Focus

Entretien avec Christophe Dénouveaux autour des éditions de La Loutre Rôliste

Qui dit jeu de rôle dis généralement Dragons, Orcs, Gobelins et autres Liches, voire Licornes.
Traditionellement donc, lorsque l’on évoque le sujet, on se place plutôt d’emblée dans un univers médiéval fantastique, avec toute son imagerie et ensuite, en creusant un peu, on s’aperçoit que finalement tous les genres y sont représentés :
Horreur, S-F, Drama, Comédie, Historique, Uchronique, Action, … tout y passe.
Bien souvent, les noms des différentes maisons d’édition sont apparentés plus ou moins directement au champs lexical de l’un des genres évoqués plus haut… Black Book¹, Wizards of the Coast², Necrotic Gnome³, Antre-Monde⁴, … et j’en passe.
Au milieux de tout cela, nous croisons toutefois occasionnellement quelques ovnis au positionnement un peu moins clair pour la clientèle, portant le genre animalier pour étendard : Lapin Marteau⁵, Les Livres de l’Ours⁶, et surtout, celui qui nous occupe aujourd’hui, La Loutre Rôliste⁷.
Mais quoi qu’est-ce ? Et qu’est-ce qui anime l’éditeur derrière ce mystérieux (mais néanmoins sympathique) intitulé ?
Sans plus attendre, allons poser nos questions à Christophe Dénouveaux⁸, la loutre en chef, afin de tirer tout ceci au clair.

Salut Christophe.
Déjà, je vais commencer en te souhaitant un joyeux anniversaire. Huit ans dans le monde de l’édition avec La Loutre Rôliste, c’est un joli chiffre.
Quand tu as démarré la boîte, tu t’étais fait un plan de carrière jusque là ou tu t’étais dit « advienne que pourra, il est temps d’y aller » ?

Ma devise : “En avant et Loutre là !”

J’en rêvais depuis des années et puis ce fut plus fort que moi. J’ai tout lâché et je me suis lancé. Sans le soutien de Madame Loutre et de la famille, je n’aurais sûrement pas fait le grand saut au-dessus de la rivière.
J’ai dit adieu à l’Education Nationale, à mes élèves de maternelle et d’élémentaire et je me suis transformé en Loutre. Aucun regret.
Et puis on a tâtonné, fait des conventions, brisé un certain nombre de règles de-ci de-là et tout s’est enchaîné. Quand je me retourne, là, sur la butte qui domine la rivière, je vois le parcours et je me dis qu’il faudrait 1000 vies pour faire tout ce que j’ai fait depuis 2014.
Coup de bol, la Loutre est éternelle.
Et wif aussi.  

Tu pourrais nous en dire un peu plus sur la Loutre… Ce qui t’as motivé à passer le pas de l’édition, comment ça s’est goupillé et qu’est-ce qui fait qu’on arrive à durer envers et contre tout ?

Comme je l’ai dit, une envie de longue date. Et c’est comme si tout se goupillait naturellement. De toute manière, quelque chose me disait que je n’avais plus le choix. Intellectuellement, je ne trouvais plus de joie à aller bosser à l’école. Et puis le besoin de changer. Tout simplement.

Et pour arriver à durer ? C’est un secret. Mais je peux te dire que ce n’est absolument pas de tout repos !
D’ailleurs, je ne sais plus écrire les mots « saumeïl » ou « vakansses ». Tu vois, j’te l’avais dit !
Il faut être prêt à beaucoup de sacrifices. Gagner son poisson à la sueur de son pwal, c’est loutrement dur ! Wif !
En plus de mes activités éditoriales, je propose des animations de parties de jeux de rôle dans le Morbihan ou Bretagne proche de mon rayon d’action. Cela me permet de rencontrer pas mal de monde au niveau local, que ce soient des entreprises, des communautés de communes, des particuliers ou des associations.
De même, je propose depuis quelques mois tout un panel de prestations dédiées aux éditeurs étrangers et aux auteurs indépendants principalement. Parmi ces prestations, il y a, par exemple, la traduction, la mise en page et le conseil éditorial. Toutes les prestations sont listées ici (t’as vu comment j’renvoie vers mon site ?) 

La loutre étant un animal social, je suppose que tu n’agites pas tes seules petites papates dans la mare. Tu as des gens (enfin, des loutres) à nous présenter, qui travaillent avec toi ?

Madame Loutre, qui est incontournable (câlin) et un certain nombre de membres du Culte Secret de La Loutre Ancestrale. Mais si je te révèle leurs noms, je devrai te livrer aux pattes des castors (de vrais psychopapattes ces gars). Je viens de te donner le nom de cette organisation. Ah mince, pas de chance, je t’emmènerai voir les Castors tout à l’heure.

Bon, comme t’es sympa, je vais te présenter quand même quelques personnes vraiment importantes pour La Loutre Rôliste.

Il y a tout d’abord Olivier Raynaud (alias Koa) qui a réalisé les cartes et plans inédits pour la VF de P’TITS PIRATES et qui illustre, entre autre, aussi pour les z’amis du Scriptarium⁹ (Défis Fantastiques¹⁰). Pour tout dire, c’est aussi un ami et un voisin ! Se dire « Je passe en coup de vent chez lui » est existentiellement impossible. Prévoir la demi-journée !

Ensuite il y a Tania Sanchez-Fortun qui a travaillé sur la VF de STALKER¹¹. Elle a participé à bon nombre de jeux de rôle et fait vraiment des choses magnifiques. Elle apprécie tout particulièrement le post-apocalyptique.

N’oublions pas non plus Ben Le Puzzle, un relecteur attentif, sympa et un hôte de choix, qui a travaillé sur Chasseurs de Légendes¹². Oui, ok, c’est aussi un copain qui m’accueille quand je descends sur Périgueux ! Bonjour aux chats !

Et enfin, il y a les rôlistes de tout pwal qui nous ont soutenu et nous ont fait connaître, particulièrement ceux des fiefs du sud de la France qui nous ont accueilli en convention ! Tarbes, Bordeaux, Plaisance-du-Gers, Libourne et Périgueux (coucou mes canards !)

Du point de vue proposition, tu as démarré fort en éditant Blacksad¹³ en vf, traduction du jeu espagnol édité chez NoSoloRol Ediciones¹⁴, avec lesquels tu sembles entretenir une relation privilégiée (pour rappel, ils sont également en charge de Hitos¹⁵ et Petits Détectives de Monstres¹⁶, entre autre). Depuis, tu as élargi ton catalogue en t’attaquant cette fois à un jeu paru en anglais, bien que finlandais, à savoir Stalker (Grog D’argent 2022) et bientôt un retour à l’Espagne avec l’arrivée de La Porte d’Ishstar¹⁷.
Alors la loutre, c’est l’animal totem du pays de Cortés ou j’ai raté un truc ?

Non, pas un totem, mais c’est là où j’ai trouvé mes premiers coups de cœur et il est vrai qu’au niveau jeu de rôle, ils se sont très bien développés ces dix dernières années. Maintenant, le marché espagnol est aussi prolifique que le marché français. Et au passage, ils ont un petit plus qui change tout : le jeu de rôle y est reconnu d’utilité publique et les ministères dédiés à la jeunesse, l’éducation et au sport encouragent la pratique du jeu de rôle dans le cadre des enseignements.

Outre Nosolorol Ediciones, nous travaillons avec Guerra de Mitos¹⁸ (GDM) qui produit quelques jeux de rôle et surtout des jeux de plateau. C’est de chez GDM que vient P’TITS PIRATES (titre original « 8 tesoros »). L’auteur de P’TITS PIRATES, David Diaz, est un auteur prolifique, mais aussi un éducateur, animateur et intervenant dans le domaine du jeu de rôle pour enfants, qui est de plus en plus sollicité pour intervenir dans les conventions en Espagne.
Et comme tu vois, je suis allé faire un tour vers le nord, direction la Finlande, pour aller chercher Stalker. Après, j’irai où mes papattes et ma truffe me guideront. Tout ce que je peux te dire, c’est que la Loutre est internationale ! C’est la Loutreuuu finaleuuu…

Alors si je reprends, ce qui ressort des jeux que tu publies, ce sont deux grandes tendances… les jeux espagnols et les jeux destinés aux plus jeunes (voire, les jeux espagnols destinés aux plus jeunes). Comme on a évoqué la première catégorie juste avant, tu nous donnerais le pourquoi du comment de la seconde, avec Petits Détectives de Monstres et P’tits Pirates ?

On prend les bons jeux là où on les trouve. On a de l’anglais aujourd’hui (Stalker) et pour d’autres projets signés dont on ne peut pas parler encore. On cherche aussi dans d’autres langues.
Publier des jeux de rôle pour enfants a toujours été dans mes plans éditoriaux.
Chez La Loutre, nous avons dressé un constat à l’époque. Il n’y avait que peu de jeux pour enfants et ils avaient été écrits pour être maîtrisés par des adultes. Nous souhaitions des jeux familiaux où, après quelques parties, l’enfant puisse endosser le rôle du MJ.
Il y a eu donc Petits Détectives de Monstres, puis P’tits Pirates. Attendez-vous à de grosses surprises pour cette année, dès le mois de février !

Bon, attaquons plus avant le côté activité éditoriale. Être éditeur ce n’est pas juste poser des livres sur les rayons des boutiques, ça consiste en de nombreuses autres tâches, comme bien sûr, la traduction ou la mise en page, mais également des « petits » trucs du style gestion de projet, études de marché, communication… Justement, depuis peu tu proposes tes services en tant que consultant pour plusieurs de ces tâches (le détail par ici).
Qu’est-ce qui t’a motivé à élargir tes activités à la prestation de services ?

Une envie de faire d’autres choses, de varier encore un peu plus mes activités, d’un point de vue certes professionnel, mais aussi intellectuel. Il y a régulièrement des défis à relever et c’est motivant !

J’ai donc envie de me consacrer à d’autres défis, de permettre à d’autres projets de voir le jour (même si je n’en suis pas l’éditeur) en me consacrant exclusivement à la traduction par exemple. En bref, j’ai envie de permettre, en apportant mon expertise et mes compétences, à de beaux projets de voir le jour en version française.
Euh, j’ai réussi mon entretien d’embauche M’sieur Barthus ?

Revenons-en aux jeux à proprement parler.

Au-delà des deux aspects précédemment cités (à savoir, les jeux espagnols et les jeux pour les enfants), quelle est ta ligne directrice pour choisir d’ajouter tel ou tel titre au catalogue de la loutre ?
C’est au hasard des coups de cœur ou tu écumes activement les sorties internationales pour trouver des perles ?

– Tu crois qu’il nous a trouvé quoi cette fois ?
– Je ne sais pas, mais vu comme il regarde Madagascar, on a intérêt à se mettre au malgache fissa »

Si je devais définir une ligne éditoriale, cela me serait difficile. Je suis assez éclectique de ce côté-là. Je fonctionne donc effectivement au coup de cœur. Il faut que ça me prenne aux tripes et au pwal, que ça me porte. Sinon je n’arriverai pas à travailler correctement dessus. Je ne peux proposer quelque chose qui ne me fait pas vibrer.

Après la sélection par coups de cœur, j’ai des critères d’évaluation (ancien prof, forcément) précis qui se sont affinés au fil du temps par rapport à mon expérience de MJ, de joueur et d’éditeur.

J’ai été surpris il y a quelques mois, de constater qu’à l’opposé de la tendance actuelle, tu baissais les prix de plusieurs de tes jeux (Hitos et son écran, Dreamraiders¹⁹…).
Sur le coup je me suis dit « mais mais mais, ce n’est pas possible, il mâchouille lui-même son papier ?!? »…
Tu nous expliquerais un peu comment la crise actuelle impacte ton activité et ton choix de baisser tes prix ?

J’ai essayé de manger le papier. Pas bon. Wif !

En réalité, comme les livres en stock des deux gammes HITOS et DREAMRAIDERS avaient plus de deux ans, je me suis dit que vu la situation, il serait bienvenu de baisser un peu les prix et de les rendre plus accessibles.

Par contre, il est vrai que l’augmentation des coûts des matières premières nous impose aujourd’hui d’augmenter les prix de nos nouvelles parutions.

Hé, mais au fait… La Loutre Rôliste ?!?

La Loutre Rôliste est née alors que je cherchais un nom pour la société. Un matin, au café, ça s’est imposé. Deux minutes plus tard, je jouais avec des cailloux (des dés en fait, pour nous les Loutres) au bord de la rivière… J’étais devenu une Loutre-Garou… euh, une Loutre Rôliste !

Et par un beau matin… Tadaaaaa !

Si je récapitule, pour l’instant la Loutre, c’est Blacksad, Hitos (et associés), Dreamraiders, Petits Détectives de Monstres, Stalker, P’tits Pirates et La Porte d’Ishtar (à paraître en avril 2023) c’est un fort beau catalogue en l’état, mais mon petit doigt me dit que tu ne comptes pas en rester là. Tu nous ferais un petit teasing des parutions à venir (prévues officiellement ou même rêvées) ?

C’était Blacksad. La gamme s’est arrêtée fin novembre 2022. Au revoir petit chat !

Autrement, La Porte d’Ishtar parait en avril 2023 avec le livre de base, l’écran du meneur et la première aventure imprimée Beauté de Marbre. Les autres suppléments (aventures et aides de jeu) sortiront en PDF et ce, progressivement dans l’année. Sinon, il y aura bientôt des annonces qui vont vous ravir. Mais je ne peux en dire plus, car les Castors nous observent et nous écoutent. *Pfuuu Pfuuu* C’est bon, je les ai éliminés, on peut parler.

Alors, au programme…

Nous avons en stock pas mal de choses loutrement intéressantes. Chez La Loutre Rôliste, on s’est démenés pendant tout 2021 et 2022, un peu partout dans le monde, pour dénicher des pépites.

Nous avons plusieurs jeux de rôles pour enfants, un recueil de scénarios inédits pour Stalker, la mise en ligne du système MOTEUR DES EMOTIONS (celui de La Porte d’Ishtar) sous Creative Commons et d’autres projets qui sont en cours de préparation/négociation/loutrisation.

Et voici venir la fin de cet entretien… Si tu as des choses à ajouter, n’hésite surtout pas tu as carte blanche…

Oui, j’ai un truc un dire, très très important !

La Porte d’Ishtar parait en avril et pour le coup, il y a un LATE PLEDGE – LA PORTE D’ISHTAR sur ULULE pour permettre aux rôlistes de se procurer tout ou partie de la gamme à des prix très avantageux et avec plein de bonus (PDF offerts et débloqués), avant augmentation des prix (merci la hausse des coûts d’impression).

