Focus

Entretien avec Christophe Dénouveaux autour des éditions de La Loutre Rôliste

Qui dit jeu de rôle dis généralement Dragons, Orcs, Gobelins et autres Liches, voire Licornes.
Traditionellement donc, lorsque l’on évoque le sujet, on se place plutôt d’emblée dans un univers médiéval fantastique, avec toute son imagerie et ensuite, en creusant un peu, on s’aperçoit que finalement tous les genres y sont représentés :
Horreur, S-F, Drama, Comédie, Historique, Uchronique, Action, … tout y passe.
Bien souvent, les noms des différentes maisons d’édition sont apparentés plus ou moins directement au champs lexical de l’un des genres évoqués plus haut… Black Book¹, Wizards of the Coast², Necrotic Gnome³, Antre-Monde⁴, … et j’en passe.
Au milieux de tout cela, nous croisons toutefois occasionnellement quelques ovnis au positionnement un peu moins clair pour la clientèle, portant le genre animalier pour étendard : Lapin Marteau⁵, Les Livres de l’Ours⁶, et surtout, celui qui nous occupe aujourd’hui, La Loutre Rôliste⁷.
Mais quoi qu’est-ce ? Et qu’est-ce qui anime l’éditeur derrière ce mystérieux (mais néanmoins sympathique) intitulé ?
Sans plus attendre, allons poser nos questions à Christophe Dénouveaux⁸, la loutre en chef, afin de tirer tout ceci au clair.

Salut Christophe.
Déjà, je vais commencer en te souhaitant un joyeux anniversaire. Huit ans dans le monde de l’édition avec La Loutre Rôliste, c’est un joli chiffre.
Quand tu as démarré la boîte, tu t’étais fait un plan de carrière jusque là ou tu t’étais dit « advienne que pourra, il est temps d’y aller » ?

Ma devise : “En avant et Loutre là !”

J’en rêvais depuis des années et puis ce fut plus fort que moi. J’ai tout lâché et je me suis lancé. Sans le soutien de Madame Loutre et de la famille, je n’aurais sûrement pas fait le grand saut au-dessus de la rivière.
J’ai dit adieu à l’Education Nationale, à mes élèves de maternelle et d’élémentaire et je me suis transformé en Loutre. Aucun regret.
Et puis on a tâtonné, fait des conventions, brisé un certain nombre de règles de-ci de-là et tout s’est enchaîné. Quand je me retourne, là, sur la butte qui domine la rivière, je vois le parcours et je me dis qu’il faudrait 1000 vies pour faire tout ce que j’ai fait depuis 2014.
Coup de bol, la Loutre est éternelle.
Et wif aussi.  

Tu pourrais nous en dire un peu plus sur la Loutre… Ce qui t’as motivé à passer le pas de l’édition, comment ça s’est goupillé et qu’est-ce qui fait qu’on arrive à durer envers et contre tout ?

Comme je l’ai dit, une envie de longue date. Et c’est comme si tout se goupillait naturellement. De toute manière, quelque chose me disait que je n’avais plus le choix. Intellectuellement, je ne trouvais plus de joie à aller bosser à l’école. Et puis le besoin de changer. Tout simplement.

Et pour arriver à durer ? C’est un secret. Mais je peux te dire que ce n’est absolument pas de tout repos !
D’ailleurs, je ne sais plus écrire les mots « saumeïl » ou « vakansses ». Tu vois, j’te l’avais dit !
Il faut être prêt à beaucoup de sacrifices. Gagner son poisson à la sueur de son pwal, c’est loutrement dur ! Wif !
En plus de mes activités éditoriales, je propose des animations de parties de jeux de rôle dans le Morbihan ou Bretagne proche de mon rayon d’action. Cela me permet de rencontrer pas mal de monde au niveau local, que ce soient des entreprises, des communautés de communes, des particuliers ou des associations.
De même, je propose depuis quelques mois tout un panel de prestations dédiées aux éditeurs étrangers et aux auteurs indépendants principalement. Parmi ces prestations, il y a, par exemple, la traduction, la mise en page et le conseil éditorial. Toutes les prestations sont listées ici (t’as vu comment j’renvoie vers mon site ?) 

La loutre étant un animal social, je suppose que tu n’agites pas tes seules petites papates dans la mare. Tu as des gens (enfin, des loutres) à nous présenter, qui travaillent avec toi ?

Madame Loutre, qui est incontournable (câlin) et un certain nombre de membres du Culte Secret de La Loutre Ancestrale. Mais si je te révèle leurs noms, je devrai te livrer aux pattes des castors (de vrais psychopapattes ces gars). Je viens de te donner le nom de cette organisation. Ah mince, pas de chance, je t’emmènerai voir les Castors tout à l’heure.

Bon, comme t’es sympa, je vais te présenter quand même quelques personnes vraiment importantes pour La Loutre Rôliste.

Il y a tout d’abord Olivier Raynaud (alias Koa) qui a réalisé les cartes et plans inédits pour la VF de P’TITS PIRATES et qui illustre, entre autre, aussi pour les z’amis du Scriptarium⁹ (Défis Fantastiques¹⁰). Pour tout dire, c’est aussi un ami et un voisin ! Se dire « Je passe en coup de vent chez lui » est existentiellement impossible. Prévoir la demi-journée !

Ensuite il y a Tania Sanchez-Fortun qui a travaillé sur la VF de STALKER¹¹. Elle a participé à bon nombre de jeux de rôle et fait vraiment des choses magnifiques. Elle apprécie tout particulièrement le post-apocalyptique.

