

Bon, comme t’es sympa, je vais te présenter quand même quelques personnes vraiment importantes pour La Loutre Rôliste.

Il y a tout d’abord Olivier Raynaud (alias Koa) qui a réalisé les cartes et plans inédits pour la VF de P’TITS PIRATES et qui illustre, entre autre, aussi pour les z’amis du Scriptarium⁹ (Défis Fantastiques¹⁰). Pour tout dire, c’est aussi un ami et un voisin ! Se dire « Je passe en coup de vent chez lui » est existentiellement impossible. Prévoir la demi-journée !

Ensuite il y a Tania Sanchez-Fortun qui a travaillé sur la VF de STALKER¹¹. Elle a participé à bon nombre de jeux de rôle et fait vraiment des choses magnifiques. Elle apprécie tout particulièrement le post-apocalyptique.

N’oublions pas non plus Ben Le Puzzle, un relecteur attentif, sympa et un hôte de choix, qui a travaillé sur Chasseurs de Légendes¹². Oui, ok, c’est aussi un copain qui m’accueille quand je descends sur Périgueux ! Bonjour aux chats !

Et enfin, il y a les rôlistes de tout pwal qui nous ont soutenu et nous ont fait connaître, particulièrement ceux des fiefs du sud de la France qui nous ont accueilli en convention ! Tarbes, Bordeaux, Plaisance-du-Gers, Libourne et Périgueux (coucou mes canards !)

Du point de vue proposition, tu as démarré fort en éditant Blacksad¹³ en vf, traduction du jeu espagnol édité chez NoSoloRol Ediciones¹⁴, avec lesquels tu sembles entretenir une relation privilégiée (pour rappel, ils sont également en charge de Hitos¹⁵ et Petits Détectives de Monstres¹⁶, entre autre). Depuis, tu as élargi ton catalogue en t’attaquant cette fois à un jeu paru en anglais, bien que finlandais, à savoir Stalker (Grog D’argent 2022) et bientôt un retour à l’Espagne avec l’arrivée de La Porte d’Ishstar¹⁷.
Alors la loutre, c’est l’animal totem du pays de Cortés ou j’ai raté un truc ?

Non, pas un totem, mais c’est là où j’ai trouvé mes premiers coups de cœur et il est vrai qu’au niveau jeu de rôle, ils se sont très bien développés ces dix dernières années. Maintenant, le marché espagnol est aussi prolifique que le marché français. Et au passage, ils ont un petit plus qui change tout : le jeu de rôle y est reconnu d’utilité publique et les ministères dédiés à la jeunesse, l’éducation et au sport encouragent la pratique du jeu de rôle dans le cadre des enseignements.

Outre Nosolorol Ediciones, nous travaillons avec Guerra de Mitos¹⁸ (GDM) qui produit quelques jeux de rôle et surtout des jeux de plateau. C’est de chez GDM que vient P’TITS PIRATES (titre original « 8 tesoros »). L’auteur de P’TITS PIRATES, David Diaz, est un auteur prolifique, mais aussi un éducateur, animateur et intervenant dans le domaine du jeu de rôle pour enfants, qui est de plus en plus sollicité pour intervenir dans les conventions en Espagne.
Et comme tu vois, je suis allé faire un tour vers le nord, direction la Finlande, pour aller chercher Stalker. Après, j’irai où mes papattes et ma truffe me guideront. Tout ce que je peux te dire, c’est que la Loutre est internationale ! C’est la Loutreuuu finaleuuu…

Alors si je reprends, ce qui ressort des jeux que tu publies, ce sont deux grandes tendances… les jeux espagnols et les jeux destinés aux plus jeunes (voire, les jeux espagnols destinés aux plus jeunes). Comme on a évoqué la première catégorie juste avant, tu nous donnerais le pourquoi du comment de la seconde, avec Petits Détectives de Monstres et P’tits Pirates ?

On prend les bons jeux là où on les trouve. On a de l’anglais aujourd’hui (Stalker) et pour d’autres projets signés dont on ne peut pas parler encore. On cherche aussi dans d’autres langues.
Publier des jeux de rôle pour enfants a toujours été dans mes plans éditoriaux.
Chez La Loutre, nous avons dressé un constat à l’époque. Il n’y avait que peu de jeux pour enfants et ils avaient été écrits pour être maîtrisés par des adultes. Nous souhaitions des jeux familiaux où, après quelques parties, l’enfant puisse endosser le rôle du MJ.
Il y a eu donc Petits Détectives de Monstres, puis P’tits Pirates. Attendez-vous à de grosses surprises pour cette année, dès le mois de février !

Bon, attaquons plus avant le côté activité éditoriale. Être éditeur ce n’est pas juste poser des livres sur les rayons des boutiques, ça consiste en de nombreuses autres tâches, comme bien sûr, la traduction ou la mise en page, mais également des « petits » trucs du style gestion de projet, études de marché, communication… Justement, depuis peu tu proposes tes services en tant que consultant pour plusieurs de ces tâches (le détail par ici).
Qu’est-ce qui t’a motivé à élargir tes activités à la prestation de services ?

Une envie de faire d’autres choses, de varier encore un peu plus mes activités, d’un point de vue certes professionnel, mais aussi intellectuel. Il y a régulièrement des défis à relever et c’est motivant !

J’ai donc envie de me consacrer à d’autres défis, de permettre à d’autres projets de voir le jour (même si je n’en suis pas l’éditeur) en me consacrant exclusivement à la traduction par exemple. En bref, j’ai envie de permettre, en apportant mon expertise et mes compétences, à de beaux projets de voir le jour en version française.
Euh, j’ai réussi mon entretien d’embauche M’sieur Barthus ?

Revenons-en aux jeux à proprement parler.

Au-delà des deux aspects précédemment cités (à savoir, les jeux espagnols et les jeux pour les enfants), quelle est ta ligne directrice pour choisir d’ajouter tel ou tel titre au catalogue de la loutre ?
C’est au hasard des coups de cœur ou tu écumes activement les sorties internationales pour trouver des perles ?

– Tu crois qu’il nous a trouvé quoi cette fois ?
– Je ne sais pas, mais vu comme il regarde Madagascar, on a intérêt à se mettre au malgache fissa »

Si je devais définir une ligne éditoriale, cela me serait difficile. Je suis assez éclectique de ce côté-là. Je fonctionne donc effectivement au coup de cœur. Il faut que ça me prenne aux tripes et au pwal, que ça me porte. Sinon je n’arriverai pas à travailler correctement dessus. Je ne peux proposer quelque chose qui ne me fait pas vibrer.

Après la sélection par coups de cœur, j’ai des critères d’évaluation (ancien prof, forcément) précis qui se sont affinés au fil du temps par rapport à mon expérience de MJ, de joueur et d’éditeur.

J’ai été surpris il y a quelques mois, de constater qu’à l’opposé de la tendance actuelle, tu baissais les prix de plusieurs de tes jeux (Hitos et son écran, Dreamraiders¹⁹…).
Sur le coup je me suis dit « mais mais mais, ce n’est pas possible, il mâchouille lui-même son papier ?!? »…
Tu nous expliquerais un peu comment la crise actuelle impacte ton activité et ton choix de baisser tes prix ?

J’ai essayé de manger le papier. Pas bon. Wif !

En réalité, comme les livres en stock des deux gammes HITOS et DREAMRAIDERS avaient plus de deux ans, je me suis dit que vu la situation, il serait bienvenu de baisser un peu les prix et de les rendre plus accessibles.

Par contre, il est vrai que l’augmentation des coûts des matières premières nous impose aujourd’hui d’augmenter les prix de nos nouvelles parutions.

Hé, mais au fait… La Loutre Rôliste ?!?

La Loutre Rôliste est née alors que je cherchais un nom pour la société. Un matin, au café, ça s’est imposé. Deux minutes plus tard, je jouais avec des cailloux (des dés en fait, pour nous les Loutres) au bord de la rivière… J’étais devenu une Loutre-Garou… euh, une Loutre Rôliste !

Et par un beau matin… Tadaaaaa !

Si je récapitule, pour l’instant la Loutre, c’est Blacksad, Hitos (et associés), Dreamraiders, Petits Détectives de Monstres, Stalker, P’tits Pirates et La Porte d’Ishtar (à paraître en avril 2023) c’est un fort beau catalogue en l’état, mais mon petit doigt me dit que tu ne comptes pas en rester là. Tu nous ferais un petit teasing des parutions à venir (prévues officiellement ou même rêvées) ?

C’était Blacksad. La gamme s’est arrêtée fin novembre 2022. Au revoir petit chat !

Autrement, La Porte d’Ishtar parait en avril 2023 avec le livre de base, l’écran du meneur et la première aventure imprimée Beauté de Marbre. Les autres suppléments (aventures et aides de jeu) sortiront en PDF et ce, progressivement dans l’année. Sinon, il y aura bientôt des annonces qui vont vous ravir. Mais je ne peux en dire plus, car les Castors nous observent et nous écoutent. *Pfuuu Pfuuu* C’est bon, je les ai éliminés, on peut parler.

Alors, au programme…

Nous avons en stock pas mal de choses loutrement intéressantes. Chez La Loutre Rôliste, on s’est démenés pendant tout 2021 et 2022, un peu partout dans le monde, pour dénicher des pépites.

Nous avons plusieurs jeux de rôles pour enfants, un recueil de scénarios inédits pour Stalker, la mise en ligne du système MOTEUR DES EMOTIONS (celui de La Porte d’Ishtar) sous Creative Commons et d’autres projets qui sont en cours de préparation/négociation/loutrisation.

Et voici venir la fin de cet entretien… Si tu as des choses à ajouter, n’hésite surtout pas tu as carte blanche…

Oui, j’ai un truc un dire, très très important !

La Porte d’Ishtar parait en avril et pour le coup, il y a un LATE PLEDGE – LA PORTE D’ISHTAR sur ULULE pour permettre aux rôlistes de se procurer tout ou partie de la gamme à des prix très avantageux et avec plein de bonus (PDF offerts et débloqués), avant augmentation des prix (merci la hausse des coûts d’impression).

Les nouveaux contributeurs bénéficieront, en plus de ce qui sera obtenu pendant le Late Pledge, de TOUT ce qui a été débloqué auparavant et les contributeurs de la première campagne de financement Ulule bénéficieront, s’ils y ont droit, de TOUT ce qui sera débloqué ! Donc foncez les gens, c’est jusqu’au 27 janvier à minuit !

Et voilà, vous savez tout sur la loutre… alors, n’hésitez pas à venir patauger dans la mare, il y a de quoi s’amuser un bon moment en fouillant un peu le catalogue. Concernant la Porte d’Ishtar, il vous reste jusqu’à la fin de la semaine pour rejoindre le Late Pledge.
J’ai de mon côté lu le pdf et ma foi, c’est plutôt chouette (avec une mention spéciale pour la création de perso, qui vous permet enfin de gérer la génèse du groupe de personnages en session 0) et donne plein d’idées de parties en quelques lignes.
Merci Christophe pour cet entretien en plein rush de financement et à très bientôt pour de nouveaux jeux loutrement biens.

Propos de Christophe Dénouveaux recueuillis par David Barthélémy

Notes et Références :

¹ Black Book Editions
² Wizards of the Coast
³ Necrotic Gnome
Antre-Monde Editions
Lapin Marteau
Les livres de l’Ours
La Loutre Rôliste
Christophe Dénouveaux
Scriptarium
¹⁰ Défis Fantastiques
¹¹ Stalker
¹² Chasseurs de Légendes
¹³ Blacksad
¹⁴ NoSoloRol Ediciones
¹⁵ Hitos
¹⁶ Petits Détectives de Monstres
¹⁷ La Porte d’Ishtar
¹⁸ Guerra de Mitos
¹⁹ Dreamraiders

Notes et Références :

Avant la sortie

Entretien avec Frédéric BESSY autour de Yuigahama Bad Seeds aux Éditions du Troisième Oeil

C’est toujours avec une certaine émotion que je vois débarquer un nouveau jeu chez LETO1, les propositions étant en général aussi fortes que variées. Que l’on adhère ou non aux jeux en question, on ne pourra certainement pas reprocher à cet éditeur de ne pas prendre de risques en s’aventurant régulièrement là où bien peu osent aller (entre Cobra2, Kabbale3, One %4 ou Against the Dark Master5, mon cœur balance) dans notre petit paysage ludique.

