Paroles d'Experts

Paroles d’experts S01 E01 : Sandy Julien

Bonjour à toutes et à tous.

Nous inaugurons aujourd’hui une nouvelle rubrique ayant pour but de présenter les différents métiers de l’édition, qui bien que dans l’ombre des créateurs, sont essentiels et sans lesquels nous serions bien en peine de pratiquer notre loisir (et tant d’autres).
Traduction, relecture, mise en page, impression, distribution … Autant d’aspects méconnus et pourtant indispensables de la chaîne du livre, auxquels nous allons tenter de rendre la place qu’ils méritent, en donnant la parole aux différents acteurs qui les incarnent.

Paris, 2021

Alors que le langage sms et l’illettrisme sévissent sur tous les réseaux, le monde de la culture est en péril. Le Mal progresse et menace de plus en plus de lecteurs innocents d’être frappés du syndrome dit « des yeux qui saignent ». Pire, certains individus commencent à développer une sorte de « tolérance » face à cette incurie intellectuelle et ne relèvent même plus ce qui devrait pourtant leur sauter aux yeux.

Une seule solution : mobiliser une brigade de spécialistes prêts à en découdre avec la barbarie et qui, au mépris de tous les dangers, sauront se poser en gardiens de la Syntaxe et de l’Exactitude. Dernier rempart avant l’effondrement de la civilisation telle que nous la connaissons, le S.S.L.I.P (Section Spéciale des Lecteurs Intransigeants Professionnels) est né.

Pour les mener dans cette bataille de tous les instants, un homme s’élève : Sandy Julien

Bonjour Sandy, et merci d’avoir accepté de prendre quelques instants pour nous parler de toi, ta vie, ton œuvre. Alors dis-moi, pour les trois distraits du fond qui ne lisent jamais l’ours d’un bouquin, c’est qui Sandy Julien ?

Un traducteur de jeu de rôle et de romans qui sévit… euh, qui exerce depuis une vingtaine d’années. J’ai traduit du JDR, du jeu de plateau, de cartes, des comics, des bouquins de ciné, des romans… et pourtant il y a encore plein de choses auxquelles je n’ai pas touché mais que je souhaiterais essayer.
Et à côté de ça, je suis un homme tout simple. J’aime la pop culture en général, j’essaie d’être positif et optimiste dans tout ce que je fais, et je pense qu’il faut établir des ponts entre la culture établie, celle d’hier, celle que ma génération a pour mission de transmettre (et non pas de garder comme un temple) et la culture à naître, celle d’aujourd’hui, celle de demain, qui est en plein développement et qui a beaucoup à nous apprendre. Pour moi, l’essentiel, c’est ça : ne pas établir une « culture classique » qui serait sclérosée et en opposition avec des formes inédites et intéressantes, mais qu’on ne peut pas comprendre en leur appliquant les mêmes filtres.

Et je suis bavard, aussi. 

J’ ai bien cru que j’allais faire dérailler la molette de ma souris en déroulant la liste des bouquins que tu as traduit jusqu’à aujourd’hui … Comme quelques autres dans le milieu du jdr (pour ne pas citer John Grümph1), tu es soupçonné de n’être au final rien moins qu’un collectif d’auteurs/traducteurs … une déclaration à ce sujet ?

La team Sandy Julien

On va se concerter et on te répond ensuite…

Bon alors, traducteur aujourd’hui ça consiste en quoi exactement … ? Tu prends Google trad et tu bidouilles pour que ça fasse naturel (et on ne rigole pas, je ne citerai personne mais c’est du déjà vu … Oui oui) ou tu nous la joues Actor Studio avec mise en ambiance préalable pour rester fidèle au matériau d’origine ?

C’est du déjà vu, je l’ai déjà vu lorsque je supervisais des traductions chez Edge2

Il n’y a pas de mise en ambiance, non. On prend le texte et on avance. Pour certains textes techniques (ça m’arrive sur des bouquins de ciné au style complexe), je lis d’abord l’intégralité de l’ouvrage avant de commencer, afin de défricher un peu les notions qui ne sont pas forcément accessibles lorsqu’on traduit.
C’est un processus assez amusant, d’ailleurs. Il y a des textes qui se lisent très bien en anglais, on trouve ça très clair. Et puis quand il s’agit de les faire passer en français, ça devient plus difficile en particulier quand on veut éviter les anglicismes (je leur fais la chasse, mais je dois bien en commettre de temps à autre).

Comme on imagine les choses, traducteur/relecteur c’est un peu un métier d’ermite, le type dans sa grotte qui a le Harrap’s en guise d’oreiller et ronfle avec l’accent du Devonshire (enfin … moi, je vois assez les choses comme ça 😅), du coup si on veut dépasser un peu cette image issue d’un autre temps, tu pourrais nous en dire un peu plus sur tes méthodes, ton cadre de travail, les difficultés que tu as pu rencontrer face à un texte corsé et comment tu les as dépassées… ?

Le traducteur exerce un métier très solitaire, en effet, mais il a aussi des collègues (certains avec lesquels il pratique le JDR en ligne, d’ailleurs ! Coucou à l’équipage du Carnivale, au passage) : en cas de grosse difficulté, on a toujours la possibilité de poser la question aux copains et aux copines.
Mon cadre de travail est simple : un ordinateur portable avec word, une pile de dicos divers et variés, le logiciel Antidote pour repérer les petites coquilles sur lesquelles on passe sans les voir, et surtout, surtout, le plaisir de la traduction. C’est un immense privilège que de pouvoir se dire, quand on tombe sur un texte ardu : c’est compliqué mais c’est aussi ça qui rend le boulot agréable.
D’un autre côté, j’ai traduit pas mal de choses pas folichonnes, voire dont je ne suis pas forcément fier (en particulier en début de carrière). Mais aujourd’hui, je choisis mes textes (ou plutôt on me confie des textes dont on sait qu’ils vont me plaire) et je ne travaille quasiment plus que sur des projets qui m’enthousiasment à titre personnel.

Les difficultés… il n’y en a pas deux de semblables. Entre les complexités techniques, la nécessité de coller à un glossaire spécifique lorsqu’on aborde une franchise établie, les styles particuliers et les textes qui arrivent en n’étant pas finalisés, on tombe toujours sur de l’inédit. La plus grosse difficulté vient des délais extrêmement réduits… mais il faut faire avec ce qu’on a. 

Qu’est-ce que tu donnerais comme conseils à quelqu’un qui souhaiterait se lancer dans le métier (que ce soit pour du JDR ou des bouquins plus traditionnels) ?

Une seule chose. Il faut écrire court. La question la plus essentielle qu’un traducteur débutant puisse se poser est la suivante : « comment puis-je exprimer exactement la même chose, mais en utilisant moins de mots ? »

Abréger, c’est chercher les mots les plus pertinents et s’abstenir d’employer des périphrases et des formules à rallonge. 

J’imagine que plusieurs parcours peuvent mener à la traduction. A défaut d’un « chemin idéal » et selon toi, qu’elle serait la meilleure manière de s’y préparer ?

Il n’y a pas de chemin idéal, mais il y a un état d’esprit. Il faut aimer traduire. Et il faut aimer lire. Et par lire, j’entends « lire dans la langue de destination » (le français, dans mon cas). Pour éviter les anglicismes, par exemple, il faut vraiment lire des textes en « bon français » (c’est une expression… qui vaut ce qu’elle vaut, mais voilà : on a plus de chances de côtoyer un bon niveau de langue en lisant de bons auteurs et de bons traducteurs qu’en se cantonnant à parcourir des sites internet et des conversations sur les réseaux sociaux). 

Il existe de nombreuses écoles de traduction, mais aucune ne saurait affirmer qu’elle produit une traduction parfaite. Traduire, c’est toujours trahir. J’ai beau ne pas apprécier la nouvelle traduction du Seigneur des Anneaux, elle a des qualités et prouve que l’on peut tout à fait reprendre une traduction classique et l’altérer de façon satisfaisante. Il y a beaucoup de lecteurs qui l’aiment énormément ; en ce qui me concerne, j’ai trop de mal avec les changements de noms, et je ne retrouve pas en la lisant le plaisir du texte d’origine, qui m’a trop marqué pour que je puisse la juger de façon objective. Mais elle existe, elle est pertinente et elle propose autre chose à partir du même matériau.

