Focus

Entretien avec Nicolas « Gulix » Ronvel

Nous poursuivons notre tour des indépendants du jdr avec aujourd’hui Nicolas “Gulix” Ronvel1, auteur de nombreux jeux au format court, traducteur et papa du tout récent Face au Titan2, un jeu sans meneur de son cru, disponible en pdf et en impression à la demande sur DrivethruRPG3.

Voilà, ça c’est un auteur heureux

Bonjour Nicolas. Attaquons avec ton actualité …
Jusqu’ici ta grande spécialité c’était plutôt les jeux courts (en une page, pour trop long ; pas lu4), les cadres de jeu pour Fiasco5 et Monster of the Week6 ou encore des traductions comme Mausritter7 ou Dino Island8.
Alors dis-moi, qu’est-ce qui a fini par te pousser à te jeter dans la création de Face au Titan (qui, rappelons-le, pèse tout de même ses 372 pages) ?

Alors, commençons par rétablir la chronologie de tout ça. Parce que si Face au Titan ne sort que maintenant, il a en fait émergé à l’été 2018. Et a pris forme et consistance autour de l’automne et l’hiver suivants. Alors que les traductions de Escape from Dino Island et Mausritter ne sont intervenues que plus tard, quand la grosse machinerie était lancée.

L’envie, elle est venue en créant justement des suppléments (pour Monster of the Week, Fiasco ou Dungeon World9) et aussi en traduisant des jeux (notamment pour la Caravelle10, comme A Single Moment11 ou Death of Legends12). J’avais cette envie de porter un projet, de porter ma vision et d’en faire un ouvrage complet. Pas juste un supplément.

J’aime l’exercice de création, et j’avais participé à des concours de création (GameChef13, 200-word RPG14, Trois fois forgé15 …) qui m’avaient mis l’eau à la bouche. J’avais un autre projet (sur lequel je reviendrai un jour) qui avait toute mon attention, sur lequel je réalisais des playtests, pour lequel j’avais même contacté des éditeurs. 

Et puis Face au Titan a débarqué sans prévenir. Une écriture estivale au camping, suite à des idées qui ont émergé de souvenirs lointains à propos d’une nouvelle dans un vieux supplément de Necromunda16. J’ai écrit pleins de trucs, trouvé cette idée de phases, et tout s’est enchaîné rapidement.

Les tests étaient concluants, et je me suis lancé dans cette aventure sans forcément bien savoir où cela allait me mener.

Pour celui-ci, tu as eu recours au financement participatif par la plateforme Kickstarter17, tu pourrais nous parler un peu de ce que ça a changé pour toi en tant qu’auteur (et du coup éditeur), dans la méthode, la conception du projet, ainsi que les avantages/inconvénients de la chose ?

Plus je travaillais sur le brouillon du jeu, plus je voulais en voir une version complète. Avec notamment des illustrations. Et comme je ne sais pas dessiner, il me fallait un illustrateur. Et donc le rémunérer. Je n’avais à l’époque pas les fonds, et aussi une volonté de ne pas perdre d’argent (autre que celui de mon temps) sur le projet. Donc, l’idée de monter une campagne de financement a germé très vite. Et puis j’étais curieux de l’envers du décor.

A côté de ça, Face au Titan est un jeu de rôle particulier, parce qu’il s’agit d’un jeu sans meneur, avec un système où la narration l’emporte sur le ludique. Pour traîner un peu dans les conventions et sur les réseaux rôlistes, je ne voyais pas comment le financer avec le seul marché francophone. Je me suis posé la question de la viabilité d’une traduction, et j’ai fait des tests. Ça m’a convaincu de me lancer dans la chose.

Et voilà un beau bébé de 372 pages arrivé bien à terme, félicitations aux heureux parents

Je pensais avoir bouclé une bonne partie du texte. Me restait la mise en page, ainsi que les quelques bonus. Je voyais ça bouclé en quelques mois. J’étais naïf. 

Déjà, j’étais tout seul. Grossière erreur. Une campagne, bien menée, c’est éprouvant. Une à deux heures quotidienne de suivi, pour répondre aux questions, rédiger les news, relancer la communication, faire le tour des réseaux. Pas mon métier. Pas ma passion. Mais nécessaire. Ça m’a vidé.

Et je n’ai pu reprendre le travail sur le brouillon que fin août, quand la campagne s’était terminée en mai. Parce que je n’arrivais plus à encadrer le jeu. Donc retard. Et des tests supplémentaires m’ont amené à réviser des choses, qui ont entraîné des réécritures. Bref, encore plus de retard. 

Par contre, de l’autre côté, j’ai pu touché plein de monde que je n’aurai même pas effleuré sans ça. Parce que Kickstarter lui-même est une grosse vitrine. J’ai pu entrer en contact avec des gens de communautés que je ne connaissais pas, et j’ai pu intégrer dans le jeu des gens dont les productions m’avaient influencé. J’ai aussi pu constater que Face au Titan attirait l’intérêt. Et c’est quand même bon pour l’ego. 

La page de financement a tout de même réuni 448 souscripteurs, ce qui est très honorable pour un premier projet de cette envergure, et t’as permis de toucher le marché anglo-saxon. Tu aurais des chiffres à nous donner quant à la proportion de souscripteurs version française/version anglaise ?

J’ai environ 40% de backers francophones. Ce qui est normal parce que c’est là que j’ai communiqué le plus. J’avais déjà une présence dans certaines communautés, je connaissais les médias à qui m’adresser, et j’avais des gens qui avaient testé le jeu qui en parlaient.

J’ai eu la bonne surprise d’avoir des contacts italiens et finlandais, en fin de campagne, qui m’ont demandé s’il était possible d’avoir le jeu en anglais et en français, pour raviver un français qu’ils avaient étudié et qu’ils souhaitaient rafraîchir.

Tu t’es donc fortement inspiré du système de Sword Without Master18 de Epidiah Ravachol19 pour motoriser ton jeu. C’est un choix qui s’est imposé de quelle manière ? Et surtout, comment t’y es-tu pris pour te l’approprier et lui faire servir le propos de ton jeu ?

La couverture de la vf de Swords Without Master par Guillaume Tavernier

Je suis un grand fan de Swords Without Master. C’est pour moi un des meilleurs jeux de rôle qu’il m’ait été donné de pratiquer. Et j’étais à fond dans la customisation du système sur un autre projet (les Orphelins du RadX20) quand l’idée de Face au Titan a débarqué. J’avais aussi lu Sorceress Bloody Sorceress21, qui reprend des mécaniques dans un jeu sans meneur. Et Face au Titan était au départ un hack de ce jeu, pour y jouer “une sorte” de Moby Dick22

Ca a vite dérivé, et j’ai commencé par établir ces Phases de jeu, avec leurs tons propres. Chaque phase avait ses propres règles (mais j’en suis revenu pour arriver à 5 phases/3 règles), et je me suis inspiré des phases de Swords Without Master, d’autres hacks (With Great Power23 notamment).

Le reste est venu assez naturellement, en essayant de donner un rôle aux dés et à chaque type de résultat, tout en gardant un rythme fluide à la partie. Les tests ont été cruciaux pour enlever l’inutile et réviser ce qui ne fonctionnait pas.

Le jeu propose plusieurs ajouts de Titans par des noms bien connus de la scène indépendante, comme Epidiah Ravachol, Melville24, Khelren25 ou Raffaele Manzo26 (dont je confesse ne pas connaître le travail, à mon plus grand désarroi).
Alors, tu l’as recruté comment ton casting ?

J’ai tout simplement dressé une liste de gens qui avaient influencé mon travail, et que je jugeais important dans ma construction d’auteur mais aussi dans ce qu’ils avaient amené à Face au Titan par ce biais.

Raffaele Manzo est un auteur italien que j’ai découvert via Enter the Avenger27, un jeu de rôle de vengeance publié dans Worlds Without Master. Une de mes premières traductions indépendantes pour un jeu méconnu (Vengeance Aveugle28). Et le contact lors de cette traduction était bien passé, et je ne voulais pas proposer que des Titans francophones. Comme il hésitait entre deux Titans, on est parti sur les deux (la campagne le permettait).

Epidiah, c’est parce que je voulais tout simplement intégrer l’auteur du jeu qui a permis à Face au Titan de voir le jour. Et j’adore les univers qu’il propose via ses jeux.

Melville, c’était une évidence pour moi. Sur les Frontières29 est un méga coup de coeur de ma part. Et on a pu se croiser quelques fois aux Utopiales30 (Nantes) ou à Eclipse31 (Rennes). Des discussions toujours très intéressantes. Je savais que les univers qu’el proposerait seraient assez différents des Titans plus classiques que j’avais proposé. El a accepté avec plaisir et quand j’ai vu arriver Tisseuse, qui prolonge l’univers de la trilogie Naëscence, j’étais aux anges. Et la proposition de Grisaille correspond parfaitement à ce que je recherchais en ouvrant à d’autres la création de Titans : des idées que je n’aurais pas eu. 

Enfin, Khelren m’avait contacté pendant la campagne pour me proposer un coup de main d’éditeur. Mais je n’avais pas le budget pour. Par contre, j’étais ravi de lui proposer un Titan. Sachant qu’il a traduit Swords Without Master en français et m’a donc permis de rencontrer ce jeu, c’était une boucle de bouclée. 

Le jeu se veut ouvert aux Hacks, que cela soient les tiens ou ceux d’autres auteurs … Histoire de nous faire saliver un peu plus, tu as déjà des pistes ou des propositions par des tiers ?

Je n’ai pas encore eu de propositions de hacks, mais j’ai pu discuter avec Nick Bate32, auteur de Stealing the Throne33, et Face au Titan a guidé certains de ses choix pour son jeu. Et ça fait grave plaisir !

J’ai des concepts de Titans qui n’ont pas fait le cut, mais que j’ai envie de pousser un peu pour voir. Par exemple une horde de zombie, la forêt de Millevaux34 de Thomas Munier35, le grand blanc des dents de la mer, un hommage à Pacific Rim. Mais aussi des idées de modification du jeu lui-même. Par exemple, une sorte de mode “campagne” pour enchaîner les Titans. Et aussi un ajout sur les personnages des joueurs, pour donner un côté plus ludique au jeu.

Mais j’attends surtout de voir les propositions des autres (s’il y en a). L’ouverture aux hacks, c’est parce que j’aime cette façon de faire, de prendre un jeu et d’en faire autre chose, de proposer une autre vision.

Les illustrations de Roger Heal36 sont vraiment très chouettes, porteuses d’ambiance et rendent très bien la démesure des forces auxquelles les joueurs vont être confrontés.
Lorsque je les ai vu pour la première fois, cela m’a fait penser à celles de l’ancêtre Donjons & Dragons, dans lesquelles un groupe d’aventuriers se trouve opposé à ces immenses cracheurs de feu …  et de là, à la réflexion que je me fais systématiquement, qui est qu’il faut être complètement cintré pour faire face à de pareilles créatures. Cela va, ce me semble, bien au-delà du simple héroïsme.
C’est une notion que tu abordes dans le jeu ? 

Pas frontalement. Mais c’est quelque chose qui émerge naturellement en jeu. Le jeu ne pose pas la question de “pourquoi on s’attaque au titan”, mais elle arrive naturellement sur la table au cours de la partie.

Certains choix, notamment dans la fin de partie, offrent également aux joueurs la possibilité de choisir leur réponse. Et pas de se la voir imposer. Quand un personnage est mis hors-jeu, son joueur peut en décider l’issue véritable. L’épilogue est une phase très importante du jeu, et elle permet notamment de rebondir sur tout le chemin parcouru pendant la partie, grâce aux Motifs et aux Echos. Il s’agit de ma phase préférée, car elle amène souvent de magnifiques conclusions.


Et pour le rendu graphique, tu avais un cahier des charges bien précis, tu as laissé carte blanche à l’illustrateur … ?

(Consulte ses notes) Un Titan par illustration, les Compagnons en silhouette. Une Montagne Vivante. Le Kraken. Une méduse magique éthérée avec des tentacules. Une grosse vache/sanglier/cerf.

Voilà pour le cahier des charges. Sur les Titans additionnels, notamment des autres contributeurs, il y avait un peu plus de matière (généralement, le texte relatif au Titan). Pour Tisseuse, j’ai intégré l’étoile qu’on retrouve dans les illustrations du Grümph37 pour la trilogie Naëscence (Sur les Frontières, Aux marches du Pouvoir38 et Monstres39).