Les nouveaux contributeurs bénéficieront, en plus de ce qui sera obtenu pendant le Late Pledge, de TOUT ce qui a été débloqué auparavant et les contributeurs de la première campagne de financement Ulule bénéficieront, s’ils y ont droit, de TOUT ce qui sera débloqué ! Donc foncez les gens, c’est jusqu’au 27 janvier à minuit !

Et voilà, vous savez tout sur la loutre… alors, n’hésitez pas à venir patauger dans la mare, il y a de quoi s’amuser un bon moment en fouillant un peu le catalogue. Concernant la Porte d’Ishtar, il vous reste jusqu’à la fin de la semaine pour rejoindre le Late Pledge.
J’ai de mon côté lu le pdf et ma foi, c’est plutôt chouette (avec une mention spéciale pour la création de perso, qui vous permet enfin de gérer la génèse du groupe de personnages en session 0) et donne plein d’idées de parties en quelques lignes.
Merci Christophe pour cet entretien en plein rush de financement et à très bientôt pour de nouveaux jeux loutrement biens.

Propos de Christophe Dénouveaux recueuillis par David Barthélémy

Notes et Références :

¹ Black Book Editions
² Wizards of the Coast
³ Necrotic Gnome
Antre-Monde Editions
Lapin Marteau
Les livres de l’Ours
La Loutre Rôliste
Christophe Dénouveaux
Scriptarium
¹⁰ Défis Fantastiques
¹¹ Stalker
¹² Chasseurs de Légendes
¹³ Blacksad
¹⁴ NoSoloRol Ediciones
¹⁵ Hitos
¹⁶ Petits Détectives de Monstres
¹⁷ La Porte d’Ishtar
¹⁸ Guerra de Mitos
¹⁹ Dreamraiders

Notes et Références :

Focus

Entretien avec les Éditions Sethmes autour de la sortie de Noc (mais pas que…)

Bonjour à vous gens de Sethmes¹

Ça fait un moment que je prévois de vous faire subir mon insatiable curiosité (mea culpa), passe mon temps à zapper, me faire déborder par d’autres contingences plus terre à terre (« Comment ? Vous me dites que ça fait 5 ans que mes toilettes vidangent joyeusement sous ma maison sans même faire l’effort de passer par la fosse septique ?!?) et de me dire régulièrement au cours de brefs accès de lucidité (bien souvent nuitamment, entre deux « Papaaaaaa… faut que j’aille aux toilettes… » me tirant d’un sommeil que j’ai déjà léger) :

 « Haaaa !!! Mais damned, ce n’est pas sérieux, j’ai encore oublié ! »

La dernière fois que j’ai dû vous dire que l’on se programmait un entretien « pour très vite » doit déjà remonter à Octogones 2021… j’ai honte.
Mais comme il n’est jamais trop tard pour bien faire et que l’alignement des planètes (enfants au centre de loisir pour la semaine et livraison de NOC² aux souscripteurs) concorde avec l’un de mes sursauts nocturne, me revoici, cette fois fermement décidé à vous passer au grill.
Donc après Etherne³, Kemi⁴ et Aventure dans le Monde Intérieur⁵, votre dernier né NOC débarque dans les chaumières, nous promettant de forts beaux moments de jeu.
C’est le signal, j’attaque donc et vous laisse la parole pour nous éclairer sur ce jeu, mais pas que… ce serait trop facile.

NOC m’a tout l’air d’être très bien parti pour devenir le pavé dans la mare du jdr français 2022. On l’avait senti venir avec le kit d’initiation, mais au fur et à mesure que les retours sur les différents livres de la gamme arrivent, cela semble se confirmer. Vous construisez comment un projet de cette envergure ?

MC : Avant toute chose, merci pour ces mots qui nous touchent beaucoup.
En réalité, je n’avais pas l’impression que nous ayons réalisé un projet aussi massif. C’est seulement une fois tous les objets sortis des usines et étalés sur la table que j’ai constaté que ça faisait, effectivement… beaucoup.

Notre méthode a consisté avant tout, à prendre du plaisir à ce qu’on faisait. Ensuite, à ne pas se fixer de limites à priori. Pas mal de personnes nous ont dit que le kit d’introduction était trop gros, le setting trop complexe, le style trop littéraire, le financement participatif trop généreux. Mais, à chaque fois, je ne me voyais pas faire moins. Parce qu’on ne cherchait pas à optimiser ou à “coller au marché”. On cherchait à offrir l’expérience qu’on aurait aimé qu’on nous propose.
Lors de la composition, à chaque étape, il s’est agi de beaucoup brainstormer avant de se lancer (les bonnes idées se précisent rapidement lorsqu’elles sont soumises au groupe), de ne jamais travailler pour rien, de réexploiter au maximum la matière pré-existante, de trouver des techniques réplicables afin de concentrer les efforts sur les aspects particuliers de chaque élément.
Pour finir par le plus important, un projet comme NOC exige d’être bien entouré. Avoir des personnes autonomes, compétentes, investies et ayant parfaitement compris le sens du projet. Cela permet d’avancer de concert en limitant les engorgements, les crises, les retours en arrière. Des illustrateurs au prestataire d’impression, des relectrices aux rédacteurs, de Pierre à la Musique à Cédric à la maquette, chaque Ministère avait un administrateur doué et implacable.

CC : Il me semble qu’un paramètre important est la clarté de la vision initiale du projet, de la proposition et de la trajectoire de la gamme. Cette trajectoire, c’est celle de Mikaël et de Blackened, le projet d’origine. S’il reste beaucoup de latitude et énormément de choses à explorer et détailler, les principes fondamentaux ont dès le départ constitué un socle solide, une grille au sein de laquelle toutes les productions peuvent s’insérer. Le risque aurait été de se perdre en cours de route, de se fasciner ou s’abîmer dans un aspect particulier du contexte ou du jeu. Mais les secrets et directions exposées d’ailleurs dès le livre de base définissent un cadre, entretiennent une tension qui favorise les convergences et la cohérence de l’ensemble.

Et quelles contraintes « fortes » vous êtes vous imposés pour garder à la fois la maîtrise de l’univers et celle du matériel de jeu ?

MC : NOC ne sort pas du néant. Il est une nouvelle édition amplifiée de Blackened, jeu de rôle diffusé gratuitement au début des années 2000. Les textes de ce dernier ont servi de guide et carcan. Ensuite, il y a eu beaucoup de discussions et d’appropriation de la part de tout le monde. Évidemment, malgré toutes ces précautions, il était nécessaire d’avoir un gardien du contexte, quelqu’un doté de la vision d’ensemble. J’étais prêt à assumer ce rôle, mais je n’en ai pas eu besoin. Malgré sa complexité, le background de NOC a quelque chose d’assez “évident”. Les réflexes y sont vite acquis.


(Cadeau bonus, le numero 07 de Jeux d’Ombres de 2008, notamment sur Blackened, avec quelques noms dans l’ours qui devraient vous dire quelque chose si vous êtes accrocs à la chose ludique)

CC : Les contraintes sont celles que j’évoquais plus haut. L’existence de Blackened et la réflexion préalable sur le périmètre du jeu ont guidé le travail. Compte tenu de l’immersion de l’équipe dans l’univers, les contraintes ont à mon sens été perçues comme des garde-fous salutaires puis intégrées.

Pour ma part, je n’ai encore lu que le kit d’introduction (qui mettait salement l’eau à la bouche) et ne peut donc que présumer du contenu des livres sortis. J’ai en effet soigneusement évité les différents feuilletages, présentations et autres analyses dans les médias rôlistes, afin de rester « pur » lors de ma future exploration des bouquins. Ceci dit, devant l’ampleur de la chose, une question me taraude… vous en avez gardé sous le coude pour un développement de gamme, ou nous avons là l’essentiel de ce qui doit être amené à constituer le cœur de NOC ?

MC : Le livre de base contient la réponse à cette question, puisque la trajectoire de la gamme y est tracée. Nous savons depuis le début que l’expérience de NOC sera articulée autour de quatre ouvrages majeurs : le livre de base, la campagne, un supplément de “haut niveau” et un supplément de clôture. Il y aura également d’autres extensions en parallèle, pour étendre certains points du setting ou des règles. Le livre de base de NOC est suffisant pour jouer des citoyens sceptiques dans le cadre d’un Bloc, mais ce n’est que le début du chemin. 

Bon, NOC ça déboite (on l’aura compris), mais dans un autre style, mon premier coup de cœur pour les jeux que vous proposez, ça reste Aventure dans le Monde Intérieur. Je me souviens très bien du premier feuilletage du livre de base et de ce qui m’avait paru alors un grand vent de fraîcheur, tant dans les mécaniques du jeu que dans l’usage du thème de la terre creuse (avec une mention spéciale pour les Ouvrages à gérer entre les parties)… Donc, là où tout le monde vous harcèle avec NOC, je vais plutôt attaquer sur vos plans concernant le futur de A.M.I, maintenant que vous avez en avez récupéré l’exploitation… alors, alors ?

AMI c’est bon, mangez-en !!!

MC : Encore une fois : merci. Les derniers mots que j’ai écrits pour AMI datent de plus de 10 ans, et c’est très émouvant pour moi de voir, si longtemps après, que le Ventre-Monde possède ce capital sympathie.
Nous avons effectivement récupéré les droits sur la licence et travaillons à la suite de la gamme pour 2023. Une nouvelle édition n’est PAS prévue car, même si nous pourrions faire mieux et plus joli avec la force de frappe de Sethmes, je considère que le livre de base et les suppléments restent respectables et je ne pense pas que les joueurs d’AMI attendent une refonte (et à devoir repayer pour la même chose…). Ils veulent repasser leur sac d’aventurier sur le dos et reprendre le voyage. La prochaine étape pour AMI sera donc la sorti d’une nouvelle extension dans le style des Almanachs Arcadiens⁶. Le nom changera, pour marquer de début de cette nouvelle ère, mais l’esprit sera le même. Ce supplément tournera autour de la civilisation d’Agartha et contiendra une campagne. Il sera offert à tous les souscripteurs de l’Almanach Arcadien 3, qui se reconnaitront et sauront de quoi je parle.

Pour rappel, vous êtes des bâtisseurs d’univers (pour sûr) et à ce titre, ne vous limitez pas au seul Jeu de Rôle. Kemi a bénéficié de son roman (Sennefer, les larmes de Kemi⁷… on le rappel, portant la mention : tome 1…) et vous évoquez sur le site une volonté d’aller également vers la bd ou encore le jeu de plateau. Ça progresse cette histoire ou c’est plus ou moins en stand by ?

MC : De nombreux projets existent, certains bien antérieurs à Sethmes. Ce sont les jeux de plateaux qui ont occupé la majorité de mon temps depuis le début de l’année (ce qui n’impacte pas le développement de la suite de NOC ou de AMI, je précise). Les retards de livraison de NOC, liés à la conjoncture, ont constitué une opportunité à ce niveau-là. Le projet principal est Diktat, un jeu de conquête et de machinations dans l’univers de NOC. J’estime que les règles sont verrouillées à 99 %, et nous sommes sur une sérieuse phase de playtests. Vous en apprendrez plus sur cette belle boite d’ici la fin de l’année, j’espère.

Le rôliste a beau se vouloir une sorte de couteau Suisse créatif, ce n’est pas toujours effectivement le cas (voire même…). Les compétences relevant de l’écriture, de l’illustration, du game design, du maquettage, puis de toutes les tâches « bassement matérielles » liées à l’édition, la production et la distribution (sans même parler de la communication ou de la gestion administrative et financière) couvrent des domaines d’activités très larges. 
Vous vous organisez comment pour gérer tout ça ? Qui fait quoi/comment chez Sethmes ?

Rien à voir avec la choucroute, mais regardez le flim si ce n’est déjà fait, il est bien

Elwin : nous sommes quatre associés, et au-delà nous possédons une Armée de la Nuit qui nous prête main forte, des amis qui nous éclairent de leurs avis et conseils. Entre nous les disponibilités, les appétences, les enjeux ont fini par établir des tendances, susceptibles d’évoluer avec de nouveaux projets.
La ligne éditoriale initiale était claire, puisque nous sommes un collectif d’auteurs – trois d’entre nous sont venus avec leurs précédents projets, pour constituer la base du catalogue – mais nous essayons de rester ouvert pour la suite.
Nous discutons ensemble des grandes orientations et décisions qui impliquent la société. La laborieuse partie administrative et distribution est assumée par Cédric (qui s’occupe également de la partie graphique et web), et par Mikael. L’autre Mickael est en charge du contact avec les boutiques.
Nous sommes tous capables de mettre la main à la pâte pour l’écriture. Nous désignons par ailleurs des chefs de projets qui constituent leurs équipes, que ce soit avec des associés ou des collaborateurs de Sethmes

Pour en revenir à vos univers, avec Kemi et Etherne, vous aviez bien amorcé l’exploration du jeu dit historique. Vous nous en avez prévu d’autres dans le genre ou c’est un pan des univers ludiques que vous estimez avoir suffisamment défriché ?

Un jeu historique solide s’il en est

Elwin : l’Histoire est à mon sens notre matériau et notre nourriture, et le restera. NOC transpire par tous ses pores cette inspiration. Je ne conçois personnellement pas d’univers crédible sans un ancrage dans les schémas, les anecdotes et les incroyables retournements et subtilités que seules peuvent offrir les tribulations de l’humanité. On peut sans fin parler de ce qu’est un jeu historique – parce que d’une certaine façon ça n’existe pas, mais qu’on désigne par ce biais un palier où le nombre d’éléments qui nous semblent refléter une réalité passée devient suffisant pour créer une forme d’illusion d’historicité. Ce palier apparaît à des moment différents selon les gens et leurs exigences. Je ne sais pas s’il doit être une fin en soi, et selon quels critères il devrait être légitime pour certains et pas pour d’autres. À l’opposé on pourrait dire que rien n’échappe à l’Histoire : tout ce que nous écrivons reste le produit de notre culture et de notre vécu, et nous ne pouvons nous en arracher. Tout est historique, rien ne l’est… autant boire un coup et écrire un truc sympa, on verra après pour les labels.