N’oublions pas non plus Ben Le Puzzle, un relecteur attentif, sympa et un hôte de choix, qui a travaillé sur Chasseurs de Légendes¹². Oui, ok, c’est aussi un copain qui m’accueille quand je descends sur Périgueux ! Bonjour aux chats !

Et enfin, il y a les rôlistes de tout pwal qui nous ont soutenu et nous ont fait connaître, particulièrement ceux des fiefs du sud de la France qui nous ont accueilli en convention ! Tarbes, Bordeaux, Plaisance-du-Gers, Libourne et Périgueux (coucou mes canards !)

Du point de vue proposition, tu as démarré fort en éditant Blacksad¹³ en vf, traduction du jeu espagnol édité chez NoSoloRol Ediciones¹⁴, avec lesquels tu sembles entretenir une relation privilégiée (pour rappel, ils sont également en charge de Hitos¹⁵ et Petits Détectives de Monstres¹⁶, entre autre). Depuis, tu as élargi ton catalogue en t’attaquant cette fois à un jeu paru en anglais, bien que finlandais, à savoir Stalker (Grog D’argent 2022) et bientôt un retour à l’Espagne avec l’arrivée de La Porte d’Ishstar¹⁷.
Alors la loutre, c’est l’animal totem du pays de Cortés ou j’ai raté un truc ?

Non, pas un totem, mais c’est là où j’ai trouvé mes premiers coups de cœur et il est vrai qu’au niveau jeu de rôle, ils se sont très bien développés ces dix dernières années. Maintenant, le marché espagnol est aussi prolifique que le marché français. Et au passage, ils ont un petit plus qui change tout : le jeu de rôle y est reconnu d’utilité publique et les ministères dédiés à la jeunesse, l’éducation et au sport encouragent la pratique du jeu de rôle dans le cadre des enseignements.

Outre Nosolorol Ediciones, nous travaillons avec Guerra de Mitos¹⁸ (GDM) qui produit quelques jeux de rôle et surtout des jeux de plateau. C’est de chez GDM que vient P’TITS PIRATES (titre original « 8 tesoros »). L’auteur de P’TITS PIRATES, David Diaz, est un auteur prolifique, mais aussi un éducateur, animateur et intervenant dans le domaine du jeu de rôle pour enfants, qui est de plus en plus sollicité pour intervenir dans les conventions en Espagne.
Et comme tu vois, je suis allé faire un tour vers le nord, direction la Finlande, pour aller chercher Stalker. Après, j’irai où mes papattes et ma truffe me guideront. Tout ce que je peux te dire, c’est que la Loutre est internationale ! C’est la Loutreuuu finaleuuu…

Alors si je reprends, ce qui ressort des jeux que tu publies, ce sont deux grandes tendances… les jeux espagnols et les jeux destinés aux plus jeunes (voire, les jeux espagnols destinés aux plus jeunes). Comme on a évoqué la première catégorie juste avant, tu nous donnerais le pourquoi du comment de la seconde, avec Petits Détectives de Monstres et P’tits Pirates ?

On prend les bons jeux là où on les trouve. On a de l’anglais aujourd’hui (Stalker) et pour d’autres projets signés dont on ne peut pas parler encore. On cherche aussi dans d’autres langues.
Publier des jeux de rôle pour enfants a toujours été dans mes plans éditoriaux.
Chez La Loutre, nous avons dressé un constat à l’époque. Il n’y avait que peu de jeux pour enfants et ils avaient été écrits pour être maîtrisés par des adultes. Nous souhaitions des jeux familiaux où, après quelques parties, l’enfant puisse endosser le rôle du MJ.
Il y a eu donc Petits Détectives de Monstres, puis P’tits Pirates. Attendez-vous à de grosses surprises pour cette année, dès le mois de février !

Bon, attaquons plus avant le côté activité éditoriale. Être éditeur ce n’est pas juste poser des livres sur les rayons des boutiques, ça consiste en de nombreuses autres tâches, comme bien sûr, la traduction ou la mise en page, mais également des « petits » trucs du style gestion de projet, études de marché, communication… Justement, depuis peu tu proposes tes services en tant que consultant pour plusieurs de ces tâches (le détail par ici).
Qu’est-ce qui t’a motivé à élargir tes activités à la prestation de services ?

Une envie de faire d’autres choses, de varier encore un peu plus mes activités, d’un point de vue certes professionnel, mais aussi intellectuel. Il y a régulièrement des défis à relever et c’est motivant !

J’ai donc envie de me consacrer à d’autres défis, de permettre à d’autres projets de voir le jour (même si je n’en suis pas l’éditeur) en me consacrant exclusivement à la traduction par exemple. En bref, j’ai envie de permettre, en apportant mon expertise et mes compétences, à de beaux projets de voir le jour en version française.
Euh, j’ai réussi mon entretien d’embauche M’sieur Barthus ?

Revenons-en aux jeux à proprement parler.

Au-delà des deux aspects précédemment cités (à savoir, les jeux espagnols et les jeux pour les enfants), quelle est ta ligne directrice pour choisir d’ajouter tel ou tel titre au catalogue de la loutre ?
C’est au hasard des coups de cœur ou tu écumes activement les sorties internationales pour trouver des perles ?