Et ouais, quand on parle de propositions variées, LETO n’est jamais bien loin

Le dernier né, Yuigahama Bad Seeds ne déroge pas à cette règle tacite de surprendre les clients, tant par son univers, que par sa prise en main aux antipodes de AtDM (au hasard), ainsi que par sa méthode de financement.
En effet, le projet est prêt, et alors que la campagne court toujours, les heureux souscripteurs tiennent déjà entre leurs petites mains fébriles (et virtuelles) les pdf du livre de base ainsi que de l’écran de jeu.

Yum yum yum

Après avoir lu la bête (je confesse toutefois n’avoir pas encore finit de lire les scenarios), c’est, comme bien souvent, séduit par ce jeu, que je me suis dit qu’un entretien avec son auteur pourrait être le bienvenu et permettre à celles et ceux dont il serait passé sous le radar, de rejoindre le bateau avant clôture du financement (courant janvier, à priori). Aussi, sans plus attendre et sous vos applaudissements mesdames et messieurs, voici venir Frédéric Bessy, l’heureux papa de YBS.

Bonjour Frédéric, et merci de prendre un peu de ton temps, en dépit du décalage horaire, pour répondre à mes quelques questions.
Décalage horaire me direz-vous ? Hé bien oui, car notre auteur pourrait bien être plus proche du monde qu’il nous dépeint dans son jeu que de la tour Eiffel.
Frédéric, tu pourrais nous en dire un petit peu plus sur toi et la manière dont ton mode de vie a pu influencer ton jeu ?

Merci pour ton invitation !
Je nous imagine dans un petit café, à mi-chemin entre la France et le Japon. Je suis content de pouvoir faire ta rencontre et de parler un peu du jeu.
Ce qui a motivé la création de Yuigahama Bad Seeds dans les premiers temps n’est pas vraiment glamour. C’est un jeu qui est né d’un sentiment de frustration.
Je travaille dans une entreprise de jeux vidéo en tant que graphiste 3D.
Quand j’ai intégré cette entreprise basée à Tsukishima (Tokyo), c’était une boîte faisant de l’originalité de ses concepts de jeu son principal argument de vente.

Tsukishima


Au fil du temps, nous sommes devenus des sous-traitants pour d’autres développeurs. Nous leur apportons notre expertise technique pour mettre en valeur leurs concepts.
C’est une formule qui fonctionne, car l’entreprise perdure, bon an mal an. Mais tout un pan du travail basé sur la créativité est à présent atrophié.
Beaucoup de gens me disent que travailler dans ce type d’entreprise est en soi un accomplissement.
C’est vrai.
Je ne me plains pas ni même regrette les choix qui m’ont conduit à travailler ici.
Par contre, il y a des choses que l’on découvre en interne comme une forme de conformisme, de conservatisme et d’attentisme (les trois « ismes » !) contre lesquels on laisse énormément d’énergie.
En 2020, après avoir proposé une dizaine de projets de jeux (je ne me contente pas du travail de graphiste), je me rends compte que je suis dans une impasse. YBS va naître progressivement de ce sentiment de gâchis.
En dehors du travail, le Japon est une source perpétuelle d’étonnement. J’y retrouve mes yeux d’enfant. Encore aujourd’hui après 15 ans, tout m’y semble étrange ; comme cette structure bétonnée aperçue au loin sur une plage vendéenne qui devenait pour le petit garçon que j’étais un artefact venu d’ailleurs (syndrome de Stendhal, quand tu nous tiens !).

Ton parti pris avec YBS est de nous présenter un Japon moderne réaliste (certes chamboulé par des événements apportant une touche de fantastique), par opposition avec les multiples ambiances que l’on nous vend généralement au travers des mangas et autres animés. Tu en avais marre des images d’Epinal ?

La démarche à ce niveau n’est pas vraiment consciente (du moins au départ).
Le jeu n’est pas bâti contre quelque chose. Disons que je souhaitais baser cette création sur un environnement qui m’est familier.
Les mangas forcent souvent le trait quant aux personnages et aux univers choisis comme matériau de base. Il existe bien sûr une branche de la famille manga qui propose de suivre la vie quotidienne assez banale de l’homme de la rue (je pense à le gourmet solitaire6).
Mais en général les thèmes choisis sont traités avec beaucoup de dynamisme et mettent en scène des personnages très typés (là où le japonais réel est plutôt réservé et silencieux).
Beaucoup de ces mangas et animes se servent de choses qui relèvent du fantasme ; y sont présentés des personnages héroïques incarnant une image flatteuse du Japon.
Le gars qui en prend plein la gueule, et qui est battu à la dernière seconde, mais reste fidèle à ses convictions.
Contrairement aux États-Unis, le Japon n’est pas un bon creuset pour le « happy-end ».
Mais je m’égare.
Ce Japon magnifié des mangas n’est pas celui que je voulais mettre en avant.

Bienvenu au Japon Japon

Le Japon des villes de seconde zone est suffisamment curieux et intriguant pour nous occidentaux, sans qu’il soit nécessaire de recourir à ce que contient la culture anime-manga.
Il suffit de voir les ustensiles de cuisine japonais pour comprendre que l’esprit des habitants est tout différent du nôtre.
L’aventure nous attend là, dans le golfe de Sagami, tel qu’il est en réalité (ou presque).

YBS est donc ton premier jeu publié… pour autant, en qualité d’auteur, tu n’en es pas à tes débuts. Qu’est-ce que tu as dû revoir ou ajuster dans ta manière d’écrire pour opérer la transition entre une écriture romancée et une création interactive destinée à être pratiquée par d’autres ?

Ce travail d’écriture a été un sacré défi.
Oui, c’est un exercice bien différent de ce que j’ai pratiqué jusque-là.
Les trois premiers galops d’essai ont été l’occasion de se rendre compte d’une chose qui tombe sous le sens :
Ce qui est évident pour l’auteur ne l’est pas forcément pour le lecteur.
La réalisation de la bande dessinée est peut-être ce qui a été le plus formateur ; parce que le nombre de pages est limité (il faut jeter pour conserver le meilleur plutôt qu’ajouter) et qu’il faut apprendre à varier angles et points de vue pour aspirer le lecteur dans l’histoire tout en évitant qu’il ne s’y lasse.
Cette BD n’est pas une réussite bien qu’elle se tienne, mais elle m’a permis de toucher du doigt toute l’importance du rythme dans un récit.
Ce que j’ai dû changer dans ma méthode de travail pour YBS ?
Il m’a fallu d’abord freiner mes ardeurs, faire preuve de patience et me méfier de mes propres intuitions.
Pour ça Aurélien m’a bien aidé en m’enjoignant à temporiser et à ne pas me lancer immédiatement dans l’écriture.
Pendant longtemps ça a été une bataille avec des schémas et croquis organisationnels, puis tout a commencé à se décanter.
J’ai malgré tout pris quelques risques en écrivant une partie des scénarios sans être certain de retomber sur mes pattes. Dans le cas d’un roman, l’ossature du récit peut être mise en place assez rapidement et être étoffée ensuite.
Là, il s’agissait quand même d’une saga étalée sur douze mois, censée présenter divers points de vue sur les événements qui perturbent la ville.
Il fallait garder une cohérence au fil des 12 nouvelles tout en variant les points de vue.
Faire écrire chaque nouvelle par une personne différente aurait été l’idéal pour montrer l’action passée au filtre de divers individus ; le ressenti de chaque acteur de cette épopée sous-tend la thématique de « théorie du complot ».
Où se trouve la vérité dans tous ces témoignages ?
Pour que la forme suive le fond, il m’a fallu, autant que faire se peut, varier les styles comme s’il s’agissait d’une compilation de nouvelles rédigées par différentes personnes.
Ensuite, le gros défi a été de dépeindre un univers qui soit intelligible par le lecteur en un nombre limité de pages, en partant du principe qu’il ne connaît pas ou peu le Japon et réussir à maintenir des zones d’ombre pour titiller sa curiosité et le pousser à investir ce qui reste volontairement non défini.

Et au fait, ton rapport au jeu de rôle, il consiste en quoi ?
Vivant au Japon depuis une paires d’années, tu vois de grandes différences entre la pratique que l’on peut en avoir entre « occidentaux » et ce qui se fait là-bas ?

J’ai relativement peu d’éléments pour comparer les deux cultures de jeu.
Mes dernières parties de jeu de rôle en France remontent à la période étudiante. J’en garde malgré tout un souvenir assez précis. C’étaient des parties de Donjons & Dragons.
Ces trois dernières années, je n’ai joué que trois parties de Cthulhu7 menées par ma collègue de travail Tadokoro Mana. Je discute souvent avec elle de la scène rôliste au Japon.
Sa préférence va aux sessions en mode analogue, face à face.
Mais elle joue énormément en ligne (Corona oblige). D’après elle, c’est le jeu par le biais d’interfaces qui a le plus de succès.
Les Japonais remettent tout à leur sauce.
Je pense que les couvertures de manuels ou de recueils de scénarios pour Cthulhu ont de quoi faire sourire. Pas sûr que Lovecraft aurait apprécié !

J’ai l’impression que les joueurs japonais ne rechignent pas à utiliser les termes techniques du système en cours de partie.
Moi, ça me fait sortir de l’histoire… Encore une fois, je n’ai pas assez de bouteille pour dégager une différence évidente entre les deux cultures. Toutefois, le compte-rendu de partie en mode roman (replay) semble avoir beaucoup de succès pour son côté immersif.

Bien, rentrons un peu plus avant dans YBS… Le jeu est donc actuellement en financement sur le site de LETO, mais pour autant, il est prêt. Ça représente quoi en terme de durée la création de cet univers (car, rappelons-le tu es aussi bien aux textes qu’aux illustrations ou encore à la maquette, avec Julien Dejaeger8 à tes côtés) ?

La rédaction de Yuigahama Bad Seeds a débuté après octobre 2020 (date de la première visite à Yuigahama). Pendant un peu plus d’un an, Aurélien m’a épaulé après que je lui ai présenté l’ébauche du projet.
À cette époque, la maquette que j’ai bricolée avec le logiciel gratuit Scribus n’est encore composée que de 150 pages et ne contient que la première nouvelle.
Le tout est encore brouillon, avec certains chapitres pas positionnés de manière très logique.
Aurélien m’a aidé à réorganiser le tout et à remettre d’aplomb pas mal de choses bancales.
On a dû échanger pas moins de 400 mails en un an. Un travail de fou !
Aurélien a fait tout ça totalement bénévolement.
Sans lui, j’aurais jeté l’éponge un bon nombre de fois.
Quand on a obtenu quelque chose de correct, j’ai commencé à démarcher des éditeurs et fini par faire la connaissance de Laurent Rambour9 et Jérôme Isnard10 de chez LETO.
Jérôme a pris le relai d’Aurélien et fait un travail formidable pour que l’on assume plus franchement certains aspects du jeu.
Tout comme avec Aurélien, ça a été une longue partie de ping-pong, un échange très agréable et sans concession sur la qualité, pendant lequel les idées jaillissaient.
Julien Dejaeger a gentiment accepté beaucoup de mes caprices pendant la finalisation de la maquette et trouvé plein de solutions à des problèmes de mise en page.
Pendant plus de deux ans, j’ai mis ma vie privée entre parenthèses pour écrire et illustrer le manuel, le soir après le labeur chez mon employeur.
Je pense qu’Aurélien, Jérôme et Laurent ont également fait de gros sacrifices. Merci à eux !

Pour ce qui est du système de jeu, tu as bossé avec Aurélien Trotignon11, et vous nous avez trouvé une approche assez légère des mécaniques régissant YBS.
En général dans le milieu du jeu de rôle, on distingue deux grandes écoles… 
1 : Tu prends Chtulhu et tu adaptes
2 : System does matter
Personnellement, j’appartiens à la deuxième école et trouve important qu’un système, en tant qu’interface principale entre joueurs et univers, vienne soutenir le propos du jeu. 
J’ai bien l’impression que c’est le cas ici, aussi je te pose directement la question.
Qu’est-ce que vous avez tenu à mettre en avant au travers des mécaniques et comment vous vous y êtes pris ?

Tu prends Cthulhu et tu adaptes…? Ouais, mais là non !