Et puis, sur la couverture du jeu, j’ai mis mon nom et celui de Roger Heal. Parce qu’il a influencé mon travail sur les Titans. Certains éléments des Titans ont évolué suite à la réalisation des illustrations. Le cadre de Lofituina était par exemple inspiré de Vaïana40 (j’ai une fille qui est fan) au départ, mais quand il a intégré un bateau à vapeur dans l’illustration, j’ai revu tout ça. Pareil pour l’illustration du Mur, qui a complètement changé l’optique du cadre.

Et j’ai beaucoup aimé travailler comme ça. 

Je suis quelqu’un de très curieux des motivations des gens, alors dis-moi, l’indépendance c’est un choix délibéré de rester en dehors des circuits conventionnels du marché du jdr, un moyen d’avoir le contrôle total sur ce que tu produis, ou ça s’est fait comme ça, sans arrière pensée ?

J’aurai adoré travailler avec un éditeur. Mais franchement, dis-moi, quel éditeur francophone se positionnerait sur Face au Titan, même aujourd’hui ?

J’ai eu une touche, mais qui souhaitait accoler un élément qui ne me plaisait pas du tout et ne correspondait pas à ce que je voulais. Donc j’ai décliné.

En tant qu’auteur, sur ce projet comme sur d’autres, il y a des choses sur lesquelles je suis intransigeant, et d’autres où je suis prêt à laisser la main mise à quelqu’un d’autre. C’était d’ailleurs le cas sur les Orphelins du RadX dans mes contacts avec quelques éditeurs.

Si je devais refaire le projet aujourd’hui, je pense que j’essaierai de trouver un partenaire, ou une équipe pour mener le projet. Mais je n’avais pas forcément ces contacts, et le marché était différent il y a 2 ans.

Il y a des projets que j’ai où j’irai démarcher des éditeurs. D’autres projets que je mènerai de A à Z parce que ce sera le seul moyen qu’ils voient le jour.

En ces temps troublés et avec l’annulation pour ainsi dire de tous les événements culturels du type salons, conventions et autres festivités, il ne paraît pas évident d’assurer la promotion des nouveaux projets, voir de rencontrer d’éventuels collaborateurs … d’un autre côté, entre couvre-feu et confinements, les circonstances se prêtent plutôt bien à dégager du temps pour la création et l’outil internet tourne à plein régime. Ça se passe comment pour toi, ça change beaucoup de choses vis-à-vis de ta façon de travailler ou d’envisager de nouveaux projets ?

Ça change énormément de choses. J’avais des rendez-vous réguliers avec les conventions du grand ouest, j’envisageais d’en tester un peu plus loin, mais cela n’est plus possible pour l’instant, et ça me manque. Les discussions, les playtests, les rencontres, c’était un moment plus qu’agréable.

Il y a bien eu les conventions en ligne, mais je n’arrive pas à bien y participer. Parce que je ne suis pas très client du médium vidéo (je n’arrive pas à suivre une partie ou une émission sur twitch, par exemple). Je lui préfère l’écrit. Et j’ai donc aussi des lacunes à participer à ces réunions. J’ai aussi un problème d’organisation personnelle pour ces événements.

Un weekend de convention type Utopiales, je le prépare en famille. Pour voir quand ma femme s’occupera des enfants, s’il faut appeler les grands-parents pour une journée ou deux, et quels jours je peux m’accorder en attention totale à la convention. Je pars de la maison, je suis en mode 100% convention jusqu’à ce que je revienne.

Aaaaaahhh les Utopiales de Nantes … Nostalgie …

En convention en ligne, je suis à la maison. Et donc, automatiquement, l’attention n’est pas à 100%. Je n’arrive pas à m’immerger. Je suis devant mon PC, mais je vais aussi participer à la vie familiale. Si ma femme travaille, je ne suis plus en convention. Bref, la coupure n’est pas là, et j’ai adoré participé aux Cyber Conv’41, mais c’était vraiment pas pareil.

Pour le travail sur Face au Titan, ça a été horrible en fait. Parce que je travaille 8h par jour en télétravail sur le même PC qui me servait à écrire le jeu. Et donc, le soir, je ne pouvais plus le voir en face, ce PC. Donc, retards. J’ai changé de poste de travail maintenant, c’est plus facile. 

Je fais avec la situation, mais j’ai hâte de pouvoir remettre en mains propres le jeu.

De ton point de vue, la plus grosse difficulté quand on se lance dans le petit monde de la création de Jdr, c’est quoi ?

Le regard des autres. Celui qu’ils posent sur vous et celui qu’on imagine qui se pose sur vous. Je me suis souvent posé la question, avant de me lancer : est-ce que je suis légitime à lancer le jeu comme ça ? Est-ce que c’est pas un peu trop prétentieux ? Le fameux syndrome de l’imposteur.

Et puis, quand on fait du JDR indé sans meneur, sans préparation, à forte valeur narrative, y a tous les fameux “C’est pas du JDR !” qui viennent dans les dents. Ca fait mal au début, on se défend, on cherche à comprendre. Je suis passé à autre chose. Y a pas un JDR. On trouve des JDR. Comme pour le jeu vidéo, où on peut faire du FIFA, du Call of Duty, du OxenFree ou The Witness. Mais ça reste du jeu vidéo. Heureusement, il y a d’excellentes communautés, ouvertes à tous les JDR (comme C’est pas du JDR !42 justement).

Et pour conclure, qu’est-ce que tu penses de l’évolution de notre loisir ces dernières années, que ce soit concernant le monde de l’édition ou celui de l’indépendance ?

itch.io … une mine de jeux indépendants

Je trouve qu’on est dans une super époque. Les #ZineQuest43 permettent de découvrir des pépites tous les ans. La montée en flèche d’itch.io44 amène tous les mois de nouvelles idées géniales. Le jeu de rôle est de plus en plus accessible. Que ce soit via les Actual Play, le boulot des maisons d’édition, l’arrivée de nouveaux acteurs et formats (Pour la Reine45, pour ne citer qu’un exemple).

Les outils sont là pour que les indépendants puissent exister. Que ce soit en communication, en technique ou en distribution. Maintenant, tout va tellement vite qu’il est parfois dur d’exister. Il faut faire fonctionner le bouche à oreille, avoir le coup de pouce (ou de chance) qui va bien et parfois cravacher un peu trop. Mais on peut aussi juste vouloir écrire un jeu. Et le diffuser. Et voir ce qu’il va devenir. 

On a, je trouve, une communauté très ouverte qui accueille favorablement les débutants. Et il faut continuer à souffler sur ces braises-là plutôt que sur d’autres moins bienveillantes.

Comme le dit l’ami Gulix, il n’y a pas un, mais DES Jdr, et c’est justement ça qui fait la force de notre loisir.
Comme pour toute création, il y a autant de manières d’aborder le jeu que de personnes le pratiquant, et même si quelques grandes tendances se dégagent, la porte reste largement ouverte à de nouvelles expériences.
Que l’on soit orienté tradition ou porté sur des approches plus novatrices, il faut garder à l’esprit qu’une place existe pour tout le monde et que c’est en chérissant cet esprit d’aventure ludique au delà de la forme que l’évolution se poursuivra.
Sur ces paroles, certes pontifiantes (mais qui méritent d’être prononcées … enfin …écrites), je m’en vais de ce pas me procurer un exemplaire de Face au Titan et réunir un « suicide club » prêt à poutrer/négocier/comprendre/finalement fuir (barrer les mentions inutiles) ces grosses bestioles inquiétantes qui viennent obscurcir l’horizon, et passer un bon moment entre amis.

Un très grand merci à Nicolas « Gulix » Ronvel pour cet aperçu de ce qu’est aujourd’hui la création/propagation de jeux en dehors des grands circuits de distribution et les multiples pistes d’exploration évoquées au cours de cet entretien pour les plus curieux d’entre nousNul doute n’est permis quant à la présence d’autres pépites que je vais m’empresser d’aller déterrer pour mon/notre plus grand plaisir.

Taïaut hardis compagnons !

P.S. il est à noter qu’une partie de Face au Titan sera proposée par Mr Gulix himself (ainsi qu’une partie de Lore & Legacy46 par Julien Pirou47) lors de la prochaine session des Rencontres de l’Imaginaire48 le vendredi 23 avril … pour les intéressés, suivez le lien :

Parties de Face au Titan et Lore & Legacy

Propos de Nicolas « Gulix » Ronvel recueillis par David Barthélémy

Notes et Références :

1 : Nicolas « Gulix » Ronvel
2 : Face au Titan
3 : DrivethrughRPG
4 : trop long ; pas lu
5 : Fiasco
6 : Monster of the week
7 : Mausritter
8 : Escape from Dino Island
9 : Dungeon World
10 : La Caravelle
11 : A Single Moment
12 : Death of Legends
13 : Gamechef
14 : 200-word RPG
15 : Trois fois forgé
16 : Necromunda
17 : Kickstarter
18 : Sword without Master
19 : Epidiah Ravachol
20 : Les Orphelins du RadX
21 : Sorceress Bloody Sorceress
22 : Moby Dick
23 : With Great Power
24 : Melville
25 : Khelren
26 : Raffaele Manzo
27 : Enter the Avenger
28 : Vengeance Aveugle
29 : Sur les Frontières
30 : Les Utopiales de Nantes
31 : Éclipse
32 : Nick Bate
33 : Stealing the Throne
34 : Millevaux
35 : Thomas Munier
36 : Roger Heal
37 : John Grümph
38 : Aux Marches du Pouvoir
39 : Monstres
40 : Vaïana
41 : Cyber Conv
42 : C’est pas du JDR
43 : #ZineQuest
44 : itch.io
45 : Pour la Reine
46 : Lore & Legacy
47 : Julien Pirou
48 : Rencontres de l’Imaginaire

Focus

Focus Sur les Terres de Matnak, avec Mathieu « Mysko » Myskowski, Guillaume Meistermann et Jean-Pierre Hufen

Rapport de contact de l’alchimiste Barthus, éclaireur de Tyzalek, rapporté par son Oiseau d’alerte et disparu en mission depuis maintenant trois mois.

Jour 1 : « Ça y est, je quitte les murs de Matnak et me lance dans mon périple afin d’en apprendre plus sur l’Obwod et le monde dans lequel nous devons vivre (ou devrais-je dire survivre) aujourd’hui. Je sais que mon départ ne cadre pas avec l’esprit des « Eclaireurs de Tyzalek » car je pars seul et sans prévenir personne, mais j’ose espérer que c’est pour le bien de toutes et tous et que cela permettra d’assurer des jours meilleurs à mes camarades, dussé-je ne pas revenir. Depuis plusieurs jours maintenant, je sens l’Obwod bouillonner en moi et me pousser de plus en plus à la limite de cet état de Changé que je redoute.
Aussi, plutôt que de mettre en danger mes camarades par ma simple présence, j’ai préféré l’exil volontaire.
Pourquoi ? me direz-vous… Hé bien, je suis las de lutter contre le changement et me sens prêt à l’accueillir, du moment que cela n’est pas en vain.
Il y a de cela maintenant quelques semaines, j’ai eu vent (je ne saurais vous dire par quels moyens sans placer mes contacts dans une situation délicate) d’une petite communauté d’individus vivant en secret dans les ruines de l’ancienne Oréane et qui détiendrait de nombreuses réponses quant aux mystères de la genèse du monde tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Mythe ou réalité, il ne tient qu’à moi de le découvrir.
Car même au sein des éclaireurs, j’ai des doutes sur les loyautés de certains et ne souhaite pas prendre le risque que d’éventuelles découvertes ne soient étouffées par des factions mal intentionnées… »

Ruines de l’ancienne Oréane

Jour 6 : « C’est bien affaibli par la longue route que j’arrive aujourd’hui en vue des premières ruines de l’ancienne cité. Je vous épargnerai le détail de mes pérégrinations, car, n’ayant que deux Oiseaux d’alerte avec moi, je me dois de préserver un maximum de place sur les parchemins pour les informations que je pourrai recueillir. »

Jour 7 : « Le contact est établi avec trois Changés encore étonnamment civilisés, suivant les termes qu’ils m’avaient fait parvenir… une longue discussion s’entame dont je vous relaterai la teneur aussi fidèlement que possible lorsque j’aurai l’opportunité de la transcrire. »

Jour 8 : « Ce que j’ai appris hier dépasse tout ce que j’aurais pu imaginer, mais l’on me fait comprendre que ce n’était rien comparé à ce que je m’apprête à vivre. En effet, j’ai accepté que mes hôtes me conduisent à leur temple afin d’y expérimenter ce qu’ils nomment La Transhumance de l’Âme, une sorte de cérémonie permettant d’accéder à des existences passées remontant à bien avant le Déluge. Ils m’expliquent que s’ils m’ont contacté, c’est parce qu’ils ont vu lors d’une précédente transhumance que nous avions été connectés il y a de cela bien des vies.