– Tu crois qu’il nous a trouvé quoi cette fois ?
– Je ne sais pas, mais vu comme il regarde Madagascar, on a intérêt à se mettre au malgache fissa »

Si je devais définir une ligne éditoriale, cela me serait difficile. Je suis assez éclectique de ce côté-là. Je fonctionne donc effectivement au coup de cœur. Il faut que ça me prenne aux tripes et au pwal, que ça me porte. Sinon je n’arriverai pas à travailler correctement dessus. Je ne peux proposer quelque chose qui ne me fait pas vibrer.

Après la sélection par coups de cœur, j’ai des critères d’évaluation (ancien prof, forcément) précis qui se sont affinés au fil du temps par rapport à mon expérience de MJ, de joueur et d’éditeur.

J’ai été surpris il y a quelques mois, de constater qu’à l’opposé de la tendance actuelle, tu baissais les prix de plusieurs de tes jeux (Hitos et son écran, Dreamraiders¹⁹…).
Sur le coup je me suis dit « mais mais mais, ce n’est pas possible, il mâchouille lui-même son papier ?!? »…
Tu nous expliquerais un peu comment la crise actuelle impacte ton activité et ton choix de baisser tes prix ?

J’ai essayé de manger le papier. Pas bon. Wif !

En réalité, comme les livres en stock des deux gammes HITOS et DREAMRAIDERS avaient plus de deux ans, je me suis dit que vu la situation, il serait bienvenu de baisser un peu les prix et de les rendre plus accessibles.

Par contre, il est vrai que l’augmentation des coûts des matières premières nous impose aujourd’hui d’augmenter les prix de nos nouvelles parutions.

Hé, mais au fait… La Loutre Rôliste ?!?

La Loutre Rôliste est née alors que je cherchais un nom pour la société. Un matin, au café, ça s’est imposé. Deux minutes plus tard, je jouais avec des cailloux (des dés en fait, pour nous les Loutres) au bord de la rivière… J’étais devenu une Loutre-Garou… euh, une Loutre Rôliste !

Et par un beau matin… Tadaaaaa !

Si je récapitule, pour l’instant la Loutre, c’est Blacksad, Hitos (et associés), Dreamraiders, Petits Détectives de Monstres, Stalker, P’tits Pirates et La Porte d’Ishtar (à paraître en avril 2023) c’est un fort beau catalogue en l’état, mais mon petit doigt me dit que tu ne comptes pas en rester là. Tu nous ferais un petit teasing des parutions à venir (prévues officiellement ou même rêvées) ?

C’était Blacksad. La gamme s’est arrêtée fin novembre 2022. Au revoir petit chat !

Autrement, La Porte d’Ishtar parait en avril 2023 avec le livre de base, l’écran du meneur et la première aventure imprimée Beauté de Marbre. Les autres suppléments (aventures et aides de jeu) sortiront en PDF et ce, progressivement dans l’année. Sinon, il y aura bientôt des annonces qui vont vous ravir. Mais je ne peux en dire plus, car les Castors nous observent et nous écoutent. *Pfuuu Pfuuu* C’est bon, je les ai éliminés, on peut parler.

Alors, au programme…

Nous avons en stock pas mal de choses loutrement intéressantes. Chez La Loutre Rôliste, on s’est démenés pendant tout 2021 et 2022, un peu partout dans le monde, pour dénicher des pépites.

Nous avons plusieurs jeux de rôles pour enfants, un recueil de scénarios inédits pour Stalker, la mise en ligne du système MOTEUR DES EMOTIONS (celui de La Porte d’Ishtar) sous Creative Commons et d’autres projets qui sont en cours de préparation/négociation/loutrisation.

Et voici venir la fin de cet entretien… Si tu as des choses à ajouter, n’hésite surtout pas tu as carte blanche…

Oui, j’ai un truc un dire, très très important !

La Porte d’Ishtar parait en avril et pour le coup, il y a un LATE PLEDGE – LA PORTE D’ISHTAR sur ULULE pour permettre aux rôlistes de se procurer tout ou partie de la gamme à des prix très avantageux et avec plein de bonus (PDF offerts et débloqués), avant augmentation des prix (merci la hausse des coûts d’impression).

Les nouveaux contributeurs bénéficieront, en plus de ce qui sera obtenu pendant le Late Pledge, de TOUT ce qui a été débloqué auparavant et les contributeurs de la première campagne de financement Ulule bénéficieront, s’ils y ont droit, de TOUT ce qui sera débloqué ! Donc foncez les gens, c’est jusqu’au 27 janvier à minuit !

Et voilà, vous savez tout sur la loutre… alors, n’hésitez pas à venir patauger dans la mare, il y a de quoi s’amuser un bon moment en fouillant un peu le catalogue. Concernant la Porte d’Ishtar, il vous reste jusqu’à la fin de la semaine pour rejoindre le Late Pledge.
J’ai de mon côté lu le pdf et ma foi, c’est plutôt chouette (avec une mention spéciale pour la création de perso, qui vous permet enfin de gérer la génèse du groupe de personnages en session 0) et donne plein d’idées de parties en quelques lignes.
Merci Christophe pour cet entretien en plein rush de financement et à très bientôt pour de nouveaux jeux loutrement biens.