Le point le plus important pour nous a été de préserver une certaine fluidité dans les échanges MJ – Joueuses / Joueurs.
Le système est un support pour des interactions entre les PJ et les éléments antagonistes. Mais il a été pensé pour s’effacer autant que possible devant la narration.
Il y a un plaisir dans YBS à manier les dés et à essayer de trouver la meilleure occasion pour utiliser les jetons « Unmei ». Ce couplage dés-jetons offre des possibilités au joueur pour faire levier sur le déroulement du récit et parfois même prendre la parole à la place du MJ.
C’est un système qui peut paraître simpliste au premier regard, mais qui laisse en réalité au joueur la liberté de mettre en place certaines stratégies ; accepter ses ratages de test et conserver ses jetons Unmei pour frapper un grand coup plus tard ou au contraire forcer le destin en puisant dans sa réserve de jetons.
Assister un joueur acteur en acceptant de se délester de sa réserve de jetons ou thésauriser pour venir en aide aux autres à un moment crucial.
Ce type de pari que les Japonais appellent « Kakehiki » n’est pas compliqué à assimiler, car il repose sur des règles simples. Il permet aussi de matérialiser l’entraide entre joueurs.
L’intérêt n’est pas d’amasser le plus de pièces d’or possible pour gagner des niveaux, mais d’utiliser intelligemment les jetons pour parvenir à ses fins.
Pas de comptes d’apothicaire ou de ralentissement subit du temps pour simuler les combats : priorité à la rapidité des résolutions et au plaisir de tisser la trame du récit ensemble.

Énormément de jeux qui sortent (encore actuellement), optent pour un cadre très large dans les possibilités qu’il offre aux joueurs (le fameux « vous pouvez tout jouer »), et bien souvent hélas, une fois qu’on nous as dit ça, c’est « débrouillez-vous, nous on a fait notre boulot ».
Avec YBS, les possibilités sont certes nombreuses (nous y reviendrons), mais néanmoins viennent avec le jeu pas moins de 12 scénarios, étalés sur les 12 mois d’une année. 
Tu nous expliquerais un peu plus avant ton choix de format pour ces scénarios ?

Yuigahama est un cadre pour jeu de rôle, tout ce qu’il y a de plus étroit.
Si l’on ne compte que les quartiers habités, la surface n’atteint même pas le kilomètre carré !
La population est grosso-modo de 5000 personnes (sans doute beaucoup plus l’été) ; c’est un petit village.
Ce qui fait la richesse de ce jeu et son potentiel, c’est l’éventail de possibilités très large de ce qui se produit sur ce petit terrain.
C’est l’endroit idéal pour mettre en scène cette société village qui caractérise si bien le Japon hors mégalopole.

Chacun y est très soucieux de ce que pense le voisin ; on s’épie en se faisant des courbettes, on se jauge. Les gens se connaissent plus ou moins de vue. Les rumeurs circulent (vous n’imaginez pas le nombre de proverbes en japonais concernant le mot « rumeur »).
Le manuel laisse effectivement beaucoup de liberté pour mettre en scène ce qui se déroule en ville, mais est suffisamment documenté pour planter efficacement le décor.
Les joueuses / joueurs ayant lu sérieusement le setting, quel que soit le choix de leur personnage ne seront pas perdus.
Les 12 scénarios sont effectivement en eux-mêmes un guide pour comprendre une certaine « japonité ».
En filigrane se ressent l’esprit japonais, un curieux mélange de résilience et de fatalisme.
L’épopée étalée sur 12 mois permet également de cerner ce qui rythme la vie du peuple japonais, son sens de l’honneur, une certaine propension à réagir de manière extrême sous la pression.
Les Japonais s’émerveillent devant les transformations qu’apportent les changements de saison.
Un récit sur un an montrant ce qui peut arriver quand ce rythme se dérègle me paraît être la meilleure formule pour mettre à profit tout le potentiel de la ville.

Généralement, quand un jeu est livré avec autant de matériel de jeu, on n’est pas loin du burst, c’est à dire plus ou moins une campagne/jeu à usage unique, qui une fois jouée, aura fait le tour des points forts du jeu (et de son intérêt).
Est-ce que c’est ce que vous avez mis en place ici, ou est-ce que c’est un peu plus compliqué que ça ?

Je pense que c’est un peu plus compliqué que ça.
Mais ça dépendra beaucoup de l’inventivité du MJ et des participants.
Si le jeu est joué en campagne, il y a bien une chute lors du dernier opus.
En révéler la nature gâcherait le plaisir de jouer.
Ce que je peux dire, c’est qu’un effort a été fait pour augmenter sensiblement la durée de vie du jeu au-delà des 12 mois de scénarios.
On peut clairement continuer à jouer à YBS une fois la campagne terminée.
Il y a tant à exploiter dans cette ville, sans compter sur ce que chaque table de jeu va inventer !

Quand on lit le jeu, on s’aperçoit qu’au delà d’un cadre de jeu bien défini (pour rappel, une station balnéaire japonaise qui se remet d’une « catastrophe écologique » étrange et vit plus ou moins coupée du reste du monde), une très grande liberté est laissée aux maîtres de jeu quant aux explications derrière la situation, ce qui fait qu’il y a très peu de chances que deux tables de YBS se ressemblent à l’arrivée. 
C’est un choix de game design assez fort et qui pourra laisser certains utilisateurs perplexes (Comment !?! Un jeu à secrets sans les secrets ?!?)…
Vous en êtes venus comment à choisir cette approche ?

Mais puisqu’on te dit que le Japon ne se résume pas à Akira ou One Piece… il y a aussi les stations balnéaires.

Ce point divise pas mal de monde.
Je ne regrette pas ce choix de laisser les coudées franches au MJ pour développer ce qui lui plait à lui et à sa table (je ne nie pas que ça demande un peu plus de travail).
Il est libre de faire des arrangements, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait aucun élément de réponse aux mystères dans le manuel. Les choses y sont suggérées plus qu’imposées.
Il est tout à fait possible de jouer la campagne telle qu’elle est sans opérer de grands changements.
Comment est-il possible de laisser traîner le mystère si longtemps sans en révéler un « gros morceau » ?
Tout est une question de dosage dans la manière de présenter les indices.
Il faut se souvenir que les PJ évoluent dans une ville où tout commence à dysfonctionner.
C’est une petite bourgade sans gros laboratoire d’analyse. Les preuves trouvées sont difficiles à interpréter ; on joue des gens « normaux », pas des scientifiques capables de passer au crible tout ce qui traîne sur le terrain.
Par ailleurs, je trouverais dommage de graver dans le marbre tout ce qui sous-tend les intrigues dans YBS.
Ce serait juguler d’entrée de jeu l’inventivité du MJ ; qui connaissant les tenants et les aboutissants guiderait inconsciemment les participants vers un but trop défini.
Savoir ce qui se passe réellement est-il le seul point important de ce jeu ?
Offrir aux participants quelques éléments de réponse aux mystères est nécessaire pour maintenir leur motivation.
Mais ce n’est pas l’unique centre d’intérêt de YBS.
Comment évoluer dans un tel environnement ?
Comment faire la part des choses avec toutes ces rumeurs ?
Comment défendre ses intérêts quand la tension est à son comble et que chacun tente de tirer la couverture à soi?
Les scénarios offrent bien d’autres plaisirs que la seule élucidation de mystères.
Oui, à chaque table, un déroulé de partie différent !
Vive Raymond Queneau12 et ses Exercices de styles !

ce livre est magique… si vous ne l’avez jamais lu, jetez vous dessus !

Avec LETO, vous avez fait le choix de diffuser le pdf du jeu auprès des souscripteurs durant le financement du jeu, et ce quelque soit le résultat de ce dernier.
À mon sens, c’est très chouette, car ainsi, quoiqu’il advienne, le jeu pourra vivre…
Toutefois, il y a un petit effet de bord à agir ainsi, qui est que « tout le monde » va vouloir y aller de son conseil « bienveillant » par rapport à ce que « pourrait encore devenir le jeu » (non ma bonne dame, les rôlistes ne sont bien sûr ni pointilleux, ni des créatures d’habitudes à la dent dure persuadées d’être individuellement universelles en matière de bon goût 😅).
Par conséquent, vous gérez comment les différents retours que vous avez sur le jeu (autant toi que tes collègues et éditeurs), et (question à tiroirs) comment on s’y prend pour porter sa vision d’auteur envers et contre tous (ou pas) ?

J’avoue que c’est un des aspects de la campagne auquel je ne m’attendais pas.
Qu’il y ait des difficultés à convaincre quand on est inconnu et qu’on propose un jeu au format et au thème inhabituel, ça n’a rien de surprenant.
En revanche, certains retours en pleine campagne de financement ont bien failli me désarçonner.
Quand on a couvé son bébé pendant longtemps, et que quelqu’un dit soudain « Il serait mieux avec les cheveux roses » ou « Je n’aime pas son nom », c’est parfois dur à encaisser.
Mais à présent, je pense que c’est une occasion de tester ses propres convictions.
Est-ce qu’on garde le cap ou est-ce qu’on lâche du lest face à la critique ?
Comme pour le rugby (que j’adore) ; comment savoir ce qu’on vaut si on évite d’aller au contact ?
C’est sans doute ça de plonger dans le grand bain. On prend des coups, c’est formateur.
Par ailleurs, il y a parfois des retours constructifs.
Des choses auxquelles on n’avait pas pensé parce que trop occupé à pédaler la tête dans le guidon.
Par chance, la plupart du temps ce ne sont pas des suggestions qui, si elles étaient intégrées, dénatureraient l’esprit du jeu.
La gestion de ces retours est assez simple.
Spontanément, une liste des doléances a été créée (merci Aurélien).
Tout est stocké et étudié au cas par cas. On en débat quand il s’agit de micro réglages qui n’impliquent pas une refonte totale de l’ouvrage et quand ces suggestions paraissent en accord avec l’esprit du jeu.
Je me permets pour ma part de dire non, quand par exemple quelqu’un demande à ce que le système soit complexifié pour correspondre un peu plus à ce qu’il connaît.
Il n’y a pas d’intérêt à produire le clone de jeux déjà existants. YBS a son propre ADN ; d’après Eldon Tyrell13, reconfigurer brutalement cet ADN pourrait amener la mort du sujet avant même qu’il ne quitte la table d’opération.
Des réglages sur l’ergonomie, oui. Une chirurgie plastique lourde, non 😊

Alors comme ça, tu veux qu’on change les règles ?

Enfin, si tu vois quelque chose à ajouter, fais-toi plaisir, la place est à toi.

C’est probablement un vœu pieux (pieu de bois, dégâts +2), mais j’aimerais que le jeu de rôle se démocratise un peu plus.
Pas pour la gloriole ou l’argent.
Plutôt parce que c’est un média que je trouve passionnant.
Faire travailler l’imaginaire, assouvir des rêves sous la forme du jdr, c’est quelque chose à laquelle chacun devrait pouvoir goûter.
Je pense qu’en temps de crise, c’est à l’industrie du jdr de redéfinir ses propres limites, et pourquoi pas, de partir à l’assaut d’un nouveau public.
YBS est une création hybride conçue pour être abordable par tout type de lecteur (son format, le choix du système basé sur le dé six, son aspect “carnet de voyage”). J’espère que, même à petite échelle, elle permettra de faire découvrir le jeu de rôle à des personnes ignorant tout de ce domaine.
YBS est considéré pour le moment comme un jeu de niche.

Allé, venez les gens, ça va être fun

J’espère qu’il séduira au contraire des joueurs de tout acabit.
Redéfinir les limites…
Pour faire un parallèle avec le domaine du jeu vidéo au Japon : les développeurs ont longtemps misé sur les jeux sur smartphone facilement monétisables pour jouir d’un profit rapide auprès d’un public large.
Mais avec leurs jeux simplistes, ils ont eux-mêmes fait du consommateur un joueur capricieux qui se lasse très vite (je ne dis pas qu’il faille revenir au jeu sans sauvegarde, mais…).
Je pense que le jeu de rôle souffre du phénomène inverse.
Les jeux proposés sont de qualité, mais s’adressent à un public d’initiés. 
Conquérir un nouveau public et proposer de nouvelles formules de jdr est un pari audacieux et risqué.
Pour cette raison, j’ai beaucoup de respect pour Laurent Rambour qui a misé sur le jeu d’un inconnu et tenté de proposer une expérience différente, à 500 coudées du « mainstream ».