Tout ceci me semble parfaitement irréel, mais d’après eux, je pourrais être la clé permettant de débloquer l’accès à un ensemble de connaissances sur le Monde, l’Obwod ou même, la Création de l’univers tel que nous le connaissons aujourd’hui.

On m’explique que nous allons nous rendre dans une grotte non loin d’ici, sous terre et que, sous l’Œil de la Nuit qui Voit Tout, nous devrons nous immerger dans l’Eau de la Vie tous ensemble afin d’y revivre ce qui fut vécu et le sera à nouveau.C’est avec une certaine anxiété mêlée d’excitation que je dépose mes affaires et m’apprête à les suivre, … pour Matnak. »

1 : Bonjour Mathieu1, Guillaume2 et Jean-Pierre3… Dîtes moi, après un kit d’introduction ma foi fort sympathique, vous nous concoctez un bouquin de 450 pages autour de Matnak, avec plein de belles choses dedans. Vous pouvez nous en dire un peu plus sur la répartition des tâches ?

JP : J’ai eu un rôle de scénariste, ainsi que de co-auteur concernant le développement de l’univers (certaines factions, PNJ et évènements aléatoires notamment), à partir de la base déjà présente. J’ai suivi les demandes et conseils des autres membres de l’équipe. J’ai également émis mes propres conseils dans leur domaine de travail, lorsqu’ils me le demandaient. Nos travaux se sont mutuellement influencés : il est arrivé qu’un point d’univers demande le développement d’un point de règle, ou encore qu’une modification des règles entraîne un réajustement des intrigues, par exemple. Nous avons donc beaucoup échangé pour nous assurer que nous allions toujours dans la même direction et pour éviter les incohérences.

Mathieu : pour s’assurer de la cohérence nous faisions une réunion hebdomadaire en ligne. Nous parlions de ce qu’il restait à faire, nous nous assignions des tâches et nous nous donnions rendez-vous avec l’objectif de les avoir accomplies. 

Guillaume : Pour ma part, j’ai eu le rôle du “game designer”, essentiellement, mais j’ai aidé aussi au développement de l’univers. Car si l’univers est à la base issu de l’imagination de Mathieu, ce fut aussi une création collective. Mathieu nous a vraiment laissé le champ libre, a été très à l’écoute, même si ultimement, cela reste son œuvre. Il y a eu à tous les niveaux des discussions, du partage. C’était vraiment une période très agréable, de développer le jeu tous ensemble.


2 : Quand j’ai lu le kit d’introduction, je me suis fais la réflexion qu’au niveau des thèmes abordés pour un jeu d’aventure, on avait quand même un fond assez corsé, avec notamment la part de bestialité sommeillant en chacun de nous ici assez pleinement exprimée, l’ostracisation de la différence et la peur qui l’accompagne, les difficultés à concilier les points de vue en période de crise, la menace d’extinction … Ce sont des choses qui vous travaillent dans la vie de tous les jours ?

Qui a parlé de bestialité ?

JP : Ce sont des thèmes auxquels on est confronté au quotidien. Selon l’interprétation, on peut les retrouver dans une très grande partie des œuvres artistiques, qu’ils soient sciemment mis en avant ou discrètement dissimulés.

Mathieu : En effet, comme dit JP, ces problématiques traversent notre époque et j’ai voulu les inclure tôt. Elles sont comme un miroir déformé de notre réalité et donnent à réfléchir un peu sur notre condition actuelle. Libre à chacun ensuite d’intégrer plus ou moins ce genre de thématique disons, de « société ». 

Guillaume : Je ne sais pas si ça me “travaille” particulièrement, mais en tout cas, ça m’a de suite parlé. J’ai adoré cette multiplication de thématiques fortes, portées par un univers très “BD”. Cette richesse permet plusieurs niveaux de lecture, on peut faire de ce jeu bien des choses, en fonction des groupes de joueurs.


3 : Quand on regarde les illustrations du jeu, on ne peut se défaire de la sensation d’une « vision d’artiste » mise en mots (en tout cas c’est mon cas). Ca s’est passé comment la génèse du projet ?

Oui Môssieur, je suis très sérieux quand je parle de vision d’artiste !

Tout à commencé avec une volonté de faire un univers aussi riche et cohérent que possible. J’ai d’abord beaucoup dessiné. Des personnages et des décors sortaient sans que je n’aie aucune ligne directrice. D’abord surgit un univers très médiéval puis au fur et à mesure, ça s’est orienté vers une pointe de renaissance. Quand je terminais un personnage ou un décor, aussitôt je l’insérais dans cet univers en formation. Le processus a duré trois ans, tous les soirs je me mettais à ma table pendant trois ou quatre heures. Quand cette période fut terminée, j’ai engagé un gros travail de cristallisation. C’est à dire que j’insérais dans la trame générale les illus que je n’avais pas encore liées à quoique soit et j’affinais les liens de cause à effet entre les pnj principaux, les factions, etc… ça fonctionnait comme un système d’entonnoir. j’ai fini par avoir quelque chose de stable. Mais c’était seulement les fondations. 
Puis je me suis attelé à faire un jeu de rôle dans cet univers. J’ai posé les bases d’un vague système. Ce que je voulais retranscrire en jeu. J’ai pondu 50 pages de textes sur l’univers : qui allions nous incarner ? quelles factions faisaient quoi et pourquoi ? etc… Ce processus a duré deux ans environ, toujours quatre heures par jour. 
Là, les choses vraiment sérieuses ont commencé. Jean Pierre Hufen a désiré écrire un premier scénario dans cet univers (il en écrivit cinq au total, tous riches en péripéties et transcendant les éléments de l’univers. C’était vraiment cool). 
Ensuite j’ai créé une page sur Facebook pour faire parler du projet. Le soutien de beaucoup de personnes a été galvanisant. 
Ça a permis à Guillaume Meistermann de découvrir l’univers et après lui avoir envoyé le doc texte de l’univers et du proto-système (cette partie était vraiment embryonnaire et j’étais complétement perdu pour tout dire) il a voulu embarquer dans l’aventure,ce dont je n’ai pas été déçu une seule seconde. Il a créé un système efficace, sobre, prompt à s’harmoniser avec Les Terres de Matnak, univers rude par définition. 
On a travaillé, testé, fait des conventions. On s’est adjoint d’un co-auteur pour développer ce qui avait déjà été posé, bref nous étions là, lancés dans une véritable aventure éditoriale. 
En tout et pour tout, à l’heure où je vous parle, il s’est donc passé près de huit ans depuis la première intention.

4 : Jean-Pierre, tu es en charge des différentes « missions » (les scénarios qui permettront à tout un chacun de prendre la mesure des possibilités du monde de Matnak) proposées dans le jeu. Tu t’y es pris comment pour t’approprier cet univers, sans disons, trahir la fameuse vision évoquée plus haut. Tu avais un cahier des charges ou on t’as simplement dit « lance toi, si ça ne le fait pas, tu seras juste cloué au pilori » ?

J’ai eu la chance d’avoir une certaine liberté dans la rédaction des missions. Pour m’imprégner de l’univers et trouver une source d’inspiration, j’ai tout d’abord observé les illustrations et les concepts déjà mis par écrit. Lorsqu’il y avait beaucoup de matière, je cherchais quel type d’intrigue permettait de la mettre en valeur. Dans les autres cas, je développais également les particularités des régions et des factions en fonction des besoins des missions que je rédigeais.
J’ajustais mes textes selon les demandes et conseils qui m’étaient faits lorsque je présentais les synopsis, puis une nouvelle fois lorsque je présentais les missions complètement rédigées.

5 : Mathieu, non content de nous balancer quelque chose comme cent cinquante illustrations dans le livre et d’être le papa de l’univers, tu es aussi responsable de la maquette (fiou…). Du coup, c’était quoi ta ligne directrice quand il s’est agi d’organiser tout ça, ainsi que les écueils auxquels tu as (peut-être) dû faire face ?

Alors je pourrais te dire que j’ai pris les choses chacune en son temps. Mais en fait, j’ai chevauché les étapes les unes avec les autres, pour gagner en efficacité. C’était risqué, dans le sens où je naviguais à vue. Mais j’ai patienté et ça a fini par payé, car aujourd’hui la maquette et le texte ne fonctionnent pas sans les illustrations, et inversement.


Je faisais une illustration pendant que le texte attendait. Parfois c’était l’inverse. Et quand j’ai abordé la maquette le texte n’était pas terminé entièrement, ni les illus d’ailleurs (il m’en manque encore, je suis dessus actuellement). 
Comme outil de production en équipe j’ai choisi le couperet des deadlines, même si ça peut être stressant c’est ce qu’il faut à mes yeux pour mener à bien un projet de grande envergure, avec les contraintes qui y sont liées. Bien sûr nous ne sommes pas à Hollywood, les deadlines nous servaient surtout à nous imposer un rythme entre nous. Parfois il y eu des retards mais l’essentiel était de toujours aller de l’avant. Même lentement, il faut avancer. 
Même dans le bordel il faut avancer. L’ordre finit par s’imposer naturellement au fur et à mesure du travail.

6 : Accoucher d’un jeu, comme toutes les naissances, ce n’est pas quelque chose qui se fait sans mal (pensée émue pour toutes les mamans du monde). Ça demande beaucoup de travail et de réflexion, mais au-delà de ça, comment on s’y prend pour savoir si effectivement on va réussir à proposer quelque chose de ludique en plus d’être fonctionnel ?

Mathieu : on prie pour que toutes les lectures, visionnages, et autres sources d’inspirations et de créations que nous avons emmagasinées dans notre vie de rôlistes nous servent à viser juste dans les choix à faire. Parfois ça marche, parfois on doit rebrousser chemin. Et comme avec un enfant qu’on élève, on ne sait pas ce qu’il va devenir … mais on fait tout pour que son avenir soit le meilleur possible. 

JP : Lorsque l’on prépare les intrigues et les mécaniques de jeu (y compris celles qui vont au-delà du système de règles), il me semble que le plus efficace est d’échanger avec le public ciblé. On peut en retirer de nombreuses pistes.
Dès la première ébauche produite, le plus simple est de tester le jeu autant de fois que possible et de récolter les retours, afin de déterminer si on a bien atteint les objectifs que l’on s’était fixés. Il arrive même que l’on découvre ici des pistes si intéressantes qu’elles deviennent de nouveaux objectifs.
Une fois la version quasi-finale prête, une nouvelle phase de test et de discussion ne peut pas faire de mal. Après les derniers ajustements qui s’imposent, on devrait avoir le résultat voulu. C’est comme une recette de cuisine peu précise : il faut savoir quand ajuster les étapes si on se rend compte que ça ne fonctionne pas comme espéré. L’une des grandes difficultés est de déterminer quand arrêter de faire des tests ou des ajustements, car on risque de se perdre à vouloir développer et affiner toujours plus.

Guillaume : On a énormément discuté autour du système justement, parce qu’on avait à cœur de donner un vrai objet ludique. On ne pouvait se contenter d’adapter un système, il fallait quelque chose qui colle vraiment à l’esprit de Matnak. Un truc qui fait qu’au cœur des mécanismes, il y ait ce dilemme de recourir à la puissance illimitée de la zoomorphose au risque de se perdre soi-même. J’espère avoir réussi. Mais c’est autour de ces nombreux échanges que le système s’est peaufiné.

7 : Guillaume, c’est toi qui a commis la partie mécanique du jeu en t’attelant au système de résolution … Alors, je sais que tu fais beaucoup de traduction de jdr, mais de là à basculer dans le game design, on n’est pas tout à fait dans le même registre. Ca t’as pris comme ça ou ça faisait un moment que ça te travaillait ?