Le Chef des Bagouzes vous dîtes ? 🤔

Pour revenir à nos moutons : il faut aimer la langue, les langues, mais il faut également savoir trancher, en particulier lorsqu’on travaille dans un domaine où les tarifs ne sont pas très élevés et où il faut abattre beaucoup de taf en temps record (encore qu’ils aient augmenté un peu et que certains éditeurs pratiquent des prix raisonnables). L’amour immodéré du texte peut devenir un frein, en particulier quand on traduit de la technique, comme dans le jeu de rôle : il y a un moment où il faut penser à rendre le texte. Et ce moment est beaucoup plus proche que ne le voudrait une vision « confortable » du mode de travail. Il faut « tomber les signes » très vite. Dans des conditions pas toujours agréables (par exemple, sans jamais avoir joué au jeu : c’est un gros handicap quand on traduit du jeu de plateau). Bref, il faut savoir que c’est un travail passionnant, mais pas facile du tout. Et au début, trouver des clients est très difficile. Il faut s’accrocher, et bien comprendre qu’on travaille pour le long terme.

Quand tu reçois un texte à traduire, tu as un cahier des charges qui va avec ou c’est le freestyle total ?

Il y a parfois un cahier des charges, mais c’est rare. Les éditeurs avec qui je travaille me font confiance. J’ai supervisé pendant sept ans les traductions chez Edge, par exemple, donc j’ai une vision assez globale de ce que l’on doit faire ou pas sur tel ou tel texte. 

Quelle est la part de liberté d’un traducteur par rapport au texte original ?
Supposons que tu tombes sur un texte bourré de fautes au départ (ou d’incohérences flagrantes, tant au niveau du style que du contenu), tu as des recours possibles ou tu te retrouves à essayer de retranscrire tout ça en français (au risque d’y être associé par la suite) ?

Je vais te donner une réponse de Normand. Oui, il faut « corriger » le texte. Et non, il ne faut pas l’altérer. Il y a une limite à ce que l’on est en droit de faire. Si le texte est catastrophique… il arrive un moment où j’annote simplement ma traduction en proposant des alternatives. « On ne fait pas d’un âne un cheval de course… »
Mais il y a un piège dans lequel il faut bien se garder de tomber. Parfois, le manque d’expérience ou l’inattention vous font commettre de graves erreurs : on s’imagine que l’auteur ne sait pas ce qu’il fait, alors que c’est précisément le cas. Quand on imagine qu’un texte est mauvais ou incohérent, la première chose à se dire consiste à se poser la question : est-ce qu’il y a quelque chose que j’ai compris de travers ? Un second regard, celui d’un collègue, est précieux dans ce cas-là. 

Quand on est traducteur, peut-on se permettre d’avoir un style propre en regard du matériau d’origine ?


On ne devrait pas. Et pourtant ça donne de bien belles choses. Quand on lit ce que Jean Sola3 a fait sur le début du Trône de Fer4, on est époustouflé par un niveau de langue qui est un bon cran au-dessus de la VO. C’est Sola qui écrit, par endroits, et plus Martin5. C’est une option que certains lecteurs critiquent, et que d’autres apprécient.
Il faut bien comprendre que le niveau de langue est quelque chose de très délicat à appréhender. Lorsqu’un personnage s’exprime avec un accent en VO, on ne va pas lui donner un des rares accents bien reconnaissables en France, mais il faut quand même marquer cette différence…

Un accent … Quel accent ?

De la même manière, transcrire des figures de style balisées reste facile, mais on risque toujours de tomber dans le calque de l’anglais et d’avoir un texte un peu bancal au bout du compte.
Cela dit, je reste persuadé que l’on ne peut jamais se débarrasser de ses propres tics. Je ne sais pas si on peut parler de style, réellement, mais je pense que les traducteurs ont tous des formules, des façons de surmonter les difficultés, qui se ressemblent et qui donnent une couleur particulière à ce qu’ils écrivent. 

Par opposition, quand tu fais de la relecture, il y a d’un côté les fautes et la syntaxe à prendre en compte, mais aussi le rendu du texte (je pense au jeu de rôle notamment) afin qu’il soit lisible “et” compréhensible.
Ça t’es déjà arrivé de devoir ré-écrire des pans entiers pour le bien du texte ?
Et si oui, comment fait-on pour ne pas froisser la sensibilité de l’auteur ?

Il m’est arrivé de réécrire jusqu’à deux tiers d’une traduction bancale. Mais là, c’était en tant que relecteur pour des traducteurs parfois débutants. 
Je le dis souvent, mais j’ai récemment dû corriger un « when the shit hits the fan« 6 traduit par « quand la crotte heurtera le ventilo [sic] »… C’est un cas extrême, bien sûr, mais voilà le genre de chose qu’il faut corriger quand on est relecteur (ou quand on est traducteur, pour éviter de se faire tuer par son relecteur).
En ce qui concerne le texte VO qu’il faut réécrire… là, on le fait sans se poser trop de questions (surtout en temps limité). S’il faut élaguer un peu dans une prose alambiquée… eh bien tant pis. On a toujours quelques lecteurs qui vont compter le nombre de mots et affirmer qu’on a loupé une nuance ou altéré le texte d’origine, mais c’est anecdotique. Il vaut mieux un texte clair et qui sonne français plutôt qu’un calque effroyable de l’anglais. Tout ça est un équilibre délicat : il faut travailler en équilibre sur le fil qui sépare le « texte corrigé » du « j’en ai fait beaucoup trop ».
Quand quelque chose est incohérent et que je peux contacter l’auteur, je le fais. Jusqu’ici, dans 100% des cas, l’auteur répond : ah oui, on avait loupé ce détail et on va le corriger en réimpression VO. 

Selon toi, c’est quoi les dix commandements du traducteur pro ? (ou trois, ou cinq hein)

  • Respecter l’intention de l’auteur ou de l’autrice d’origine. Tu peux adapter, modifier, etc., mais pas trahir l’intention. Si un personnage s’exprime de façon sexiste, tu le traduis sexiste, tu n’en fais pas un féministe, et vice-versa. L’intention, c’est essentiel.
  • Eviter les verbes ternes (être, avoir, faire) et les remplacer par des verbes plus précis et plus variés (représenter, adopter, relever de, etc.) sans pour autant (et c’est essentiel) aller chercher des verbes trop complexes. Quand on donne ce conseil aux traducteurs débutants, ils sortent un dico pour balancer des « ratiociner », des « gloser », etc., dans un texte qui est au ras des pâquerettes en VO. Enrichir son vocabulaire, ce n’est pas le rendre inintelligible. Il y a un bon exercice : tu lis un bon auteur français (je relisais Stefan Wul7 récemment), dans un registre populaire ou jeune lecteur, et quand tu tombes sur un verbe ou un mot simple mais que tu n’utilises jamais, tu le notes. Sur un tableau blanc, par exemple. Il y reste jusqu’à ce que tu aies eu l’occasion de l’employer. Les mots les plus précieux sont les plus simples : c’est en allant chercher des mots compliqués comme « solutionner » qu’on oublie qu’en français, il suffit de « résoudre ». La langue claire et élégante, ce n’est pas une langue complexe. La richesse du vocabulaire, ce n’est pas de l’érudition de salon.
  • Ecrire au plus bref. Moins j’utilise de mots, plus j’utilise les bons.
  • Limiter les adverbes en « ment ». Je plaide coupable. J’essaie d’arrêter.
  • Être sympa avec ses collaborateurs. Quels qu’ils soient, à quelque niveau de la chaîne de production qu’ils se trouvent.
  • Apprendre à gérer son emploi du temps et s’imposer une discipline en matière d’horaires. Ne pas travailler « tout le temps, même pendant les vacances et le week-end ».
  • Lire. Lire de la bonne traduction, du bon roman, de bons articles. S’imposer l’exercice qui consiste à comparer VO et VF de bons ouvrages par de bons traducteurs (Pierre-Paul Durastanti8, Patrick Marcel9, Patrick Couton10 par exemple). 
  • Travailler en binôme et apprendre mutuellement.
Les binômes, y’a qu’ça d’vrai
  • Sortir de sa zone de confort et s’essayer à des traductions dans d’autres domaines. 
  • Manger moins de sucre et faire de l’exercice. Mais ça, ça s’applique à tout le monde, non ? 🙂 