CC : Peut-être avons-nous un intérêt particulier pour la réinterprétation, le recyclage, le fait de lire dans notre histoire et notre environnement immédiat ce qui se prête au travail de l’imaginaire, de la spéculation. J’ai un attrait spécifique pour les uchronies, peut-être parce qu’elles assument que notre substrat est et restera toujours le réel et qu’elles ouvrent des portes vers des versions exagérées, cinématographiques ou dérangeantes du monde. Être ici sans y être. Pour NOC, l’approche concernant la description de la Terre est très fortement ancrée dans le réel et l’histoire. Et pas uniquement pour la description d’un régime autoritaire et contraint, mais également pour ses aspects technologiques et écologiques qui, malgré les apparences, empruntent à pas mal de notions et découvertes récentes. A défaut d’historicité, évidemment, l’idée est d’entretenir la plausibilité 

C’est l’heure de la question People… Alors Voici :
Dans la dynamique de groupes, on retrouve souvent certains archétypes comme le « chien fou », la « force tranquille », la « rock star »… 
Chez Sethmes, on connaît surtout Mikael et Cédric, pour les croiser en convention… Alors, vous êtes respectivement lequel ? 
Et à l’instar d’un groupe de rock, un collectif d’auteurs peut être « agité » par les tensions entre les différentes personnalités. Quand on travaille au long cours sur un projet commun, comment on reste fonctionnel en dépit des inévitables frictions passagères ?

Mais qu’ils sont beaux et fringants (à gauche, Mikael Cheyrias, à droite, Cédric Chaillol)

MC : je suis le plus intelligent de l’équipe.

Elwin: répondre à cette question à propos des autres implique le déclenchement d’une cascade de duels judiciaires. Je me propose comme “Schtroumpf grognon à lunettes” pour mon rôle critique dans la conception, l’analyse des univers et scénarios; mais aussi sur des sujets éditoriaux. C’est important de pouvoir confronter nos opinions, pour combler nos angles morts réciproques.

MS : Construire un projet professionnel avec des amis sur des sujets passions peut bien entendu être source de difficultés. On reste fonctionnel en diminuant le café et en décrochant son téléphone pour discuter.

(les plus observateurs noteront que Cédric a sournoisement esquivé la question… de là à déduire qu’il ne serait pas entièrement d’accord avec certaines assertions de ses coreligionnaires, il n’y a qu’un pas… que nous ne franchiront certainement pas bien sûr… huhuhu)

J’aimerais revenir sur cette notion de collectif d’auteurs si ça vous convient, et éclaircir un petit peu ce côté « communauté » qu’elle induit, par opposition à la maison d’édition traditionnelle et son fonctionnement plus « vertical ». Vous pouvez nous détailler un peu l’idée derrière tout ça et la manière dont le choix de la structure impacte l’aspect créatif de vos jeux ?

Voilà, rien de tel que la communauté pour avoir des auteurs heureux

CC : Sethmes intègre la filière, de la conception à la diffusion, en passant par la rédaction, le design, la communication… La société constitue un cadre de fonctionnement qui, pour l’instant, porte des projets amenés en interne. Notre spécificité est sans doute d’assurer à la fois les fonctions d’édition et de création.

Forcément, passage obligé de tout entretien qui se respecte (ou pas)… Vous nous préparez quoi en prochaines sorties (parceque j’imagine que vous ne vous tournez pas les pouces en vous reposant sur vos lauriers suite à NOC) ?

MC : Concernant NOC, nous avons donc le livre Visions⁸ et le recueil de Configurations⁹ et de scénarios. Comme c’est souvent le cas chez Sethmes, le Recueil a pris une ampleur et une complexité inattendue au fur et à mesure de son développement. Beaucoup d’amis, d’alliés et de soutiens se sont greffés à l’équipe initiale pour apporter d’excellentes idées, des ambitions et de l’énergie. L’accouchement sera plus long que prévu, mais le produit final sera très costaud. Ces deux bouquins arriveront début 2023. Ensuite, il y aura le tome 2 des Lueurs obsidionales, la campagne officielle, actuellement en cours de test et de rédaction du côté du laboratoire d’Orion¹⁰.
Toujours sous l’Artefact mais dans un autre style, le jeu de plateau Diktat se consolide dans les ateliers de l’Effort. Deux autres jeux de plateau plus légers et familiaux sont à l’étude à la Direction du Progrès.
Dans le Monde Intérieur, l’Almanach Arcadien 3,5 est en rédaction, pour une sortie souhaitée au deuxième semestre 2023.

Ces deux dernières années n’ont pas été tendres avec le petit monde de l’édition (pas que bien sûr, mais c’est ça qui m’intéresse). Entre virus galopant, paralysie de l’industrie qui en découle, baisse de moral, guerre en Ukraine, augmentations diverses et variées d’un peu tout, on est plutôt gâté. 
Si je ne m’abuse, Sethmes à émergé pile poil au bon moment (2020) pour tomber là dedans, et n’a du coup pas connu le luxe d’un démarrage tranquille, le temps de prendre ses marques.
Vous avez réussi à dormir ces deux dernières années, ou c’était crises d’angoisse et ulcères à répétition ?
Ça n’a pas trop impacté la pérennité de la maison ?

Les gars, cette année 2020, je la sens bien, c’est le moment où jamais de lancer notre boîte

MC : Monter une maison d’édition pour éditer ses propres créations n’est pas à faire si l’on est trop sensible à la pression. Nous avons pris les problèmes les uns après les autres, en misant sur la compréhension du public lorsque les contingences extérieures induisaient des retards ou des altérations inévitables. Les événements tragiques dont on parle ont impliqué un retard important dans la sortie des livres et, à la marge, nous ont privé de la capacité de contrôler les objets à la sortie d’usine. Nous avons dû ici ou là accepter de petits éléments qu’en temps normal, nous aurions pu ajuster, mais nous nous estimons chanceux que NOC ait pu voir le jour au milieu de tout ce chaos. Et nous avons tiré une énorme expérience de tout ça.

CC : les confinements successifs ont modifié les habitudes de jeu et de consommation. La ruée sur les tables virtuelles a permis à NOC, via son kit d’introduction, de vivre en ligne et d’être montré dans plusieurs actual plays sur Twitch et Youtube. Sur ce point précis, le projet a sans doute bénéficié d’une visibilité accrue du fait des circonstances. Mais il est des événements, tels que la guerre en Ukraine, qui ont évidemment constitué un choc et un obstacle. La bonne volonté et la compréhension de toutes et tous, partenaires et public, nous ont permis de mener ce projet à bien.

Bon, je pourrais continuer longtemps à vous harceler de mes questions, mais n’abusons pas des bonnes choses (et ne lassons pas nos interlocuteurs), il faut savoir quand se retirer (hmmmm).
Cependant que je m’éclipse, vous avez quelque chose à ajouter ?

MS : Merci à toi, et merci à la communauté qui grandit chaque semaine autour de NOC. Nous sommes galvanisés par l’ensemble des commentaires bienveillants que nous recevons.

Merci à Mikael Cheyrias, Cédric Chaillol, Elwin Charpentier et Mickaël Sibeud pour cet entretien et plus globalement, pour le travail des Editions Sethmes.
Il ne me reste plus qu’à chopper NOC pour creuser la question de cet univers (qui dès le kit d’intro nous promet un cadre d’une richesse rare, à la puissance évocatrice certaine, je le rappel) et vous faire un retour rapidement, tout en trépignant d’impatience après ce fameux Almanach Arcadien 3.5 (AMI forever)…
Vous aurez sans doute compris (sinon il faut sérieusement que je révise ma grandiloquence) que je suis conquis par les jeux estampillés Sethmes, du coup ne cherchez pas une once d’objectivité de ma part dans cet entretien, ce serait peine perdue…
Si vous aimez la rigueur créative, les univers foisonnant et l’histoire, foncez, vous ne serez pas déçus (en tout cas, moi je ne l’ai pas été).
Longue vie aux éditions Sethmes et re vivement la suite de AMI.

Propos de Mikael Cheyrias, Cedric Chaillol, Elwin Charpentier et Michaël Sibeud recueillis par David Barthélémy

Notes & Références :

¹ Sethmes
² NOC
³ Etherne
Kemi
Aventures dans le monde intérieur
Almanach Arcadien
Sennefer
Visions
Recueil de configurations
¹⁰ Laboratoire d’Orion

Focus

Entretien avec Florent Moragas pour les Éditions Odonata

Samedi matin, j’ai eu la grande joie de recevoir Oméga¹, un jeu des éditions Odonata² dans lequel vous êtes des Machines. C’est donc avec bonheur que je me suis plongé dans la lecture de cet univers de S.F qui pousse le transhumanisme dans ses derniers retranchements en abordant la question du transmachinisme (WHATTTT !?!)
Hé oui, fini la découverte du cyberunivers par des sens humains, ici les machines s’ouvrent non pas à la conscience, mais à la morale, l’humour, la peur, bref tout ce qui peut caractériser les « organiques » que nous sommes.
Avant de poursuivre ma lecture des deux (très) imposants ouvrages qui constituent l’entrée de la gamme, je me suis dit « mais au fait, j’ai interviewé Florent³ (Moragas, le papa de Odonata) à l’occasion du financement des campagnes pour Insectopia⁴, en Octobre de l’année dernière… révisons un peu ce qu’il m’avait confié alors, histoire de ne rien rater et ne pas enfoncer de portes ouvertes dans mon retour de lecture » (malin le type). J’ouvre donc la page du site, remonte mes quelques entretiens et là, stupeur absolue (et tremblements)… pas d’entretien en vue.
Damned, que passa ?
Je retourne vérifier mes brouillons (cette fois) et constate avec un certain effarement qu’il est confortablement niché entre une amorce d’article sur les jeux pour les plus jeunes et un entretien avec Sebastien Grenier⁵ (re damned, encore un oubli de publication… vilain garçon) le talentueux dessinateur de Arawn⁶, La Cathédrale des Abymes⁷ ou encore dernièrement Orcs & Gobelins⁸.
Après cinq minutes d’autoflagellation, je me dis que nous allons corriger cette affreuse négligence et éditer l’entretien avec Florent pour vous préparer au prochain retour de lecture (promis, ensuite j’attaque celui de Seb) de Oméga.
C’est donc avec neuf bons mois de retard (Arghlllll) que je vous propose de lire cet entretien, au travers duquel nous parlons de création, de bugs et de machines (entre autre)… My Bad.



Salut Florent. Pour celles et ceux qui ne te connaitraient pas encore, tu es le fondateur des Editions Odonata, créateur des jeux Insectopia et Oméga, mais également Blatteman, figure bien connue des salons et conventions de Jdr.

je vous laisse deviner lequel des trois est Florent

De l’eau a coulé sous les ponts depuis la sortie de Insectopia, dont la gamme s’est bien étoffée et continue de le faire à ce jour avec le lancement d’un financement visant à produire trois nouveaux ouvrages ainsi qu’une édition révisée du livre de base. Dis-moi, ça en fait des bouquins en six ans, c’est pas un peu chronophage tout ça ?

Effectivement, assez chronophage ! Mais depuis les débuts d’Insectopia je me suis entourés d’auteurs, de testeurs, de correcteurs et de passionnés. Odonata éditions suit actuellement de nombreux projets en gestation, dont vous avez pu voir certaines annonces. Sapa Inca⁹, écrit par Eric Dubourg¹⁰ et Nurthor le Noir¹¹, où l’on incarne des agents de l’empire Inca chargé d’enquêter sur les manifestaions occultes, des civilisations perdues et de défendre l’empire contre les assaillants espagnols. (Actuellement en cours de financement et ce jusqu’au 05/07/22 par ici)
Les Chroniques de Vaelran¹², écrit par Téo Chailloux¹³, où il s’agit d’interpréter des influenceurs, des illuminatis dans un univers d’époque moderne fantasy.
Ou Résilience, le retour des saisons¹⁴ écrit par Jean-Khalil Attalah¹⁵, où là il faut jouer en coopération pour rééquilibrer un monde où la nature subit la rupture.

Ca déconne moins que dans le Aztec Dansant de Donald Westlake¹⁶

De nombreux univers sont également à venir. 


Alors, mettons un peu les mains dans le cambouis.
Les jeux que tu proposes, Insectopia et Oméga en tête, sont des propositions ludiques qui s’éloignent fortement de ce à quoi l’on est habitué… Point d’anthropocentrisme ici, tu nous fais incarner des insectes (pardon, des Întres) et des I.A (sous de multiples formes). C’est très chouette comme idée, mais c’est également un pari risqué. Comment tu procèdes pour aider les gens à s’approprier des modes de pensée ou des perceptions aux antipodes des nôtres ?

L’idée est de sortir des sentiers battus en ne jouant plus des humains, mais en gardant des sujets et des modes de jeux qui intéressent les joueurs. Insectopia et Oméga jouent également avec les particularités de ces univers pour donner du gameplay.
Ces expériences reviennent à jouer des super héros ou des extra terrestres avec des super pouvoirs, mais en traitant des sujets de conflits idéologiques, d’occultisme, ou qui touchent à la personnalité humaine. Insectopia se rapproche assez du seigneur des anneaux dans son traitement des conflits inter races et territoires par exemple.

Rhaaaaa les lézards !!!



Idem en terme d’univers. Pour Insectopia, le continent d’Entoma nous plonge dans un monde du très petit au sein duquel le dépaysement est au rendez-vous. 
En bon quadra débordé par sa vie de tous les jours et l’éducation des enfants j’ai eu, je le confesse, un mouvement instinctif de recul à la première lecture du livre de base tant il me semblait vaste à assimiler (genre les cinq pages de glossaire consacrées au vocabulaire spécifique) en vue de le faire jouer… 
Quels conseils donnerais-tu aux futurs Deus pour le prendre en main, le faire leur et expliquer que “Non non, n’ayez pas peur, c’est tout à fait faisable” ?

Il faut prendre des scénarios édités et se plonger dedans, se limiter aux règles de bases qui sont assez simples et suivre le scénario proposé. 
Insectopia propose de jouer des super héros, foncez à fond dedans, on vole, on pique on mord, on a des ravisseuses ou des antennes ramifiées. Les parties sont épiques. Jouer aussi les particularités des phéromones et les conflits entre espèces.
Après, c’est un medfan classique. Voilà les conseils simples que je peux donner.


Je n’ai hélas pas encore eu l’opportunité de me pencher sérieusement sur Oméga (il y a vraiment trop de jeux à lire et découvrir aujourd’hui pour ma petite capacité de traitement), mais spontanément, je ne peux m’empêcher de le placer dans la continuité d’Insectopia
Tous deux partagent le même système de jeu (avec des aménagements bien sûr), mais également cette volonté de jouer différemment.
Avec Insectopia tu as poussé le concept de Post-Apo à son paroxysme en évacuant les humains au profit de ceux qui leur ont survécu… Avec Oméga, tu évoques carrément l’annihilation de la Terre par les Synthétiques.
En bon rôliste, je m’interroge… Oméga signe t-il la fin de son aîné dans un univers commun ou en est-il au contraire complètement dégagé pour proposer une lecture différente de ce que pourrait être l’avenir de l’humanité ?