Guillaume : En réalité je ne fais de la traduction que depuis peu. J’ai travaillé sur Matnak avant de traduire. Et quant au game design… Je me demande toujours si je peux prétendre être game designer. C’est un vrai métier, complexe et qui s’apprend. J’y ai mis beaucoup de cœur, j’ai travaillé sans cesse, autour de quelques points clefs.
Le cahier des charges était assez clair, en fait. La base de ce cahier a été édictée par Mathieu, mais la suite nous l’avons décidée en équipe. Il fallait de la simplicité, peu de caractéristiques chiffrées, pas de compétences, seuls les Joueurs devaient lancer les dés, on ne voulait pas d’une progression “classique” avec des niveaux mais autre chose, que les PJ soient dès le début de vrais héros, de la mortalité, un vrai sentiment de puissance, des PV, des dégâts (relativement) aléatoires, une mécanique unifiée entre toutes les phases de jeu…
Et c’est sans parler de la partie “symbolique” : bien des éléments ne sont pas choisis au hasard. Le D8, symbole d’infini, le 7 (les PV sont octroyés par tranches de 7), les 3 caractéristiques, qui additionnées font 21, etc. Tout ceci est la “faute” de Mathieu, notre grand Alchimiste. Bien évidemment, je ne me suis pas contenté de bricoler autour de ces données. Elles ont été agencées et organisées de manière très rationnelle. Les statistiques sont calculées et réfléchies. Et tout ça pour donner quelque chose de souple et plutôt orienté vers l’histoire.

8 : Pour en revenir au système de jeu, j’ai cru déceler comme une parenté avec l’Apocalypse4, tout en proposant  une approche plus « traditionnelle » dans la prise en main. Vous pouvez nous en dire un peu plus sur le cheminement qui vous a mené là ?

La fiiiiin du moooonde… ha non, l’Apocalypse

Mathieu : L’idée était de conserver les habitudes des jeux traditionnels et d’y ajouter le principe de l’apocalypse selon lequel rien ne doit pouvoir se conclure sur « il ne se passe rien ». 
Guillaume a eu la très bonne idée de synthétiser en actions courantes les mouvements habituels des jeux traditionnels (je défonce la porte, je saute le pont, je séduis tel pnj). Une fois ces habitudes adaptées en termes narratifs (franchir un obstacle, aggraver la situation, etc…), il n’y avait plus qu’à imaginer le système de résolution. Vu que le moteur est souvent les joueurs dans une partie de jdr (du moins, c’est ce que je pense) on a libéré le mj des lancers de dés, pour qu’il se concentre sur la cohérence de l’univers et la mise en scène de ses parties. 

Guillaume : En effet, Mathieu l’a très bien dit, nous cherchions un compromis entre les PbtA5 et les jeux old school. Au final, il y a une proximité avec Dungeon World6. C’est un jeu formidable qui mérite d’être testé, mais ce n’est pas aisé de le mener, cela dit. C’est plus abordable à mon avis, dans le sens où les actions ne sont pas pensées pareil. Plus simples à utiliser ! Pour finir, nous voulions un jeu dont les règles serviraient l’histoire. Facile d’accès. Qui parle aussi aux anciens, nous ne voulions perdre personne en route ! 

9 : Bon, si l’on observe bien la carte des Terres de Matnak, on peut faire la constatation que c’est à peu de chose près gros comme la Corse… C’est tout l’univers de jeu ou vous nous avez préparé douze suppléments/spin off pour étoffer tout ça ?

Matnak, Ile de beauté

C’est parfaitement ça pour l’allusion à la Corse. Imaginez, il ne reste plus que la Corse d’habitable dans le monde entier, et sur ça vous ajoutez un virus qui transforme les hommes en bêtes. Virus provoqué par la cupidité et l’orgueil. Le tout enrobé d’un nappage à la Madmax7 médiéval fantastique psychédélique, et vous avez Les Terres de Matnak !
Quant au jeu, il n’y aura qu’un seul livre, avec tout ce qu’il faut pour jouer plusieurs campagnes. Des événements aléatoires appelés Aléas, la description de 7 régions et de 7 factions liées. Le tout accueillant 150 pnj environ . Là dessus, nous avons ajouté des secrets à découvrir et des outils pour le faire. Il y aussi nos conseils pour jouer une partie ou créer une mission. Et le livre se termine sur pas moins de cinq missions pouvant se jouer en campagne. 
C’est vraiment un jeu clef en main que nous avons voulu.

10 : Un petit quickie sur l’imaginaire en général ?

  • Si vous étiez un livre (roman/bd,…) :

JP : Je serais un faux livre, pour décorer les bibliothèques.

Mathieu : le cycle de Dune8 de Frank Herbert (particulièrement L’empereur-dieu

Guillaume : Je suis incapable de répondre à ce genre de questions… Quelle torture de choisir ! Si je dois vraiment parler de mes livres favoris, je dirais “Notre besoin de consolation est impossible à rassasier” de Stig Dagerman9, “Que ma joie demeure” de Giono10, « Le Moine » de Lewis11… Mais sinon, pour la SF/Fantasy, j’ai adoré “Seigneur de Lumière” de Zelazny12. En BD c’est assurément “L’Incal” de Moebius et Jodo13, et… “Les formidables aventures de Lapinot” de Trondheim14. Et là je me dis que je suis à côté de la question, puisque je dois parler d’un livre qui me ressemble. Du coup si quelqu’un a écrit “L’indécis”, ça pourrait bien coller.

  • Si vous deviez cosplayer quelqu’un :

JP : Je serais un gigantesque Kirby15… ou un énorme Mr. Saturn16… ah, je n’arrive pas à choisir !

MathieuDocteur Who17

Guillaume : Oh la la. C’est compliqué. On va dire un truc avec un chapeau. J’aime bien les chapeaux.

  • Si vous étiez un jeu (de rôle/vidéo,…) :

JP : Je serais un jeu de dés.

Mathieu : Riven (de la série Myst18

Guillaume : faut arrêter avec les questions comme ça ! JE SAIS PAS. Bon, Shining Force 319, sur Sega Saturn. Sinon j’aime bien les jeux qui font peur.

  • Si vous étiez une période historique :

JP : Je serais la préhistoire. Il y avait de l’espace libre. Ça devait être calme. J’aime bien quand c’est calme.

Mathieu : moyen âge.

Guillaume : 20ème siècle, autour de l’avènement du rock progressif. 

  • Si vous étiez un univers fantastique :

JP : Je serais une utopie. Ça aussi, c’est bien calme.

Mathieu : l’univers du baron de Müncchausen20. Baroque, où tout est possible, et qui garde un esprit positif malgré tout. 

Guillaume : l’univers d’Ambre21, parce que tout y est possible.

Et pour conclure, la question vache… selon vous, quelle est la place de l’imaginaire dans la culture (qu’elle soit populaire ou autre) et comment vous positionnez-vous dans ce vaste tableau ? 

JP : Je pense que l’imaginaire offre d’immenses opportunités de réflexion concernant des situations fictives pouvant ou non se réaliser dans le futur. Cela permet de se préparer logiquement, mais aussi de se développer émotionnellement, bien au-delà de ce que permettrait le simple traitement de données factuelles.
Comme toute personne ayant un jour partagé un peu de son imaginaire avec un tiers, j’apporte mon infime participation au développement de ce collectif gigantesque… en bien ou en mal, je ne sais pas.

Guillaume : l’imaginaire dans la culture ou la culture de l’imaginaire ? C’est vaste. Je dirais que la place de l’imaginaire est importante, à une époque où on a du mal à distinguer les contours de la réalité. Cultiver l’imaginaire pour savoir ce qui est vrai du faux, c’est peut être une piste à suivre. Quant à notre place là dedans avec Matnak, j’ai envie de dire qu’on est dans la lignée de l’imaginaire de Jodo, Moebius22. Cet imaginaire de BD un peu fou qui va venir questionner justement la réalité. 

Mathieu : l’imaginaire, en tant qu’élément constitutif de notre condition, a toujours tenu une place importante dans l’histoire de l’humanité et nous a toujours servi à nous extraire de situations problématiques apportées par le réel. Pour moi il est l’essence même de l’homme et sans lui nous serions voués à disparaître. Pas de survie possible sans imaginaire, pas d’adaptation. 
Et si aujourd’hui l’imaginaire ne nous sert plus à comprendre comment fabriquer un piège ou fabriquer un outil, il nous sert à explorer le « champ des possibles » de nos sociétés, de nos comportements. 
En gros, je pense que l’imaginaire est une distanciation nécessaire, essentielle même, et non une simple évasion, lubie, ou passe-temps, comme on disait souvent il n’y a pas 30 ans.

Un très grand merci à vous trois d’avoir bien voulu vous prêter au jeu des questions et à très bientôt sur les Terres de Matnak.

Jour … ? :  « Je ne saurais dire combien de temps s’est écoulé entre mon entrée dans la grotte et maintenant… Mon esprit me chuchote que tout cela n’a duré que quelques minutes/heures, alors que mon corps me hurle qu’il s’agit de jours entiers.
Mon corps… il m’a fallu un certain temps pour le réaliser, mais ça y est… ce corps que je pensais mien à tort n’est plus, il est devenu… autre chose durant la cérémonie.
Ce qui est surprenant c’est que mon esprit lui, ne semble pas altéré par le Changement, contre toute attente. Est-ce lié à l’expérience que je viens de vivre ? Je ne saurais le dire… d’ailleurs je ne sais quoi en penser, phantasme induit par mes hôtes, par une quelconque substance que l’on m’aurait fait ingérer, ou réel témoignage d’un autre temps, d’une autre réalité… ?
Je préfère m’abstenir de trop y penser dans l’immédiat, devant l’énormité de ce que signifierait la véracité de ce dont je fus témoin/acteur… tout n’est-il donc qu’illusion ?

Non, ce n’est pas possible.
Mes émotions, mes sensations sont bien réelles, elles m’appartiennent en propre. Seule chose dont je sois sûr à l’instant, je ne peux plus retourner à Matnak, étant dorénavant un Changé.
Je ne peux que me résoudre à vous faire parvenir ce témoignage en guise d’adieux.
Le Changement ne signifie pas forcément la Fin… ou tout du moins, … … … je l’espère. »

Pour vos petits yeux éblouis, le WIP de L’écran du jeu

Propos recueillis auprès de Mathieu Myskowski, Guillaume Meistermann et Jean-Pierre Hufen par David Barthélémy

Article initialement publié sur le blog : Cultures de l’imaginaire

Notes et références :

1 Mathieu Myskowski
2 Guillaume Meistermann
3 Jean-Pierre Hufen
4 L’Apocalypse : référence au système de jeu développé pour Apocalypse World (cf Pbta)
5 Pbta
6
Dungeon World
7
Mad Max
8
Dune
9
Notre besoin de consolation est impossible à rassasier
10
Que ma joie demeure
11
Le Moine
12
Seigneur de Lumière
13
L’Incal
14
Les formidables aventures de Lapinot
15
Kirby
16
Mr Saturn
17
Doctor Who
18
Riven, saga Myst
19
Shining force 3
20
Baron de Münchhausen
21
Ambre
22
Moebius

Focus

Focus Hong Kong – Les Chroniques de l’Étrange (article initialement publié sur le blog « Cultures de l’imaginaire »)

Chères toutes, chers tous, 

Nous allons aujourd’hui découvrir un phénomène rare pour un Focus, avec l’observation d’une entité bicéphale, responsable d’un projet de jeu de rôle baptisé « Hong Kong – les Chroniques de l’Étrange ».

Pour celles et ceux qui s’intéressent aux littératures dites « de genre », ce nom ne semblera pas tout à fait inconnu puisqu’il vient d’une série de romans nous faisant découvrir le quotidien de Johnny Kwan, exorciste de son état, dans la très exotique (du moins pour nous) ville de Hong Kong (d’où le titre 🧐… y’en a là-dedans hein ! 😁)

Sans plus attendre et sous vos yeux ébahis, après Laurel et Hardy… Behold :

Lameire-d’Huissier (rien à voir avec la Mère Miche…non, allez, j’arrête)

couverture du jdr par Xavier Colette

1 : Salut Romain (d’Huissier), salut Cédric (Lameire) 👋… bon, je déboule un peu en catastrophe pour vous passer à la question, en rapport notamment avec Hong Kong – les Chroniques de l’Étrange, qui est en financement participatif jusqu’au 4 décembre… il était temps, me direz-vous à raison !