Propos de Christophe Dénouveaux recueuillis par David Barthélémy

Notes et Références :

¹ Black Book Editions
² Wizards of the Coast
³ Necrotic Gnome
Antre-Monde Editions
Lapin Marteau
Les livres de l’Ours
La Loutre Rôliste
Christophe Dénouveaux
Scriptarium
¹⁰ Défis Fantastiques
¹¹ Stalker
¹² Chasseurs de Légendes
¹³ Blacksad
¹⁴ NoSoloRol Ediciones
¹⁵ Hitos
¹⁶ Petits Détectives de Monstres
¹⁷ La Porte d’Ishtar
¹⁸ Guerra de Mitos
¹⁹ Dreamraiders

Notes et Références :

Avant la sortie

Entretien avec Frédéric BESSY autour de Yuigahama Bad Seeds aux Éditions du Troisième Oeil

C’est toujours avec une certaine émotion que je vois débarquer un nouveau jeu chez LETO1, les propositions étant en général aussi fortes que variées. Que l’on adhère ou non aux jeux en question, on ne pourra certainement pas reprocher à cet éditeur de ne pas prendre de risques en s’aventurant régulièrement là où bien peu osent aller (entre Cobra2, Kabbale3, One %4 ou Against the Dark Master5, mon cœur balance) dans notre petit paysage ludique.

Et ouais, quand on parle de propositions variées, LETO n’est jamais bien loin

Le dernier né, Yuigahama Bad Seeds ne déroge pas à cette règle tacite de surprendre les clients, tant par son univers, que par sa prise en main aux antipodes de AtDM (au hasard), ainsi que par sa méthode de financement.
En effet, le projet est prêt, et alors que la campagne court toujours, les heureux souscripteurs tiennent déjà entre leurs petites mains fébriles (et virtuelles) les pdf du livre de base ainsi que de l’écran de jeu.

Yum yum yum

Après avoir lu la bête (je confesse toutefois n’avoir pas encore finit de lire les scenarios), c’est, comme bien souvent, séduit par ce jeu, que je me suis dit qu’un entretien avec son auteur pourrait être le bienvenu et permettre à celles et ceux dont il serait passé sous le radar, de rejoindre le bateau avant clôture du financement (courant janvier, à priori). Aussi, sans plus attendre et sous vos applaudissements mesdames et messieurs, voici venir Frédéric Bessy, l’heureux papa de YBS.

Bonjour Frédéric, et merci de prendre un peu de ton temps, en dépit du décalage horaire, pour répondre à mes quelques questions.
Décalage horaire me direz-vous ? Hé bien oui, car notre auteur pourrait bien être plus proche du monde qu’il nous dépeint dans son jeu que de la tour Eiffel.
Frédéric, tu pourrais nous en dire un petit peu plus sur toi et la manière dont ton mode de vie a pu influencer ton jeu ?

Merci pour ton invitation !
Je nous imagine dans un petit café, à mi-chemin entre la France et le Japon. Je suis content de pouvoir faire ta rencontre et de parler un peu du jeu.
Ce qui a motivé la création de Yuigahama Bad Seeds dans les premiers temps n’est pas vraiment glamour. C’est un jeu qui est né d’un sentiment de frustration.
Je travaille dans une entreprise de jeux vidéo en tant que graphiste 3D.
Quand j’ai intégré cette entreprise basée à Tsukishima (Tokyo), c’était une boîte faisant de l’originalité de ses concepts de jeu son principal argument de vente.

Tsukishima


Au fil du temps, nous sommes devenus des sous-traitants pour d’autres développeurs. Nous leur apportons notre expertise technique pour mettre en valeur leurs concepts.
C’est une formule qui fonctionne, car l’entreprise perdure, bon an mal an. Mais tout un pan du travail basé sur la créativité est à présent atrophié.
Beaucoup de gens me disent que travailler dans ce type d’entreprise est en soi un accomplissement.
C’est vrai.
Je ne me plains pas ni même regrette les choix qui m’ont conduit à travailler ici.
Par contre, il y a des choses que l’on découvre en interne comme une forme de conformisme, de conservatisme et d’attentisme (les trois « ismes » !) contre lesquels on laisse énormément d’énergie.
En 2020, après avoir proposé une dizaine de projets de jeux (je ne me contente pas du travail de graphiste), je me rends compte que je suis dans une impasse. YBS va naître progressivement de ce sentiment de gâchis.
En dehors du travail, le Japon est une source perpétuelle d’étonnement. J’y retrouve mes yeux d’enfant. Encore aujourd’hui après 15 ans, tout m’y semble étrange ; comme cette structure bétonnée aperçue au loin sur une plage vendéenne qui devenait pour le petit garçon que j’étais un artefact venu d’ailleurs (syndrome de Stendhal, quand tu nous tiens !).

Ton parti pris avec YBS est de nous présenter un Japon moderne réaliste (certes chamboulé par des événements apportant une touche de fantastique), par opposition avec les multiples ambiances que l’on nous vend généralement au travers des mangas et autres animés. Tu en avais marre des images d’Epinal ?

La démarche à ce niveau n’est pas vraiment consciente (du moins au départ).
Le jeu n’est pas bâti contre quelque chose. Disons que je souhaitais baser cette création sur un environnement qui m’est familier.
Les mangas forcent souvent le trait quant aux personnages et aux univers choisis comme matériau de base. Il existe bien sûr une branche de la famille manga qui propose de suivre la vie quotidienne assez banale de l’homme de la rue (je pense à le gourmet solitaire6).
Mais en général les thèmes choisis sont traités avec beaucoup de dynamisme et mettent en scène des personnages très typés (là où le japonais réel est plutôt réservé et silencieux).
Beaucoup de ces mangas et animes se servent de choses qui relèvent du fantasme ; y sont présentés des personnages héroïques incarnant une image flatteuse du Japon.
Le gars qui en prend plein la gueule, et qui est battu à la dernière seconde, mais reste fidèle à ses convictions.
Contrairement aux États-Unis, le Japon n’est pas un bon creuset pour le « happy-end ».
Mais je m’égare.
Ce Japon magnifié des mangas n’est pas celui que je voulais mettre en avant.