Paris, toujours 2021

Dans l’ombre des réseaux, les vilains agissent et continuent d’influencer la langue, de manière plus ou moins subtile, afin de la faire évoluer vers une forme moins littéraire et plus proche de leurs attentes textuelles dépravées. En réaction à la création du S.S.L.I.P, ils s’organisent à leur tour et se regroupent sous la bannière du C.A.L.E.C.O.N.S (Cellule d’Action Libératoire de l’Ecriture Contre l’Onanisme Nomenclatural du Sachoir).
Nous rentrons dans une nouvelle ère de terreur et les forces en présence sont sans pitié. Qui triomphera en ces temps troublés ?
En tout cas, une chose et sûr, personne ne sera épargné dans cette lutte fratricide … Alors, S.S.L.I.P ou C.A.L.E.C.O.N.S, choisissez bien votre camp …

Un très grand merci à Sandy de s’être prêté au jeu des questions et à bientôt pour l’épisode 2

Notes et références :

1John Grümph
2 Edge Entertainment
3
Jean Sola
4
Le Trône de Fer
5
Georges R.R. Martin
6
When the shit hit the fan : expression signifiant que les choses se compliquent, dégénèrent, que c’est la merde en somme.
7
Stephan Wul
8
Pierre-Paul Durastanti
9
Patrick Marcel
10
Patrick Couton

Focus

Focus Sur les Terres de Matnak, avec Mathieu « Mysko » Myskowski, Guillaume Meistermann et Jean-Pierre Hufen

Rapport de contact de l’alchimiste Barthus, éclaireur de Tyzalek, rapporté par son Oiseau d’alerte et disparu en mission depuis maintenant trois mois.

Jour 1 : « Ça y est, je quitte les murs de Matnak et me lance dans mon périple afin d’en apprendre plus sur l’Obwod et le monde dans lequel nous devons vivre (ou devrais-je dire survivre) aujourd’hui. Je sais que mon départ ne cadre pas avec l’esprit des « Eclaireurs de Tyzalek » car je pars seul et sans prévenir personne, mais j’ose espérer que c’est pour le bien de toutes et tous et que cela permettra d’assurer des jours meilleurs à mes camarades, dussé-je ne pas revenir. Depuis plusieurs jours maintenant, je sens l’Obwod bouillonner en moi et me pousser de plus en plus à la limite de cet état de Changé que je redoute.
Aussi, plutôt que de mettre en danger mes camarades par ma simple présence, j’ai préféré l’exil volontaire.
Pourquoi ? me direz-vous… Hé bien, je suis las de lutter contre le changement et me sens prêt à l’accueillir, du moment que cela n’est pas en vain.
Il y a de cela maintenant quelques semaines, j’ai eu vent (je ne saurais vous dire par quels moyens sans placer mes contacts dans une situation délicate) d’une petite communauté d’individus vivant en secret dans les ruines de l’ancienne Oréane et qui détiendrait de nombreuses réponses quant aux mystères de la genèse du monde tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Mythe ou réalité, il ne tient qu’à moi de le découvrir.
Car même au sein des éclaireurs, j’ai des doutes sur les loyautés de certains et ne souhaite pas prendre le risque que d’éventuelles découvertes ne soient étouffées par des factions mal intentionnées… »

Ruines de l’ancienne Oréane

Jour 6 : « C’est bien affaibli par la longue route que j’arrive aujourd’hui en vue des premières ruines de l’ancienne cité. Je vous épargnerai le détail de mes pérégrinations, car, n’ayant que deux Oiseaux d’alerte avec moi, je me dois de préserver un maximum de place sur les parchemins pour les informations que je pourrai recueillir. »

Jour 7 : « Le contact est établi avec trois Changés encore étonnamment civilisés, suivant les termes qu’ils m’avaient fait parvenir… une longue discussion s’entame dont je vous relaterai la teneur aussi fidèlement que possible lorsque j’aurai l’opportunité de la transcrire. »

Jour 8 : « Ce que j’ai appris hier dépasse tout ce que j’aurais pu imaginer, mais l’on me fait comprendre que ce n’était rien comparé à ce que je m’apprête à vivre. En effet, j’ai accepté que mes hôtes me conduisent à leur temple afin d’y expérimenter ce qu’ils nomment La Transhumance de l’Âme, une sorte de cérémonie permettant d’accéder à des existences passées remontant à bien avant le Déluge. Ils m’expliquent que s’ils m’ont contacté, c’est parce qu’ils ont vu lors d’une précédente transhumance que nous avions été connectés il y a de cela bien des vies.

Tout ceci me semble parfaitement irréel, mais d’après eux, je pourrais être la clé permettant de débloquer l’accès à un ensemble de connaissances sur le Monde, l’Obwod ou même, la Création de l’univers tel que nous le connaissons aujourd’hui.

On m’explique que nous allons nous rendre dans une grotte non loin d’ici, sous terre et que, sous l’Œil de la Nuit qui Voit Tout, nous devrons nous immerger dans l’Eau de la Vie tous ensemble afin d’y revivre ce qui fut vécu et le sera à nouveau.C’est avec une certaine anxiété mêlée d’excitation que je dépose mes affaires et m’apprête à les suivre, … pour Matnak. »

1 : Bonjour Mathieu1, Guillaume2 et Jean-Pierre3… Dîtes moi, après un kit d’introduction ma foi fort sympathique, vous nous concoctez un bouquin de 450 pages autour de Matnak, avec plein de belles choses dedans. Vous pouvez nous en dire un peu plus sur la répartition des tâches ?

JP : J’ai eu un rôle de scénariste, ainsi que de co-auteur concernant le développement de l’univers (certaines factions, PNJ et évènements aléatoires notamment), à partir de la base déjà présente. J’ai suivi les demandes et conseils des autres membres de l’équipe. J’ai également émis mes propres conseils dans leur domaine de travail, lorsqu’ils me le demandaient. Nos travaux se sont mutuellement influencés : il est arrivé qu’un point d’univers demande le développement d’un point de règle, ou encore qu’une modification des règles entraîne un réajustement des intrigues, par exemple. Nous avons donc beaucoup échangé pour nous assurer que nous allions toujours dans la même direction et pour éviter les incohérences.

Mathieu : pour s’assurer de la cohérence nous faisions une réunion hebdomadaire en ligne. Nous parlions de ce qu’il restait à faire, nous nous assignions des tâches et nous nous donnions rendez-vous avec l’objectif de les avoir accomplies. 

Guillaume : Pour ma part, j’ai eu le rôle du “game designer”, essentiellement, mais j’ai aidé aussi au développement de l’univers. Car si l’univers est à la base issu de l’imagination de Mathieu, ce fut aussi une création collective. Mathieu nous a vraiment laissé le champ libre, a été très à l’écoute, même si ultimement, cela reste son œuvre. Il y a eu à tous les niveaux des discussions, du partage. C’était vraiment une période très agréable, de développer le jeu tous ensemble.


2 : Quand j’ai lu le kit d’introduction, je me suis fais la réflexion qu’au niveau des thèmes abordés pour un jeu d’aventure, on avait quand même un fond assez corsé, avec notamment la part de bestialité sommeillant en chacun de nous ici assez pleinement exprimée, l’ostracisation de la différence et la peur qui l’accompagne, les difficultés à concilier les points de vue en période de crise, la menace d’extinction … Ce sont des choses qui vous travaillent dans la vie de tous les jours ?

Qui a parlé de bestialité ?

JP : Ce sont des thèmes auxquels on est confronté au quotidien. Selon l’interprétation, on peut les retrouver dans une très grande partie des œuvres artistiques, qu’ils soient sciemment mis en avant ou discrètement dissimulés.

Mathieu : En effet, comme dit JP, ces problématiques traversent notre époque et j’ai voulu les inclure tôt. Elles sont comme un miroir déformé de notre réalité et donnent à réfléchir un peu sur notre condition actuelle. Libre à chacun ensuite d’intégrer plus ou moins ce genre de thématique disons, de « société ». 