Oméga vs Insectopia ?

Oméga est une autre façon de traiter la science fiction, l’avenir de l’humanité. Clairement ce n’est pas une version différente d’Insectopia. Il s’agit d’un jeu ou les personnages ont des missions de conflits et de découverte dans l’espace avec pour toile de fond l’asservissement des organiques, dont les humains. On incarne des synthétiques doués d’humanité au milieu d’autres machines qui n’en ont pas. Ce sont des intermédiaires entre les deux mondes. Les scénarios sont construit pour traiter les sujets d’asservissement des organiques, de la supériorité des synthétiques, de la collaboration de ces derniers et pour tenter les joueurs à pirater son prochain. Oméga questionne l’identité des Intelligences Artificielles, mais on joue des super machines avec des gros flingues !



En 2013 fut fondé Somni Semen¹, collectif d’auteurs dont le but premier était de consolider Insectopia en vue de la production du livret de découverte ainsi que d’une édition future du jeu. En 2015 apparaissent les éditions Odonata, ta boîte dédiée à Insectopia.
Aujourd’hui, Odonata nous présente donc un nouveau financement pour Insectopia, mais va grandissant en éditant aussi cette fois des jeux d’auteurs tiers tels que Sapa Inca (Eric Dubourg et Nurthor le Noir), les Chroniques de Vaelran (Teo Chailloux) ou encore Micro Méga (Stéphan Van Herpen¹⁸ et Genseric Alexandre Delpâture¹⁹).
Ça y est, tu as pris goût au métier d’éditeur et ne peux plus t’arrêter ?

Ho les belles bannières !!!


Comment on bascule d’auteur à “mais en fait c’est bien sûr, je vais aussi publier les jeux des autres” ?
Une boîte d’édition ne fonctionne pas avec quelques titres, il faut proposer différents univers et différents jeux. C’est l’élément déclencheur de cette reconversion. 
Mais ce qui motive l’éditeur que je suis devenu c’est aujourd’hui le travail éditorial que j’accomplis. A mon sens, ce travail est un suivi des auteurs pour les amener à magnifier leur travail. Je travaille avec eux en amont sur les fondements de l’univers, les règles, le contexte et beaucoup d’autres éléments. C’est vraiment très enrichissant et captivant d’être baigné dans cette création. Puis, il y a aussi le travail graphique qui est vraiment captivant : concevoir et amener un univers avec des illustrateurs, c’est réelle passionnant.


Du coup pour Odonata en deux mots, c’est quoi la ligne éditoriale ?

Créativité ludique,

Les jeux proposés ont un propos fort et un système qui le porte.


Pour en revenir à Insectopia, ça te fais quoi de voir ton bébé grandir et s’envoler de ses propres ailes (huhuhu) ? 
Parce qu’au fil des années, l’équipe s’est tout de même bien agrandie, tant au niveau rédactionnel que pour les illustrations… T’arrive t-il d’avoir la sensation que tout ça t’échappe un peu ou pas du tout ?

Je suis très heureux de partager cela. Le partage de ces travaux de création est vraiment enrichissant pour moi. Nous sommes nombreux désormais autour des projets et je crois que c’est la force d’Odonata. Les auteurs apprennent, partagent, moi je coordonne, je lie des gens dans la création, je reçois de la créativité et des échanges humains. Quoi de mieux ?


Fatalement, sur les deux années passées, cette histoire de Covid a bouleversé pas mal de choses dans notre quotidien. Concrètement, en tant qu’éditeur ça a eu quel impact sur ton travail, et comment as-tu ajusté les choses (si besoin il y avait) pour que la vie poursuive son chemin sans trop menacer les projets en cours ?

Oui, ça a été un peu dur, mais personnellement, je l’ai assez bien vécu. Sur le plan éditorial paradoxalement ce fut assez riche puisque j’ai pris en charge de nombreux projets avec de nombreux auteurs. Si en terme d’édition il y a eu une baisse, en terme de construction de projet ça m’a été bénéfique. Donc, je dirais que le bilan est bon.


Je suis assez curieux (comme beaucoup) des rouages derrière la production d’un jeu et du coup m’interroge fréquemment sur l’aspect organisationnel ou la somme de travail que cela représente en termes de temps de rédaction, illustration, mise en page… Vous fonctionnez comment chez Odonata quand vous menez un projet d’édition concernant un nouveau jeu ?

Il y a d’abord le suivi du projet, son concept profond et ses règles. Il faut caler cela avec des échanges. Parfois il faut agrandir le cercle des auteurs pour donner du corps à une idée. Un long travail d’organisation et de rédaction se met en place. Je peux être chef de projet, comme pour Oméga, ou dans le suivi des idées et des textes comme sur Sapa Inca. La période de test des règles et du gameplay est importante. Le jeu doit être testé et retesté, par le cercle restreint des auteurs, mais surtout par des personnes lambda que nous rencontrons en convention. Il faut comprendre les envies des joueurs pour y répondre. Puis nous décidons avec les auteurs de formaliser leur travail en faisant un livre missions initiales qui va dire l’essentiel du jeu, donner envie aux joueurs de venir à ce jeu. Sur Sapa Inca, le directeur artistique, Gabriel Pardon²⁰, se charge de donner une patte graphique à l’univers avec les illustrations et la mise en page. Puis vient le temps de la correction, moment important qui est réalisé par une ou des personnes extérieures au projet, donc critique. Et finalement la mise en page et la production qui vient derrière et la communication. Un long processus semé d’embûches et de passion !


Quand on voit les postulats de Insectopia et Oméga par rapport à l’humanité, on ne peut manquer de se faire la réflexion (ou alors c’est juste moi qui ai l’esprit mal tourné) qu’il y a comme un “très léger” fond de misanthropie (peut-être de pessimisme à la rigueur) chez l’auteur… 
Alors, simple posture intellectuelle/ludique de créateur ou il y a effectivement quelque chose d’un peu plus profond derrière tout ça ?

Ca revient souvent quand même non ?

Sur Insectopia et Oméga, je me sens humblement un auteur de science fiction. Cette science qui est utilisée pour prévenir nos contemporains des travers de notre société. C’est vraiment dans cette optique là que j’ai fait ces jeux. Je ne suis pas misanthrope, mais plutôt philanthrope. Il y a des sujets qui me heurtent dans notre société qu’il me semble pertinent d’évoquer de manière légère, comme beaucoup d’auteurs de SF l’ont fait avant moi.

Enfin, si tu as quelque chose à ajouter, fais-toi plaisir on t’écoute (enfin… on te lis…)

Actuellement, il y a la souscription pour Insectopia les deux mondes. Comme la précédente souscription, c’est un projet ambitieux qui va apporter trois nouveaux ouvrages à la gamme ; un recueil de scénarios, une extension sur les Lézards et la fin de la campagne. Nous avons aussi décidé de remanier le livre de base, sur l’aspect magie et compétences de caste notamment, pour les rendre plus équilibrés et plus clairs. Le jeu reste le même, avec les mêmes magies et compétences, mais c’est plus clair. Vous pourrez donc jouer à Insectopia avec les anciens et nouveaux suppléments avec des règles affinées. Et puis, il y aura sans doute une nouvelle couverture à cet ouvrage réalisée par un grand nom du jdr français.

Et voilà pour cet entretien (qui finalement reste d’actualité) tardif.
Encore une fois, je suis désolé du délai entre sa réalisation et sa publication, mais vous promets de faire un effort afin que cela ne se reproduise plus à l’avenir (honte sur moi).
Un grand merci à Florent pour ses réponses et les jeux qu’il nous propose et à très bientôt pour le retour de lecture d’Oméga (et l’entretien avec Sebastien, non je n’ai pas déjà oublié).

P.S. Pensez à aller jeter un œil sur Sapa Inca, ça va être chouette…

Propos de Florent MORAGAS recueillis par David BARTHELEMY

Notes et Références :

¹ Oméga
² Odonata Editions
³ Florent MORAGAS
Insectopia
Sebastien GRENIER
Arawn
La Cathédrale des Abymes
Orcs & Gobelins
Sapa Inca
¹⁰ Eric DUBOURG
¹¹ Nurthor le Noir
¹² Les Chroniques de Vaelran
¹³ Théo CHAILLOUX (scrollez jusqu’aux Chroniques du Steam)
¹⁴ Résilience le retour des saisons
¹⁵ Jean-Khalil ATTALAH
¹⁶ Donald WESTLAKE
¹⁷ Somni Semen
¹⁸ Stéphan Van HERPEN (aka Kerlaft le Rôliste)
¹⁹ Genseric Alexandre DELPATURE
²⁰ Gabriel PARDON

Focus

Focus sur Laurent Rambour pour les Editions du Troisième Œil (LETO Games)

À n’en pas douter, éditeur est un métier épanouissant… La preuve en image

Ha, vous voilà… Je vous demanderai aujourd’hui d’observer quelques consignes élémentaires visant à ne pas effaroucher la cible de notre Focus et permettre au plus grand nombre de profiter de cette rencontre exceptionnelle :
Veillez à rester silencieux et limiter les mouvements brusques autant que possible.
Essayer également de ne pas interagir directement avec le milieu préservé dans lequel nous nous aventurons.
Enfin, ne proposez pas de nourriture que vous pourriez avoir sur vous, tout ceci afin de pouvoir observer, dans des conditions idéales, ce spécimen rare d’autoris traducto editorus, … … Laurent Rambour.

{D’une voix douce et apaisante, en dépit des caractères gras…}

Quelque part au Panama…

Bonjour Laurent, tu as accepté de te laisser approcher par l’humble observateur que je suis, et cela en dépit de ta discrétion légendaire auprès du grand public, ce dont je te remercie… alors, coming out ou coup de chance pour ma pomme ?

Bonjour cher ami, et salutations à tes aimables lecteurs.
Pas de « coming out » non, j’en ai peur.
Sans aller jusqu’à parler d’un coup de chance (qui se trouverait plus du côté de la FDJ je pense), tu as dû me demander ça un jour où la CAF est tombée et que je pouvais dépenser sans compter dans du JDR. Je communique auprès de ma clientèle uniquement au sujet de l’avancement des jeux, c’est tout ce qui lui importe et cela me convient bien. Je préfère garder mes distances avec les réseaux toxiques parce que je n’ai aucun talent imaginaire à vanter ni aucune position militante à défendre et que l’intelligentzia rôliste 2.0 sait déjà tout sur tout sur mon propre boulot avant moi-même ; considérant cela, je ne vois pas ce que j’aurai de si fascinant à raconter.
JDR Magazine1 et Casus Belli2 viennent vers moi régulièrement pour me demander des nouvelles, j’apprécie la politesse et cela me semble suffisant en matière de comm’. Mais je ne suis pas un ermite pour autant : j’entretiens un entre-soi de très bonne qualité avec mes lapins et une centaine de contacts sur un compte privé sur lequel je peux décompresser en racontant des inepties de 36e degré lors de mes pauses café. J’ai un job prenant et chronophage, une cellule familiale à préserver et je ne sacrifie pas de hérissons joufflus les soirs de pleine Lune.
Bref, circulez, pas la peine de braquer les projecteurs. Et puis c’est plutôt aux jeux et aux auteurs d’être affichés ; ma vie d’éditeur à deux sous, on s’en fout un peu, non ?

Contre vent et marées, tu promènes ta barque dans le petit monde de l’édition, et plus particulièrement du jeu de rôle depuis maintenant quelques années.
Du peu que je sais, il t’aura fallu une épouse bienveillante et des soucis de santé pour te décider à te lancer dans ce domaine. C’est pas banal ça (comme dirait l’autre).
Mais dis moi, qu’est ce qui continue à te pousser vers l’avant quand tu sors d’une nuit blanche à noircir des pages de texte ou chasser les licences improbables ?

Parce que tu appelles ça une barque toi ? Moi je vois les choses en grand et j’appelle ça une galère. Mais bon, le point commun, c’est que ça flotte. Sinon, la même motivation qui pousse un ouvrier à aller se tuer le dos sur les chantiers ou une chaîne de montage : travailler pour au moins remplir le frigo. Quand tu as fait le choix d’être entrepreneur, c’est pour travailler encore plus. Mon privilège de mâle cisgenre presque blanc c’est de travailler dans un domaine qui me passionne, mais uniquement parce que j’en ai accepté le prix et les contraintes.

Hardi Capitaine… Puisque j’vous dis que ça passe !

J’ai passé une partie de ma vie à œuvrer dans un domaine et un milieu (l’ingénierie thermique) dans lequel je ne m’épanouissais pas, à vivre dans la frustration en vertu de principes hérités de mon éducation et en soumission à certaines normes sociales. Les années ont passé et le ras-le-bol est arrivé à son paroxysme, la maladie et les encouragements de ma nouvelle épouse (ainsi qu’une très profonde crise existentielle) ont simplement accéléré le processus de reconversion.
J’ai décidé très tardivement de tenter un de mes rêves avant qu’il ne soit trop tard et de vérifier s’ils n’étaient qu’une chimère ou pas (on est souvent l’esclave de ses propres illusions). J’hésitais entre faire du JDR ou devenir une star du hard rock ; la première option alimentant aujourd’hui un peu plus la controverse, elle a eu ma préférence. Du coup, maintenant que je travaille dans un domaine qui me plaît et que j’ai la chance de pouvoir jouer quelques prolongations, la motivation est toute trouvée. Se lancer en parfait dilettante à 40 ans est une pure folie, surtout quand tu divises tes revenus par 5, mais rester à me morfondre l’était encore plus.
Un jour, j’en aurai sans doute ras le bol du jeu de rôle (à chaque jeu publié, j’affirme que c’est le dernier) et je monterai le nouveau Led Zeppelin3 dans mon garage du Médoc. Mais pour l’instant, j’ai quelques projets sympas à terminer.
On sait que ce n’est pas un job pour la vie et cela finira mal (le marché est bien trop petit et fracturé pour perdurer ad aeternam), mais tant qu’il y a un challenge excitant à relever et des gens pour me suivre, je joue. Au moment où je te réponds, j’en suis à ma douzième année d’exercice. J’ai fait un petit bout de chemin très rock’n’roll malgré des hauts et des bas dont je me suis toujours relevé, j’arrêterai sans regret au prochain jeu publié. Ou celui d’après…  

De Max Ravage à Game Fu, en passant par Pulp Fever pour arriver aujourd’hui aux Éditions du Troisième Oeil4, tu enchaines les jeux à thèmes forts, voir clivant (comme Dés de Sang5 de Willy Dupont6 ou One%7 avec Steve Goffaux8, sans parler de Kabbale9, ton bébé à paraître ) et les licences sacrées pour les geeks telles Cobra10 ou Valérian11
Ça nous en dit long sur ton caractère et tes goûts en la matière, ou c’est pour brouiller les pistes ?