Si l’on passe sur mon sens du timing des plus déplorable, que reste-t-il à dire sur Hong Kong – les Chroniques de l’Étrange qui ne l’ait déjà été par le FIX1 ou le podcast Ind1002 (dur d’arriver après la guerre…) ?

[Romain] Peut-être peut-on dresser un bilan de ce financement avant la dernière ligne droite ? Dans l’idée de convaincre les derniers indécis. 

C’est en plus l’occasion pour moi de rendre hommage à Antre Monde3. Récapitulons donc.

Tout d’abord, les diverses offres restent tout à fait raisonnables : un pack tout PDF, une possibilité de ne prendre que le livre de base, une offre classique permettant de se procurer ce dernier avec l’écran et enfin la dernière proposition donne en plus de cela l’opportunité d’acquérir la trilogie de romans. En parallèle, quelques options – dont certaines se révèlent bien utiles (le dice tray avec le diagramme Ng Hang, notamment). Et voilà ! Pas de surenchère inutile ou de bonus à faible intérêt ludique risquant de mettre le projet en retard. Le cœur de ce financement, c’est le jeu et rien que le jeu.

Et afin que le public puisse se familiariser avec Hong Kong – les Chroniques de l’Étrange – et décide alors s’il est tenté ou pas par le financement –, l’éditeur propose un kit de découverte très complet (quatre-vingt-dix pages, quand même) et fort illustré. Résumé de l’univers, système, scénario et cinq personnages prétirés permettent en effet de tester sur quelques séances le potentiel de l’univers, ainsi que les règles originales du jeu. Et puis la bande-annonce du jeu – avec musique, voix off, animation ! – a de quoi donner envie de découvrir tout cela.

Il n’aura échappé à personne que le financement a débuté en plein confinement et qu’Antre Monde a alors pris la mesure de l’importance du jeu de rôle en ligne, qui gagne en puissance. Aussi a-t-il été proposé successivement pour faciliter l’utilisation du kit sur internet : une macro Dice Parser pour Discord, une fiche pour Let’s Rôle et une fiche pour Roll20 – à ma connaissance, aucun éditeur n’en a jamais fait autant. Rajoutons qu’Antre Monde s’est engagé à ce que l’un des Taonet (suppléments PDF débloqués durant le financement) sorte avant la livraison du jeu, pour permettre aux rôlistes de prolonger l’utilisation du kit (dans le même ordre d’idée, une petite surprise devrait arriver durant la semaine à venir). 

Tout cela s’accompagne d’actual play et de vidéos explicatives ainsi que de la création de salons Discord dédiés pour répondre à toutes les éventuelles questions. Un effort important a donc été accompli pour que Hong Kong – les Chroniques de l’Étrange soit un projet le plus transparent possible et que son kit de découverte ait une durée de vie suffisamment longue pour faire patienter les participants jusqu’à l’arrivée du jeu ! 

2 : Cédric, aussitôt arrivé dans l’industrie du jeu de rôle professionnel (tremble, Arcelor Mittal !) avec ton boulot sur Knight4, tu enchaînes avec Romain sur rien de moins qu’une adaptation de son univers en objet ludique… Pas trop intimidant de bosser avec Monsieur Brigade chimérique5, ça se passe comment ?

[CEDRIC] Cela se fait avec beaucoup de passion, de travail et un peu d’humour aussi ! Romain et moi, nous avons une méthode de travail basée sur l’échange. Nous avons découvert au cours de ces échanges qu’il y a une réelle complémentarité entre nos différents talents. 

Effectivement, je débute en tant qu’auteur. C’est une chance de pouvoir profiter de l’expérience et de conseils de l’équipe d’Antre Monde et de travailler avec Romain. Une chance que je ne me voyais pas laisser filer ! J’ai simplement fait ce qui me plaisait, avec l’énergie et la persévérance qui me caractérisent. 

Je ne suis pas vraiment néophyte en ce qui concerne le jeu de rôle en tant que hobby. Je suis tombé dedans quand j’étais petit – et c’était il y a longtemps ! J’ai toujours eu envie d’écrire du jeu de rôle. J’avais fait quelques essais en amateur étant étudiant, mais les moyens de se faire publier n’étaient pas les mêmes à l’époque. Pouvoir le faire aujourd’hui m’enchante. 

Mais bien sûr qu’il y a de la pression, la peur de décevoir ou simplement de commettre des erreurs, en travaillant désormais parmi les pros. 

[Romain] Au départ, c’est moi qui ai demandé à Antre Monde de me trouver un coauteur un peu pointu sur la technique. Car je voulais que les règles de Hong Kong – les Chroniques de l’Étrange soient vraiment travaillées, en accord avec les concepts de l’univers. 

Et le contact avec Cédric a immédiatement été fructueux et détendu. On travaille ensemble de façon très naturelle et sa précision compense largement mes lacunes ! 

3 : Romain, ça faisait quelque temps que tu t’étais mis un peu en retrait du monde dujeu de rôle (hormis quelques participations par le biais d’articles ou de scénarios dans des recueils à droite à gauche) au profit de l’écriture de romans… et là pouf, coup sur coup on te retrouve avec Les Partisans6 (pour Hexagon Universe⁷) qui vient d’être livré et le portage des Chroniques de l’Étrange⁸… tu boudais ou c’était juste reculer pour mieux sauter ?

[Romain] Ni l’un ni l’autre ! En réalité, cette impression de « désertion » n’est que le reflet du temps éditorial. Par exemple, j’ai écrit les Partisans avec Yohan Odivart en 2019 – mais financement et livraison de ce projet ont eu lieu en 2020. Donc pendant que je bossais, on pouvait imaginer que je ne faisais rien. De même, on travaille avec Antre Monde et Cédric sur Hong Kong – les Chroniques de l’Étrange depuis septembre 2019 en réalité. 

Et si l’on remonte, on voit que j’ai produit Mythic Battles: Pantheon⁹ (2017) alors que j’écrivais encore ma trilogie de romans (écrite entre 2014 et 2018) – ainsi que les suppléments Aventuriers & Seigneurs de la Jungle (2015) et Rois des Profondeurs (2016) pour Hexagon Universe. Je n’ai pas vraiment de raisons de rougir de ma production.

Donc en réalité, je mène vraiment écriture littéraire et écriture ludique de front sans jamais mettre de côté l’une au profit de l’autre. C’est simplement qu’il faut le temps pour produire des textes et que ceux-ci ne sortent pas immédiatement après leur achèvement. 

une petite soupe d’anguille pour se requinquer ?

4 : À moins d’écrire pour un guide touristique du moustachu qui balade son sac à dos depuis maintenant une paire d’années, Hong Kong n’est pas une « ville » connue du grand public au point de la retranscrire aisément autour d’une table de jeu (je m’y suis déjà frotté avec Feng Shui¹⁰… c’était chaud 😅). Vous vous y prenez comment pour en transmettre l’ambiance si particulière et en extirper une trame ludique exploitable… disons… par moi (au pif), qui ne vais plus en ville que pour acheter le lait des petits (et quand je dis ville, je parle de cinq milles habitants 😅) ?

[CEDRIC] À mon avis c’est un faux problème. Je vais citer quelques grandes villes du monde réel telles que Seattle, Chicago ou Tokyo (qui sont utilisées dans certains jeux de rôle assez célèbres) ou quelques grandes villes de mondes imaginaires comme Mos Eisley¹¹ ou Minas Tirith¹² dont vous reconnaitrez sans doute la provenance. Puis je vous pose la question : avez-vous eu besoin d’être des « experts » de ces villes pour y faire jouer des aventures palpitantes à vos PJ ? Moi j’avoue n’avoir jamais mis les pieds à Seattle ou Chicago et ne pas être suffisamment expert de Tolkien pour prétendre connaître Minas Tirith. Et pourtant, en jeu ça fonctionne bien.

À la base, je connaissais un peu le Japon mais pas du tout la Chine quand j’ai lu les romans de Romain. Je suis loin d’être un spécialiste de Hong Kong mais j’ai lu des romans, j’ai vu des films et à moins d’avoir un PJ qui a visité Hong Kong à la table, l’illusion est possible comme elle l’est avec n’importe quel autre décor de jeu qui ne se passe ni à Lille, ni à Lens (pour citer des villes que je connais… d’ailleurs, vous avez déjà essayé de jouer dans une ville que vous connaissez vraiment bien ? Personnellement, je n’y arrive pas : le dépaysement n’y est pas…).

[Romain] Comme le dit Cédric, l’illusion ludique doit primer sur la vraisemblance pour évacuer ce souci. D’ailleurs, mon travail de documentation pour les romans m’a permis de bien connaître la ville et je me suis aperçu à la vision de plusieurs films hongkongais que leurs réalisateurs n’hésitaient pas à tordre la géographie de leur propre cité dans un but cinématographique ! Par exemple, une poursuite en voiture qui passe d’un quartier à un autre en un virage, lesdits quartiers ne se trouvant même pas sur la même île ! Si des Hongkongais n’ont aucun complexe à ce niveau, autant dire que des joueurs français ne devraient pas avoir à s’en faire à ce sujet…

Selon moi le plus important, c’est de transcrire une ambiance – l’âme de Hong Kong, en quelque sorte. Que le lecteur comprenne ses spécificités (son mélange occident / Chine, sa modernité côtoyant le traditionnel, etc.), celles qui lui donnent son identité et font qu’il s’agit d’une cité unique qui ne peut se comparer à aucune autre dans le monde. 

Une fois ceci fait, on peut se plonger d’un peu plus près dans ses rues – mais là encore, sans forcément avoir de souci de réalisme total ou de connaissance encyclopédique. Dans le livre de base, notre description de Hong Kong mêle ainsi des lieux réels et assez iconiques (le Bouddha géant de Lantau, le quartier de Mongkok, le temple de Wong Tai Sin…) à des endroits que nous avons inventés (Chez Lau, par exemple). Et tout est bien sûr passé au filtre « Chroniques de l’Étrange » : ce qui fait que même les lieux connus sembleront différents, imprégnés de magie et de mystère.

Que le meneur de jeu comprenne qu’il peut tout à fait créer ses restaurants, ses temples, ses triades, ses îles même ! S’il comprend comment y injecter l’ADN de Hong Kong – de notre Hong Kong –, alors il sera dans l’esprit.

la trilogie aux éditions Critic

5 : Quand on adapte un univers existant pour permettre à des geeks lambdas d’y faire vivre leurs propres personnages, quels sont selon vous les pièges à éviter afin de ne pas les enfermer dans le carcan du matériau originel ? (je pense notamment à des jeux comme le Trône de Fer¹³ ou, de mon point de vue très personnel, Star Wars qui ont des enjeux tellement marqués dans la fiction qu’il semble difficile d’y trouver sa place)

[CEDRIC] Nous avons pris le parti de ne pas présenter les personnages des romans sous forme de statistiques de jeu, ni de figer les évènements qui s’y déroulent comme canoniques. C’est bien le même univers, la même ambiance et les mêmes saveurs, mais les meneurs de jeu et joueurs sont invités à écrire leurs propres histoires et à décider par eux-mêmes de la place des romans dans tout cela. 

[Romain] Voilà, tout à fait. Les romans qui mettent en scène Johnny Kwan et ses amis ne constituent pas une storyline particulière. Il s’agit de l’aventure de ces personnages littéraires et elle ne change pas le cadre du jeu (là où la fin de la saga d’Elric¹⁴ voit la destruction de son monde). Un meneur de jeu peut même s’emparer de la trame de la trilogie et l’adapter en campagne pour ses joueurs (bon, il faut qu’ils n’aient pas lu les bouquins !). 

Les héros du jeu de rôle Hong Kong – les Chroniques de l’Étrange, ce sont les PJ des joueurs et personne d’autre. Peut-être croiseront-ils Ann Lung ou Helena Shiu mais uniquement pour le clin d’œil ou s’il y a besoin d’un PNJ de leur style – et ces PNJ ne résoudront pas les scénarios à leur place ! 

Au final, les romans doivent être vus comme une source d’inspiration où puiser plein de détails ou de PNJ secondaires, mais pas une chronologie contraignante. 

6 : Cédric, en terme de gamedesign, tu as (semble-t-il à mes yeux de profane) une approche assez différente de ce qu’a pu présenter Romain dans ses jeux précédents (on peut difficilement comparer les mécaniques de Knight à celles de la Brigade chimériqueou d’Hexagon Universe)… Vous avez fait comment pour trouver un terrain d’entente ? Y a-t-il eu du sang, de la sueur et des larmes ou ça s’est fait assez naturellement ?