Guillaume : Je ne sais pas si ça me “travaille” particulièrement, mais en tout cas, ça m’a de suite parlé. J’ai adoré cette multiplication de thématiques fortes, portées par un univers très “BD”. Cette richesse permet plusieurs niveaux de lecture, on peut faire de ce jeu bien des choses, en fonction des groupes de joueurs.


3 : Quand on regarde les illustrations du jeu, on ne peut se défaire de la sensation d’une « vision d’artiste » mise en mots (en tout cas c’est mon cas). Ca s’est passé comment la génèse du projet ?

Oui Môssieur, je suis très sérieux quand je parle de vision d’artiste !

Tout à commencé avec une volonté de faire un univers aussi riche et cohérent que possible. J’ai d’abord beaucoup dessiné. Des personnages et des décors sortaient sans que je n’aie aucune ligne directrice. D’abord surgit un univers très médiéval puis au fur et à mesure, ça s’est orienté vers une pointe de renaissance. Quand je terminais un personnage ou un décor, aussitôt je l’insérais dans cet univers en formation. Le processus a duré trois ans, tous les soirs je me mettais à ma table pendant trois ou quatre heures. Quand cette période fut terminée, j’ai engagé un gros travail de cristallisation. C’est à dire que j’insérais dans la trame générale les illus que je n’avais pas encore liées à quoique soit et j’affinais les liens de cause à effet entre les pnj principaux, les factions, etc… ça fonctionnait comme un système d’entonnoir. j’ai fini par avoir quelque chose de stable. Mais c’était seulement les fondations. 
Puis je me suis attelé à faire un jeu de rôle dans cet univers. J’ai posé les bases d’un vague système. Ce que je voulais retranscrire en jeu. J’ai pondu 50 pages de textes sur l’univers : qui allions nous incarner ? quelles factions faisaient quoi et pourquoi ? etc… Ce processus a duré deux ans environ, toujours quatre heures par jour. 
Là, les choses vraiment sérieuses ont commencé. Jean Pierre Hufen a désiré écrire un premier scénario dans cet univers (il en écrivit cinq au total, tous riches en péripéties et transcendant les éléments de l’univers. C’était vraiment cool). 
Ensuite j’ai créé une page sur Facebook pour faire parler du projet. Le soutien de beaucoup de personnes a été galvanisant. 
Ça a permis à Guillaume Meistermann de découvrir l’univers et après lui avoir envoyé le doc texte de l’univers et du proto-système (cette partie était vraiment embryonnaire et j’étais complétement perdu pour tout dire) il a voulu embarquer dans l’aventure,ce dont je n’ai pas été déçu une seule seconde. Il a créé un système efficace, sobre, prompt à s’harmoniser avec Les Terres de Matnak, univers rude par définition. 
On a travaillé, testé, fait des conventions. On s’est adjoint d’un co-auteur pour développer ce qui avait déjà été posé, bref nous étions là, lancés dans une véritable aventure éditoriale. 
En tout et pour tout, à l’heure où je vous parle, il s’est donc passé près de huit ans depuis la première intention.

4 : Jean-Pierre, tu es en charge des différentes « missions » (les scénarios qui permettront à tout un chacun de prendre la mesure des possibilités du monde de Matnak) proposées dans le jeu. Tu t’y es pris comment pour t’approprier cet univers, sans disons, trahir la fameuse vision évoquée plus haut. Tu avais un cahier des charges ou on t’as simplement dit « lance toi, si ça ne le fait pas, tu seras juste cloué au pilori » ?

J’ai eu la chance d’avoir une certaine liberté dans la rédaction des missions. Pour m’imprégner de l’univers et trouver une source d’inspiration, j’ai tout d’abord observé les illustrations et les concepts déjà mis par écrit. Lorsqu’il y avait beaucoup de matière, je cherchais quel type d’intrigue permettait de la mettre en valeur. Dans les autres cas, je développais également les particularités des régions et des factions en fonction des besoins des missions que je rédigeais.
J’ajustais mes textes selon les demandes et conseils qui m’étaient faits lorsque je présentais les synopsis, puis une nouvelle fois lorsque je présentais les missions complètement rédigées.

5 : Mathieu, non content de nous balancer quelque chose comme cent cinquante illustrations dans le livre et d’être le papa de l’univers, tu es aussi responsable de la maquette (fiou…). Du coup, c’était quoi ta ligne directrice quand il s’est agi d’organiser tout ça, ainsi que les écueils auxquels tu as (peut-être) dû faire face ?

Alors je pourrais te dire que j’ai pris les choses chacune en son temps. Mais en fait, j’ai chevauché les étapes les unes avec les autres, pour gagner en efficacité. C’était risqué, dans le sens où je naviguais à vue. Mais j’ai patienté et ça a fini par payé, car aujourd’hui la maquette et le texte ne fonctionnent pas sans les illustrations, et inversement.


Je faisais une illustration pendant que le texte attendait. Parfois c’était l’inverse. Et quand j’ai abordé la maquette le texte n’était pas terminé entièrement, ni les illus d’ailleurs (il m’en manque encore, je suis dessus actuellement). 
Comme outil de production en équipe j’ai choisi le couperet des deadlines, même si ça peut être stressant c’est ce qu’il faut à mes yeux pour mener à bien un projet de grande envergure, avec les contraintes qui y sont liées. Bien sûr nous ne sommes pas à Hollywood, les deadlines nous servaient surtout à nous imposer un rythme entre nous. Parfois il y eu des retards mais l’essentiel était de toujours aller de l’avant. Même lentement, il faut avancer. 
Même dans le bordel il faut avancer. L’ordre finit par s’imposer naturellement au fur et à mesure du travail.

6 : Accoucher d’un jeu, comme toutes les naissances, ce n’est pas quelque chose qui se fait sans mal (pensée émue pour toutes les mamans du monde). Ça demande beaucoup de travail et de réflexion, mais au-delà de ça, comment on s’y prend pour savoir si effectivement on va réussir à proposer quelque chose de ludique en plus d’être fonctionnel ?

Mathieu : on prie pour que toutes les lectures, visionnages, et autres sources d’inspirations et de créations que nous avons emmagasinées dans notre vie de rôlistes nous servent à viser juste dans les choix à faire. Parfois ça marche, parfois on doit rebrousser chemin. Et comme avec un enfant qu’on élève, on ne sait pas ce qu’il va devenir … mais on fait tout pour que son avenir soit le meilleur possible. 

JP : Lorsque l’on prépare les intrigues et les mécaniques de jeu (y compris celles qui vont au-delà du système de règles), il me semble que le plus efficace est d’échanger avec le public ciblé. On peut en retirer de nombreuses pistes.
Dès la première ébauche produite, le plus simple est de tester le jeu autant de fois que possible et de récolter les retours, afin de déterminer si on a bien atteint les objectifs que l’on s’était fixés. Il arrive même que l’on découvre ici des pistes si intéressantes qu’elles deviennent de nouveaux objectifs.
Une fois la version quasi-finale prête, une nouvelle phase de test et de discussion ne peut pas faire de mal. Après les derniers ajustements qui s’imposent, on devrait avoir le résultat voulu. C’est comme une recette de cuisine peu précise : il faut savoir quand ajuster les étapes si on se rend compte que ça ne fonctionne pas comme espéré. L’une des grandes difficultés est de déterminer quand arrêter de faire des tests ou des ajustements, car on risque de se perdre à vouloir développer et affiner toujours plus.

Guillaume : On a énormément discuté autour du système justement, parce qu’on avait à cœur de donner un vrai objet ludique. On ne pouvait se contenter d’adapter un système, il fallait quelque chose qui colle vraiment à l’esprit de Matnak. Un truc qui fait qu’au cœur des mécanismes, il y ait ce dilemme de recourir à la puissance illimitée de la zoomorphose au risque de se perdre soi-même. J’espère avoir réussi. Mais c’est autour de ces nombreux échanges que le système s’est peaufiné.