Bienvenu au Japon Japon

Le Japon des villes de seconde zone est suffisamment curieux et intriguant pour nous occidentaux, sans qu’il soit nécessaire de recourir à ce que contient la culture anime-manga.
Il suffit de voir les ustensiles de cuisine japonais pour comprendre que l’esprit des habitants est tout différent du nôtre.
L’aventure nous attend là, dans le golfe de Sagami, tel qu’il est en réalité (ou presque).

YBS est donc ton premier jeu publié… pour autant, en qualité d’auteur, tu n’en es pas à tes débuts. Qu’est-ce que tu as dû revoir ou ajuster dans ta manière d’écrire pour opérer la transition entre une écriture romancée et une création interactive destinée à être pratiquée par d’autres ?

Ce travail d’écriture a été un sacré défi.
Oui, c’est un exercice bien différent de ce que j’ai pratiqué jusque-là.
Les trois premiers galops d’essai ont été l’occasion de se rendre compte d’une chose qui tombe sous le sens :
Ce qui est évident pour l’auteur ne l’est pas forcément pour le lecteur.
La réalisation de la bande dessinée est peut-être ce qui a été le plus formateur ; parce que le nombre de pages est limité (il faut jeter pour conserver le meilleur plutôt qu’ajouter) et qu’il faut apprendre à varier angles et points de vue pour aspirer le lecteur dans l’histoire tout en évitant qu’il ne s’y lasse.
Cette BD n’est pas une réussite bien qu’elle se tienne, mais elle m’a permis de toucher du doigt toute l’importance du rythme dans un récit.
Ce que j’ai dû changer dans ma méthode de travail pour YBS ?
Il m’a fallu d’abord freiner mes ardeurs, faire preuve de patience et me méfier de mes propres intuitions.
Pour ça Aurélien m’a bien aidé en m’enjoignant à temporiser et à ne pas me lancer immédiatement dans l’écriture.
Pendant longtemps ça a été une bataille avec des schémas et croquis organisationnels, puis tout a commencé à se décanter.
J’ai malgré tout pris quelques risques en écrivant une partie des scénarios sans être certain de retomber sur mes pattes. Dans le cas d’un roman, l’ossature du récit peut être mise en place assez rapidement et être étoffée ensuite.
Là, il s’agissait quand même d’une saga étalée sur douze mois, censée présenter divers points de vue sur les événements qui perturbent la ville.
Il fallait garder une cohérence au fil des 12 nouvelles tout en variant les points de vue.
Faire écrire chaque nouvelle par une personne différente aurait été l’idéal pour montrer l’action passée au filtre de divers individus ; le ressenti de chaque acteur de cette épopée sous-tend la thématique de « théorie du complot ».
Où se trouve la vérité dans tous ces témoignages ?
Pour que la forme suive le fond, il m’a fallu, autant que faire se peut, varier les styles comme s’il s’agissait d’une compilation de nouvelles rédigées par différentes personnes.
Ensuite, le gros défi a été de dépeindre un univers qui soit intelligible par le lecteur en un nombre limité de pages, en partant du principe qu’il ne connaît pas ou peu le Japon et réussir à maintenir des zones d’ombre pour titiller sa curiosité et le pousser à investir ce qui reste volontairement non défini.

Et au fait, ton rapport au jeu de rôle, il consiste en quoi ?
Vivant au Japon depuis une paires d’années, tu vois de grandes différences entre la pratique que l’on peut en avoir entre « occidentaux » et ce qui se fait là-bas ?

J’ai relativement peu d’éléments pour comparer les deux cultures de jeu.
Mes dernières parties de jeu de rôle en France remontent à la période étudiante. J’en garde malgré tout un souvenir assez précis. C’étaient des parties de Donjons & Dragons.
Ces trois dernières années, je n’ai joué que trois parties de Cthulhu7 menées par ma collègue de travail Tadokoro Mana. Je discute souvent avec elle de la scène rôliste au Japon.
Sa préférence va aux sessions en mode analogue, face à face.
Mais elle joue énormément en ligne (Corona oblige). D’après elle, c’est le jeu par le biais d’interfaces qui a le plus de succès.
Les Japonais remettent tout à leur sauce.
Je pense que les couvertures de manuels ou de recueils de scénarios pour Cthulhu ont de quoi faire sourire. Pas sûr que Lovecraft aurait apprécié !

J’ai l’impression que les joueurs japonais ne rechignent pas à utiliser les termes techniques du système en cours de partie.
Moi, ça me fait sortir de l’histoire… Encore une fois, je n’ai pas assez de bouteille pour dégager une différence évidente entre les deux cultures. Toutefois, le compte-rendu de partie en mode roman (replay) semble avoir beaucoup de succès pour son côté immersif.

Bien, rentrons un peu plus avant dans YBS… Le jeu est donc actuellement en financement sur le site de LETO, mais pour autant, il est prêt. Ça représente quoi en terme de durée la création de cet univers (car, rappelons-le tu es aussi bien aux textes qu’aux illustrations ou encore à la maquette, avec Julien Dejaeger8 à tes côtés) ?