[CEDRIC] En fait quand on a constitué l’équipe, Romain ne me connaissait pas du tout mais moi, j’avais déjà lu pas mal de jeux sur lesquels il avait travaillé ou dont il était l’auteur ou un des auteurs. Je savais donc que j’appréciais son boulot, au-delà des romans et de leur univers spécifique. Je précise aussi que je n’ai pas conçu le système COMBO de Knight : c’est le travail de Simon & Coline¹⁵-¹⁶. Je me le suis très bien approprié et j’œuvre aujourd’hui un peu en tant qu’expert dudit système, mais c’est parce que j’aime les belles mécaniques !

La toute première proposition de système que j’avais faite à Romain pour les Chroniques de l’Étrange ne l’a pas vraiment convaincu. J’étais arrivé avec quelque chose de plutôt classique. En fait, je n’avais pas osé en faire « trop ». Nous avons eu un échange à ce sujet et je me suis rendu compte qu’on ne s’était pas compris sur ce qu’il recherchait. C’était un échange un peu magique. Plus il expliquait ce qu’il voulait, plus j’avais de nouvelles idées. De fil en aiguille, les premières bases du système actuel ont été posée lors de cette très longue discussion.

Depuis, il y a eu de nombreuses autres discussions fleuves. Nous échangeons sans langue de bois dans une atmosphère agréable de co-construction, sur tous les sujets. J’interviens au-delà du système – sur des lieux, des personnages, des scénarios. Il y a une vision commune du jeu dans son ensemble, que Romain et moi partageons à présent. Tout cela se fait très naturellement. 

7 : Petite question qui s’éloigne un peu de l’univers des Chroniques de l’Étrange et du jeu en lui-même… Ça se gère comment un financement participatif, en termes d’investissement des auteurs ? Vous êtes au taquet, plutôt relax 😎 ?

[CEDRIC] Alors autant j’étais prêt à travailler dur pour devenir un auteur pro après y avoir gouté dans le cadre de Knight, en ayant une vision très claire de ce qu’il fallait faire pour m’améliorer et y parvenir, autant j’ai été surpris par la partie financement, en effet ! Je ne m’attendais pas du tout à devoir répondre à des interviews, faire des vidéos Youtube ou me poser la question de gérer des actual play

Toute la promotion et toute l’organisation du financement, c’est l’œuvre et l’expérience de notre éditeur, en fait. J’avoue être beaucoup plus à l’aise pour écrire des pages et des pages de jeu que pour passer devant une caméra. 

[Romain] Pour ma part, j’ai aussi été surpris par l’implication que cela m’a demandé. Sans même parler de construire le kit de découverte (un vrai travail !), il a fallu assurer une promotion sur un temps assez long : faire jouer un actual play filmé, répondre à pas mal d’interviews sur divers formats, mener une démo durant Octogône, répondre à de multiples questions… Et puis ce petit cœur qui s’accélère le soir quand je regarde la progression du financement, que je la compare aux paliers qui restent à débloquer, etc. 

Mais d’un autre côté, Cédric a raison : c’est Antre Monde qui a vraiment mouillé la chemise afin de promouvoir le jeu du mieux possible. Je ne pouvais pas faire moins car après tout, c’est mon univers que porte cet éditeur ! 

8 : Il reste encore quelques jours pour faire avancer les choses sur la page du financement, toutefois c’est déjà une belle réussite (312 souscripteurs à l’heure à laquelle j’écris ces lignes) – surtout quand on voit la quantité de projets sur les deux derniers mois… En dehors d’un ou deux tristes sires étalant leur amertume sur internet (blink blink 😜), l’accueil semble plutôt bon… Alors, vous êtes du genre à faire la danse du slip devant la concrétisation de la chose ou à ronger les angles de la table basse, serrant les fesses en fixant le compteur jusqu’à la dernière seconde ?

[CEDRIC] Moi, je garde un œil sur le compteur et je fais un petit hakka jouissif à chaque fois qu’un palier est franchi. 

[Romain] Ha ha, moi je suis un gros anxieux nanti d’un terrible syndrome de l’imposteur. Donc oui, je surveille le financement d’un œil angoissé. Je regarde ces gens qui nous font confiance au point de payer avec un an d’avance un produit et je redoute de les décevoir… alors je redouble d’efforts, je cherche de nouvelles idées pour les satisfaire, je relis et corrige ce qui a été fait tout en réfléchissant à ce qui reste à faire. Pas bon du tout pour mon stress, tout ça ! 

Visuel de l’écran de jeu par William Bonhotal

9 : Bon, on a parlé textes et mécanique, mais dans un jeu de rôle l’univers graphique fait également beaucoup… Pour le coup, vous êtes servis entre les couvertures de Xavier Collette¹⁷ (qui se chargeait déjà d’illustrer les romans chez Critic¹⁸) ou l’écran de William Bonhotal¹⁹ (bien connu des lecteurs de Knight)… Ça fait quoi de voir son imaginaire transcrit en image par des gens de talent ? Et quelle part de liberté ont-ils eu pour s’approprier les choses à leur tour ?

[CEDRIC] Voir nos idées et nos écrits devenir de splendides illustrations, c’est extrêmement gratifiant. 

[Romain] Xavier Collette avait réalisé les couvertures de la trilogie chez Critic et afin de bien démontrer que jeu de rôle et romans ont une égale importance à mes yeux, il me semblait important qu’il illustre aussi la couverture du jeu. Quant aux autres illustrateurs, ils sont en effet bluffants ! J’adore voir ces visions d’artistes divers sur mon univers, car elles nourrissent la perception que j’en ai à mon tour, la transforment en y ajoutant un imaginaire qui n’est par définition pas le mien mais qui l’enrichit grandement.

Pour la réalisation de ces illustrations, nous donnons des directives puis laissons les artistes se débrouiller avec ces instructions pas forcément très précises. Le but étant justement qu’ils apposent leur marque sur l’univers et l’étendent ainsi au-delà de ce qu’il est dans ma tête.

10 : Les éditions Antre Monde semblent prendre soin de leurs auteurs tout en leur laissant une belle part de liberté sur les projets portés… Alors Cédric, tu les fréquentais déjà de par ton travail sur Knight mais toi Romain, ça s’est passé comment ce premier chantier en commun ?

[Romain] Je pense que l’interview est assez claire à ce sujet : bosser avec Antre Monde est une expérience gratifiante. Comme déjà précisé, cet éditeur s’est énormément impliqué pour rendre le projet le plus accessible possible pour son potentiel public – avec un financement bien pensé et riche de cadeaux. 

Dès le départ, Antre Monde a compris le potentiel ludique de l’univers des Chroniques de l’Étrange et a mis à ma disposition tout le nécessaire (ouais, Cédric fait partie du nécessaire – mais aussi les auteurs invités comme Julien Moreau²⁰, Antoine Bauza²¹ ou Yohan Odivart²² et les illustrateurs.) pour le concrétiser à mon idée, sans pour autant me laisser sans encadrement ou soutien. On discute, on propose, on décide ensemble et je sais que je peux me fier à lui et à son expérience – en témoigne le succès rencontré sur Knight.

Je resigne avec Antre Monde quand il veut.

11 : un petit quickie sur l’imaginaire en général :– Si vous étiez un livre (roman / BD…) :

[CEDRIC] SILO de Hugh Howey²³

[Romain] Planetary de Warren Ellis²⁴- Si vous deviez cosplayer quelqu’un :

[CEDRIC] Dark Vador (il porte un masque)

[Romain] Johnny Kwan- Si vous étiez un jeu (de rôle / vidéo…) :

[CEDRIC] Exalted²⁵ (pour le côté dragonballzedesque)

[Romain] En ce moment, je me sens très Meute²⁶ (il faudra vraiment que je le mène un jour…)- Si vous étiez une période historique :

[CEDRIC] Antiquité (j’aime les jupettes)

[Romain] Dynastie Ming- Si vous étiez un univers fantastique :

[CEDRIC] celui d’Altered Carbon²⁷

[Romain] Je triche un peu, mais ce serait l’univers cinématographique de la Shaw Bros²⁸

Et pour conclure, la question vache… Selon vous, quelle est la place de l’imaginaire dans la culture (qu’elle soit populaire ou autre) et comment vous positionnez-vous dans ce vaste tableau ? 

[CEDRIC] Le monde réel est beau mais pas toujours très sympa. Pour ne pas dire souvent très dur. L’imaginaire, c’est le monde intérieur. C’est un monde infini. Je crois avoir un imaginaire très riche. Et il s’est enrichi toute ma vie avec les romans, les livres, les films, etc. que j’ai pu voir ou lire. Le jeu de rôle m’a donné le goût du fantastique, de la science-fiction, mais aussi de l’histoire, et me donne, je crois, un regard plus ouvert sur la culture en général. Savoir se mettre à la place des autres et savoir imaginer des mondes différents, c’est quelque-chose d’incroyablement enrichissant. 

Pour moi le jeu fait partie de la culture. C’est peut-être de la « pop » culture pour certains, mais pour moi c’est de l’évasion et du bonheur au quotidien. Et c’est aussi la source de nombreuses pistes de réflexions très sérieuses, utiles pour le réel. Je suis reconnaissant de tout ce que le jeu de rôle en particulier et l’imaginaire en général m’apportent dans la vie. 

[Romain] Je ne sais jamais trop quoi répondre à ce genre de questions. Je produis de l’imaginaire de façon professionnelle, cela constitue une partie de mes revenus – c’est mon métier. Impossible de faire cela si l’on n’est pas passionné (car la rémunération des auteurs…) et surtout persuadé d’avoir un impact sur le monde – même à une échelle minuscule. Les quelques milliers de personnes qui ont joué à mes jeux ou lu mes romans y ont pris du plaisir, j’espère : cela a pu les distraire, les faire réfléchir, leur faire découvrir une culture ou un genre – voire leur donner à leur tour envie de produire de l’imaginaire. Et c’est pour cela qu’on le fait : on renferme une flamme qui réchauffe l’âme et tout ce que l’on veut, c’est qu’elle se répande pour apporter aux autres cette chaleur et leur donner envie de la nourrir et de la partager à leur tour.

J’ai conscience que tout ça sonne un peu pété voire pédant mais il s’agit de ma conviction personnelle – l’art, l’imaginaire, les histoires sont des éléments essentiels de l’esprit humain et plus il y en a, mieux se porte le monde. 

Et voilà pour aujourd’hui… Merci à nos deux auteurs pour ces réponses (pas si pétées que ça 😉)  et en leur souhaitant toute la réussite possible pour ce projet (je vous mets le lien vers la page de financement dessous si tout ça vous a donné envie, comme à moi, de participer à l’effort de guerre).

Pour ma part, ayant fortement apprécié la trilogie de romans, je suis impatient de faire déguster des xialongbao à mes joueurs entre deux exorcismes (allez, en cuisine feignasse, tu as un an pour apprendre à ne pas empoisonner tes invités).

Slurp 🍜🥠

Yum… les bons dim sum

Propos recueillis par David Barthélémy

Liens utiles :

Le projet :

https://www.gameontabletop.com/cf428/hong-kong-les-chroniques-de-l-etrange.html

Romain d’Huissier

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Romain_d%27Huissier

Cédric Lameire

http://www.legrog.org/biographies/cedric-lameire

Références :

¹http://lefix.di6dent.fr/

²https://www.youtube.com/c/Ind100Podcast

³https://antre-monde.com/

http://knight-jdr.fr/

http://www.legrog.org/jeux/brigade-chimerique

https://www.unificationfrance.com/spip.php?page=pages_mobiles&squelette_mobile=mobile/article&id_article=62369&lang=fr

http://www.legrog.org/jeux/hexagon-universe

https://www.babelio.com/livres/dHuissier-Les-chroniques-de-letrange-tome-1–Les-81-freres/778322

http://www.legrog.org/jeux/mythic-battles-pantheon/mythic-battles-pantheon-fr

¹⁰http://www.legrog.org/jeux/feng-shui

¹¹https://starwars.fandom.com/fr/wiki/Mos_Eisley

¹²https://jrrtolkien.fandom.com/fr/wiki/Minas_Tirith_(Gondor)

¹³http://www.legrog.org/jeux/trone-de-fer

¹⁴https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Cycle_d%27Elric

¹⁵http://www.legrog.org/biographies/simon-gabillaud

¹⁶http://www.legrog.org/biographies/coline-pignat

¹⁷https://www.xaviercollette.com/

¹⁸https://editions.critic.fr/

¹⁹https://www.artstation.com/william-bonhotal

²⁰http://www.legrog.org/biographies/julien-moreau

²¹https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Antoine_Bauza

²²https://data.bnf.fr/fr/16595475/yohan_odivart/

²³https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Silo_(roman)

²⁴https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Planetary

²⁵http://www.legrog.org/jeux/exaltes

²⁶http://www.legrog.org/jeux/meute/meute-fr

²⁷https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Carbone_modifi%C3%A9

²⁸https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Shaw_Brothers

Focus

Focus sur Julien Heylbroeck (article initialement publié sur le blog « Cultures de l’imaginaire »)

Fans de littératures de genre ou de jeu de rôle, amateurs de catch mexicain et de totalitarisme rouge, le tout sur fond d’afro beat des 70’s et avec toujours une pointe d’humour, ce focus est pour vous.