7 : Guillaume, c’est toi qui a commis la partie mécanique du jeu en t’attelant au système de résolution … Alors, je sais que tu fais beaucoup de traduction de jdr, mais de là à basculer dans le game design, on n’est pas tout à fait dans le même registre. Ca t’as pris comme ça ou ça faisait un moment que ça te travaillait ?

Guillaume : En réalité je ne fais de la traduction que depuis peu. J’ai travaillé sur Matnak avant de traduire. Et quant au game design… Je me demande toujours si je peux prétendre être game designer. C’est un vrai métier, complexe et qui s’apprend. J’y ai mis beaucoup de cœur, j’ai travaillé sans cesse, autour de quelques points clefs.
Le cahier des charges était assez clair, en fait. La base de ce cahier a été édictée par Mathieu, mais la suite nous l’avons décidée en équipe. Il fallait de la simplicité, peu de caractéristiques chiffrées, pas de compétences, seuls les Joueurs devaient lancer les dés, on ne voulait pas d’une progression “classique” avec des niveaux mais autre chose, que les PJ soient dès le début de vrais héros, de la mortalité, un vrai sentiment de puissance, des PV, des dégâts (relativement) aléatoires, une mécanique unifiée entre toutes les phases de jeu…
Et c’est sans parler de la partie “symbolique” : bien des éléments ne sont pas choisis au hasard. Le D8, symbole d’infini, le 7 (les PV sont octroyés par tranches de 7), les 3 caractéristiques, qui additionnées font 21, etc. Tout ceci est la “faute” de Mathieu, notre grand Alchimiste. Bien évidemment, je ne me suis pas contenté de bricoler autour de ces données. Elles ont été agencées et organisées de manière très rationnelle. Les statistiques sont calculées et réfléchies. Et tout ça pour donner quelque chose de souple et plutôt orienté vers l’histoire.

8 : Pour en revenir au système de jeu, j’ai cru déceler comme une parenté avec l’Apocalypse4, tout en proposant  une approche plus « traditionnelle » dans la prise en main. Vous pouvez nous en dire un peu plus sur le cheminement qui vous a mené là ?

La fiiiiin du moooonde… ha non, l’Apocalypse

Mathieu : L’idée était de conserver les habitudes des jeux traditionnels et d’y ajouter le principe de l’apocalypse selon lequel rien ne doit pouvoir se conclure sur « il ne se passe rien ». 
Guillaume a eu la très bonne idée de synthétiser en actions courantes les mouvements habituels des jeux traditionnels (je défonce la porte, je saute le pont, je séduis tel pnj). Une fois ces habitudes adaptées en termes narratifs (franchir un obstacle, aggraver la situation, etc…), il n’y avait plus qu’à imaginer le système de résolution. Vu que le moteur est souvent les joueurs dans une partie de jdr (du moins, c’est ce que je pense) on a libéré le mj des lancers de dés, pour qu’il se concentre sur la cohérence de l’univers et la mise en scène de ses parties. 

Guillaume : En effet, Mathieu l’a très bien dit, nous cherchions un compromis entre les PbtA5 et les jeux old school. Au final, il y a une proximité avec Dungeon World6. C’est un jeu formidable qui mérite d’être testé, mais ce n’est pas aisé de le mener, cela dit. C’est plus abordable à mon avis, dans le sens où les actions ne sont pas pensées pareil. Plus simples à utiliser ! Pour finir, nous voulions un jeu dont les règles serviraient l’histoire. Facile d’accès. Qui parle aussi aux anciens, nous ne voulions perdre personne en route ! 

9 : Bon, si l’on observe bien la carte des Terres de Matnak, on peut faire la constatation que c’est à peu de chose près gros comme la Corse… C’est tout l’univers de jeu ou vous nous avez préparé douze suppléments/spin off pour étoffer tout ça ?

Matnak, Ile de beauté

C’est parfaitement ça pour l’allusion à la Corse. Imaginez, il ne reste plus que la Corse d’habitable dans le monde entier, et sur ça vous ajoutez un virus qui transforme les hommes en bêtes. Virus provoqué par la cupidité et l’orgueil. Le tout enrobé d’un nappage à la Madmax7 médiéval fantastique psychédélique, et vous avez Les Terres de Matnak !
Quant au jeu, il n’y aura qu’un seul livre, avec tout ce qu’il faut pour jouer plusieurs campagnes. Des événements aléatoires appelés Aléas, la description de 7 régions et de 7 factions liées. Le tout accueillant 150 pnj environ . Là dessus, nous avons ajouté des secrets à découvrir et des outils pour le faire. Il y aussi nos conseils pour jouer une partie ou créer une mission. Et le livre se termine sur pas moins de cinq missions pouvant se jouer en campagne. 
C’est vraiment un jeu clef en main que nous avons voulu.

10 : Un petit quickie sur l’imaginaire en général ?

  • Si vous étiez un livre (roman/bd,…) :

JP : Je serais un faux livre, pour décorer les bibliothèques.

Mathieu : le cycle de Dune8 de Frank Herbert (particulièrement L’empereur-dieu

Guillaume : Je suis incapable de répondre à ce genre de questions… Quelle torture de choisir ! Si je dois vraiment parler de mes livres favoris, je dirais “Notre besoin de consolation est impossible à rassasier” de Stig Dagerman9, “Que ma joie demeure” de Giono10, « Le Moine » de Lewis11… Mais sinon, pour la SF/Fantasy, j’ai adoré “Seigneur de Lumière” de Zelazny12. En BD c’est assurément “L’Incal” de Moebius et Jodo13, et… “Les formidables aventures de Lapinot” de Trondheim14. Et là je me dis que je suis à côté de la question, puisque je dois parler d’un livre qui me ressemble. Du coup si quelqu’un a écrit “L’indécis”, ça pourrait bien coller.

  • Si vous deviez cosplayer quelqu’un :

JP : Je serais un gigantesque Kirby15… ou un énorme Mr. Saturn16… ah, je n’arrive pas à choisir !

MathieuDocteur Who17

Guillaume : Oh la la. C’est compliqué. On va dire un truc avec un chapeau. J’aime bien les chapeaux.

  • Si vous étiez un jeu (de rôle/vidéo,…) :

JP : Je serais un jeu de dés.

Mathieu : Riven (de la série Myst18

Guillaume : faut arrêter avec les questions comme ça ! JE SAIS PAS. Bon, Shining Force 319, sur Sega Saturn. Sinon j’aime bien les jeux qui font peur.

  • Si vous étiez une période historique :

JP : Je serais la préhistoire. Il y avait de l’espace libre. Ça devait être calme. J’aime bien quand c’est calme.

Mathieu : moyen âge.

Guillaume : 20ème siècle, autour de l’avènement du rock progressif. 

  • Si vous étiez un univers fantastique :

JP : Je serais une utopie. Ça aussi, c’est bien calme.

Mathieu : l’univers du baron de Müncchausen20. Baroque, où tout est possible, et qui garde un esprit positif malgré tout. 

Guillaume : l’univers d’Ambre21, parce que tout y est possible.

Et pour conclure, la question vache… selon vous, quelle est la place de l’imaginaire dans la culture (qu’elle soit populaire ou autre) et comment vous positionnez-vous dans ce vaste tableau ? 

JP : Je pense que l’imaginaire offre d’immenses opportunités de réflexion concernant des situations fictives pouvant ou non se réaliser dans le futur. Cela permet de se préparer logiquement, mais aussi de se développer émotionnellement, bien au-delà de ce que permettrait le simple traitement de données factuelles.
Comme toute personne ayant un jour partagé un peu de son imaginaire avec un tiers, j’apporte mon infime participation au développement de ce collectif gigantesque… en bien ou en mal, je ne sais pas.

Guillaume : l’imaginaire dans la culture ou la culture de l’imaginaire ? C’est vaste. Je dirais que la place de l’imaginaire est importante, à une époque où on a du mal à distinguer les contours de la réalité. Cultiver l’imaginaire pour savoir ce qui est vrai du faux, c’est peut être une piste à suivre. Quant à notre place là dedans avec Matnak, j’ai envie de dire qu’on est dans la lignée de l’imaginaire de Jodo, Moebius22. Cet imaginaire de BD un peu fou qui va venir questionner justement la réalité. 