Précision au passage : Pulp Fever et Game Fu, c’était la même entreprise (mon épouse et moi avions simplement décidé de changer l’enseigne lorsque nous avions racheté le magasin de jeux vidéo). Disons que je suis curieux et que j’ai soif d’expériences. Je ne souhaite donc pas me cantonner à un genre, mais m’essayer à des choses aussi différentes que fortes. Tu te vois toi à jouer tout le temps avec des jeux sortis d’un même moule ? J’aime aussi la diversité dans les profils de joueurs auxquels je m’adresse : celui qui joue aux jeux narrativistes autant que celui qui joue aux rétroclones (j’aborde et arbore les deux étiquettes sans aucun problème). Ces deux tendances stimulent mon intérêt parce que j’estime qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de jouer, juste de la condescendance ignorante à critiquer l’une ou l’autre.
Bien entendu, tout ne me passionne pas au même degré, mais goûter à tout me semble essentiel pour maintenir la passion et l’envie de bosser. Tu sais, être éditeur, c’est tenter de comprendre où les joueurs trouvent du plaisir et voir si tu peux toi-même en tirer une expérience intéressante (parce que pour travailler des mois sur un projet, il faut quand même « un peu » d’amour pour le sujet) et une rentabilité (sinon tu ne montes pas d’entreprise).

De l’amour en veux tu en voilà !

Mais je ne t’apprends rien en affirmant qu’il y a aujourd’hui des profils très différents de joueurs ; du coup, même si ne cherche pas à cliver intentionnellement (ce qui serait une curieuse stratégie, d’autant que les rôlistes 2.0 n’ont pas besoin de moi pour cela), le simple fait de proposer un produit destiné à une catégorie de joueurs crispe mécaniquement d’autres catégories, comme si j’avais commis le pire des blasphèmes.
Que mes choix éditoriaux plaisent ou pas aux médias ou aux groupes de discussion ne rentre absolument pas dans mes critères (je travaille pour des joueurs, pas les rédacteurs de Voici). J’aime avoir la liberté de plaire ou déplaire à qui que ce soit. De cette façon, le souci du clientélisme n’est pas un frein et je peux continuer de (me) surprendre.
Pour moi, vouloir fédérer est le meilleur moyen de tourner en rond et de ne plaire à personne – même si c’est bien évidemment plus rentable.
Après, comme je l’ai évoqué plus haut, tout ceci est aussi une histoire d’amour : je ne me vois pas plancher des mois et des mois sur un projet qui ne m’excite pas plus que ça au prétexte qu’une partie de la clientèle aimerait qu’il se concrétise (sinon, autant retourner bosser sur les chantiers, ce serait moins stressant et largement plus rentable).
Qu’un projet suscite l’intérêt d’une clientèle suffisante pour le commercialiser est bien entendu la première condition, mais il faut aussi qu’il me séduise suffisamment pour que j’accepte de l’épouser (oui, j’ai un passif compliqué avec le mariage). Publier (et parfois concevoir) Cobra, Valérian ou Flash Gordon12, est stratégiquement intéressant, ça ouvre des portes, mais c’est aussi un plaisir de sale gosse.
Toutefois, publier un jeu de niche est une aventure bien plus excitante (et complexe) d’un point de vue créatif, mais comme il faut bien payer les factures, alterner les jeux commerciaux et les OVNIS invendables est un bon équilibre – certes précaire avec le contexte actuel, mais tu as compris l’idée. Le truc fascinant en rédigeant cette réponse, c’est qu’elle est complètement fictionnelle, car les plans pour l’avenir sont plutôt à la traduction, beaucoup moins à la création. Et oui mon bon Monsieur, on va devoir s’embourgeoiser pour survivre (puis probablement, tout perdre en misant sur un autre OVNI).

Et donc, ça fait quoi de bosser sur Valérian, Flash Gordon ou Cobra… ? Parce que là c’est quand même plusieurs générations de fans qui t’attendent au tournant, prêtes à te clouer au pilori pour non-respect de leurs projections sur ces univers mythiques…

Bof, j’ai déjà été maudit sur cent générations, que ce soit pour de grosses franchises ou pas, alors si ça impressionne la première fois, cela devient ensuite une simple routine (et il faut, sinon, tu deviens dingue et tu ne produis plus rien).
Ma priorité n’est pas de coller à l’image que se fait chaque fan d’une œuvre (je suis Laurent Rambour, pas Charles Xavier13), mais de coller au plus près de ce qu’ont (ou avaient) à dire les auteurs à travers leur œuvre. C’est indispensable pour gagner leur respect et une certaine crédibilité. Cela se déroule en deux grandes étapes :

  • La première consiste à avoir une compréhension chirurgicale du matériau de base en écartant tes propres fantasmes (ce qui ne signifie pas pour autant qu’il faille verser à tout prix dans l’hérésie, loin de là, mais savoir lire entre les lignes pour s’assurer que l’on ne passe pas à côté d’une subtilité qui en dit long sur l’œuvre) et à synthétiser l’univers de façon aussi complète et exhaustive que possible (quand la cohérence de celui-ci le permet, ce qui n’est pas toujours le cas), en mettant en avant les éléments susceptibles de titiller l’imagination du rôliste
  • La seconde consiste, après avoir digéré l’univers canon, distingué ses enjeux et cerné la place des personnages dans cet ensemble, à trouver une recette alchimique qui te permette de ludifier tout ça. Le but étant de donner également une identité ludique à l’article, qu’il soit autre chose d’un produit dérivé de plus. C’est une équation complexe dont la solution, parfois, te monte au cerveau quand tu as fini de rédiger ton chapitre de règles. Tu te sens alors obligé à tout réécrire parce que tu as l’intime conviction (chimérique ?) que le client, au bout du compte et malgré le retard, va mieux s’amuser avec cette nouvelle version « V87.014_finale_definitive_juillet21_alternative2 » (alors qu’en réalité il prendra Cthulhu ou D&D et adaptera…).

Il est plus facile de se caler sur un système de règles génériques, mais l’identité du jeu n’en ressortira pas forcément valorisée.
« Pas forcément » ne signifie pas « obligatoirement », car il y a sans doute de belles réussites avec des systèmes génériques. J’y songe clairement dans les moments de ras le bol, mais j’ai du mal à m’y résoudre (sans doute par fierté mal placée ou arrogance). Un système générique peut satisfaire la ludification de différents univers, mais à condition qu’ils répondent peu ou prou aux mêmes codes fondamentaux. Or comme j’aime la variété… De plus, beaucoup de franchises n’acceptent pas qu’une entreprise tierce (détenteurs des droits d’un système) intervienne dans un contrat. Quand tu t’attaques à une franchise, même avec les meilleures intentions du monde, tu dois admettre d’avance qu’une partie des fans se sentiront insultés et que beaucoup de monde aurait fait bien mieux que toi, ceci avant même que le jeu ne soit commercialisé.
C’est comme ça, cela fait partie du packaging, et quoi que tu fasses, même un numéro de claquettes en apesanteur, c’est toujours le même disque qui tourne (d’où l’intérêt de tracer son chemin sans trop s’exposer).
L’important c’est qu’une majorité de clients trouve son compte et s’amuse, suffisamment pour te permettre de poursuivre ta carrière. Si tu obtiens une réussite critique, c’est génial, mais mieux vaut ne pas travailler avec ce seul objectif en tête et se contenter d’un non-échec commercial (je crois que l’ego est le pire ennemi du créatif, qu’il s’agisse d’un « Ed Wood-like »14 comme moi ou d’un véritable artiste).

Pour en revenir à Kabbale, tu pourrais m’en dire un peu plus sur ce qui t’as fait envisager de rédiger un jeu qui nous place, pour une fois, clairement du côté des déviants ? (je précise que Mireille Dumas ou encore 4215 ne sont pas des réponses recevables 😜)

Si la définition d’un héros dans le jeu de rôle est d’être un bellâtre arrogant et manichéen qui bute à la chaîne des espèces différentes pour piquer leur pognon et s’offrir une potion d’érection flamboyante, je ne m’excuserai pas d’être plus attiré par des rôles de salauds plus ambigus et intrigants. Je caricature, évidemment, mais l’idée est là.
D’une manière générale, la gratuité et le manichéisme m’exaspèrent, voire m’insupportent, surtout dans un jeu de rôle où les motivations du rôle sont censées avoir été étudiées sous toutes les coutures. J’y vois là une forme de fainéantise intellectuelle – sauf si l’on verse dans le registre du second ou trente-sixième degré. 
Nous sommes tous le méchant de quelqu’un, il n’y a pas à s’en excuser, c’est dans l’ordre des choses. La vraie question est de comprendre pourquoi et d’essayer d’arrondir les angles pour ne pas piétiner les gens bêtement. C’est la base de toute civilisation.

Kabbale propose de jouer des méchants, potentiellement animés d’une perversité extrême (les joueurs en décident par leurs choix), certes, mais avec une raison au moins aussi forte de l’être. Chez l’humain, tu retrouves toujours un motif et au moins une nuance à la méchanceté (ou la vengeance). La plupart des tueurs en série furent des victimes de la société bien-pensante avant de se retourner contre elle avec la rage d’un animal blessé (la différence est que l’homme est un prédateur plus froid et calculateur). Mais qui a démarré le conflit : les travers d’une société bâtie par ses congénères ou l’inaptitude du tueur en série à s’y adapter plutôt qu’à se réfugier dans ses fantasmes (puisqu’il n’a pas le courage ou la possibilité de changer le réel) ? 
Comme en mathématiques, ce que je trouve vraiment intéressant, ce n’est pas la finalité (le résultat), mais le chemin de croix (la démonstration).
La principale déviance (ou fuite) est la toxicomanie. Elle commence toujours doucement, s’insinue dans la vie des PJ et s’installe machinalement dans leur quotidien. Dans le jeu, la toxicomanie est l’élément déclencheur du fantastique schizophrène dans lequel vont être plongés les joueurs et les personnages. Dès lors, ils parviendront de moins en moins à distinguer ce qui relève de la réalité (potentiellement une hallucination collective) ou du fantasme personnel. Je tenais à entretenir le doute sur la véracité des événements troublants que vivent les personnages pour conserver une tension permanente. Cela vaut pour le surnaturel comme pour les actes répréhensibles ou outrageux qu’ils peuvent commettre (si tout ceci n’est qu’un rêve ou un delirium tremens, je peux donc a priori tout me permettre puisque tout sera effacé au réveil).  
Parce qu’ils ont vu clair dans la mascarade qui se joue (aspect thriller d’espionnage ésotérique du jeu) ou parce qu’ils sont abusés par leurs propres convictions et que, de facto, ils sont des proies faciles, les personnages rejoignent une kabbale qui vénère un Indicible dont la doctrine promet une transformation et une révélation (le Nouvel Ordre cosmique). Ils en viennent donc à combattre une doctrine (la Pensée unique) par une autre doctrine (celle de la kabbale) sans jouir pleinement de leur libre arbitre (en raison de la came qu’ils se mettent pour rester zen et de l’incertitude induite par leur crise existentielle, uniquement apaisée par le discours rassurant de la secte). Au final, ils sont condamnés à n’être que des pantins, sauf s’ils parviennent à remonter des traits de personnalité enfouis et à retrouver un peu de libre arbitre.

Le jeu ne propose pas de réponse, car il y a plusieurs vérités et que toutes condamnent les PJ. Les personnages sont un peu comme les héroïnes du film Sucker Punch16 : en s’échappant du cauchemar qu’ils vivent par la seule issue proposée dans le jeu, ils vont peut-être se retrouver dans le corps d’un patient aliéné qui reprend le dessus. À l’inverse, s’ils jouent le jeu de la kabbale et parviennent à instaurer le Nouvel Ordre cosmique, peut-être s’enferment-ils dans un délire schizophrène irréversible. Ou l’inverse, peu importe, car ce qui est intéressant, c’est voir leurs réactions perpétrées avec l’incertitude de savoir si ce qu’ils font est réel ou irréel. L’irréel désinhibe et enferme, il convient donc dans le doute d’observer une certaine retenue que, bien évidemment, rien dans le jeu n’encourage… Les personnages de Kabbale sont des victimes qui ne peuvent prétendre à l’innocence. S’ils deviennent aussi des monstres, cela relève uniquement de la responsabilité des joueurs (et de la perniciosité du MJ). Kabbale tend aux joueurs des perches très séduisantes à saisir, mais toutes activent un couperet qui s’abat sur leur personnage. Un aspect sadomaso très excitant.

Bien, alors être auteur, c’est une chose, mais tu es aussi de l’autre côté de la barrière, à savoir éditeur… l’imagerie d’Epinal veut que cela consiste surtout en :

  • avoir de l’argent,
  • vouloir de l’argent
  • contrarier de pauvres artistes incompris en leur imposant ta vision ultra commerciale de leur jeux, afin de maximiser les deux points précédents.

Alors, Épinal… info, intox… ?

Entrez donc gentil auteur, nous allons établir un contrat équitable pour tous…

Je n’en sais rien. C’est peut-être vrai chez certains éditeurs, moins chez d’autres. Il faudrait poser la question aux auteurs dont j’ai publié les jeux. Certains ne veulent plus entendre parler de moi, d’autres sont devenus des amis de longue date, la vérité est sans doute quelque part au milieu.
Je ne crois pas que mon CV affiche des jeux indés « ultra commerciaux ». C’est un peu antinomique. Les jeux sous franchise le sont, par définition, mais ils n’appartiennent qu’aux ayants droit et à l’éditeur, pas aux rédacteurs que je dirige (œuvres collaboratives, etc.), d’autant plus que je suis aussi « concepteur » sur ces projets (je ne pense pas mériter le titre « auteur »). Tu sais, à part Dés de Sang et One%, puis Wulin17 (avec les V2 et V3), les jeux indés que j’ai publiés se sont vendu moins de 400 exemplaires (alors que Cobra se vendait par palettes complètes chez Ludikbazar). Pourtant, j’ai dû respecter et faire respecter bien plus de contraintes sur Cobra que sur ces derniers : j’ai accepté toutes les exigences des auteurs, même le choix des artistes et des couvertures, je n’ai pas exigé de coupes pour respecter un format type même quand on dépassait les estimations, ni n’ai imposé une vision particulière d’un jeu (que la forme de l’objet soit conditionnée aux moyens disponibles est un autre problème, il me semble).