Mainstream ou pas, simple ou pas, fictif ou réaliste, le jeu de rôle nous prouve ici une fois de plus qu’il peut revétir énormément d’aspects différents et que de nos jours, absolument tout le monde peut trouver jeu à son pied (enfin…).
Je remercie Frédéric pour le temps qu’il a consacré à répondre à mes questions, entre travail, financement participatif qui bat son plein, re travail et fêtes de fin d’année, ce n’était pas forcément le moment le plus propice à se poser une heure pour satisfaire la curiosité d’un rôliste bavard.
Je ne peux que vous encourager à aller jeter un oeil sur la page du financement de Yuigahama Bad Seeds, si ce n’est déjà fait, afin de vous faire votre propre idée sur le jeu, pour ma part, j’adore ce que j’en ai lu.
Sur ces bonnes paroles, je vais filer finir la lecture des 12 nouvelles qui constituent la campagne du livre de base (et si possible faire tester le jeu à mes cobayes habituels)
afin de vous faire un retour avant la fin de la souscription.
Mata aimashō.

En bonus, le lien vers le fichier pdf présentant 29 pages du jeu

Propos de Frédéric BESSY recueillis par David BARTHELEMY

Notes et Références :

1 LETO Games
2 Cobra
3 Kabbale
4 One %
5 Against the Dark Master
6 Le gourmet solitaire
7 Cthulhu (l’appel de)
8 Julien Dejaeger
9 Laurent rambour
10 Jérôme Isnard
11 Aurélien Trotignon (entretien sur la chaîne Vieux Geeks)
12 Raymond Queneau
13 Eldon Tyrell

Retour de lecture

Ce que j’en pense : Imperium 5 Rebuild 0 chez Obhéa Editions

Ma pauv’ dame, aujourd’hui tout augmente !

Fort de ce triste constat réalisé en cherchant à équilibrer mon budget, entre plein de la voiture, achat de fioul pour l’hiver, maintient de l’accès à l’électricité et préparation de Noël, je suis arrivé à cette triste conclusion :
C’est la fin de l’abondance… et par là, la fin des achats impulsifs/compulsifs de tous les jdr qui sortent, que ce fut par curiosité, réel intérêt ou soutien à l’édition de ce petit milieu fragile (je n’ai pas dit « de fragiles », attention).
Barf, en bon philosophe formé par les Monty Python¹ , mâtiné d’un nihilisme/j’m’enfoutisme de bon aloi, c’est en sifflotant « always look on the bright side of life » que je me suis campé devant mes étagères, me faisant la réflexion que j’avais malgré tout quelques années de lectures en retard devant moi pour tromper ma frustration.
Tout naturellement, mon premier choix s’est porté sur le kit d’introduction d’Imperium 5 (chez Obhéa Editions²), histoire de me changer les idées du marasme actuel en plongeant dans des intrigues cyberpunkesque entre Nobles nantis, Corpos-états toutes puissantes, crises idéologiques et technologiques teintées de survivalisme, dans un monde où tout n’est plus qu’artifices.
Malin le type 😃

Ce retour de lecture sera un peu plus court et moins structuré que les précédents, et ce pour plusieurs raisons. La première, à moins de les tester en jeu (ce qui n’est pas trop possible dans l’immédiat, ayant déjà pas mal de choses sur le feu), je ne suis pas sûr de comprendre tout ce que j’ai lu des règles, donc pour vous les présenter efficacement, ce n’est pas gagné. La deuxième, c’est un jeu qui s’annonce très riche au niveau de sa toile de fond, et surtout, il s’agit de la première pièce d’un multivers promettant de fort belles choses…
J’ai donc récupéré le kit l’année dernière à Octogones³, profitant du début du salon pour discuter avec une partie l’équipe derrière le jeu (Patrick Massaad⁴ l’auteur, ainsi que deux illustratrices bourrées de talent, Naïki et Mélanie Ret) qui m’a convaincu de tout le potentiel de cet univers.

Vive les salons… ce fut pour moi l’occasion de faire son baptême de dédicace à Patrick 😃

Dans Imperium 5, le monde se remet peu à peu d’un cataclysme qui a provoqué l’effacement de la mémoire d’à peu près tout le monde, à une ère où la technologie confinait au divin, permettant entre autre de sauvegarder des individus et les recréer « à l’identique » en cas d’accident tragique, de les « augmenter » au besoin ou encore de parcourir le monde en quelques minutes. Après le Crash Quantique qui a en quelque sorte rebooté l’humanité, quelques grandes organisations ont repris les choses en main. L’ADM, les Imperiums, les Nobilis et quelques autres factions plus confidentielles dirigent le monde au plus proche de leurs intérêts respectifs, nous proposant un joli panier de crabe de puissantes corpos et de riches individus, au sein duquel tous les coups sont permis (en restant discret bien sûr) pour assoir sa supériorité.
Les joueurs devront évoluer au milieu de ce gloubiboulga d’intérêts conflictuels en se serrant les coudes (ou pas) pour faire progresser leur Entente et avoir un impact sur le monde au travers de leurs agissements. Comme les choses sont présentées dans le kit, leurs peaux ne vaudront guère plus pour leurs commanditaires que celle du runner moyen pour son Johnson à Shadowrun⁵, à la différence près qu’ici, la mort n’est pas forcément définitive grâce au Rebuild, la fameuse technologie permettant de recréer les individus.

Niveau paysage, j’espère que vous aimez le béton, car la surface de la terre n’est plus recouverte que de constructions s’empilant les unes sur les autres au fil des âges. La nature a disparu, remplacée par de vastes structures métalliques (souvent pyramidales), certaines abritant des complexes industrielles, d’autres des cités ou des palaces (les capitales des différents Imperium, les états de ce monde) dont quelques-unes totalement closes, protégeant des mystères oubliés qui ne demandent qu’à être re-découverts par cette « nouvelle » humanité.

Vous le sentez le bon air champêtre ?

Vous l’aurez compris, les maîtres mots de cet univers sont donc : bienveillance, espoir, entraide et amour… Non ?
Côté mécaniques, Imperium 5 prend le parti de proposer un jeu encourageant la narration et dispose d’un système qui lui est propre, utilisant des dés 8 que seuls les joueurs seront amenés à manipuler, le MJ se concentrant sur ses propres outils narratifs et l’ambiance autour de la table.
C’est un postulat très louable auquel j’adhère complètement, mais que je trouve (en attendant d’avoir pu tester) en l’état, desservi par le système. Comme je n’aime pas balancer gratuitement des saloperies à la face de celles et ceux qui font vivre le jdr, je vais essayer de m’expliquer, surtout que cela tient sans doute pour beaucoup à ma propre pratique et au niveau d’investissement que je suis prêt à fournir pour un nouveau jeu aujourd’hui.

Premier point à soulever, à l’instar d’un Insectopia⁶ par exemple, il y a ici énormément de vocabulaire spécifique au jeu. Alors niveau immersion, c’est sûr que ça fonctionne. Par contre, il faut l’intégrer, le digérer, puis le transmettre ensuite aux joueurs, ce qui n’est pas forcément mon étape favorite dans la découverte d’un jeu… pour la simple raison évoquée plus haut : je n’en ai plus le temps. Car oui, Imperium 5 nécessite que l’on lui consacre du temps et de l’attention.

Deuxième point, le système à proprement parler.
Donc, encourager la narration dans un jdr, c’est très honorable. Pourtant ici, j’ai le sentiment (très personnel) que cela est desservi par un corpus de règles assez touffu.
Au final, beaucoup de choses sont régies par une gestion de points que les joueurs obtiennent en résultats de leurs lancés de dés.
La dépense de ces points va ensuite conditionner les actions de la scène en cours, englobant ainsi les actions « génériques », les dégâts en cas de combat, l’utilisation de capacités/matériel des personnages etc.
Selon moi, un jeu encourageant la narration devrait idéalement se dégager au maximum de ces différents aspects d’un point de vue mécanique (par exemple, je ne visualise pas en quoi l’utilisation du pistolet que j’ai effectivement dans ma poche, devrait être soumise à une dépense de points quelconque pour être effective…?) et miser autant que faire se peut sur les descriptions des participants.

Troisième point, l’univers est très intriguant (ce qui est une fois de plus, une bonne chose), remplit de factions, de mystères, d’enjeux et de possibilités pour les personnages.
Ceci étant dit, comme il s’agit d’un kit d’introduction, tous ces points ne sont que survolés (voire évoqués) et ne donnent pas les clés permettant à mon sens à un maître de jeu d’en tirer quelque chose à sa table sans prendre le risque de partir complètement à l’opposé de la vision de l’auteur. Je me trouve donc devant un paradoxe consistant à disposer d’une multitude d’éléments… sans pouvoir m’appuyer réellement dessus pour jouer.
C’est à ça que sert le scénario me direz-vous fort à propos.
Hé bien oui et non. Le scénario proposé est (toujours à mon sens) plutôt une grande scène d’action, dont le but serait de tester le système, qu’une réelle porte d’entrée dans l’univers.
J’en reviens au manque d’infos « utiles » dans la présentation du monde, car il me paraît terriblement hasardeux de tenter de développer un avant ou un après sur la base des connaissances à disposition.
Donc, j’ai sous la main une scène… et voilà.
Autant dire que si je me lance comme ça, mes joueurs vont chercher à me trucider, à coup sûr.

Le sommaire du livret scénario

Comme bien souvent (hélas), ma lecture du système fut entrecoupée de multiples interventions auprès de mes enfants, ce qui a certainement joué dans la confusion que j’ai ressenti entre l’intention de l’auteur et la mise en application dans le jeu… d’avance, toutes mes confuses si c’est bien le cas 😅
Il ne faut pas perdre de vue non plus qu’il s’agit d’un kit d’introduction, d’une version beta et non d’un jeu « finit », dont les textes seraient gravés dans le marbre.
En effet, ce kit est destiné à confronter le jeu au public, afin d’en poursuivre le développement suite aux différents retours de celles et ceux qui l’auront pratiqué.
Une fois de plus, une bonne idée (et pour le coup très participative).
Je confesse ne pas avoir fouillé intensivement internet pour dénicher la fameuse section dédiée au retours (que je n’ai hélas pas trouvée sur le site de l’éditeur) et ne saurait, par conséquent, attester de l’efficacité de la démarche.

Maintenant, il faut tout de même souligner (car à me lire jusqu’ici on peut se dire « à quoi bon ? ») que ce qui est proposé dans les pages du kit m’a particulièrement accroché.
Nous avons un univers très typé, possédant une identité forte, qui permet enfin d’aborder le cyberpunk sous un angle différent de ce que l’on trouve sur le marché actuel (et passé) du Jdr.
Les possibilités paraissent assez énormes, tant au niveau action, politique ou mystique que philosophique (je me comprends, vos joueurs ne vous pondront vraisemblablement pas une thèse sur l’existentialisme, mais il y a largement de quoi les faire reflechir). Tout ce qui concerne l’aspect visuel est particulièrement léché, qu’il s’agisse de la maquette ou des illustrations, et fonctionnel… bref, c’est beau et on sent clairement la passion qui est derrière cet univers.

Pour conlure, un financement participatif de la version « finale » d’Imperium 5 est prévu pour mars 2023, aussi je surveillerai attentivement ce qui sera proposé à cette occasion, car je reste intrigué par ce jeu dont l’univers me vend du rêve.
Le kit souffre à mon sens avant tout d’un défaut de positionnement clair quant à ce qu’il propose, naviguant quelque part entre le teaser et le format découverte, sans toutefois pleinement cocher les cases de l’un ou de l’autre, et il n’est pas facile pour moi d’écrire dessus tellement j’ai envie d’aimer ce jeu, mais estime ne pas avoir encore ce qu’il faut à me mettre sous la dent (dure parfois) pour le faire en pleine connaissance de cause.
Enfin, pour clarifier tout ça (tant pour moi que pour vous), je vais solliciter le principal maître d’œuvre derrière Imperium 5 pour qu’il nous expose ses intentions et projets (et me mette bien le nez dedans si j’ai tout compris de travers 😅) dans un très prochain entretien…

Affaire à suivre.