Mathieu : l’imaginaire, en tant qu’élément constitutif de notre condition, a toujours tenu une place importante dans l’histoire de l’humanité et nous a toujours servi à nous extraire de situations problématiques apportées par le réel. Pour moi il est l’essence même de l’homme et sans lui nous serions voués à disparaître. Pas de survie possible sans imaginaire, pas d’adaptation. 
Et si aujourd’hui l’imaginaire ne nous sert plus à comprendre comment fabriquer un piège ou fabriquer un outil, il nous sert à explorer le « champ des possibles » de nos sociétés, de nos comportements. 
En gros, je pense que l’imaginaire est une distanciation nécessaire, essentielle même, et non une simple évasion, lubie, ou passe-temps, comme on disait souvent il n’y a pas 30 ans.

Un très grand merci à vous trois d’avoir bien voulu vous prêter au jeu des questions et à très bientôt sur les Terres de Matnak.

Jour … ? :  « Je ne saurais dire combien de temps s’est écoulé entre mon entrée dans la grotte et maintenant… Mon esprit me chuchote que tout cela n’a duré que quelques minutes/heures, alors que mon corps me hurle qu’il s’agit de jours entiers.
Mon corps… il m’a fallu un certain temps pour le réaliser, mais ça y est… ce corps que je pensais mien à tort n’est plus, il est devenu… autre chose durant la cérémonie.
Ce qui est surprenant c’est que mon esprit lui, ne semble pas altéré par le Changement, contre toute attente. Est-ce lié à l’expérience que je viens de vivre ? Je ne saurais le dire… d’ailleurs je ne sais quoi en penser, phantasme induit par mes hôtes, par une quelconque substance que l’on m’aurait fait ingérer, ou réel témoignage d’un autre temps, d’une autre réalité… ?
Je préfère m’abstenir de trop y penser dans l’immédiat, devant l’énormité de ce que signifierait la véracité de ce dont je fus témoin/acteur… tout n’est-il donc qu’illusion ?

Non, ce n’est pas possible.
Mes émotions, mes sensations sont bien réelles, elles m’appartiennent en propre. Seule chose dont je sois sûr à l’instant, je ne peux plus retourner à Matnak, étant dorénavant un Changé.
Je ne peux que me résoudre à vous faire parvenir ce témoignage en guise d’adieux.
Le Changement ne signifie pas forcément la Fin… ou tout du moins, … … … je l’espère. »

Pour vos petits yeux éblouis, le WIP de L’écran du jeu

Propos recueillis auprès de Mathieu Myskowski, Guillaume Meistermann et Jean-Pierre Hufen par David Barthélémy

Article initialement publié sur le blog : Cultures de l’imaginaire

Notes et références :

1 Mathieu Myskowski
2 Guillaume Meistermann
3 Jean-Pierre Hufen
4 L’Apocalypse : référence au système de jeu développé pour Apocalypse World (cf Pbta)
5 Pbta
6
Dungeon World
7
Mad Max
8
Dune
9
Notre besoin de consolation est impossible à rassasier
10
Que ma joie demeure
11
Le Moine
12
Seigneur de Lumière
13
L’Incal
14
Les formidables aventures de Lapinot
15
Kirby
16
Mr Saturn
17
Doctor Who
18
Riven, saga Myst
19
Shining force 3
20
Baron de Münchhausen
21
Ambre
22
Moebius

Retour de lecture

Ce que j’en pense : Aventuriers pour Dragons

Non non… en fait, on va plutôt rentrer à la maison hein 😅

La Forme

Beau gros livre au format A4, à reliure cousue (donc solide), il doit bien faire 2kg/2,5kg pour ses 388 pages… ce qui vous laisse présager de la qualité du papier.
Papier glacé, fonds de pages parcheminés parsemés d’effets de vieillissement (brulures, taches, craquelures, …), des encadrements de page tout en nuances fondus dans la trame du parchemin, des culs de lampe à profusion, des lettrines enluminées au début des chapitres, … Bon, si vous avez déjà eu des bouquins des Ombres d’Esteren¹ dans les mains, vous savez que chez le Studio Agate², on ne plaisante pas avec les livres… mise en page soignée, illustrations à tomber, papier de qualité… Quand j’ avais ouvert le livre de base des Ombres pour la première fois, je m’étais fait la réflexion qu’il s’agissait sans doute de l’un des plus beau bouquin de jdr que j’avais eu l’occasion de lire. Et bien depuis, le studio a gagné en expérience et ça se ressent sur Aventuriers (et je ne parle pas encore du Grimoire que je suis en train de lire).
Niveau mise en page, c’est clair et lisible (lire : vous , n’avez pas besoin de lunettes pour déchiffrer le texte, même si comme moi, vous avez passé quarante ans de quelques années), alternant des pages sur une colonne centrale occupant bien l’espace et les pages proposant deux colonnes, lorsqu’il y a plus d’informations à faire passer. Les illustrations (nombreuses) sont toujours parfaitement intégrées à la maquette et viennent agréablement souligner le texte, participant à l’aération des pages.

Quand je vous dis qu’il y a du boulot sur la maquette…


Après l’ours, le livre propose une table des matières sur quatre pages, détaillant les trois grandes parties du livre, à savoir :
– Une première partie création de personnage et évolution sur 252 pages, avec un exemple sur 10 pages, les espèces jouables (34 pages), les civilisations d’Eana (8 pages), l’histoire des personnages (40 pages), les Classes (138 pages), les langues (6 pages) et les options d’évolution (15 pages).
– Une seconde partie axée sur la vie quotidienne (56 pages), détaillant le Commerce (8 pages), le Niveau de vie (4 pages), les Ressources (4 pages), les Services (2 pages) et l’Equipement (37 pages).
– Une troisième et dernière partie concernant les Règles et Annexes (67 pages) où les points essentiels sont exposés.
Fonctionnement des Caractéristiques, avec résolution d’actions et utilisation des compétences qui leurs sont liées (14 pages).
L’Aventure et ses composantes, comme la gestion du temps, les déplacements, les interactions avec des objets, la vision, les dégâts dus à l’environnement, le Repos et la gestion de la vie entre deux parties (18 pages).
Le Combat (18 pages)
La Santé (10 pages)
Les Annexes, comportant une liste des états préjudiciables (4 pages), un glossaire technique (6 pages), une double page explicitant les différentes sections de la feuille de personnage et pour finir, la feuille de personnage à proprement parlé sur 5 pages (dont une page de grimoire).
L’ouvrage se conclut sur une page détaillant la licence d’exploitation du jeu.

Le Fond Enfin… Le papotage…

Me voilà bien embêté pour parler du fond (mon découpage des retours de lecture touche ici à ses limites), car nous sommes en présence d’un livre de règles, et pas d’un ouvrage traitant dans son intégralité d’un univers, avec son système, sa cosmogonie et un ou des scénarios… du coup je vais plutôt parler de la couleur de l’ouvrage.
Donc, cette couleur s’exprime tout d’abord au travers de la maquette. Les fonds parcheminés apportent tout de suite une ambiance teintée d’érudition et de mystère, que viendront renforcer les présentations des espèces et des différentes cultures d’Eana.

Rhooo… Ça donne envie de voyager


Un gros travail d’appropriation a visiblement été mené afin de ne pas se contenter de nous bombarder les sempiternels Nains bourrus (ici les Dvaergen), Elfes snobs et trop trop beaux ou Drakéides ultra bourrins. Toutes les espèces sont étroitement liées à l’histoire de leur peuple plutôt qu’à une suite de comportements archétypaux bêtements ânonnés (parceque… ben… c’est comme ça depuis cinq éditions quoi…), ce qui à mon sens vient leur donner tout de suite de la profondeur et suscite des idées de persos à jouer (qu’ils soient dans les clous de ce que l’on nous présente, ou au contraire en rupture complète avec la majorité) autour d’une table. Mention spéciale aux Tieffelins qui donnent terriblement envie et promettent de magnifiques moments dans un groupe de PJs, aussi bien en amenant du drame que de la surprise (pas forcément bonne pour les PJs d’ailleurs) dans les parties.
Au delà de ça, il n’est malgré tout pas évident de se faire une idée claire du monde, car comme je le disais, le découpage des livres fait qu’ici, c’est la partie « fonctionnelle » du jeu qui nous est présentée.
De nombreux passages font référence à des termes ou événements qui semblent cruciaux du monde d’Eana (comme le Chancre, totalement au hasard, qui semble être l’adversité centrale de cet univers), ce qui peut avoir un côté frustrant, mais j’y reviendrai dans ma conclusion (haha…suspens).
Les différentes cultures promettent tout le dépaysement que l’on peut souhaiter dans un jeu Med-Fan et les grands thèmes de l’aventure sont bien là (des jungles luxuriantes et pleines de mystères anciens, des steppes sauvages où tout peut basculer en l’espace d’un instant, une piraterie fière et bien présente, des traditions qui promettent de semer une certaine confusion chez les joueurs, …), ce qui permettra de varier les ambiances à l’envie en fonction des attentes des joueurs (et du MJ bien sûr).