La rédaction de Yuigahama Bad Seeds a débuté après octobre 2020 (date de la première visite à Yuigahama). Pendant un peu plus d’un an, Aurélien m’a épaulé après que je lui ai présenté l’ébauche du projet.
À cette époque, la maquette que j’ai bricolée avec le logiciel gratuit Scribus n’est encore composée que de 150 pages et ne contient que la première nouvelle.
Le tout est encore brouillon, avec certains chapitres pas positionnés de manière très logique.
Aurélien m’a aidé à réorganiser le tout et à remettre d’aplomb pas mal de choses bancales.
On a dû échanger pas moins de 400 mails en un an. Un travail de fou !
Aurélien a fait tout ça totalement bénévolement.
Sans lui, j’aurais jeté l’éponge un bon nombre de fois.
Quand on a obtenu quelque chose de correct, j’ai commencé à démarcher des éditeurs et fini par faire la connaissance de Laurent Rambour9 et Jérôme Isnard10 de chez LETO.
Jérôme a pris le relai d’Aurélien et fait un travail formidable pour que l’on assume plus franchement certains aspects du jeu.
Tout comme avec Aurélien, ça a été une longue partie de ping-pong, un échange très agréable et sans concession sur la qualité, pendant lequel les idées jaillissaient.
Julien Dejaeger a gentiment accepté beaucoup de mes caprices pendant la finalisation de la maquette et trouvé plein de solutions à des problèmes de mise en page.
Pendant plus de deux ans, j’ai mis ma vie privée entre parenthèses pour écrire et illustrer le manuel, le soir après le labeur chez mon employeur.
Je pense qu’Aurélien, Jérôme et Laurent ont également fait de gros sacrifices. Merci à eux !

Pour ce qui est du système de jeu, tu as bossé avec Aurélien Trotignon11, et vous nous avez trouvé une approche assez légère des mécaniques régissant YBS.
En général dans le milieu du jeu de rôle, on distingue deux grandes écoles… 
1 : Tu prends Chtulhu et tu adaptes
2 : System does matter
Personnellement, j’appartiens à la deuxième école et trouve important qu’un système, en tant qu’interface principale entre joueurs et univers, vienne soutenir le propos du jeu. 
J’ai bien l’impression que c’est le cas ici, aussi je te pose directement la question.
Qu’est-ce que vous avez tenu à mettre en avant au travers des mécaniques et comment vous vous y êtes pris ?

Tu prends Cthulhu et tu adaptes…? Ouais, mais là non !

Le point le plus important pour nous a été de préserver une certaine fluidité dans les échanges MJ – Joueuses / Joueurs.
Le système est un support pour des interactions entre les PJ et les éléments antagonistes. Mais il a été pensé pour s’effacer autant que possible devant la narration.
Il y a un plaisir dans YBS à manier les dés et à essayer de trouver la meilleure occasion pour utiliser les jetons « Unmei ». Ce couplage dés-jetons offre des possibilités au joueur pour faire levier sur le déroulement du récit et parfois même prendre la parole à la place du MJ.
C’est un système qui peut paraître simpliste au premier regard, mais qui laisse en réalité au joueur la liberté de mettre en place certaines stratégies ; accepter ses ratages de test et conserver ses jetons Unmei pour frapper un grand coup plus tard ou au contraire forcer le destin en puisant dans sa réserve de jetons.
Assister un joueur acteur en acceptant de se délester de sa réserve de jetons ou thésauriser pour venir en aide aux autres à un moment crucial.
Ce type de pari que les Japonais appellent « Kakehiki » n’est pas compliqué à assimiler, car il repose sur des règles simples. Il permet aussi de matérialiser l’entraide entre joueurs.
L’intérêt n’est pas d’amasser le plus de pièces d’or possible pour gagner des niveaux, mais d’utiliser intelligemment les jetons pour parvenir à ses fins.
Pas de comptes d’apothicaire ou de ralentissement subit du temps pour simuler les combats : priorité à la rapidité des résolutions et au plaisir de tisser la trame du récit ensemble.

Énormément de jeux qui sortent (encore actuellement), optent pour un cadre très large dans les possibilités qu’il offre aux joueurs (le fameux « vous pouvez tout jouer »), et bien souvent hélas, une fois qu’on nous as dit ça, c’est « débrouillez-vous, nous on a fait notre boulot ».
Avec YBS, les possibilités sont certes nombreuses (nous y reviendrons), mais néanmoins viennent avec le jeu pas moins de 12 scénarios, étalés sur les 12 mois d’une année. 
Tu nous expliquerais un peu plus avant ton choix de format pour ces scénarios ?

Yuigahama est un cadre pour jeu de rôle, tout ce qu’il y a de plus étroit.
Si l’on ne compte que les quartiers habités, la surface n’atteint même pas le kilomètre carré !
La population est grosso-modo de 5000 personnes (sans doute beaucoup plus l’été) ; c’est un petit village.
Ce qui fait la richesse de ce jeu et son potentiel, c’est l’éventail de possibilités très large de ce qui se produit sur ce petit terrain.
C’est l’endroit idéal pour mettre en scène cette société village qui caractérise si bien le Japon hors mégalopole.