We’re only in It for the money !
(comme disait l’autre 😂)

Faire de l’argent est le propre d’une entreprise et d’une démarche commerciale. Critiquer un éditeur pour cela est contradictoire avec le fait de le démarcher pour être publié. Rien ne garantit la rentabilité d’un jeu sur la base de ses seuls textes, surtout dans une société où l’image et le paraître ont pris le dessus, il est donc légitime de chercher à rendre « présentable » et vendable un produit sans forcément chercher à le dénaturer. Sinon, autant se débrouiller seul en autoédition, il n’y a pas de honte à cela : j’ai commencé comme ça, je finirai peut-être aussi comme ça et il y a de très belles réussites par ce procédé. Les plateformes de financement participatif sont aussi là pour aider les porteurs de projet indépendants (quoi, j’ai écrit une connerie ?). Tu noteras que je n’ai publié que des jeux aux thèmes très spécifiques que seuls les auteurs connaissaient vraiment (à part Dés de Sang qui traite d’un thème que j’affectionne) ; tu noteras aussi que tous ces jeux (sauf Dés de Sang et One% à leur époque) furent signés par des noms connus qui connaissaient leur boulot et pour lesquels je me voyais mal dicter quoi faire. Quand je découvre un projet soumis, j’écoute les suggestions (les auteurs ont généralement cogité le sujet bien avant moi et bien plus en profondeur que moi) et je réfléchis s’il n’y a pas une façon de l’optimiser. Si j’en trouve une, je la propose et on en discute, sinon, je poursuis l’idée initiale si elle m’a séduite et donné des « raisons raisonnables » de croire que je ne vais pas mettre la clé sous la porte après l’avoir publiée. Il m’est arrivé de décliner des projets parce que l’on n’était pas d’accord dès le début ou que l’on n’arrivait pas à se caler, mais c’est une situation parfaitement banale. Il suffit de ne pas signer et de se souhaiter bonne chance. Mais comme les auteurs sont souvent des passionnés et les éditeurs des dépassionnés, un refus n’est pas toujours très bien digéré.

Aujourd’hui je travaille régulièrement avec Steve Goffaux, Vincent Lelavechef18 et Nicolas Henry 19. Je ne crois pas leur avoir imposé une vision (tu peux essayer toi, si tu veux : trois belles têtes de cochon !). Je crois que nous avons des rapports détendus et complices parce que nous avons grosso merdo les mêmes goûts ou approches d’un projet et qu’au pire, seul l’intérêt du jeu compte.

« Détendus et complices » hein !

Un exemple parmi d’autres : Nicolas (auteur de Wulin) rêvait d’une couverture signée Felix IP20 (mangaka hongkongais de Blood & Steel21 qui a notamment inspiré le jeu). Et bien on a cassé la tirelire pour avoir du Félix IP sur Wulin V3. Cela a permis d’être cohérents sur le projet et la vision originale de l’auteur, d’avoir une expérience très agréable et enrichissante avec un artiste chinois et enfin cela a permis d’ouvrir le jeu sur d’autres horizons que le seul marché français (une traduction chinoise est en signature grâce à Si Mo, l’épouse de l’auteur, qui a déniché un éditeur prêt à dealer avec le diable que je suis). Tout le monde jouit des bénéfices d’une collaboration intelligente, même s’il faut faire des petites concessions de-ci de-là.

Quand j’ouvre un bouquin (de jdr ou autre) et regarde l’ours, je constate souvent que réaliser un livre, c’est un travail d’équipe, avec non seulement un auteur, mais également une direction éditoriale, un ou des conseillers éditoriaux, une direction artistique, un maquetteur, un ou des relecteurs, sans compter toutes les petites mains qui gèrent les échanges avec l’imprimeur, le distributeur, etc
Ça se passe comment chez LETO ?

Jusqu’à présent, chez LETO, c’était de l’artisanat, alors je ne sais pas si la comparaison avec le mode de fonctionnement d’une grosse structure est bien pertinente. Je m’occupe seul de la préproduction (par nécessité, pas par choix, crois-moi), en faisant des suggestions tant sur le fond (l’aspect ludique du moins, parce que sur l’aspect contextuel d’un jeu aussi pointu que Wulin, je me vois mal contredire Nicolas, l’expert en la matière) que la forme, sachant que celle-ci est fatalement conditionnée au budget (beaucoup moins aux divergences de goûts). Pour la charte graphique, je commande des gabarits à Julien Dejaeger22 ou Josselin Grange23. Je leur donne une idée globale et je les laisse travailler.

Ha ben oui, la mise en page de Julien Dejaeger pour Flash Gordon… Il connait son métier le monsieur 😍

Je fais valider le tout par l’auteur, on ajuste ce qui est bon et possible d’être ajusté et je coule la mise en page. Sur les relectures, c’est pareil. Les relecteurs font leur job sans faire d’incessants allers-retours avec l’auteur (c’est une question de confiance), et quand il s’agit de la réécriture d’un passage, je prends l’initiative et je la fais valider par l’auteur.


Toutes les autres missions sont à ma charge : relectures (avec des collaborateurs), mise en page, échanges et négociations avec l’imprimeur et les fabricants d’accessoires, communication (mission que j’espère un jour déléguer à un vrai CM), préparation et « animation » des CF, préparation des colis, envois des colis, SAV, relations clientèle, comptabilité, paperasserie, réception et expédition des stocks au distributeur, démarchage pour trouver de nouvelles franchises, création de règles et de scénarios (sachant que 30% au mieux de ce qui est couché sur papier est exploité), répondre à des interviews deux ans après… * regard bovin perdu dans le lointain *
Bref, deux grosses paluches et une petite cervelle qui gèrent tout de façon très imparfaite, fatalement. Mais quand le roulement financier le permettra, peut-être pourrais-je enfin déléguer de A à Z la forme d’un projet à un Julien Dejaeger pour souffler un peu et prendre du recul (nécessaire pour avoir une vision plus pertinente). En attendant, je ne te cache pas que ce n’est pas simple et absolument pas rémunéré à la hauteur des heures de travail fournies (mais bon, pour draguer, on ne va pas se mentir : c’est quand même la grosse classe de dire que tu es éditeur).

Note que depuis décembre dernier, Jérôme Isnard24 (ex-chef de projet chez Sans Détour25) s’est associé à LETO. C’est un garçon intelligent, travailleur et qui a sa propre entreprise dans un autre domaine ; il connaît et comprend donc très bien les difficultés et contraintes auxquelles je suis confronté. Je lui délègue les nouveaux projets (gestion et choix) pendant que je gère les derniers dossiers en souffrance. Cela permet d’avoir un turn-over dans les projets et de faire fonctionner l’entreprise tant que les projets en bouclage ne sont pas commercialisés.
C’est aussi l’occasion de tester une nouvelle approche moins risquée pour les clients : avancer la préproduction au maximum de ce qu’il est possible de faire avant de proposer un jeu en CF. Par exemple, pour Against the DarkMaster26 et Everway 25e anniversaire27, les traductions (et logiquement la mise en page) seront bouclées pour la fin de leur CF. Les clients pourront donc découvrir ces jeux dès la fin de l’opération et les délais seraient réduits à ceux nécessaires pour l’impression (comptons deux mois). Le revers de la médaille, c’est le risque financier. Si les CF ne fonctionnent pas, on perd l’argent et le temps investit. Si les clients répondent et que ces opérations sont un succès, on pourra faire la même chose pour Wraith V2028 et d’autres belles traductions en signature. Je suis parfaitement conscient que les délais de livraison ont dépassé les bornes sur certains projets, et la sanction en termes de crédibilité et finances est sans appel. C’est la règle du jeu. En misant sur cette nouvelle approche, j’espère que nous pourrons rentrer dans une nouvelle logique, mieux satisfaire la clientèle et faire oublier les casseroles du dépôt de bilan Game Fu et des retards liées au Covid. Sans l’aide de Jérôme, je ne pouvais pas mettre en place cette stratégie qui, je l’espère, sera payante – mais si on savait à l’avance ce qui fonctionne ou pas…

Quand on est comme toi un grand patron du cac 40, on n’a plus de soucis à se faire pour rien à priori ? Du coup tu te reposes sur tes acquis et en profites pour faire du ski nautique au large de ton île privée entre deux run en Lamborghini ou au contraire tu réfléchis à comment faire avancer tes plans machiavéliques de domination du monde de l’édition sur le long terme ?

Tu sais bien : « ma passion, c’est votre pognon ». Du coup, je fomente, j’ourdis, je complote, je manigance, je trame, je cabale… (tu as vu ce formidable placement de produit ?).
À l’époque de Pulp Fever, j’éditais après ma journée de travail sur les chantiers. J’ai tout économisé, ce qui nous a permis de racheter le magasin Game Fu (le « rêve » de mon épouse) pour lequel j’étais présent 10 heures par jour, 6 jours sur 7, voire 7/7, profitant des moments de calme pour travailler l’édition sur un coin de comptoir. Depuis LETO (décembre 2017), je suis confiné chez moi et je travaille 10 à 12 heures par jour (ou à cheval entre le jour et la nuit). La charge de travail ne me permet pas de sortir à l’envi, mais là encore, c’est un choix. Quand tu es indépendant, tu n’as pas un patron, mais [nombre de tes clients] patrons. Tu es responsable, donc si tu veux assurer un minimum, tu ne peux pas te permettre de faire n’importe quoi. Tu dois bosser tous les jours et faire attention à la trésorerie, car l’argent des financements participatifs ne t’appartient pas. Tu peux jongler un peu sur ta marge estimée, mais généralement c’est pour faire l’avance sur des droits d’un autre projet qui va être rentable (oui, curieusement, moi, on me demande toujours de m’acquitter des droits avant d’exploiter une licence) ou payer tes charges ou tes loyers en retard, mais pas pour flamber au Lido (tout au plus à Lidl). Je commets déjà suffisamment de boulettes à devoir tout gérer en même temps, donc si je lâche prise (et on y prend vite goût), ça risque de devenir très vite n’importe quoi.  
Avec une structure fragile, tu n’es pas à l’abri des imprévus et des retards. Et les retards coûtent cher : ils reportent la mise en vente (et donc les rentrées d’argent), ils décalent les plannings (et alourdissent ta charge de travail à venir et t’imposent de trouver d’autres prestataires, car ceux qui étaient prévus ne sont plus disponibles – eux aussi doivent rentrer de l’argent) et écorchent ta crédibilité (tu passes pour un con en annonçant des dates que tu ne puisses pas tenir pour X ou Y raisons). Cela augmente ton stress et réduis d’autant tes capacités de concentration et tu commets fatalement d’autres erreurs. Tu es constamment sur la brèche et il faut impérativement se tenir éloigné de cette spirale infernale. 
Entre les gosses à gérer (l’aîné a pris son indépendance, mais il me reste le cadet, un petit nerveux qui adore me rendre dingue), les tâches ménagères (depuis le Covid, mon épouse travaille de nuit), les galères administratives, les soucis de santé et les multiples missions du boulot d’édition, ma vie est certes passionnante, mais aussi parfois très pesante. Comme je suis un parfait autodidacte, gérer ces multiples casquettes me demande souvent plus d’efforts qu’un professionnel. Et puis surtout, la création n’est pas un job sur commande : tu peux rester des heures avec le regard bovin devant une page bien blanche, sans que rien ne se produise. Tu peux aussi aller pisser la nuit et avoir le « déclic » pour remplir sur l’instant des pages et des pages qui, lorsque tu les reliras le lendemain matin, te sembleront parfaitement merdiques. Donc comme tu as pris du retard (retard plus ou moins psychologique), tu bosses plus tard et tu remets au lendemain tes autres missions. Puis arrive le week-end, et tu le passes à rattraper tes retards et à t’excuser au lieu de pavaner. Bref, à bien y regarder, ce handjob est un piège à bras cassés.

On entend énormément de critiques de la part des rôlistes en général quant aux différents financements participatifs auxquels recourent maintenant la plupart des éditeurs (ouiiii alors maintenant c’est les clients qui avancent l’argent… le boulot d’un éditeur c’est de prendre des risqueeuuuuux… et puis y’a trop de goodies… mais on veux des dés spéciaux… pis c’est livré en retard… et j’en passe 😅).
Concrètement, c’est quoi ta position vis à vis de tout ça ?

Pour donner des sioux, écrivez à l’arc (ça va pas être facile)

Ils ont raison. Soyons francs : à travers le financement participatif, ce sont les clients font le boulot que les banques refusent de faire avec notre propre argent. Je n’ai pas grand-chose d’autre à te répondre, à part que je donnerai cher pour me passer des FP, car je n’ai pas pour vocation de faire le mendiant. Mais si tu veux publier un jeu avec les standards de qualité actuels et que tu n’es pas un gros éditeur avec une trésorerie solide, tu dois te soumettre à la séquence « marchand de tapis ». L’édition ne semble pas être un métier reconnu comme fiable auprès des banques, même avec des licences rentables. Si je voulais me remettre dans le chauffage ou ouvrir une cave à vin, on me déroulerait le tapis rouge, mais dès que je parle d’édition ou de jeux, mon interlocuteur se rappelle tout de suite qu’il est en retard à son cours de poney.
Il y aurait beaucoup à dire sur le procédé, mais je ne veux pas donner l’idée de critiquer certains confrères qui trouvent leur compte avec. Le jour où les gens en auront marre de souscrire, on changera de métier, c’est tout. C’est le cycle logique des choses. Pour ma part, je préfère diversifier mon activité (vers les jeux de cartes ou de plateau) et étudier d’autres solutions de financement, notamment à l’étranger, pour qu’à l’avenir ma dépendance envers les FP soit limitée.

Si tu devais donner un conseil (ou douze hein, je ne te freine pas) à quelqu’un souhaitant se lancer dans l’édition, autre que « fuyez pauvres fous ! », … ça serait quoi ?

1) Prendre un conseiller juridique compétent. Les attention whores pullulent et te font du gringue pour avoir leur nom dans les crédits sans rien foutre. Il faut s’en protéger.

2) Ne pas compter ses heures de travail.

3) S’entourer d’un petit groupe de collaborateurs fiables et ne pas en sortir (mieux vaut apprendre et grandir ensemble).