« This is ground control to major Tom »… c’est parti.

1 : Bonjour mon grand, alors dis moi, comment tu t’appelles ?

Julien Heylbroeck. J’ai pas mal sévi sur les forums de jeux de rôles sous le pseudo de Wyatt Scurlock (un mélange de deux légendes de l’Ouest car j’aime bien les westerns). Et il m’est aussi arrivé d’écrire avec les alias : Green Tiburon, Degüellus et Julian C Hellbroke. Voilà, voilà. Je crois que c’est bon, j’ai tout dit sur les noms.

2 : C’est un joli prénom ça…et lorsque tu étais en âge qu’on te pose la question, tu savais ce que tu voudrais faire quand tu serais grand ?

Pas vraiment, mais j’ai toujours aimé l’histoire, alors je pense que ça explique un peu pas mal de choses. Donc du coup, j’ai embrayé sur des études d’histoire, logique. Et puis en cours de route, je me suis dit que j’allais faire coller mes études avec mes engagements politiques donc je suis allé du côté de la socio, j’ai fait un stage dans une asso à thématique sociale pour les besoins de mon mémoire de recherches et j’ai abandonné l’université pour le travail social.

3 : Allé, j’arrête les « Martineries » pour attaquer les choses sérieuses.

La première fois que j’ai croisé ton nom dans des bouquins, c’était en lisant le jeu de rôle WarsaW¹, peu de temps après sa sortie… ce n’était pas une thématique « facile » pour un début (je sais je sais, il y a eu Kuro² avant, mais WarsaW m’a toujours parût plus « personnel ») …en général on démarre par des elfes un peu fachos et des nains bourrus qui s’engueulent avec des paladins non ?

WarsaW aux éditions John Doe

Alors avant même Kuro, il y a eu Humanydyne³, toujours en compagnie de Willy Favre⁴. Et même avant ça, des productions en amateur. WarsaW était effectivement mon premier vrai projet perso, qui a germé pendant un long moment dans ma cervelle. Toujours avec Willy, j’ai pu développer cet univers et John Doe⁵ a permis de le proposer sous une forme idéale. Résultat : j’ai pu travailler sur tout ce que j’aime : un jeu court, qui laisse de la place au MJ, avec un système de règles adapté à la tension de cet univers, sur mes obsessions du moment et avec un rendu graphique somptueux.

4 : On a vu, au titre de tes obsessions, un Staline ressuscité dans WarsaW, après quoi tu as abordé avec Luchadores⁶ le monde coloré de la Lucha Libre, joyeusement mêlé à beaucoup de pulp et une grosse touche de fantastique… il ne manquerait pas un jeu sur les rats et un autre sur Bowie pour faire bonne mesure ?

C’est vrai que j’ai quelques thématiques de référence auxquelles je m’accroche et que j’aime à caser un peu partout. C’est parfois un peu comme un défi. Après je ne force pas si je vois que c’est vraiment incongru. Mais ouais, j’adore caser des rats, c’est une bestiole que j’adore. L’univers de la lucha libre, je suis tombé dedans il y a une dizaine d’années, c’est un monde passionnant et très proche de ce que j’aime dans la culture populaire. Et l’horrible totalitarisme stalinien, c’est assez fascinant, dans le sens presque morbide du terme, une telle emprise sur l’ensemble de la société, à l’échelle d’un continent (voire davantage). 

David Bowie, bon, j’évite d’en parler, sinon, je vais avoir la larme à l’œil et je ne veux pas que tu me vois pleurer, cher lecteur.

5 : Snif, je comprends…passons prudemment à autre chose.

C’est en 2012 au Utopiales de Nantes que j’ai découvert que tu étais passé du jeu de rôle à l’écriture de romans, en me faisant dédicacer « Stoner Road »⁷ (bon collectionneur que je suis), un Road Trip sous acides que j’ai beaucoup apprécié… qu’est ce qui t’as fait basculer dans cet autre pan de l’imaginaire en délaissant le jeu de rôle ?

Stoner Road aux éditions actusf

Le fait de bosser sur l’adaptation en jeu de rôle de l’univers de la Brigade Chimérique⁸ a été déterminant. Je ne peux que remercier Romain d’Huissier⁹ de m’avoir embrigadé (huhu) dans ce projet. J’y ai découvert tout un pan de notre littérature populaire avec des personnages plus grands que nature, des monstres, des voyages spatiaux, des pouvoirs psy, tout un univers décomplexé, inventif, d’une richesse impressionnante. Moi qui avais déjà un peu envie de me lancer dans un récit un peu pulp, ça m’a conforté dans cette voie en nourrissant mon imaginaire comme jamais.

Ça et également le fait d’avoir l’impression d’un cheminement inconscient qui se faisait petit à petit dans ma tête, en me goinfrant de films de série B, de romans de fantastique. A un moment, comme quand tu mets de l’essence, le pistolet de la pompe remonte pour te dire que c’est bon, le plein est fait. Ça a été pareil avec la volonté d’écrire. Je me suis enfin senti prêt d’un coup et ensuite, j’ai écrit une douzaine de romans d’affilé en quelques années. Et puis, un dernier truc : j’avais envie que mes scénarios amoureusement concoctés se passent comme j’aimerais qu’ils se passent. En gros, j’en avais assez de prêter mes jouets à d’autres pour qu’ils s’amusent avec et je voulais en profiter moi !  C’est purement égoïste, en fait.

6 : Sur la liste de tes passions (fort nombreuses au demeurant),on peut ajouter la musique et le gore… Dis moi un peu, comment tout ça alimente ton écriture ? Car quand je te lis, je ne peux m’empêcher de sentir la musique derrière chaque paragraphe (après, je projette surement beaucoup de mes attentes… mais quand même 😅)

C’est vrai que dès que j’aime quelque chose, je farfouille à fond dans le truc, parce que je veux tout savoir ou presque. Alors la musique, c’est simple, je peux difficilement écrire sans. En gros, j’ai toujours une sorte de sélection d’albums pour chaque projet, qui s’affine au fur et à mesure de l’écriture. D’ailleurs, je cite systématiquement ces inspis musicales désormais.

7 : Tu as publié quelques fascicules au Carnoplaste¹⁰, tous plus barrés les uns que les autres et notamment les Green Tiburon, très étroitement liés à Luchadores, de même que « Cartel de sang »¹¹ (qui initie ta série El hijo del Hierofante)…en fait,tu as du sang mexicain qui coule dans tes veines, non ?

Alors effectivement, et c’était pas prémédité. Je veux dire : je ne me sentais pas vraiment attiré par ce pays en particulier avant d’y découvrir la lucha libre et tout le folklore et la culture associées. Désormais, je suis un peu tombé amoureux du Mexique et j’aimerais y aller un jour. Mais je sais bien que j’en ai une vision très formatée par le prisme de mes passions.

8 : Dans « Le dernier Vodianoï »¹¹ (qui chronologiquement serait ton premier roman 🧐), on embarque pour une URSS sous Staline, mélangeant créatures étranges, grandes figures historiques et agence gouvernementale à la Hellboy¹². Au delà de l’aspect littérature de genre, ça sent bon l’amour de l’Histoire et du folklore, alors…une passion de plus ?

Le Dernier Vodianoï aux éditions OVNI

Oui, c’est bien mon tout premier roman, fascicules de Green Tiburon exceptés. Alors, le folklore, pour être honnête, pas vraiment, même si le folklore slave regorge de créatures cheloues, velues et plutôt effrayantes et donc intéressantes. L’histoire, par contre, à fond ! En fait, je n’y connaissais pas grand-chose à l’URSS avant de bosser WarsaW. A l’époque, je me suis documenté et j’ai découvert cette période, que j’évoque brièvement plus haut et là, paf, je me suis dit : c’est, par certains côtés, une espèce d’enfer bureaucratique, anonyme et flippant (attention, je généralise pas sur l’époque, mais disons qu’il y a de quoi piocher pour dépeindre des temps plutôt difficiles à vivre quand même), qui fera un pendant « merveilleux » à un monde féérique bien glauque. Je voulais faire mon labyrinthe de Pan à moi, je suis rien qu’un gros copieur, en fait. Après, quand j’ai commencé à reconnaître tous les gens dans les photos autour de Staline, dans les bouquins, je me suis un peu fait peur et je suis passé au Mexique !!

9 : J’ai surpris sur ta page Facebook plusieurs « teaser » de ton prochain livre à paraître (dont le WIP de la couverture figurant des rats qui m’ont l’air plutôt teigneux… Haha !)… Tu peux nous en dire un peu plus ou c’est top secret ?

Garbage Rampage aux éditions OGMIOS

Alors en fait, c’est une réédition d’un roman édité chez Trash¹³. J’ai voulu écrire une sorte de série B comme on pouvait en trouver dans les vidéoclubs de mon enfance, entre Bad Taste et Hellraiser. Avec ce New York bien craspec des eighties, des rats (ben oui, forcément), des mutations, un duo de flics antagonistes, un clochard qui sait… Du cliché mais en respectant le genre. Du coup, ce roman, c’est comme si vous vous aventurez dans un vidéoclub désaffecté et qu’il reste une pauvre cassette dans un rayon vide et poussiéreux et qu’il y a la petite jaquette cartonnée glissée dans le plastique pour signaler qu’elle est dispo. Normalement, c’est aussi le premier volume d’une espèce de trilogie « Rampage » dont je ne veux pas trop parler pour garder une certaine aura mystérieuse.

10 : Je te soupçonne d’avoir des projets plein les tiroirs pour les années à venir, tu comptes nous surprendre avec de nouvelles thématiques ( de nouveaux supports peut être ) ou creuser plus avant tes univers déjà établis ?

Je me lasse très vite. A mon grand dam, comme on dit. Du coup, des suites, pour moi, c’est compliqué, vu que je pars de suite sur un projet totalement différent. Sauf pour Hierofante, dont j’aimerais proposer le dernier épisode dans pas longtemps. Là, je suis sur un très gros projet SF-médiévalo-craspeco-lovecrafto-futuristo-apocalyptique. Je veux moi aussi écrire un pavé SF dans lequel j’évoque tout plein de thématiques qui me donneront l’air intelligent en dédicaces !

11 : un petit quickie sur l’imaginaire en général :

  • Si tu étais un livre (roman/bd,…) :

C’est pas vraiment un roman mais Hommage à la Catalogne¹⁴ de George Orwell, mon idole (avec David).

  • Si tu devais cosplayer quelqu’un :

Je ne suis pas assez beau pour cosplayer Ziggy Stardust. Trop vieux, trop gras, je serais ridicule. Même si j’aime le look post apo, je crois pour autant que je choisirais The Dude. Ce serait l’occasion de faire sa feignasse en sirotant des white russians et l’idée est séduisante. Et puis c’est physiquement moins exigeant.

  • Si tu étais un jeu (de rôle/vidéo,…) : 

Alors là, forcément, ça fait prétentieux, mais j’aimerais bien être Luchadores car j’aimerais franchement pouvoir y jouer une petite campagne en tant que PJ. Sinon, j’aime beaucoup Miles Christi¹⁵ (vous connaissez pas, gamins ?).

  • Si tu étais une période historique : 

Le Moyen Âge m’a toujours terrifié, les années 30 aussi. Alors je les adore mais j’aimerais pas les « être ». Par contre, les années 70, c’était vraiment spécial : c’est le moment où la musique, les voitures, les films, tout est le plus mieux. Y’a aussi des aspects difficiles à cette époque, c’est sûr mais voilà, je choisis les années 1970. 