Chacun y est très soucieux de ce que pense le voisin ; on s’épie en se faisant des courbettes, on se jauge. Les gens se connaissent plus ou moins de vue. Les rumeurs circulent (vous n’imaginez pas le nombre de proverbes en japonais concernant le mot « rumeur »).
Le manuel laisse effectivement beaucoup de liberté pour mettre en scène ce qui se déroule en ville, mais est suffisamment documenté pour planter efficacement le décor.
Les joueuses / joueurs ayant lu sérieusement le setting, quel que soit le choix de leur personnage ne seront pas perdus.
Les 12 scénarios sont effectivement en eux-mêmes un guide pour comprendre une certaine « japonité ».
En filigrane se ressent l’esprit japonais, un curieux mélange de résilience et de fatalisme.
L’épopée étalée sur 12 mois permet également de cerner ce qui rythme la vie du peuple japonais, son sens de l’honneur, une certaine propension à réagir de manière extrême sous la pression.
Les Japonais s’émerveillent devant les transformations qu’apportent les changements de saison.
Un récit sur un an montrant ce qui peut arriver quand ce rythme se dérègle me paraît être la meilleure formule pour mettre à profit tout le potentiel de la ville.

Généralement, quand un jeu est livré avec autant de matériel de jeu, on n’est pas loin du burst, c’est à dire plus ou moins une campagne/jeu à usage unique, qui une fois jouée, aura fait le tour des points forts du jeu (et de son intérêt).
Est-ce que c’est ce que vous avez mis en place ici, ou est-ce que c’est un peu plus compliqué que ça ?

Je pense que c’est un peu plus compliqué que ça.
Mais ça dépendra beaucoup de l’inventivité du MJ et des participants.
Si le jeu est joué en campagne, il y a bien une chute lors du dernier opus.
En révéler la nature gâcherait le plaisir de jouer.
Ce que je peux dire, c’est qu’un effort a été fait pour augmenter sensiblement la durée de vie du jeu au-delà des 12 mois de scénarios.
On peut clairement continuer à jouer à YBS une fois la campagne terminée.
Il y a tant à exploiter dans cette ville, sans compter sur ce que chaque table de jeu va inventer !

Quand on lit le jeu, on s’aperçoit qu’au delà d’un cadre de jeu bien défini (pour rappel, une station balnéaire japonaise qui se remet d’une « catastrophe écologique » étrange et vit plus ou moins coupée du reste du monde), une très grande liberté est laissée aux maîtres de jeu quant aux explications derrière la situation, ce qui fait qu’il y a très peu de chances que deux tables de YBS se ressemblent à l’arrivée. 
C’est un choix de game design assez fort et qui pourra laisser certains utilisateurs perplexes (Comment !?! Un jeu à secrets sans les secrets ?!?)…
Vous en êtes venus comment à choisir cette approche ?

Mais puisqu’on te dit que le Japon ne se résume pas à Akira ou One Piece… il y a aussi les stations balnéaires.

Ce point divise pas mal de monde.
Je ne regrette pas ce choix de laisser les coudées franches au MJ pour développer ce qui lui plait à lui et à sa table (je ne nie pas que ça demande un peu plus de travail).
Il est libre de faire des arrangements, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait aucun élément de réponse aux mystères dans le manuel. Les choses y sont suggérées plus qu’imposées.
Il est tout à fait possible de jouer la campagne telle qu’elle est sans opérer de grands changements.
Comment est-il possible de laisser traîner le mystère si longtemps sans en révéler un « gros morceau » ?
Tout est une question de dosage dans la manière de présenter les indices.
Il faut se souvenir que les PJ évoluent dans une ville où tout commence à dysfonctionner.
C’est une petite bourgade sans gros laboratoire d’analyse. Les preuves trouvées sont difficiles à interpréter ; on joue des gens « normaux », pas des scientifiques capables de passer au crible tout ce qui traîne sur le terrain.
Par ailleurs, je trouverais dommage de graver dans le marbre tout ce qui sous-tend les intrigues dans YBS.
Ce serait juguler d’entrée de jeu l’inventivité du MJ ; qui connaissant les tenants et les aboutissants guiderait inconsciemment les participants vers un but trop défini.
Savoir ce qui se passe réellement est-il le seul point important de ce jeu ?
Offrir aux participants quelques éléments de réponse aux mystères est nécessaire pour maintenir leur motivation.
Mais ce n’est pas l’unique centre d’intérêt de YBS.
Comment évoluer dans un tel environnement ?
Comment faire la part des choses avec toutes ces rumeurs ?
Comment défendre ses intérêts quand la tension est à son comble et que chacun tente de tirer la couverture à soi?
Les scénarios offrent bien d’autres plaisirs que la seule élucidation de mystères.
Oui, à chaque table, un déroulé de partie différent !
Vive Raymond Queneau12 et ses Exercices de styles !

ce livre est magique… si vous ne l’avez jamais lu, jetez vous dessus !

Avec LETO, vous avez fait le choix de diffuser le pdf du jeu auprès des souscripteurs durant le financement du jeu, et ce quelque soit le résultat de ce dernier.
À mon sens, c’est très chouette, car ainsi, quoiqu’il advienne, le jeu pourra vivre…
Toutefois, il y a un petit effet de bord à agir ainsi, qui est que « tout le monde » va vouloir y aller de son conseil « bienveillant » par rapport à ce que « pourrait encore devenir le jeu » (non ma bonne dame, les rôlistes ne sont bien sûr ni pointilleux, ni des créatures d’habitudes à la dent dure persuadées d’être individuellement universelles en matière de bon goût 😅).
Par conséquent, vous gérez comment les différents retours que vous avez sur le jeu (autant toi que tes collègues et éditeurs), et (question à tiroirs) comment on s’y prend pour porter sa vision d’auteur envers et contre tous (ou pas) ?