4) Ne pas tenir compte des réseaux toxiques (ils ne servent au mieux qu’à soutenir un projet, par la polémique si besoin)

5) Être toujours amoureux des projets sur lesquels on s’investit, car le retour est incertain. L’amour fait passer bien des désagréments.

Un petit quickie sur l’imaginaire en général ?

  • Si tu étais un livre (roman/bd,…) : une vieille BD LUG29 (j’ai été nourri à ça en étant gosse), un bouquin de William Burroughs30 ou Jack Kerouac31 (du mouvement beat generation), ou encore un roman d’Alexis Soumachedchi32 (alias Bernard Prou) un professeur de la Sorbonne et mentor qui m’a éclairé sur le profane et le sacré
     
  • Si tu devais cosplayer quelqu’un : Léodagan33 (Kaamelott) ou Jimmy Page34.
  • Si tu étais un jeu (de rôle/vidéo,…) : Wraith, pour le jeu de rôle, Assassin’s Creed Odyssey35, pour le jeu vidéo.
  • Si tu étais une période historique : l’antiquité (Grèce).  
  • Si tu étais un univers fantastique : Kaamelott ou Camelot 300036 (comics).

Et pour conclure, la question vache… selon toi, quelle est la place de l’imaginaire dans la culture (qu’elle soit populaire ou autre) et comment te positionnes tu dans ce vaste tableau ?

Pour l’imaginaire, je ne sais pas, mais en ce qui me concerne, ce serait plutôt au dernier rang : je ne suis pas très photovoltaïque 😉

Tout d’abord, merci très chers lecteurs d’avoir su respecter la nature profondément sacrée de ce moment et l’environnement naturel de notre sujet afin de rendre possible d’autres observations par les générations futures.
Je souhaiterais également exprimer mon profond respect envers Allain Bougrain Dubourg37, véritable mentor auprès duquel j’ai pu apprendre (tous les dimanches matins) à approcher la vie sauvage et sans lequel rien de tout cela n’aurait été possible.
Et enfin, merci Laurent pour la passion qui t’anime dans ce beau métier qui, je cite, permet « à des ados de quarante ans de jeter des dés et de se prendre pour des elfes » 🥰🥰🥰

Allain forever…

Propos de Laurent Rambour recueillis par David Barthélémy

Notes et références :

1 Jdr Magazine
2 Casus Belli
3 Led Zeppelin
4 Les Éditions du Troisième Œil
5 Dés de Sang
6 Willy Dupont
7 One%
8 Steve Goffaux
9 Kabbale
10 Cobra
11 Valérian
12 Flash Gordon : création originale de Laurent Rambour sous licence M.J.A licensing / King Features NY. … à venir…
13 Charles Xavier
14 Ed Wood
15 42
16 Sucker Punch
17 Wulin
18 Vincent Lelavechef
19 Nicolas Henry
20 Félix IP
21 Blood & Steel
22 Julien Dejaeger
23 Josselin Grange
24 Jérôme Isnart
25 Sans Détour
26 Against the Darkmaster
27 Everway 25e anniversaire
28 Wraith v20
29 LUG
30 William Burroughs
31 Jack Kerouac
32 Alexis Soumachedchi
33 Léodagan
34 Jimmy Page
35 Assassin’s Creed Odyssey
36 Camelot 3000
37 Allain Bougrain Dubourg

Focus

Focus sur Frédéric Meurin autour de l’élevage des huitres

Pour beaucoup de rôlistes, au delà des parties plus ou moins régulières, il est une aspiration qui revient souvent… Travailler dans le Jdr.
Tout le monde en parle à un moment ou un autre, mais « relativement » peu y parviennent.
Comment, qui, pourquoi eux et pas nous ?
Mais quelle injustice criante nous frappe au point que les 124 concepts révolutionnaires qui sont dans les tiroirs… restent dans les tiroirs ?
Souvent, la réponse tient en peu de mots… IL FAUT BOSSER !
Ok, bosser donc. Par là dessus, il faut également guetter les opportunités et se jeter dessus quand elles se présentent, ce que j’ai bien intégré puisque je profite honteusement de l’arrivée imminente du prochain financement des suppléments pour la V2 de Vampire : Le Requiem pour arracher une interview à Frédéric Meurin, responsable de la com’ autour du projet et auteur de Jdr…
Prenez en de la graine et aiguisez vos canines, ça va saigner.


Salut Frédéric et merci de prendre un peu de ton temps pour répondre à mes quelques questions.
Bon alors, j’ai cru comprendre que depuis quelque temps, ton activité dans l’édition de Jdr s’était pas mal intensifiée… Entre 7e Mer¹, Vermine 2047², Valérian³ ou encore Tiny⁴, tu as de quoi t’occuper.
Tu peux nous en dire un peu plus sur ton parcours pro dans le Jdr et comment les choses se sont mises en place ?

Salut Barthus et bonjour à toutes celles et ceux qui nous lisent !
Tu as pas mal résumé la situation, ça bouge de tous les côtés.
J’ai découvert le JdR comme beaucoup dans les années 90, au lycée. Certains ont persisté et sont passés pro, pour ma part c’est à la fin des années 2010 que j’ai mis le pied de l’autre côté. Le Studio Agate⁵ cherchait des relecteurs pour la toute fraîche 2e édition de 7e Mer, et de là les choses se sont enchaînées. Relecture pour Vampire : Le Requiem 2e Edition⁶, toujours chez Agate, rédaction des suppléments Le Coffre à jouets et du Bestiaire des cauchemars pour Tiny chez Jdr Editions⁷, de scénarios pour 7e Mer, participation à Valérian chez LETO⁸, au premier supplément pour Oreste⁹ chez Elder Craft¹⁰… 2020 a été très riche en rencontres et en opportunités, chaque travail ouvrant presque la porte d’un autre !

Et 2021 promet de ne pas être en reste avec comme tu l’as dit, de gros morceaux de rédaction et de coordination éditoriale sur Vermine 2047, plus d’autres projets donc je ne peux pour le moment pas parler.

Toutes ces participations à droite à gauche semblent faire de toi une sorte de mercenaire de l’édition. C’est un choix délibéré, une question d’opportunités, un réel besoin de se diversifier ? Dans tous les cas, ça te permet de “voir” le fonctionnement de différents éditeurs et leurs méthodes de travail. Tu dois t’ajuster aux différentes exigences de chacun ou telle une rock star tu poses tes conditions et advienne que pourra ? 

Ouh là, c’est me faire trop d’honneurs ! Et je ne crois pas que quiconque ait les moyens d’imposer ses conditions dans le petit milieu du JdR, les budgets n’ont rien à voir avec une tournée de Beyoncé.
Quant au mercenariat, cela reste finalement très limité : je n’ai travaillé qu’avec quatre éditeurs entre 2019 et 2020. J’ai des copains qui bossent pour bien plus de monde (d’ailleurs, je me demande quand ils dorment) ! Là encore, c’est pour beaucoup une réalité économique. Cette passion – de l’écriture, du jeu de rôles ou des deux – peine à faire vivre les auteurs et les autrices en France, par manque d’un statut et d’une meilleure reconnaissance dans la chaîne du livre.
Donc cette relative diversité visait clairement un objectif : celui de me professionnaliser, ce que je viens de concrétiser. J’ai pas mal décroché mon téléphone ou mes mails, rencontré du monde sur des salons, répondu à des annonces – ça existe ! Il fallait franchir un certain volume pour oser abandonner mon boulot en CDI et devenir saltimbanque option écriture.
Des opportunités, un peu d’insistance pour “mettre le pied dans la porte” et beaucoup de chance m’ont donc permis de travailler sur des projets très divers dans les circonstances très particulières que nous avons tous connues avec les confinements à répétition. C’est parfois compliqué de switcher entre la SF space-opera-réaliste d’Oreste, celle beaucoup plus pulp de Valérian ou celle encore différente de Projet-secret-je-ne-dirai-rien. D’autant qu’au-delà de l’ambiance, le cahier des charges change du tout au tout : Sébastien Moricard¹¹ a une vision très précise de son univers, et il t’invite à l’enrichir tout en gardant un cap aussi bien pour son jeu que pour les joueurs qui vont l’explorer. Pour Valérian, les albums constituent une bible incontournable. C’est une mine d’informations, donc tu ne veux rien oublier sans trop pouvoir broder, de peur d’exploser le signage ou pire, de voir les ayants-droits retoquer ta copie. Le vide intersidéral n’offre pas toujours la même marge de manœuvre !
Après, c’est un lieu commun, et pourtant une réalité : “de la contrainte nait la créativité”.
Ces cadres permettent justement de travailler l’imaginaire et d’explorer des voies très variées avec comme tu le dis, des méthodes de travail très différentes.
Cela reste très enrichissant d’un point de vue créatif et méthodologique : le niveau d’exigence s’en trouve souvent relevé et on prend le meilleur de chaque méthode pour l’appliquer à chaque commande. S’inspirer et améliorer, mhm, ouais, j’ai peut-être encore quelques réflexes de ma vie d’informaticien d’avant ! 

Ton travail au sein du Studio Agate ne s’arrête pas à la rédaction et à la coordination puisque tu es aussi chargé de la com autour de la gamme Vampire le Requiem. C’est une part de l’édition souvent problématique pour pas mal de monde, du coup comment tu gères ça et en quoi ce travail consiste exactement ?

Tel que je le vois du petit bout de ma lorgnette, et de ce que j’entends de mes collègues d’ici et d’ailleurs, le petit monde du JdR français arrive à un moment charnière. Les difficultés qui ont frappé le secteur, avec les confinements, les boutiques qui ont dû fermer, les clubs qui ont interrompu leurs activités et une année ou plus de conventions et salons annulés, obligent un peu tout le monde à se réinventer. La concurrence reste cordiale mais elle existe bien évidemment, donc il faut sortir son épingle du jeu (pun intended). Les concours de circonstances, encore eux, font que l’essentiel de mon activité se fait désormais sous les couleurs d’Agate – avec encore un peu de temps pour les jouets de Tiny.
Cela comporte pour le Studio la mise en œuvre de (progressivement) tous les aspects communication. L’actualité du Studio pour 2021 est très dense, avec beaucoup de très gros projets qui arrivent à leur conclusion à la rentrée – ou plutôt qui arrivent à la fin de leur phase une, un peu comme le MCU¹². Je pense bien sûr à la Tétralogie Dragons¹³, à Melwan¹⁴ et Romantisme Noir¹⁵ pour Esteren¹⁶, dont les livraisons vont avoir lieu si tout se passe bien à l’automne. C’est une très grosse étape et les pôles logistique et fabrication du studio mettent les bouchées doubles pour conclure ces projets très attendus (avec en plus Démon : La Damnation¹⁷, Sociétés secrètes pour 7e Mer, et la prochaine précommande de Vampire : Le Requiem qui se tiendra du 5 au 19 juillet 2021).
Nous nous devons de tenir nos souscripteurs au courant de l’avancée de ces travaux, et surtout de préparer la suite.


Parce qu’il n’y pas de phase une sans une belle phase deux, et celle-ci promet d’être extrêmement riche. Les gammes Dragons et Esteren vont poursuivre leur développement, Vermine 2047 va perdre son E final pour traverser l’Atlantique, d’autres projets sont en cours de réalisation, et nous préparons d’ores et déjà deux beaux projets pour la rentrée.
Le premier consistera en une grande campagne originale pour 7e Mer, de création 100% française, afin de compléter notre offre de scénarios pour ce jeu. Et si les aficionados de la V1 regrettaient n’avoir “que” quatre nouveaux scénarios à se mettre sous la dent en plus de ceux repris de la première édition, cette fois, ils auront de quoi emmener leurs Héros de la Théah aux quatre coins du monde ! Les textes sont intégralement rédigés, les illustrations prêtes à 80%, et l’été promet d’être très studieux pour ceux qui bossent sur ce projet pour qu’il arrive sur Ulule¹⁸ le plus finalisé possible.
Le deuxième concrétisera une annonce faite par le Studio il y a bientôt un an et concerne Brancalonia¹⁹. Il s’agit d’un jeu indépendant motorisé par la 5e, édité en Italie par Acheron Games²⁰. Plutôt que de sauver le monde, ce cadre original propose aux joueurs de réaliser rapines, escroqueries et autres coups pendables : ici pas de Héros, juste des Canailles, dans le plus pur esprit des westerns spaghettis. Si vous avez toujours rêvé de jouer Tuco plutôt que Blondin dans Le Bon, La Brute et Le Truand²¹, ce jeu est pour vous ! Par contre, il se peut qu’à un moment, on vous rappelle que le monde se divise en deux, ceux qui savent lancer Boule de feu, et ceux qui creusent… et que vous, vous creusiez !  La traduction est finalisée – autant pour le livre de base que le kit d’initiation et plein de belles surprises sont là aussi en cours de préparation pour un Ulule haut en couleurs dans le courant de l’automne.
Et pour répondre à ta question : voilà en quoi consiste mon travail de communication pour le studio. Donner envie et teaser ! Blague à part, cela comporte beaucoup d’échanges avec la presse, les chaînes Youtube et plus encore avec les passionnés comme toi. Sans flagornerie, votre enthousiasme et votre soutien nous aident beaucoup à faire connaître nos créations, parce que malgré leur puissance, les rézosociaux ne font pas tout !

Comme beaucoup dans ce milieu, tu as également un job en dehors de l’édition.
C’est une question de confort, de sécurité, une réelle nécessité ?

A vrai dire, ce n’est plus une question ! J’ai franchi le pas en juin 2021. Cela reste un pari un peu osé, cependant assez calculé pour me dire que je ne devrai pas vendre un rein pour manger à la fin de l’année.

Alors, écriture de scénarios, relecture, roman, coordination, com… ça c’est fait.
Pour la suite, tu nous as prévu quoi ? Charleston, ébénisterie, élevage d’huîtres ?

Si je te dis que je m’essaye à la lutherie de guitare quand je n’en joue pas, tu me crois ? Bon ok c’est plus de la bricole, mais c’est pourtant vrai. Et j’essaye de remplir mon potager, mais là non plus c’est pas encore ça.

Et du coup, c’est quelle tâche parmi tout ça qui a ta préférence ? (et ne me dis pas l’élevage d’huîtres hein, c’est une catégorie à part)

C’est très injuste pour les huîtres qui sont des créatures sensibles, souvent incomprises parce que dépourvues de caractéristiques permettant l’identification anthropomorphique. Les Shoggoth²² souffrent du même problème.