Quoi, qu’est-ce qu’elle a ma culture, quelque chose à redire peut-être?


Au niveau des classes de personnage, c’est bien simple, toutes me semblent attrayantes (bon, peut-être avec un bémol pour le Paladin, mais c’est plus là une question de goûts personnels…les Paladins me saoulent depuis toujours… … , sauf peut-être dans les trilogies des Joyaux/Périls³ de David Eddings, mais c’est un cas particulier…)…
J’ai lu à droite à gauche que la classe de Lettré paraissait fade et je ne suis pas d’accord avec ça. Bien au contraire, pour une fois nous avons la possibilité d’avoir un personnage cultivé (c’est toujours utile lorsque l’on joue autre chose que du porte/monstre/trésor) qui sait toutefois se débrouiller sur les grands chemins et ça, je trouve, correspond bien avec l’idée que je me fais de Dragons, qui semble destiné à bien autre chose qu’une suite sans fin de chasses aux monstres et autre invasions de gobelins des familles.

Non, il n’y a pas, les lettrés ont la classe 😍


Chaque classe présente donc sur une page, une explication dans les grandes lignes, de sa fonction, de son positionnement dans l’univers de jeu, ainsi qu’une illustration pleine page, puis sur une page à nouveau, le descriptif des aptitudes offertes, sous la forme :
Points de vie
Maîtrises
Equipement
Tableau de progression récapitulatif
La pagination varie ensuite d’une classe à l’autre selon les différentes options (ou Voies) envisageables pour les personnages, les sorts, les Serments, …
Les Dons permettront encore de typer un peu plus votre aventurier, lui conférant ce « petit » détail qui fera la différence (ambidextre, compagnon animal, doigts de fée, héroïque, …), sous réserve de posséder les prérequis nécessaires, pour certains.

Les Règles

Alors, disons le tout de suite, je ne suis pas un grand expert de Donjons et Dragons. J’y ai joué certes (Ad&d, Ad&d 2, Donjons et Dragons 3 et 4) mais n’ai pas particulièrement suivi la cinquième édition (j’ai survolé le guide du joueur, hmmmm… pardon, le Player Handbook vf, mais n’ai pas plus que ça creusé la question, ayant trop de trucs à lire en dehors des « grands anciens »).
En conséquence, je serais bien en peine de vous dire qu’est-ce qui relève exactement de la licence ogl et qu’est-ce qui change fondamentalement (décidément, ça c’est du retour de lecture informatif). Je ne me risquerai donc pas à une comparaison point par point et vous livrerai juste les grands principes du système.
Déjà, pour moi le gros plus, c’est que les règles en elles-mêmes tiennent sur une trentaine de pages (je suis du genre à fuir Pathfinder⁴ en courant devant la masse d’informations nécessaire au moindre lancé de dés). Après les troisième et quatrième éditions, cela fait un bien fou.
On distinguera donc trois grands types de Tests :
Les Sauvegardes
Les tests de Caractéristique
Les test de d’Attaque
Bonne chose pour cette mouture des règles, tous fonctionnent de la même manière, c’est à dire qu’ils sont résolus en lançant 1D20 + modificateurs éventuels, contre une difficulté (pour les deux premiers) ou contre le score de l’adversaire pour les attaques.
Les modificateurs correspondent principalement aux points forts des personnages, c’est à dire les compétences (ou caractéristiques pour les sauvegardes) qui pourront bénéficier du bonus de Maîtrise (un bonus qui augmente en fonction du niveau des personnages), de par le fait de l’aisance du personnage dans ces domaines.
Les différentes maîtrises sont octroyées au court de la création de personnage, par la classe de personnage (chaque classe confère la maitrise de deux sauvegardes, de certaines armes et armures, éventuellement d’outils et de langues, ainsi que de une à quatre compétences) et l’historique (qui en ajoute deux supplémentaires au choix).
D’autres Maîtrises pourront être acquises par la suite, au fil de l’évolution du personnage, que ce soit lié au changement de niveau (au niveaux 4/8/12/16/19, il est possible de remplacer l’augmentation d’une caractéristique par le don « talent », entre autre, qui donne un pool de points à répartir pour de nouvelles compétences/outils/langues/sauvegardes,…), ou par l’apprentissage en jeu (compter 6 mois pour une nouvelle langue, à un an pour une nouvelle compétence).
L’autre mécanique permettant d’influencer les jets de dés est le principe des Avantages/Désavantages, à savoir le fait de lancer un deuxième D20 lors d’un test donné et de conserver le meilleur/pire résultat des deux en fonction de la situation (cela peut venir des circonstances entourant le jet, par exemple escalader une paroi rocheuse à mains nues sous la pluie relève du désavantage, là où escalader la même paroi par beau temps avec un équipement adéquat conférera un avantage), de certains dons ou de l’Inspiration

Moine en quête d’inspiration


HAHA… L’Inspiration… c’est le petit plus des aventuriers qui auront un bon roleplay, de bonnes idées, ou tout ce qui, au sens du MJ mérite d’être récompensé en jeu (je ne suis pas sûr que le fait d’amener les chips à la partie rentre dans cette catégorie… encore que…).
L’Inspiration permet donc au PJs de bénéficier d’un avantage sur un jet donné (sauvegarde, caractéristique, attaque), simplement en le signalant au MJ. Une fois utilisée, elle est perdue et devra être regagnée en jeu. On notera la possibilité pour PJ possédant l’Inspiration d’en faire profiter un autre à sa place, selon le même principe (par un mot d’encouragement par exemple, ou un coup de pouce dans la réalisation d’une action).
Il est à noter que le système propose une option intéressante (à mon sens) en cas d’égalité sur un jet en opposition, à savoir la possibilité d’engager une sorte de pari entre les protagonistes, sous la forme d’une « mise » en points de vie (qui représentent une combinaison de résistance physique, ténacité, chance et volonté du personnage) afin de les départager… celui qui l’emporte réussit l’action, au prix de sa « mise », l’autre devant ainsi en subir les conséquences.
Et voilà pour le cœur du système.
Il y a bien évidemment des subtilités en fonction des types d’actions (actions de combat, déplacements , …), mais l’essentiel est ici et suffira amplement à gérer les différentes actions de vos PJs.
Vous noterez que je ne parle pas ici de la Magie, … car celle-ci sera traitée en détail dans le Grimoire (retour à venir… se sont de gros livres et j’ai deux enfants qui n’ont guère de compassion à l’égard de leur papa rôliste ou de son temps de lecture disponible par jour).

Conclusion

Bien, à force, vous l’aurez compris, je parle ici essentiellement de jeux dont j’ai apprécié la lecture (voir la mise en pratique pour les plus chanceux d’entre eux) … donc, Dragons rentre allègrement dans cette catégorie.
C’est beau du début à la fin. Que cela soit au niveau des illustrations, de la mise en page, des culs de lampe et autres petits détails, tout y est soigné. Je n’ai pas relevé de coquilles particulières, ce qui tend à prouver que le travail de relecture n’a pas été pris à la légère (en fait, le seul soucis que j’ai identifié est un léger chevauchement entre texte et tableau de progression pour la classe des Druides) … et c’est très agréable de ne pas grincer des dents toutes les trois phrases en se disant que quand même, un texte lisible devrait être le minimum syndical dans un livre de règle.