Rédigé par David BARTHÉLÉMY

Notes et Références :

¹ Monthy Python
² Obhéa Editions
³ Octogônes
Patrick Massaad
Shadowrun
Insectopia

Avant la sortie, Dossier, Retour de lecture

Abstract, qu’est-ce que c’est ?

Aujourd’hui, les propositions de jeu sont pléthores et touchent à vraiment tous les domaines. Il suffit d’aller faire un tour sur le Grog1 ou dans les rayons de Philibert2 pour s’en apercevoir et tout un chacun peut aisément trouver son bonheur, quelque soit l’univers recherché. Au milieu de tout ça, les systèmes de jeu ne sont pas en reste et toutes les variantes se promènent dans la nature, entre ludisme, simulationisme, narrativisme, et tout les mots en isme qui peuvent vous venir à l’esprit (en restant pertinent dans le contexte, tout de même)… Dés, compétences, caractéristiques, carrières, apsects, cartes, jenga, shifumi, tout y passe.
Pour autant, les systèmes, tout originaux qu’ils soient, tendent à ne pas bousculer des fondamentaux qui seraient globalement :
– description du contexte de la scène jouée
– description de la volonté d’action des personnages
– résolution des actions par le biais des mécaniques du jeu
– description de la scène en fonction des résultats et rebelote.
Alors, ça fonctionne sans problèmes (enfin, la plupart du temps) autres que générer parfois de la frustration face à une mécanique imprécise (ou trop précise), un hasard qui s’acharne dans le mauvais sens, pour donner au final et en dépit des râleries incessantes sur tel ou tel point de rêgle ou lancé de dés rageux à travers la pièce, les parties que l’on aime tant mener en soirée depuis l’adolescence.
Sauf que voilà… quand une vraie approche différente émerge, elle a souvent du mal à s’imposer (le rôliste, comme tout un chacun me direz-vous, est un animal d’habitudes).
Parmis ces propositions « nouvelles » qui ont fait surface ses dernières années, les deux plus connues sont sans doute FATE3 et les jeux motorisés par l’ Apocalypse4.
Tout deux ont leur fans, mais aussi leurs grands détracteurs, ce qui est bien normal… et pourtant, quand on regarde bien, ils ne sont finalement pas si différents de ce qui se pratique couramment depuis des années… les fondamentaux restent sensiblement les mêmes.
C’est là qu’arrive Abstract Donjon5 et son système radicalement différent (si si!).

Alors Abstract, qu’est-ce que c’est ?

Publié originellement en 2014, Abstract Dungeon venait chambouler les habitudes et les codes de notre petit milieu.
En 150 pages, c’était un petit bouquin ne payant pas de mine, et pourtant…
Les XII Singes6 ne s’y sont pas trompés et quelques années plus tard, nous ont proposé la V.F de cet ouvrage. Plus qu’une simple traduction (206 pages pour la v.f), c’est une véritable gamme qui a vu le jour chez nous en 2018, avec de nombreux ajouts destinés à faire vivre le jeu :
Abstract Donjon (la base)
Abstract Universe (adaptation Super-Heros, S-F, Weird West…)
Drakonheim (Cadre de jeu générique Med-Fan, sans données chiffrées)
Abstract Al-Taraka (campagne 1001 nuits)

L’Abstract family française

Dans un second temps (et une seconde campagne de financement), les mêmes Singes ont fait le pari du Steampunk pour cette gamme, en y adjoignant trois ouvrages supplémentaires :
Criminels, Mercenaires & Comploteurs (galerie de persos et organisations)
Abstract Aventures Steampunk (grande campagne de jeu)
Guide de survie du Mj Steampunk (supplément générique et aides de jeu)

Les cousins cousines à vapeur

Alors, tout ça c’est très bien, mais qu’est-ce qu’on en fait et en quoi ça change des autres jeux ?
Un personnage est défini par quatre caractéristiques, quelques traits, son équipement, des trésors et une réserve bonus. Chacun de ces éléments se verra attribué un certain nombre de dés (d6), en fonction de son niveau.
Là où le jeu diffère des autres, c’est qu’à chaque début de partie, les dés sont lancés dans leur ensemble et posés sur la fiche afin d’être dépensés en cours de jeu, lors des différentes scènes qui seront proposées.

Exemple de feuille de personnage

Toute la partie sera ensuite articulée autour de la gestion de ces ressources par les joueurs pour faire face aux différentes situations auxquelles ils seront confrontés et la tension viendra de leur inexorable épuisement, plutôt que de la part de hasard dûe aux jets de dés.
Présenté comme ça, il n’est pas encore évident de visualiser ce qui change… développons un peu au travers d’un exemple comparatif :

Les pj sont des super héros faisant face à une horde de robots tueurs créés par l’infâme Docteur Flatulis afin de conquérir Plougastel, puis le monde :
Une trentaine de robots équipés de bras mécaniques au bout desquels s’agitent d’affreuses scies circulaires à l’aspect menaçant, fonce dans votre direction, détruisant tout sur son passage. Le soleil se reflète sur leur blindage, produisant mille éclairs lumineux du plus bel effet, qui donneraient à la scène des airs de parade festive si l’heure n’était pas aussi grave. Que faites-vous ?

Jeu de rôle traditionnel Abstract Donjon
– Jet d’initiative pour tout le monde
Queen-Amann, la speedster de l’équipe,
tire le resultat le plus bas de l’histoire du
jeu de rôle et agira à la fin du tour,
se faisant la reflexion que la
prochaine fois elle vérifiera ses lacets avant le début du combat.
Chu Chen, le spécialiste en arts-martiaux agit le premier.
Il se jette dans la mêlée, accompagné du flamboyant
King Hafarz et de son fidèle épagneul mutant Zig Zag,
– Bon, ben je refais mes lacets.
Chu Chen tente un balayage sur le premier rang de robots
histoire de géner la progression des suivants ».
– Jet d’arts-martiaux avec une réussite normale, par contre
les dégats sont faibles, seuls trois robots se retrouvent à
terre, tentant péniblement de se redresser pendant que
les autres les contournent.
– Le King va vous cramer tout ça les enfants, pas de panique.
J’utilise mon pouvoir de flammes
niveau 2 pour faire des dégats de zone et en toucher le plus possible.
– Tu en touches 5. Toutefois il leur reste des points de vie,
seuls 2 se figent, tu as dû fondre leurs batteries.
C’est à eux d’agir.
Ils foncent sur vous en agitant leurs bras télescopiques meurtriers.
Réussite partielle, seul Chu Chen est touché et prend
3 points de dommages.
– Attends, action de réaction, je tente une esquive !
– Jette tes dés.
– Réussi ! Chu Chen fait un triple salto arrière et évite de
justesse les scies circulaires qui sifflent à ses oreilles.
– C’est au tour de Queen Amann qui, pour on ne sait
quelle raison, a passé un tour complet à refaire ses lacets
alors qu’elle court plus vite que le son.
– Oui ben j’ai toujours eu du mal avec les noeuds, pfffff.
Donc, je fonce et cours en cercle à fond autour du groupe
de robots afin d’attiser les flammes du King et les empêcher d’avancer.
– Ok, je vérifie les règles sur le feu page 238 et te dis
tout de suite si ça fonctionne…
(4 minutes plus tard)
Bon ! C’est une action combinée, donc tu n’auras qu’un
déplacement au tour suivant et pas d’action simple.
Tu cours, ta silouhette se trouble à cause de la vitesse et
bientôt, c’est une véritable tornade de flammes qui
s’élève au centre de la rue. Tu fais 3 points de dégats à l’ensemble du groupe
de robots et en voit tomber 4 de plus.
Plus que 21 robots.
Deuxième round, Initiative pour tout le monde.
… … …
… …
Le groupe de robots représente une
menace de 6 dés.
Je les lance devant vous pour un résultat de : 4-2-5-1-2 et 6, soit
20 points.
Que faites-vous ?
– Allé, je suis la speedster du groupe,
je commence.
J’utilise mon 3 en Déxtérité pour la course,
mon trait héroïque « Vive comme l’éclair »
à 2 et commence à courir en cercle
autour d’eux tellement vite qu’une mini tornade les maintient groupés, gênant leur avancée.
– Ok, reste 15 points de menace, les
autres vous faites quoi ?
Chu Chen court, bondit sur le capot
d’une voiture pour sauter dans la
tornade et infliger une déferlante
de coups, veritable vent meurtrier aux poings durs comme l’acier,
avant de faire un
triple salto pour ressortir de la zone.
Je dépense mon 6 en Force ainsi que
le 4 de mon trait héroïque « Poing du Tonnerre de Brest ».
– Bien, reste 5 points de menace.
King, tu fais quoi ?
– Hmmmm… Une fois que Chu Chen
est ressorti, j’envoie Zig Zag arracher
des membres de ses crocs puissants
et dès qu’il revient, je tir en cloche
une boule de flammes qui va s’abattre
sur les survivants pour les finir.
J’utilise donc mon 3 de « Zig Zag,
fidèle épagneul mutant »
et un 3 de mon trait héroïque
« Maître des flammes au sang chaud »
pour un total de 6 contre les 5 points
restant.
– Super, en un éclair, vous vous êtes
débarassés des troupes du
Docteur Flatulis.
Il vous jette un regard haineux,
avant de plonger dans son Autogyre, vous lançant un ultime
« Je reviendrai, et ma vengeance sera TERRIIIIIBLE !!! »
On présente Abstract Donjon et l’exemple porte sur des Super Héros… Ben bravo !

Certes, mon exemple peut paraître un tout petit peu orienté, n’empêche qu’il devrait évoquer quelques souvenirs de parties chez les joueuses et les joueurs s’étant déjà frottés au genre Super Héroïque.
Ce qu’il va néanmoins nous permettre de constater, en plus du gain de temps certain dans la narration, c’est que les postulats de résolution de scènes sont vraiment différents avec Abstract.
En effet, d’un côté, nous avons les désirs des joueurs confrontés aux aléas des systèmes de résolution puis une ré-écriture des dîtes intentions pour refléter l’impact de la mécanique, et de l’autre, les personnages se contentant d’énoncer ce qui se passe concrètement, puisqu’ils choisissent eux-mêmes quels scores de dés utiliser afin de s’approcher au mieux du résultat désiré.
Pour l’avoir testé en situation réelle, la plus grosse difficulté lors de l’explication des règles aux personnes présentes pour la partie est de faire passer le message que toute action décrite se produit telle quelle.
Pas de « J’essaie de crocheter la serrure » ou « Je tente un saut par dessus le gouffre » suivi d’un test qui viendrait confirmer ou non l’intention… Seule l’intention sera retenue « Je crochette la serrure du coffre » ou « Je prends mon élan et d’un bond magistral franchit le gouffre avant d’atterrir avec classe de l’autre côté ».
Autrement dit, si un personnage échoue à une action, c’est parce que son interprète à décidé qu’il en serait ainsi. Les raisons d’échouer peuvent bien sûr être multiples, qu’il s’agisse d’épargner sa réserve de dés en vue d’une confrontation ultérieure ou de servir l’histoire en y ajoutant des rebondissements, une faiblesse passagère du personnage, un moment dramatique… l’important est de comprendre que cela viendra du joueur au lieu d’être simplement subi.

Cette méthode de gestion n’implique pas des changements que pour les joueuses et joueurs présents. Les MJ vont également devoir repenser leur manière de dérouler un scénario, car leur outil principal pour gérer la tension autour de la table, va être la manière d’épuiser les ressources des PJ. Lorsqu’il prépare son scénario, le MJ va calculer les dés alloués à l’opposition en fonction du nombre de dés des personnages (cf photo), afin de proposer une partie équilibrée.

En effet, si l’opposition est sous-estimée par le MJ, les joueurs et joueuses vont se contenter de pousser leurs dés pour triompher des obstacles, sans réelle tension autour de la table. Dans le cas contraire, on va se retrouver avec un sentiment d’écrasement très rapidement, si par exemple à moitié de la partie les joueurs ont déjà quasiment consommés toutes leurs réserves.
Le MJ va donc devoir jongler avec ça et trouver son propre équilibre. C’est là que va résider la difficulté à s’approprier le jeu.
Bien sûr, des outils sont fournis pour palier à ce type d’écueils, comme les restaurations.
Les personnages peuvent décider de relancer tout ou partie des dés de leurs réserves si celles-ci viennent à s’épuiser trop rapidement, toutefois au prix d’une diminution des points d’expérience distribués en fin de partie.
Si la restauration est proposée par le MJ, c’est cadeau et n’impactera pas les PX.