Frédéric dans ses œuvres de crustaço-thérapie entre deux scénars

Le soin psychologique des mollusques à part, ma préférence demeure à l’écriture créative au sens large du terme. D’ailleurs en ce moment, il me tarde de retrouver un peu de temps pour me retourner à l’écriture de mon troisième roman.

Pour en revenir à Requiem, comme il s’agit d’une traduction, les apports du studio sur la gamme sont fatalement plus limités que sur d’autres jeux (comme Vermine 2047 par exemple)… Pour le coup, tu y trouves quand même ton compte ? 

Requiem reste un projet très intéressant parce qu’il s’inscrit dans une même volonté du studio de faire vivre des histoires aux gens. Ce que vivront les joueurs et leurs personnages de Vampire : Le Requiem se déroulera dans un contexte très différent de Vermine 2047 ou de Dragons, mais le dénominateur commun demeure les personnages. Ce qu’ils vivent, ce qu’ils ressentent, pourquoi ils font ces choix. Bien sûr dans Dragons, la dimension “tourment intérieur” est moins marquée mais un cadre épique pose aussi des questions sur la nature humaine (vous vous souvenez d’un certain roi du Gondor qui doit choisir ou non de prendre un petit bijou ?).
Alors, oui, nous sommes plus limités dans l’aspect créatif. Cela ne nous empêche pas d’apprécier pourquoi nous avons voulu traduire cette gamme et l’offrir au public français : pour offrir une proposition de jeu qui nous semblait pertinente et riche de possibilités.

Tu peux nous teaser un peu sur le financement à venir, ce qui est prévu, les délais approximatifs de livraison ?

Très volontiers, je suis venu ici pour ça !
Cette précommande se déroule sur Ulule du 5 au 19 juillet 2021. Elle permettra d’acquérir les versions papier du Guide de la Nuit et de Semi-Damnés, pour Vampire : Le Requiem 2e Edition
C’est une précommande, et pas un financement participatif : la traduction, le maquettage et les relectures ont déjà été réalisés. D’ailleurs les PDF correspondants ont été envoyés ou sont en passe de l’être pour les souscripteurs du précédent financement de la gamme (qui portait sur Un millénaire de nuit et Le Secret des Ligues). Il n’y a donc pas de paliers à débloquer, de bonus à obtenir : une fois que la précommande aura atteint cinquante ouvrages de chaque, nous pourrons lancer l’impression.
Plusieurs raisons nous ont poussé à ce choix : d’abord, nous souhaitons aller vite. Là, avec les ouvrages prêts en numérique, il ne reste que les délais d’impression – – et connaître les volumes à commander auprès de notre partenaire situé en Europe. Cela nous permet de viser une livraison à l’automne. Nous ne voulions pas compromettre cette rapidité avec des bonus qui auraient peut-être retardé le moment où les gens tiendront le livre en main.
Ensuite, ces deux ouvrages font partie pour les Chroniques des Ténèbres de la phase une évoquée plus tôt. Quand celle-ci sera terminée, notamment avec la livraison des souscriptions Démon : La Damnation, du Guide de la Nuit, de Semi-Damnés et des autres gammes évoquées auparavant, le Studio pourra se poser et évoquer la suite des Chroniques des Ténèbres.
Mener une précommande courte et rapide, pour assurer les impressions au meilleur coût comporte cela dit plusieurs avantages pour les souscripteurs. S’ils ont participé à l’un des précédents financements participatifs du Studio, parmi Démon, Dragons, 7e Mer – Sociétés secrètes, EsterenMelwan ou Romantisme noir, l’envoi du Guide de la Nuit ou de Semi-Damnés n’occasionnera pas de frais de port supplémentaires. Nous combinerons les envois pour une livraison à la rentrée scolaire 2021.
Sachant que durant cette précommande, vous pourrez aussi acquérir n’importe quel ouvrage des Chroniques des Ténèbres (donc oui, aussi des intégrales Démon ou des intégrales Vampire voire les deux !), la ristourne peut devenir conséquente.
D’ailleurs, autre petit bonus de cette précommande, achetées ensemble, les versions collector du Guide de la Nuit et de Semi-Damnés seront au même tarif que la version standard. C’est donc vraiment l’occasion pour compléter sa gamme à moindre coût.

Ok, alors précommande et délais courts c’est parfait comme démarche (d’ailleurs de plus en plus d’éditeurs tendent à fonctionner comme ça, n’est-ce-pas Arkhane Asylum23), mais au-delà de ça, le Guide de la Nuit et Semi-Damnés, c’est quoi exactement ?

Le Guide de la Nuit pourrait presque s’intituler : 138 pages d’idées pour Conteurs de Vampire. Ce livre regorge d’inspirations et de conseils sur comment mener sa Chronique, à quelle époque, comment faire intervenir les Ligues, comment complexifier les rapports au sein et entre coteries, et comment mélanger tout ça pour trouver le cocktail qui vous convient. Il y a bien sûr quelques mécaniques supplémentaires : des Styles, des Dévotions et même un système de joute verbale qui permettra d’enrichir le roleplay et de restituer cet aspect primordial pour beaucoup de Vampire qu’est la réputation.
Bien sûr tout cela reste très libre : ce ne sont que des suggestions. Chaque Conteur, chaque joueur, pourra venir y piocher pour enrichir sa Chronique ou son Requiem. À titre personnel, c’est un de mes aspects préférés de ce jeu : il affirme haut et fort quelque chose qui est trop souvent passé sous silence. “Vous avez acheté ces livres, désormais c’est votre jeu et vous en faites ce que vous voulez !” Cela laisse une grande latitude aux Conteurs pour animer leur Chronique : si un aspect leur déplaît, ils peuvent le laisser de côté.
Semi-Damnés va aller lorgner du côté des goules, des revenants et des dhampirs. Les premiers sont généralement bien connus. Ce sont des humains drogués à la Vitae, généralement par un Vampire qui va s’en servir pour faire quelque chose dont il est incapable : marcher en plein soleil. Ils ont en VO leur propre supplément, pour mettre en scène des serviteurs PNJ et des antagonistes. Ici, ils seront jouables en tant que personnages. Les défis d’une telle interprétation sont multiples. Incarner un serviteur totalement soumis n’a que peu d’intérêt, mais imaginez un peu jouer une goule dont le Vampire a été éliminé. Comment trouvez-vous votre dose de Vitae ? Une autre idée : vous jouez dans le Monde des Ténèbres, mais au lieu d’incarner un Vampire ou un Démon, et de profiter de l’arsenal de pouvoirs qui va avec… vous êtes une goule. Pas aussi faible qu’un bête humain, mais quand même, pas au même niveau de puissance. Pas du tout au même niveau. Quels trésors d’inventivité allez-vous déployer pour accomplir la mission que vous a donnée votre maître ? De quoi bien réinventer le jeu, surtout que la goule a sa propre vie, ses propres relations avec des vivants et donc ses propres tourments – et cette soif, bon sang, cette soif !
Les revenants étaient jusque là présentés comme des accidents regrettables, des négligences de vampires peu précautionneux, qui compromettaient par leur soif inextinguible la mascarade. Et si vous en jouiez un ? Un résidu d’Étreinte ratée, un infant non-désiré, un buveur de sang inachevé qui subit tous les inconvénients de l’immortalité, sans aucun avantage – pas de clan, pas de ligue, juste la solitude d’un être condamné à la nuit… et à la compagnie de ses semblables. Sentez-vous cette colère ? Cette puissance ? La bête ? Mais qu’elle vienne, si votre “sire” peut y goûter, ça lui apprendra peut-être à assumer !
Les dhampirs enfin, sont bien souvent les moins connus des Semi-Damnés. Pourtant eux aussi ont leur supplément en VO, où ils sont là encore présentés comme PNJ et comme adversaires. Les dhampirs sont nés d’un parent humain et d’un autre vampire. Il y en existe un très connu dans le monde de la BD qui a même eu son adaptation au cinéma. Alors autant vous prévenir tout de suite : les dhampirs sont moins badass que le daywalker24 et leur existence beaucoup plus dramatique. Vampire le Requiem oblige, les personnages dhampirs devront composer avec une ascendance mystérieuse et condamnable, et leurs pouvoirs les feront passer par des hauts et des bas. D’ailleurs, êtes-vous un humain avec des pouvoirs de vampire, ou un presque vampire avec des résidus d’humanité ? Là encore, dans le Cercle du bout de la Nuit, peu de chance que votre place soit très enviable par son côté bâtard.

Je t’avouerai que j’avais beaucoup hésité à me lancer dans Requiem… Échaudé par la politique éditoriale du White Wolf25 des années 90, je redoutais une énième gamme à rallonge qui s’empilerait jusqu’au plafond, enchaînant les rumeurs contradictoires jusqu’à plus soif (comment ça Mascarade j’écris ton nom ?).
Tu peux me rassurer là-dessus parce qu’il commence à y avoir quelques bouquins déjà et j’aimerais continuer à croire à un contexte maîtrisé pour ce jeu (du style un ou deux suppléments de plus et basta) ?

Nous, chez White Wolf, on aime bien aller à l’essentiel !

C’est amusant que tu parles de ça, parce que nous venons de publier sur notre blog dédié aux Chroniques des Ténèbres une explication du comment et pourquoi White Wolf a édité Requiem après avoir arrêté Mascarade. (ici)
Je ne vais pas ré-écrire ce long article ici, mais en résumé, Mascarade était un jeu à storyline, à l’époque où le Vampire était LA figure de pop-culture dominante. Aujourd’hui ce serait peut-être le zombie (encore que ça me parait déjà passé de mode), mais c’est moins fun de jouer un cadavre qui grogne “cerveau” qu’un prédateur aux dents longues. Le succès de Mascarade était tel que White Wolf publiait quasi un supplément par mois à partir 1995, avec les soucis de coordination que ça peut impliquer : rapidement, celle-ci était… bon, on sait tous ce que ça a donné – et perso, je trouve que ça a plus dérapé du côté des garous que de Vampire.
Quand ils sortent Gehenna, qui est à la fois un très bon et très mauvais supplément, ils appuient clairement sur le bouton “Self destruct” de leur monde, au moins pour les Vampires.
Et ils décident de sortir Requiem, qui ne comprendra pas de storyline : un souci de moins ! Le fait que le jeu sorte en 2004, à une époque où le JdR peine face aux MMORPG et aux jeux de cartes, ralentit le rythme de publication. Ces problèmes deviennent au final des avantages pour les joueurs : la gamme reste plus ramassée, et les suppléments sont mieux coordonnés. De plus Requiem est envisagé comme un jeu-bac à sable. Pas dans le sens jardin d’enfants, au contraire, ses thématiques sont beaucoup plus sombres et tourmentés que son prédécesseur. Bac à sable dans le sens “construisez votre Chronique”. Chaque table explore les aspects qu’elle veut de cette version plus intimiste et plus désespérée de Vampire. Là où le jeu de 1991 explorait une conspiration de créatures surnaturelles qui cherchent à dominer le monde pendant qu’une super-menace risque de leur tomber dessus (la fameuse Géhenne), Vampire : Le Requiem parle de deuil, de mort et de sacrifice, dans un cadre très politique. L’immortalité c’est long, surtout vers la fin, alors que faire pour repousser la Torpeur ?
Les jeux ne s’adressent pas aux mêmes publics et c’est très bien comme ça. En terme technique, la puissance brute des personnages de Requiem l’emporte quand on les crée… mais plus le jeu avance, plus cette force de frappe passe au second plan derrière le rapport à l’humanité, la lutte contre la Bête et les relations entre Clans et Ligues.
Pour répondre donc à ta question : la gamme Requiem s’enrichit en France (le Guide de la Nuit et Semi-Damnés seront les quatrième et cinquième suppléments) sans devenir “indéchiffrable”. Il en existe d’autres en VO, cependant ces suppléments ne sont pas près de se contredire. Il y a par contre de fortes chances que l’interprétation du Monde des Ténèbres change d’une table à l’autre avec Vampire : Le Requiem. Comme dans n’importe quel JdR, me diras-tu; certes, juste, c’est ici dans l’ADN du jeu.

Bon, finalement mes étagères ne me maudiront pas sous le poids d’une gamme interminable, c’est cool

Et une fois tout ça bouclé, c’est quoi tes projets à plus ou moins long terme en matière d’écriture ?

Actuellement, je mets la main à la pâte sur deux scénarios pour Tiny, qui devraient être publiés pour la fin d’année – je laisse les collègues de JdR Editions vous en dire plus à l’occasion.
Après Vampire, nous avons “quelques” projets avec le Studio Agate, pour lesquels j’ai aussi bien de la rédaction que la coordination éditoriale à assurer. Mais je ne peux rien dire avant la rentrée.
Bon, allez, quand même : il se pourrait que je sois chargé de rédiger des aventures supplémentaires enrichissant la campagne 7e mer, en mode “l’aventure en plus”. Ok, vous allez me dire que ça j’en ai presque déjà parlé, et c’est pas faux.
Le reste… le reste, non, vraiment je ne peux rien dire. Sauf que j’espère bien réussir à reprendre mon roman !
D’ici là, je retourne préparer la précommande pour Le Guide de la Nuit et Semi-Damnés !

Hé bien voilà, comme quoi on peut à la fois jardiner, faire de la musique, se soucier du bien-être de nos amis les mollusques et travailler dans le monde du jeu de rôle… La morale de cette histoire semble être qu’il faut savoir enfoncer les portes et ne rien lâcher être polyvalent pour y arriver et surtout, faire preuve d’une belle motivation.
Merci Frédéric pour cet entretien et bonne chance pour la suite (même si à priori, quand on bosse, la chance n’a plus grand chose à voir là dedans).
De mon côté, je vais filer relire Requiem pour me remettre dans le bain avant la précommande et compter les jours qui me séparent encore des livraisons de Dragons et Melwan 🙂

Propos de Frédéric Meurin recueillis par David Barthélémy

Notes et Références :

le site de Frédéric : https://www.frederic-meurin.com

1 7ème Mer
2 Vermine 2047
3 Valérian
4 Tiny
5 Studio Agate
6 Vampire : Le Requiem
7 Jdr Editions
8 LETO : Les Editions du Troisième Œil
9 Oreste
10 Elder Craft
11 Sébastien Moricard
12 MCU
13 Dragons
14 Melwan
15 Romantisme Noir
16 Esteren
17 Demon : La Damnation
18 Ulule
19 Brancalonia
20 Acheron Games
21 Le Bon, la Brute et le Truand
22 Shoggoth
23 Arkhane Asylum
24 Daywalker : Référence au Personnage principal dans Blade
25 White Wolf