Bon, il manque un espace… je trouve ça honnête sur 388 pages


Donc, à ce niveau là, pas de surprise, je n’en n’attendais pas moins et le contrat est rempli.
Pour ce qui est du contenu, les explications sont claires, le livre bien découpé et comme je le disais plus haut, on a vraiment la sensation qu’un vrai travail d’appropriation a été mené par rapport à la proposition initiale de Donjons & Dragons, afin de nous proposer un jeu ayant une identité propre, au delà d’un simple rhabillage.
Je dis bien l’impression, car si l’on se contente du livre de base en l’état, il manque beaucoup d’informations quant à la description du monde, de ses grands enjeux, du fonctionnement de la magie, …
Toutefois, si l’on creuse un peu la question, tout en gardant à l’esprit qu’il s’agit du premier volume d’une longue série, on constate que le Studio Agate met à disposition beaucoup de matériel sur le blog dédié à Dragons, et notamment un Guide du Joueur en téléchargement libre, qui apporte de nouvelles informations sur l’univers de jeu en plus de proposer les règles de créations de personnage. L’impression est donc belle est bien confirmée, et partant de ce principe, il suffira d’un peu de patience pour découvrir pleinement tout ça.
C’est à ce sujet d’ailleurs que le jeu fait polémique. De mon point de vue, ne faisant pas partie des souscripteurs originaux du projet de financement (j’avais à l’époque trouvé qu’il y avait trop de propositions simultanément autour de la cinquième édition de l’ancêtre, avec Dragons, Héros et Dragons⁵, et la très improbable annonce que DD5 ne serait pas traduit en français… d’ailleurs contredite quelques semaines plus tard par Black Book Editions⁶… et m’étais par conséquent abstenu), tout va très bien, et le jeu propose de belles choses.
Maintenant si l’on veut bien être honnête envers les souscripteurs, c’est un peu raide niveau délais (le projet datant de 2016) et les livres arrivent au compte goutte pendant que les kickstarter s’enchainent, venant renforcer l’impression de faire lanterner le public de la première heure.
Ce sont des choses que je comprends très bien (huhu, je fais partie de ceux qui ont attendu Pavillon Noir⁷ V2 pendant cinq ans, tout de même), mais qui à mon sens ne permettent pas de remettre en question la qualité des livres.
C’est un effet de bord des financements participatifs qui ne concerne quoiqu’on en dise qu’une partie somme toute assez minime de la population roliste francophone.

Ben oui, ça prend du temps de remplir un bouquin de trucs comme ça !



Petite digression autour des financements participatifs (FP) :
Alors, les FP c’est très bien dans le sens où cela permet à plein de monde de sortir des choses qui n’auraient pas pu voir le jour autrement (question de budget, de risque éditorial, de temps de travail, …) et une partie du public fait donc le choix de soutenir une démarche éditoriale en contrepartie (bien souvent) de certaines exclus, de l’assurance d’être dans les premiers servis, d’avoir des news régulières quant au développement du projet, etc.
Seulement voilà, ce qui était clair il y a quelques années est devenu de plus en plus flou pour pas mal de monde et la notion de travail éditorial s’efface dans l’esprit de beaucoup au profit de précommande avec des goodies. Nous avons donc d’un côté des porteurs de projets qui ne mettent plus assez en avant le fait qu’un financement peut être soumis aux aléas de l’édition, par peur de ne plus être assez attractifs (en sous estimant des délais de production, en choisissant de calculer des coûts selon une situation idéale, …) et de l’autre, une clientèle (j’utilise à dessein le terme clientèle plutôt que soutiens) qui s’attend à recevoir expresso un produit finit comportant son lot d’exclusivités, à des tarifs préférentiels.
Quand ces deux tendances se rencontrent, … … c’est le clash.
Attention, je ne dis pas que c’est toujours le cas, seulement que de plus en plus, c’est ce que je constate.
Si tous les partis prenaient la peine de regarder la situation avec, disons, une plus grande honnêteté quant à ce que sont un travail d’édition et une position de soutien au dit travail, les mauvaises surprises seraient moins nombreuses pour tout le monde.
Je viens de cette époque où quand tu faisais du jdr, tu ne savais jamais quand sortirait ton prochain jeu… bien souvent, la surprise s’opérait en magasin, quand une nouvelle référence poppait dans un rayon… En ces temps immémoriaux, personne (hors éditeurs et quelques shamans) n’avait idée du temps qu’il avait fallu pour permettre au livre de trouver le chemin du public, entre la gestation de l’idée (ou l’acquisition de la licence) et la concrétisation pour l’utilisateur final.
Ce sont des choses qui sont aujourd’hui à la portée de tout un chacun, mais que bien souvent on choisi d’oublier, confiant dans la pensée magique qui veut que « si on nous le propose, c’est que c’est prêt (ou presque) et sera livré dans la foulée ».
Donc dans cette histoire, les torts me semblent totalement partagés, entre excès de confiance d’un côté et attitude consumériste de l’autre… comme bien souvent, les choses sont grises, pas juste noires ou blanches.
Fin de l’aparté financement participatif (qui mériterait en soit des développements plus poussés, tant je schématise à l’extrême pour ne pas bouffer mon retour de lecture…)

Donc, de mon point de vue de non-souscripteur (pour une fois), je récupère à l’heure actuelle un beau bouquin (sans me soucier une seule seconde du processus de fabrication, puisque je ne l’attendais pas spécialement), bien écrit, magnifiquement illustré et maquetté, et qui me donne envie de jouer dans Eana. De plus, par rapport à la concurrence, rien à dire sur le prix (39€90 pour la base, 34€90 pour le Grimoire), si ce n’est : « cool »
La suite de la gamme devra encore venir confirmer mes premières impressions, mais je suis relativement confiant quant à la qualité finale de ce qui sera proposé (j’ai déjà tout Esteren à titre comparatif, et si la politique éditoriale me fait toujours me languir du fameux livre Secrets, je ne peux qu’admettre que c’est du beau matos et qu’on ne se fout pas de la gueule du client niveau contenu).

Une petite dernière pour la route ?

Je ne m’étendrai pas sur les redécoupages des livres initialement proposés lors du financement pour les mêmes raisons qu’invoquées plus haut, ce sont des histoires d’éditeurs (qui font leurs choix en tant que tels et ne me doivent rien… si ce n’est de beaux et bons bouquins afin que j’aie envie de les acheter…), et attendrai sagement de voir ce qui sera proposé avec le bestiaire, l’écran et les encyclopédies, une fois sur mes étagères.
Une remarque toutefois sur Aventuriers.
Un index eut été le bienvenu, c’est toujours pratique en partie, et même si les infos sont bien répartis dans le livre, quand on est dans le feu de l’action, gérant son intrigue et ses PNJs, on n’a pas toujours les « ressources cerveau » nécessaires à la recherche d’information en instantané (ou alors, c’est juste que je vieilli et suis déjà sur le déclin).
Donc suivant ce principe, je lance un appel de détresse aux créateurs et responsables de la gamme… s’il vous plait, envisagez la possibilité d’un « index général de gamme », dans la mesure du possible édité à part, permettant de recenser les infos réparties sur tous les ouvrages (ou au moins un index « technique » dans un premier temps), afin de rendre l’accès à la masse d’information que représenteront les différents bouquins aussi ergonomique que possible.
Voilà.
Dragons, c’est beau, ça m’a tout l’air d’être un jeu à même de mettre à mal la concurrence quand tout sera sorti et ça m’a redonné envie de jouer dans un univers high fantasy à la DD, alors que j’avais tendance à en être revenu depuis une paire d’années.
Si vous n’avez rien contre le fait de devoir attendre qu’une gamme se construise afin de profiter pleinement d’un univers qui a l’air très chouette, jetez vous dessus… (je pousse le trait, mais en l’état, avec le Guide du joueur en renfort d’Aventuriers et du Grimoire, il y a déjà moyen de remplir un paquet de belles soirées).

À suivre… avec un retour (plus rapide cette fois) sur le Grimoire

Notes et Références

¹ Les Ombres d’Esteren
² Studio Agate
³ Trilogie des Joyaux et trilogie des Périls de David Eddings
Pathfinder
Héros & Dragons
Black Book Editions
Pavillon noir V2