La meilleure approche pour dompter la bète est sans doute de commencer par faire jouer quelques-uns des nombreux scénarios disponibles et voir ainsi comment répartir l’adversité en fonction des scènes, avant de passer à ses propres créations.

Ce que j’en pense

On ne va pas tortiller pendant des heures, Abstract a tout pour me plaire.
C’est vite lu, les règles sont archi simples et unifiées, ça peut se hacker en un rien de temps pour jouer dans à peu près nimporte quel univers et ça permet enfin de jouer un truc vraiment héroïque décomplexé (ça m’a tellement plus que j’en ai pondu un petit hack, très fortement inspiré pour mener des parties sur le pouce. C’est ici).
Pour certains, il manquera d’intérêt ludique de par l’abscence de moult mécaniques, de hasard et pourra paraître dirigiste, voir trop scripté.
À la première lecture, c’est ce que je m’étais dis… et finalement, une fois l’habitude prise de penser les choses différemment, ce jeu est vraiment fun.
La seule vraie difficulté va se résumer à doser les choses pour faire sentir la menace à vos joueurs, à grignoter petit à petit leurs ressources en vue de la confrontation finale du scénario, sans ni les écraser, ni leur faciliter trop la vie.
Bref, j’adore ce jeu et c’est tant mieux, car l’année dernière est tombée la news que j’attendais tant depuis des années… Une nouvelle édition de Thoan7 allait enfin voir le jour.

Bim, je vous ai bien feinté n’est-ce pas ?
Vous vous disiez que « ça y est, il a finit son laïus, on va pouvoir passer à autre chose »…
Hé bien non jeunes naïfs que vous êtes, car figurez vous que la nouvelle version de Thoan est motorisée par Abstract.
Youhouhou, je suis joie et pour féter ça, je vais vous parler un peu de Thoan et de pourquoi Abstract + cet univers = le bien.

Hop, Partie 2 surprise : Thoan

Thoan se base sur la saga des Hommes Dieux de Philip Jose Farmer8 (les 7 romans qui la composent furent publiés entre 1965 et 1993). Le premier roman met en scène Robert Wolf, un homme dans la soixantaine qui se retrouve projeté sur un monde alternatif qu’il va apprendre à connaître, pour le meilleur et pour le pire.
Ce monde est construit comme une gigantesque tour de Babel dont les différents étages sont séparés par des montagnes abruptes, hautes de plusieurs kilomètres, censées garantir l’absence de circulation des peuplades d’un étage à l’autre.

Que voilà un joli terrain de jeu !

On y croisera en fonction des étages aussi bien des dryades, des faunes, des aigles géants, des peuplades amérindiennes, vicking, teutones, atlantes, que des gorilles géants pacifiques et hedonistes (les zébrilles ) ou des dragons végétariens (oui oui). Au fil du roman, on en apprendra plus sur cette étrange planète,  notamment qu’elle fut créée par un être tout puissant, le Seigneur Jadawin, qui la peupla en prélevant des habitants de la terre à différentes époques pour les implanter sur son monde dans de nouveaux corps (Zebrille, Dryades, Faunes, Silènes…), afin de satisfaire ses lubies et fantaisies. S’ensuivront de grandes aventures au travers du monde à étages, de sa Lune, ou encore d’autres univers, toutes plus pulp les unes que les autres. En deux mots, c’est un cycle foisonnant, peuplé de mondes et de personnages plus grands que nature, qui mérite sans aucun soucis d’être inscrit au panthéon de la S.F et du Pulp (comment ça je suis fan depuis que j’ai 12 ans ?)

C’est par un beau jour de l’année 1995 que j’ai pu jeter mon dévolu sur le livre de base de Thoan (à l’époque édité par Jeux Descartes9), magnifique pavé de 432 pages décrivant par le détail le Monde à étages et les tenants de cet univers haut en couleur. Écrit en grande partie par les frères Vesperini (Orso et Leonidas10) et reposant principalement sur les tomes 1 et 3 du cycle, le jeu se vit doté d’un écran et du premier volet d’une campagne au long court (Arwoor) dont la seconde partie fut diffusée sur internet après l’arrêt de la gamme, concordant avec l’abandon de l’édition de jdr par Descartes. Mauvais timing pour un très bon jeu qui aurait mérité d’être plus développé à l’époque.

Les années 90 ont vu naître et disparaître nombreux de jeux dont les systèmes se voulaient novateurs. En effet tout était en train de se construire et la recherche de nouveauté était le maître mot de pas mal d’éditeurs (Multisim11 en tête par chez nous… info pas si anodine que ça, vous verrez).
Thoan n’a pas fait exception à la règle et reste encore aujourd’hui réputé pour son système particulier, reposant sur une mécanique d’échelle de valeurs assez unique en son genre, qui en a déconcerté plus d’un.
Les combats également expérimentaient une méthode de découpage du round plutôt novatrice en Jdr. Chaque personnage disposait d’un certain nombre d’unités d’action (U.A) à dépenser pour agir dans le tour. La planification du tour se faisait « en aveugle » et l’on confrontait les choix des PJ et des PNJ une fois que tout le monde avait décidé du placement de ses U.A.
Ajoutez par là-dessus une réserve de points d’héroïsme, 9 caractéristiques, une vingtaine de compétences, deux types de vitesse de deplacement et vous aurez un joyeux amas de statistiques qui n’a pas participé à ce que le jeu trouve son public (bien que tout soit au final fonctionnel et pas si compliqué que ça).
Après une préface de Philip Jose Farmer himself, excusez du peu, quelques généralités, un glossaire et une aventure solo pour se mettre dans le bain, ces rêgles réputées si particulières tenaient au final sur seulement 60 pages à la maquette bien aérée.
Autant dire que comparé à quelques mastodons plus modernes, ça ne pèse finalement pas si lourd que ça.

Tout le reste du bouquin englobait la création de personnages (sur 50 pages, avec 20 types de personnages jouables, présentés chacun sur une double page et agrémentés d’une belle illustration), une présentation rapide de la cosmogonie Thoane, une superbe partie encyclopédique sur le monde à étage de 150 pages, des conseils pour mener le jeu, un résumé de chaque tome de la saga, un catalogue de la technologie des Seigneurs, un bestiaire et deux scénarios (tout ça sur les 110 pages restantes).
Le moins que l’on puisse dire de ce bouquin, c’est qu’il est généreux et dresse un parfait tableau du Monde à étages (merci Alexis Santucci12 pour ces superbes illustrations) dans lequel pourront s’esbaudir ensuite les joueurs pendant de longues heures/semaines/années.

Le parti pris pour approcher le cycle de manière ludique était donc ici de jouer des habitants du Monde à étage et d’y situer la majeure partie de leurs aventures.

Thoan nouvelle version

Tout ça nous amène gentiment à la version du jeu qui fut financée l’année dernière et pour laquelle j’avais passé Frédéric Weil13 et Stéphane Arnier14 à la question (ici).
Hé bien, l’eau a coulé sous les ponts depuis et aujourd’hui, les livres sont (presque) prêts à partir chez les souscripteurs.
Ô joie !
Le mois d’octobre sera donc le mois de Thoan.
Et cette nouvelle version du jeu, car il ne s’agit pas d’une simple réédition, va changer la donne par rapport à la première du nom en nous proposant d’incarner un groupe de Seigneurs, et ce dans de nombreux mondes de poche.

Petite pause l’Histoire du Jdr français :
A titre de rappel, Thoan est labellisé chez Ludika15, l’alliance de Mnémos et des XII Singes, qui s’occupe déjà de la publication de Nephilim Légende16. Vous vous rappelez toute à l’heure quand je vous parlais de Multisim ? Ni vu ni vu, je fais mon lien, puisque je vous le donne en mille, qui donc avait co-fondé la boîte, puis les éditions Mnémos… ? Tatata… Frédéric Weil bien sûr… et Frédéric est un fan de Farmer devant l’éternel, moralité ce jeu taillé à l’époque pour figurer au catalogue de Multisim (selon moi) retrouve aujourd’hui une place bien mérité chez son descendant Ludika.

Reprenons

Le choix fut donc fait de motoriser cette nouvelle édition grâce à Abstract. C’est tant mieux, car synonyme d’actions flamboyantes, en plus de garantir un système simple d’accès qui ne demandera pas à être lu, relu et digéré avant de pouvoir vous plonger dans le feu de l’action.

C’est en grande partie Franck des XII Singes qui a réalisé l’adaptation à cet univers des rêgles déjà existantes. Rassurez-vous, si vous connaissez Abstract, vous ne serez pas perdus et j’irais même jusqu’à dire qu’une certaine harmonisation du cortex de base à été effectuée, rendant cette version encore plus accessible. A ses côtés, Stéphane Arnier, l’auteur principal du jeu sera secondé par les illustrations (magnifiques) de Dogan Oztel17, dont vous aurez peut-être déjà pu admirer le travail dans Tschaï, retour sur la planète de l’aventure18, également au Editions Mnémos dans la collection Ourobores19.


Le cycle des Hommes-Dieux étant fortement axé autour des relations familliales chez les Thoan, l’une des premières étapes sera de décider des relations entre vos différents personnages, des liens qui les unissent, ainsi que de leur génération au sein de ce peuple. Ici pas d’impact purement mécanique, mais une aide à la narration bienvenue pour situer l’ambiance à votre table.
Viendront ensuite les motivations, dans le but de donner une orientation à vos parties.
Pour finir, la partie chiffrée des personnages incluant les Caractéristiques, les Traits, l’Ego et l’équipement consistera à répartir des scores entre les différents éléments cités pour dresser un portrait aussi fidèle que possible de ce que vous souhaitez jouer.

Parlons Chiffres

Pour coller à l’ambiance, les caractéristiques « génériques » de Abstract deviendront donc :
Puissance, Elégance, Raison et Emotions, auxquelles viendront s’ajouter 3 traits définis lors de la création du personnage, de l’équipement, le Zoa et un Ego.
L’Ego aura toute son importance dans la mesure où il va marquer profondément ce qui caractérise votre Seigneur Thoan, ce qui le rend supérieur aux autres dans un domaine particulier où il excèle. L’Ego sera donc une réserve supplémentaire de 2 dés dans laquelle le joueur pourra piocher lorsqu’elle s’appliquera à la situation.
Le Zoa quand à lui vient remplacer le Dé bonus habituel d’Abstract et repésente la flamme qui anime les Seigneurs, cette étincelle de volonté qui les poussent à ne jamais renoncer. En tant que réserve bonus, le Dé aura donc une valeur de 6 au début de chaque partie et pourra être déplacé dans n’importe quelle réserve en cours de partie, suivant les besoins.

L’opposition en cours de jeu pourra prendre plusieurs formes, selon les situations, se résumant à trois grands cas de figure :
Les obstacles, Les combats, Les défis.

Les obstacles recouvrent la plupart des situations ponctuelles que l’on peut rencontrer lors d’une partie et qui viennent entraver la route de vos personnages.
Un garde en faction devant une porte, un cadenas empêchant d’ouvrir une grille, un pont écroulé au dessus d’une rivière alors que la destination est de l’autre côté, un mot de passe bloquant l’accès d’un ordinateur… vous avez saisi.
L’obstacle ne représente pas une menace, mais gêne un but à atteindre.
Pour le vaincre, un personnage n’est pas limité dans l’usage de ses réserves de dés (tout en restant cohérent avec l’action bien sûr) et peut en piocher autant qu’il veut.