J’avoue que c’est un des aspects de la campagne auquel je ne m’attendais pas.
Qu’il y ait des difficultés à convaincre quand on est inconnu et qu’on propose un jeu au format et au thème inhabituel, ça n’a rien de surprenant.
En revanche, certains retours en pleine campagne de financement ont bien failli me désarçonner.
Quand on a couvé son bébé pendant longtemps, et que quelqu’un dit soudain « Il serait mieux avec les cheveux roses » ou « Je n’aime pas son nom », c’est parfois dur à encaisser.
Mais à présent, je pense que c’est une occasion de tester ses propres convictions.
Est-ce qu’on garde le cap ou est-ce qu’on lâche du lest face à la critique ?
Comme pour le rugby (que j’adore) ; comment savoir ce qu’on vaut si on évite d’aller au contact ?
C’est sans doute ça de plonger dans le grand bain. On prend des coups, c’est formateur.
Par ailleurs, il y a parfois des retours constructifs.
Des choses auxquelles on n’avait pas pensé parce que trop occupé à pédaler la tête dans le guidon.
Par chance, la plupart du temps ce ne sont pas des suggestions qui, si elles étaient intégrées, dénatureraient l’esprit du jeu.
La gestion de ces retours est assez simple.
Spontanément, une liste des doléances a été créée (merci Aurélien).
Tout est stocké et étudié au cas par cas. On en débat quand il s’agit de micro réglages qui n’impliquent pas une refonte totale de l’ouvrage et quand ces suggestions paraissent en accord avec l’esprit du jeu.
Je me permets pour ma part de dire non, quand par exemple quelqu’un demande à ce que le système soit complexifié pour correspondre un peu plus à ce qu’il connaît.
Il n’y a pas d’intérêt à produire le clone de jeux déjà existants. YBS a son propre ADN ; d’après Eldon Tyrell13, reconfigurer brutalement cet ADN pourrait amener la mort du sujet avant même qu’il ne quitte la table d’opération.
Des réglages sur l’ergonomie, oui. Une chirurgie plastique lourde, non 😊

Alors comme ça, tu veux qu’on change les règles ?

Enfin, si tu vois quelque chose à ajouter, fais-toi plaisir, la place est à toi.

C’est probablement un vœu pieux (pieu de bois, dégâts +2), mais j’aimerais que le jeu de rôle se démocratise un peu plus.
Pas pour la gloriole ou l’argent.
Plutôt parce que c’est un média que je trouve passionnant.
Faire travailler l’imaginaire, assouvir des rêves sous la forme du jdr, c’est quelque chose à laquelle chacun devrait pouvoir goûter.
Je pense qu’en temps de crise, c’est à l’industrie du jdr de redéfinir ses propres limites, et pourquoi pas, de partir à l’assaut d’un nouveau public.
YBS est une création hybride conçue pour être abordable par tout type de lecteur (son format, le choix du système basé sur le dé six, son aspect “carnet de voyage”). J’espère que, même à petite échelle, elle permettra de faire découvrir le jeu de rôle à des personnes ignorant tout de ce domaine.
YBS est considéré pour le moment comme un jeu de niche.

Allé, venez les gens, ça va être fun

J’espère qu’il séduira au contraire des joueurs de tout acabit.
Redéfinir les limites…
Pour faire un parallèle avec le domaine du jeu vidéo au Japon : les développeurs ont longtemps misé sur les jeux sur smartphone facilement monétisables pour jouir d’un profit rapide auprès d’un public large.
Mais avec leurs jeux simplistes, ils ont eux-mêmes fait du consommateur un joueur capricieux qui se lasse très vite (je ne dis pas qu’il faille revenir au jeu sans sauvegarde, mais…).
Je pense que le jeu de rôle souffre du phénomène inverse.
Les jeux proposés sont de qualité, mais s’adressent à un public d’initiés. 
Conquérir un nouveau public et proposer de nouvelles formules de jdr est un pari audacieux et risqué.
Pour cette raison, j’ai beaucoup de respect pour Laurent Rambour qui a misé sur le jeu d’un inconnu et tenté de proposer une expérience différente, à 500 coudées du « mainstream ».

Mainstream ou pas, simple ou pas, fictif ou réaliste, le jeu de rôle nous prouve ici une fois de plus qu’il peut revétir énormément d’aspects différents et que de nos jours, absolument tout le monde peut trouver jeu à son pied (enfin…).
Je remercie Frédéric pour le temps qu’il a consacré à répondre à mes questions, entre travail, financement participatif qui bat son plein, re travail et fêtes de fin d’année, ce n’était pas forcément le moment le plus propice à se poser une heure pour satisfaire la curiosité d’un rôliste bavard.
Je ne peux que vous encourager à aller jeter un oeil sur la page du financement de Yuigahama Bad Seeds, si ce n’est déjà fait, afin de vous faire votre propre idée sur le jeu, pour ma part, j’adore ce que j’en ai lu.
Sur ces bonnes paroles, je vais filer finir la lecture des 12 nouvelles qui constituent la campagne du livre de base (et si possible faire tester le jeu à mes cobayes habituels)
afin de vous faire un retour avant la fin de la souscription.
Mata aimashō.

En bonus, le lien vers le fichier pdf présentant 29 pages du jeu

Propos de Frédéric BESSY recueillis par David BARTHELEMY

Notes et Références :

1 LETO Games
2 Cobra
3 Kabbale
4 One %
5 Against the Dark Master
6 Le gourmet solitaire
7 Cthulhu (l’appel de)
8 Julien Dejaeger
9 Laurent rambour
10 Jérôme Isnard
11 Aurélien Trotignon (entretien sur la chaîne Vieux Geeks)
12 Raymond Queneau
13 Eldon Tyrell