Les combats sont un grand classique du jdr et sont traités de la même manière que le reste à Abstract, c’est à dire par un score à éliminer. Une ou deux petites contraintes viennent toutefois pimenter la résolution.
Tout d’abord, chaque personnage n’a le droit d’utiliser qu’un dé de chacune de ses réserve (une caractéristique, un trait, un équipement et l’égo), soit 4 dés maximum par round de combat. Si la menace n’est pas entièrement éliminée à la fin d’un round, le/les personnages impliqué(s) dans l’affrontement subit(ssent) des dégats.
ex : Un adversaire représentant 10 points de menace ne subit que 5 points de dégats par les joueurs durant le round.
N’étant pas éliminé à la fin du tour, il inflige donc des dégats.
Il occasionne 3 points de dommages en Puissance avec une rafale de coups dévastateurs, ce qui veut dire que la réserve de Puissance d’un personnage va diminuer de 3 points (et je dis bien 3 points, pas 3 dés).
Ainsi, un personnage pourra diminuer un dé affichant un 6 et le placer sur la face 3, ou encore éliminer un dé affichant un 3 de sa réserve de puissance.
Et on repart pour un round, jusqu’à élimination de la menace.

Simple, efficace, ça fait des combats qui tournent vite et bien, tout en obligeant les personnages à collaborer un minimum afin que la menace soit éliminée rapidement.

Les défis quant à eux vont représenter tous les autres types de menaces qui pourraient peser sur les personnages et seront gérés de la même manière que les combats.
Traverser une rivière en crue à la nage, éviter des pièges en remontant un couloir de 20 mêtres de long, réaliser une joute oratoire lors d’un procès sous peine d’être lynché… des défis.

Si vous avez compris ça, c’est simple, vous êtes prêts à jouer.

Bon, qui dit jeu de rôle dit bien souvent progression des personnages, et c’est ici le cas, avec une petite spécificité pour coller à l’univers du jeu.
En effet, vos Seigneurs ne pourront progresser QUE s’ils sont maîtres d’un Cosmos Privé et de sa forteresse. Sans ça, ils seront des errants condamnés à la fuite et à l’oubli, complètement coupés de leur statut Divin.
C’est en effet au sein de sa forteresse qu’un Seigneur créé, manipule, modifie les formes de vie ou les paysages de son monde personnel. Et c’est par ces modifications qu’il pourra justifier l’augmentation de ses caractéristiques, traits, ou encore une nouvelle ligne d’égo.
ex :
– Afin d’augmenter sa caractéristique de Puissance, un Seigneur se rendra dans son laboratoire pour s’administrer une greffe de maillage musculaire…
– Pour acquérir le Trait « Pilote casse cou mais toujours premier lors d’une course », votre Seigneur aura créé une arène de courses au sein de son Univers de poche.
etc…
Enfin, en complément de tout cela, il faut bien sûr une fiche de suivi de votre monde qui servira à noter ses principales caractéristiques (peuples, particularités physiques/géographique, culture …), ainsi que les évolutions que vous y aurez apporté au fil de vos aventures.

Pour conclure

Vous l’aurez sans doute deviné, je suis plutôt emballé par ce grand retour et le fait qu’il tourne sous ce qui, pour moi, est l’un des systèmes les plus novateurs (et léger) de ces dernières années, tout en étant encore sous-représenté sur la scène actuelle.
Les livres vont ainsi pouvoir développer à loisir les différents mondes de poche à disposition qui faisaient défaut à la première version du jeu, faute de suivi de la gamme.
J’attends donc avec impatience la livraison du projet qui ne devrait plus tarder à l’heure où j’écris ces quelques lignes.
Je tiens à remercier tous les différents acteurs au sein de ce projet pour lui avoir permis de voir le jour, permettant ainsi à une nouvelle génération de joueurs d’arpenter cet univers riche en possibilités, qui aura participé activement au développement de mon imaginaire.
Thoan Forever !!!

Rédigé par David BARTHELEMY

Notes & Références :

1 Le Grog
2 Philibert
3 Fate
4 Apocalypse
5 Abstract Donjon
6 Les XII Singes
7 Thoan
8 Philip Jose Farmer
9 Jeux Descartes
10 Leonidas et Orso Vesperini
11 Multisim
12 Alexis Santucci
13 Frédéric Weil
14 Stéphane Arnier
15 Ludika
16 Nephilim Légende
17 Dogan Oztel
18 Tschaï retour sur la planète de l’aventure
19 Ourobores



Focus

Entretien avec les Éditions Sethmes autour de la sortie de Noc (mais pas que…)

Bonjour à vous gens de Sethmes¹

Ça fait un moment que je prévois de vous faire subir mon insatiable curiosité (mea culpa), passe mon temps à zapper, me faire déborder par d’autres contingences plus terre à terre (« Comment ? Vous me dites que ça fait 5 ans que mes toilettes vidangent joyeusement sous ma maison sans même faire l’effort de passer par la fosse septique ?!?) et de me dire régulièrement au cours de brefs accès de lucidité (bien souvent nuitamment, entre deux « Papaaaaaa… faut que j’aille aux toilettes… » me tirant d’un sommeil que j’ai déjà léger) :

 « Haaaa !!! Mais damned, ce n’est pas sérieux, j’ai encore oublié ! »

La dernière fois que j’ai dû vous dire que l’on se programmait un entretien « pour très vite » doit déjà remonter à Octogones 2021… j’ai honte.
Mais comme il n’est jamais trop tard pour bien faire et que l’alignement des planètes (enfants au centre de loisir pour la semaine et livraison de NOC² aux souscripteurs) concorde avec l’un de mes sursauts nocturne, me revoici, cette fois fermement décidé à vous passer au grill.
Donc après Etherne³, Kemi⁴ et Aventure dans le Monde Intérieur⁵, votre dernier né NOC débarque dans les chaumières, nous promettant de forts beaux moments de jeu.
C’est le signal, j’attaque donc et vous laisse la parole pour nous éclairer sur ce jeu, mais pas que… ce serait trop facile.

NOC m’a tout l’air d’être très bien parti pour devenir le pavé dans la mare du jdr français 2022. On l’avait senti venir avec le kit d’initiation, mais au fur et à mesure que les retours sur les différents livres de la gamme arrivent, cela semble se confirmer. Vous construisez comment un projet de cette envergure ?

MC : Avant toute chose, merci pour ces mots qui nous touchent beaucoup.
En réalité, je n’avais pas l’impression que nous ayons réalisé un projet aussi massif. C’est seulement une fois tous les objets sortis des usines et étalés sur la table que j’ai constaté que ça faisait, effectivement… beaucoup.

Notre méthode a consisté avant tout, à prendre du plaisir à ce qu’on faisait. Ensuite, à ne pas se fixer de limites à priori. Pas mal de personnes nous ont dit que le kit d’introduction était trop gros, le setting trop complexe, le style trop littéraire, le financement participatif trop généreux. Mais, à chaque fois, je ne me voyais pas faire moins. Parce qu’on ne cherchait pas à optimiser ou à “coller au marché”. On cherchait à offrir l’expérience qu’on aurait aimé qu’on nous propose.
Lors de la composition, à chaque étape, il s’est agi de beaucoup brainstormer avant de se lancer (les bonnes idées se précisent rapidement lorsqu’elles sont soumises au groupe), de ne jamais travailler pour rien, de réexploiter au maximum la matière pré-existante, de trouver des techniques réplicables afin de concentrer les efforts sur les aspects particuliers de chaque élément.
Pour finir par le plus important, un projet comme NOC exige d’être bien entouré. Avoir des personnes autonomes, compétentes, investies et ayant parfaitement compris le sens du projet. Cela permet d’avancer de concert en limitant les engorgements, les crises, les retours en arrière. Des illustrateurs au prestataire d’impression, des relectrices aux rédacteurs, de Pierre à la Musique à Cédric à la maquette, chaque Ministère avait un administrateur doué et implacable.

CC : Il me semble qu’un paramètre important est la clarté de la vision initiale du projet, de la proposition et de la trajectoire de la gamme. Cette trajectoire, c’est celle de Mikaël et de Blackened, le projet d’origine. S’il reste beaucoup de latitude et énormément de choses à explorer et détailler, les principes fondamentaux ont dès le départ constitué un socle solide, une grille au sein de laquelle toutes les productions peuvent s’insérer. Le risque aurait été de se perdre en cours de route, de se fasciner ou s’abîmer dans un aspect particulier du contexte ou du jeu. Mais les secrets et directions exposées d’ailleurs dès le livre de base définissent un cadre, entretiennent une tension qui favorise les convergences et la cohérence de l’ensemble.

Et quelles contraintes « fortes » vous êtes vous imposés pour garder à la fois la maîtrise de l’univers et celle du matériel de jeu ?

MC : NOC ne sort pas du néant. Il est une nouvelle édition amplifiée de Blackened, jeu de rôle diffusé gratuitement au début des années 2000. Les textes de ce dernier ont servi de guide et carcan. Ensuite, il y a eu beaucoup de discussions et d’appropriation de la part de tout le monde. Évidemment, malgré toutes ces précautions, il était nécessaire d’avoir un gardien du contexte, quelqu’un doté de la vision d’ensemble. J’étais prêt à assumer ce rôle, mais je n’en ai pas eu besoin. Malgré sa complexité, le background de NOC a quelque chose d’assez “évident”. Les réflexes y sont vite acquis.


(Cadeau bonus, le numero 07 de Jeux d’Ombres de 2008, notamment sur Blackened, avec quelques noms dans l’ours qui devraient vous dire quelque chose si vous êtes accrocs à la chose ludique)

CC : Les contraintes sont celles que j’évoquais plus haut. L’existence de Blackened et la réflexion préalable sur le périmètre du jeu ont guidé le travail. Compte tenu de l’immersion de l’équipe dans l’univers, les contraintes ont à mon sens été perçues comme des garde-fous salutaires puis intégrées.

Pour ma part, je n’ai encore lu que le kit d’introduction (qui mettait salement l’eau à la bouche) et ne peut donc que présumer du contenu des livres sortis. J’ai en effet soigneusement évité les différents feuilletages, présentations et autres analyses dans les médias rôlistes, afin de rester « pur » lors de ma future exploration des bouquins. Ceci dit, devant l’ampleur de la chose, une question me taraude… vous en avez gardé sous le coude pour un développement de gamme, ou nous avons là l’essentiel de ce qui doit être amené à constituer le cœur de NOC ?

MC : Le livre de base contient la réponse à cette question, puisque la trajectoire de la gamme y est tracée. Nous savons depuis le début que l’expérience de NOC sera articulée autour de quatre ouvrages majeurs : le livre de base, la campagne, un supplément de “haut niveau” et un supplément de clôture. Il y aura également d’autres extensions en parallèle, pour étendre certains points du setting ou des règles. Le livre de base de NOC est suffisant pour jouer des citoyens sceptiques dans le cadre d’un Bloc, mais ce n’est que le début du chemin. 

Bon, NOC ça déboite (on l’aura compris), mais dans un autre style, mon premier coup de cœur pour les jeux que vous proposez, ça reste Aventure dans le Monde Intérieur. Je me souviens très bien du premier feuilletage du livre de base et de ce qui m’avait paru alors un grand vent de fraîcheur, tant dans les mécaniques du jeu que dans l’usage du thème de la terre creuse (avec une mention spéciale pour les Ouvrages à gérer entre les parties)… Donc, là où tout le monde vous harcèle avec NOC, je vais plutôt attaquer sur vos plans concernant le futur de A.M.I, maintenant que vous avez en avez récupéré l’exploitation… alors, alors ?

AMI c’est bon, mangez-en !!!

MC : Encore une fois : merci. Les derniers mots que j’ai écrits pour AMI datent de plus de 10 ans, et c’est très émouvant pour moi de voir, si longtemps après, que le Ventre-Monde possède ce capital sympathie.
Nous avons effectivement récupéré les droits sur la licence et travaillons à la suite de la gamme pour 2023. Une nouvelle édition n’est PAS prévue car, même si nous pourrions faire mieux et plus joli avec la force de frappe de Sethmes, je considère que le livre de base et les suppléments restent respectables et je ne pense pas que les joueurs d’AMI attendent une refonte (et à devoir repayer pour la même chose…). Ils veulent repasser leur sac d’aventurier sur le dos et reprendre le voyage. La prochaine étape pour AMI sera donc la sorti d’une nouvelle extension dans le style des Almanachs Arcadiens⁶. Le nom changera, pour marquer de début de cette nouvelle ère, mais l’esprit sera le même. Ce supplément tournera autour de la civilisation d’Agartha et contiendra une campagne. Il sera offert à tous les souscripteurs de l’Almanach Arcadien 3, qui se reconnaitront et sauront de quoi je parle.

Pour rappel, vous êtes des bâtisseurs d’univers (pour sûr) et à ce titre, ne vous limitez pas au seul Jeu de Rôle. Kemi a bénéficié de son roman (Sennefer, les larmes de Kemi⁷… on le rappel, portant la mention : tome 1…) et vous évoquez sur le site une volonté d’aller également vers la bd ou encore le jeu de plateau. Ça progresse cette histoire ou c’est plus ou moins en stand by ?

MC : De nombreux projets existent, certains bien antérieurs à Sethmes. Ce sont les jeux de plateaux qui ont occupé la majorité de mon temps depuis le début de l’année (ce qui n’impacte pas le développement de la suite de NOC ou de AMI, je précise). Les retards de livraison de NOC, liés à la conjoncture, ont constitué une opportunité à ce niveau-là. Le projet principal est Diktat, un jeu de conquête et de machinations dans l’univers de NOC. J’estime que les règles sont verrouillées à 99 %, et nous sommes sur une sérieuse phase de playtests. Vous en apprendrez plus sur cette belle boite d’ici la fin de l’année, j’espère.

Le rôliste a beau se vouloir une sorte de couteau Suisse créatif, ce n’est pas toujours effectivement le cas (voire même…). Les compétences relevant de l’écriture, de l’illustration, du game design, du maquettage, puis de toutes les tâches « bassement matérielles » liées à l’édition, la production et la distribution (sans même parler de la communication ou de la gestion administrative et financière) couvrent des domaines d’activités très larges. 
Vous vous organisez comment pour gérer tout ça ? Qui fait quoi/comment chez Sethmes ?

Rien à voir avec la choucroute, mais regardez le flim si ce n’est déjà fait, il est bien

Elwin : nous sommes quatre associés, et au-delà nous possédons une Armée de la Nuit qui nous prête main forte, des amis qui nous éclairent de leurs avis et conseils. Entre nous les disponibilités, les appétences, les enjeux ont fini par établir des tendances, susceptibles d’évoluer avec de nouveaux projets.
La ligne éditoriale initiale était claire, puisque nous sommes un collectif d’auteurs – trois d’entre nous sont venus avec leurs précédents projets, pour constituer la base du catalogue – mais nous essayons de rester ouvert pour la suite.
Nous discutons ensemble des grandes orientations et décisions qui impliquent la société. La laborieuse partie administrative et distribution est assumée par Cédric (qui s’occupe également de la partie graphique et web), et par Mikael. L’autre Mickael est en charge du contact avec les boutiques.
Nous sommes tous capables de mettre la main à la pâte pour l’écriture. Nous désignons par ailleurs des chefs de projets qui constituent leurs équipes, que ce soit avec des associés ou des collaborateurs de Sethmes

Pour en revenir à vos univers, avec Kemi et Etherne, vous aviez bien amorcé l’exploration du jeu dit historique. Vous nous en avez prévu d’autres dans le genre ou c’est un pan des univers ludiques que vous estimez avoir suffisamment défriché ?

Un jeu historique solide s’il en est

Elwin : l’Histoire est à mon sens notre matériau et notre nourriture, et le restera. NOC transpire par tous ses pores cette inspiration. Je ne conçois personnellement pas d’univers crédible sans un ancrage dans les schémas, les anecdotes et les incroyables retournements et subtilités que seules peuvent offrir les tribulations de l’humanité. On peut sans fin parler de ce qu’est un jeu historique – parce que d’une certaine façon ça n’existe pas, mais qu’on désigne par ce biais un palier où le nombre d’éléments qui nous semblent refléter une réalité passée devient suffisant pour créer une forme d’illusion d’historicité. Ce palier apparaît à des moment différents selon les gens et leurs exigences. Je ne sais pas s’il doit être une fin en soi, et selon quels critères il devrait être légitime pour certains et pas pour d’autres. À l’opposé on pourrait dire que rien n’échappe à l’Histoire : tout ce que nous écrivons reste le produit de notre culture et de notre vécu, et nous ne pouvons nous en arracher. Tout est historique, rien ne l’est… autant boire un coup et écrire un truc sympa, on verra après pour les labels.

CC : Peut-être avons-nous un intérêt particulier pour la réinterprétation, le recyclage, le fait de lire dans notre histoire et notre environnement immédiat ce qui se prête au travail de l’imaginaire, de la spéculation. J’ai un attrait spécifique pour les uchronies, peut-être parce qu’elles assument que notre substrat est et restera toujours le réel et qu’elles ouvrent des portes vers des versions exagérées, cinématographiques ou dérangeantes du monde. Être ici sans y être. Pour NOC, l’approche concernant la description de la Terre est très fortement ancrée dans le réel et l’histoire. Et pas uniquement pour la description d’un régime autoritaire et contraint, mais également pour ses aspects technologiques et écologiques qui, malgré les apparences, empruntent à pas mal de notions et découvertes récentes. A défaut d’historicité, évidemment, l’idée est d’entretenir la plausibilité 

C’est l’heure de la question People… Alors Voici :
Dans la dynamique de groupes, on retrouve souvent certains archétypes comme le « chien fou », la « force tranquille », la « rock star »… 
Chez Sethmes, on connaît surtout Mikael et Cédric, pour les croiser en convention… Alors, vous êtes respectivement lequel ? 
Et à l’instar d’un groupe de rock, un collectif d’auteurs peut être « agité » par les tensions entre les différentes personnalités. Quand on travaille au long cours sur un projet commun, comment on reste fonctionnel en dépit des inévitables frictions passagères ?

Mais qu’ils sont beaux et fringants (à gauche, Mikael Cheyrias, à droite, Cédric Chaillol)

MC : je suis le plus intelligent de l’équipe.

Elwin: répondre à cette question à propos des autres implique le déclenchement d’une cascade de duels judiciaires. Je me propose comme “Schtroumpf grognon à lunettes” pour mon rôle critique dans la conception, l’analyse des univers et scénarios; mais aussi sur des sujets éditoriaux. C’est important de pouvoir confronter nos opinions, pour combler nos angles morts réciproques.

MS : Construire un projet professionnel avec des amis sur des sujets passions peut bien entendu être source de difficultés. On reste fonctionnel en diminuant le café et en décrochant son téléphone pour discuter.

(les plus observateurs noteront que Cédric a sournoisement esquivé la question… de là à déduire qu’il ne serait pas entièrement d’accord avec certaines assertions de ses coreligionnaires, il n’y a qu’un pas… que nous ne franchiront certainement pas bien sûr… huhuhu)

J’aimerais revenir sur cette notion de collectif d’auteurs si ça vous convient, et éclaircir un petit peu ce côté « communauté » qu’elle induit, par opposition à la maison d’édition traditionnelle et son fonctionnement plus « vertical ». Vous pouvez nous détailler un peu l’idée derrière tout ça et la manière dont le choix de la structure impacte l’aspect créatif de vos jeux ?

Voilà, rien de tel que la communauté pour avoir des auteurs heureux

CC : Sethmes intègre la filière, de la conception à la diffusion, en passant par la rédaction, le design, la communication… La société constitue un cadre de fonctionnement qui, pour l’instant, porte des projets amenés en interne. Notre spécificité est sans doute d’assurer à la fois les fonctions d’édition et de création.

Forcément, passage obligé de tout entretien qui se respecte (ou pas)… Vous nous préparez quoi en prochaines sorties (parceque j’imagine que vous ne vous tournez pas les pouces en vous reposant sur vos lauriers suite à NOC) ?

MC : Concernant NOC, nous avons donc le livre Visions⁸ et le recueil de Configurations⁹ et de scénarios. Comme c’est souvent le cas chez Sethmes, le Recueil a pris une ampleur et une complexité inattendue au fur et à mesure de son développement. Beaucoup d’amis, d’alliés et de soutiens se sont greffés à l’équipe initiale pour apporter d’excellentes idées, des ambitions et de l’énergie. L’accouchement sera plus long que prévu, mais le produit final sera très costaud. Ces deux bouquins arriveront début 2023. Ensuite, il y aura le tome 2 des Lueurs obsidionales, la campagne officielle, actuellement en cours de test et de rédaction du côté du laboratoire d’Orion¹⁰.
Toujours sous l’Artefact mais dans un autre style, le jeu de plateau Diktat se consolide dans les ateliers de l’Effort. Deux autres jeux de plateau plus légers et familiaux sont à l’étude à la Direction du Progrès.
Dans le Monde Intérieur, l’Almanach Arcadien 3,5 est en rédaction, pour une sortie souhaitée au deuxième semestre 2023.

Ces deux dernières années n’ont pas été tendres avec le petit monde de l’édition (pas que bien sûr, mais c’est ça qui m’intéresse). Entre virus galopant, paralysie de l’industrie qui en découle, baisse de moral, guerre en Ukraine, augmentations diverses et variées d’un peu tout, on est plutôt gâté. 
Si je ne m’abuse, Sethmes à émergé pile poil au bon moment (2020) pour tomber là dedans, et n’a du coup pas connu le luxe d’un démarrage tranquille, le temps de prendre ses marques.
Vous avez réussi à dormir ces deux dernières années, ou c’était crises d’angoisse et ulcères à répétition ?
Ça n’a pas trop impacté la pérennité de la maison ?

Les gars, cette année 2020, je la sens bien, c’est le moment où jamais de lancer notre boîte

MC : Monter une maison d’édition pour éditer ses propres créations n’est pas à faire si l’on est trop sensible à la pression. Nous avons pris les problèmes les uns après les autres, en misant sur la compréhension du public lorsque les contingences extérieures induisaient des retards ou des altérations inévitables. Les événements tragiques dont on parle ont impliqué un retard important dans la sortie des livres et, à la marge, nous ont privé de la capacité de contrôler les objets à la sortie d’usine. Nous avons dû ici ou là accepter de petits éléments qu’en temps normal, nous aurions pu ajuster, mais nous nous estimons chanceux que NOC ait pu voir le jour au milieu de tout ce chaos. Et nous avons tiré une énorme expérience de tout ça.

CC : les confinements successifs ont modifié les habitudes de jeu et de consommation. La ruée sur les tables virtuelles a permis à NOC, via son kit d’introduction, de vivre en ligne et d’être montré dans plusieurs actual plays sur Twitch et Youtube. Sur ce point précis, le projet a sans doute bénéficié d’une visibilité accrue du fait des circonstances. Mais il est des événements, tels que la guerre en Ukraine, qui ont évidemment constitué un choc et un obstacle. La bonne volonté et la compréhension de toutes et tous, partenaires et public, nous ont permis de mener ce projet à bien.

Bon, je pourrais continuer longtemps à vous harceler de mes questions, mais n’abusons pas des bonnes choses (et ne lassons pas nos interlocuteurs), il faut savoir quand se retirer (hmmmm).
Cependant que je m’éclipse, vous avez quelque chose à ajouter ?

MS : Merci à toi, et merci à la communauté qui grandit chaque semaine autour de NOC. Nous sommes galvanisés par l’ensemble des commentaires bienveillants que nous recevons.

Merci à Mikael Cheyrias, Cédric Chaillol, Elwin Charpentier et Mickaël Sibeud pour cet entretien et plus globalement, pour le travail des Editions Sethmes.
Il ne me reste plus qu’à chopper NOC pour creuser la question de cet univers (qui dès le kit d’intro nous promet un cadre d’une richesse rare, à la puissance évocatrice certaine, je le rappel) et vous faire un retour rapidement, tout en trépignant d’impatience après ce fameux Almanach Arcadien 3.5 (AMI forever)…
Vous aurez sans doute compris (sinon il faut sérieusement que je révise ma grandiloquence) que je suis conquis par les jeux estampillés Sethmes, du coup ne cherchez pas une once d’objectivité de ma part dans cet entretien, ce serait peine perdue…
Si vous aimez la rigueur créative, les univers foisonnant et l’histoire, foncez, vous ne serez pas déçus (en tout cas, moi je ne l’ai pas été).
Longue vie aux éditions Sethmes et re vivement la suite de AMI.

Propos de Mikael Cheyrias, Cedric Chaillol, Elwin Charpentier et Michaël Sibeud recueillis par David Barthélémy

Notes & Références :

¹ Sethmes
² NOC
³ Etherne
Kemi
Aventures dans le monde intérieur
Almanach Arcadien
Sennefer
Visions
Recueil de configurations
¹⁰ Laboratoire d’Orion