  • Si tu étais un univers fantastique : 

Star Wars. J’aime les jawa, l’idée d’aller sur des planètes différentes, l’esprit d’aventure qu’il y a dans chaque plan.

Et pour conclure, selon toi, quelle serait la place de l’imaginaire dans la culture (qu’elle soit populaire ou autre) et comment te positionnes tu dans ce vaste tableau ? (rhaaa, elle est vache celle là hein ?) 

La place de l’imaginaire dans la culture ? Pour moi, elle est plus que prépondérante, elle est la base, en quelque sorte. Comme disait l’autre, à la base de toute création, il y a une négation. Et c’est cette négation qui est comme la mèche de l’imaginaire. Et j’ai construit ma culture autour de piliers de l’imaginaire. Du coup, tout ce qui est littérature blanche, ciné d’auteur rive gauche, tout ça, m’est totalement étranger et ne m’attire guère. 

Ma place dans tout ça, elle est plutôt claire pour moi. Je me vois comme un artisan. Je n’aime pas parler d’écrivain, encore moins d’artiste. Artisan, ça me va, vu que perso, ma démarche est de recycler mes obsessions du moment en les mélangeant pour en tirer des histoires que j’essaie de produire comme les plus efficaces possibles. Je me vois comme un gars qui fait une commode qui sera la plus belle et la plus pratique possible mais moi, je ponce des pages, pas des tiroirs.

Et voilà pour aujourd’hui, n’hésitez pas à jeter un oeil sur les « commodes » de Julien, artisan passionné (qui va jusqu’à utiliser de jolis tampons thématiques pour ses dédicaces) et passionnant des littératures de genre.

Merci à toi pour toutes ces réponses et ton amour des « freaks »…

… … Scary monsters, super creeps

Keeps me running, running scared… …

Propos recueillis par David Barthélémy

Liens utiles :

Biographie et bibliographies :

https://www.moutons-electriques.fr/julien-heylbroeck

http://www.legrog.org/biographies/julien-heylbroeck

Blog :

http://loeilcannibale.blogspot.com/?m=1

Références :

¹http://www.legrog.org/jeux/warsaw

²http://www.legrog.org/jeux/kuro

³http://www.legrog.org/jeux/humanydyne

http://www.legrog.org/biographies/willy-favre

https://johndoe-rpg.com/

http://www.legrog.org/jeux/luchadores

https://www.editions-actusf.fr/a/julien-heylbroeck/stoner-road

http://www.legrog.org/jeux/brigade-chimerique

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Romain_d%27Huissier

¹⁰https://www.lecarnoplaste.fr/

¹¹https://www.actusf.com/detail-d-un-article/le-dernier-vodianoi

¹²https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Hellboy_(comics)

¹³http://trasheditions.blogspot.com/?m=1

¹⁴https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Hommage_%C3%A0_la_Catalogne

¹⁵http://www.legrog.org/jeux/miles-christi

Focus

Focus sur Olivier « Akae » Sanfilippo (article initialement publié sur le blog « Cultures de l’imaginaire »)

Si vous avez ouvert un livre de jeu de rôle de production française sur, disons les cinq dernières années et rêvé devant une carte détaillée de votre région d’aventure favorite, ou encore bavé devant une superbe couverture mêlant tons sépias et vert électrique, alors vous avez certainement déjà croisé le travail d’ Olivier… 

Princesse Yukihime « l’Empire des cerisiers »

1 : Salut Olivier, ça va bien ?

Et bien Salut David! ca va super bien! merci beaucoup!

2 : Depuis quelques années maintenant, tu deviens un illustrateur incontournable du petit monde du jeu de rôle…dis voir, il reste encore des gens ici (la France notamment) avec qui tu n’as pas travaillé et souhaiterais le faire ?

Incontournable je ne suis pas certain, mais oui je commence à avoir quelques participations à pas mal de projets c’est certain. J’ai bossé avec pas mal de monde, mais oui il y a encore des personnes avec qui je n’ai pas travaillé. Après si parmi certains d’entre eux j’aimerais travailler avec? En fait, je t’avoue je n’y ai pas réfléchis. Je m’éclate déjà actuellement, du coup j’ai pas nécessairement besoin d’aller chercher ailleurs. Pour le reste je fais en fonction des rencontres, des affinités et des projets. J’ai eu des demandes de certains collègues et amiEs avec qui je n’ai pas encore travaillé, après c’est plus là une question de disponibilités que d’opportunité de travailler avec ou pas.

3 : Mon premier contact avec ton travail remonte à Antheas¹ (un univers injustement méconnu à mon sens) et depuis, bien du chemin a été parcouru (c’est le moins que l’on puisse dire)…alors, coup de pot, bête de travail ou puissante magie vaudou pour arriver où tu en es aujourd’hui ?

Rhaaaa Anthéas! C’était l’une de mes toutes premières publications, ma toute première éditée professionnellement même. Ca avait été une super expérience avec les copains Denis et Fabien! Franchement un super univers qui à mon sens mériterait une nouvelle édition! Le jeu est sorti en 2008, donc oui pas mal de chemin parcouru depuis! A part la magie, sinon je pense que c’est un mélange de plein de chose qui m’a mené là aujourd’hui. Des rencontres formidables, du travail bien entendu, un entourage exceptionnel, des amiEs qui vous soutiennent, de la remise en question et oui du hasard, des coups de pots probablement. Bref, plein plein de chose. Mais bon le chemin devant est encore plus long que ce que je viens de parcourir. On va voir où il me mènera, mais en tous les cas je suis super bien là où je suis aujourd’hui et c’est le plus important à mon humble avis.

4 : Quand on parle de cartographie ludique (pardonne moi le terme), c’est bien souvent synonyme de Akae…d’où te vient cet amour du terrain ? (Réelle passion, hasard des commandes, … ?)

Village de Kokoro-Mura « l’Empire des cerisiers »

J’avoue la cartographie à fait exploser mon carnet de commandes! Alors l’amour des cartes ça me vient de tout petit et des atlas et bouquins d’histoire de mon Grand-Père. Je passais des heures à m’imaginer des histoires et des aventures en suivant du doigts les routes, chemins, et autres éléments cartographiques. Il y a je pense aussi toute cette dimension fantastique autour de la mythique “carte au trésor”. Un truc de gosse, mais qui pour moi avait un impact réel sur mon imaginaire et sur ma perception du monde. J’ai continué à aimer cartographier mes premières parties de JDR et par la suite quand j’ai opté pour un cursus universitaire en Histoire, les cartes sont restées pour moi un média très important pour ce qu’elles disent mais aussi ce qu’elles ne disent pas. Bref j’ai continué à baigner dans la cartographie historique, qui plus est vu mon sujet de thèse de doctorat qui traitait des échanges entre l’Europe et l’Asie au XVIIe et de fait des hommes qui faisaient les échanges et leurs déplacements, etc. Bref la carte est restée un élément important. Toutefois sur le plan de l’illustration je réservais le plus souvent la cartographie pour mon propre plaisir ou mes parties et univers perso. Il n’y avait pas encore le développement de ces 5 dernières années avec des “cartographes” à proprement parler dans le milieu. Le plus souvent un illustrateur s’y collait sans que ça le définisse véritablement comme un cartographe. La première grosse carte de cité que j’ai réalisé, ce fut pour le supplément que j’ai co-écrit avec Aldo Pappacoda, pour L5R, Sunda Mizu Mura² (La Voix de Rokugan/AEG/Edge) Finalement c’est avec les Ombres d’Esteren³ (Agate RPG) que la donne a changé. Je me suis retrouvé à faire des plans de lieux puis Nel m’a proposé de réaliser des cartes géantes des cinq cités les plus importantes du jeu. J’ai dis ok… et j’ai pleuré (rires)! Le boulot s’est étalé sur un an et demi. J’ai conçu et réalisé les cinq cités à la main pour toute les lignes encrées. J’ai pas mal appris, notamment sur les choses à ne plus faires, une des cartes mesurant au final plus de 2m00 sur 2m00 de dimension… bref au final ce chantier assez monstre s’est soldé par une récompense à la GenCon avec un Ennie Award en Gold dans la catégorie Best Cartography. C’était pour moi incroyable, j’ai eu du mal à réaliser d’abord qu’on avait été nommé, alors en plus quand on a remporté ce prix là, c’était exceptionnel! J’étais vraiment super content. C’était en 2016 et en fait dans les semaines qui ont suivi ce prix, j’ai été contacté par de nombreux éditeurs pour bosser sur diverses cartographies. Aujourd’hui j’ai un sacré paquet de réalisations cartographiques au compteur et des projets énormes!!!

5 : Tu as sauté le pas récemment en tant qu’auteur de ton propre univers (après le travail de créa pour la voix de Rokugan) et l’accueil du projet (rappelons le, l’Empire des cerisiers⁴ {l’EdC}, pour les trois du fond collés au radiateur qui ne suivent pas) a été plutôt chaleureux par la frange de rôlistes qui suivent les différents Financements Participatifs…ça doit pas mal changer du travail de commande, ça fait quel effet, pas trop de pression ?

Ouais l’accueil qui a été réservé au projet était énorme! Encore merci à tous ceux qui ont fait de ce Financement un succès et surtout une expérience humaine formidable! Alors oui très clairement ça change radicalement du travail de commande. C’est à la fois génial, très clairement on va là où on veut aller et là dessus, Mathieu, mon éditeur (Mathieu Saintout – Arkhane Asylum Publishing), m’a laissé une liberté totale. Mais c’est aussi un autre degré de pression. Donc oui j’ai eu de gros moments de stress, des moments de doutes, par paquets, beaucoup d’appréhension et c’est toujours le cas. J’ai un mal fou à prendre du recul sur mon travail, je doute énormément, que ce soit un travail de commande ou pas. Et même quand je sais très bien que j’ai rendu quelque chose de bien, j’attend les retours avec pas mal d’angoisse. Je crée bien entendu pour moi, parce que créer c’est pour moi vital, mais ma création n’a de sens que si elle est partagée, de fait le regard de l’autre sur celle-ci est très important. Concrètement, et c’est certainement très égocentré, j’aimerais que mon taf plaise à tout le monde. Mais, outre le fait que j’ai encore tellement de progrès à faire, je me doute bien que ça voudrait dire sacrifier une part de ce que je suis ou de ce que je veux transmettre. Et ça c’est hors de question. J’ai parfois des choses à dire, des choses à mettre dans mon travail, et sur certaines, il n’y a pas de concessions envisageables. Et cette conviction s’est affirmée avec le temps et à mesure que j’évolue. Du coup on s’expose c’est certain, et de fait on attend la critique bonne ou mauvaise avec attention, beaucoup d’intérêt et ouais un peu de crainte c’est sûr (rires).

Après pour revenir sur le projet de l’EdC, j’ai eu la chance d’être entouré d’une équipe formidable tant humainement que techniquement et le projet est ce qu’il est grâce à elles toutes et tous. C’est hyper important d’être bien entouré dans un projet comme ça surtout qu’il y a une masse de travail énorme. Je les en remercie encore mille fois!  

6 : Du coup, des projets de développement autour de l’EdC ?

(Je suis tombé via ta page Facebook sur une illustration clairement orientée Space op’, ou à tout le moins SF…peut on espérer un autre jeu, ou un supplément inscrit sur une Time Line commune mais plus lointaine ?)

Ha ha! L’EdC dans les étoiles! En fait, c’est une idée qui m’est venue naturellement, mais c’était un délire très personnel. J’adore la Space Fantasy du coup j’ai improvisé à mon épouse un solo et j’ai pris comme cadre l’EdC que j’ai projeté en avant en terme de Timeline. Mais mes envies de Space Op/Fantasy étaient déjà là avant, l’envie d’y inclure une dimension japonaise aussi et je ne suis pas le seul à m’y être intéressé. D’ailleurs on retrouve très souvent des éléments issus de la culture japonaise dans la science-fiction. Bref c’était un délire et j’en ferai probablement quelque chose de finalisé. Quant à savoir la forme que ça prendra (supplément type spin-off ou autre), ça c’est une autre question. L’important actuellement c’est de continuer et terminer la gamme prévue 🙂

7 : Quand je vois tout ton boulot sur l’EdC, je me prends à rêver d’une série de bd sur le thème (ou pour le moins un one shot, comme a pu le faire l’équipe des Ombres d’Esteren avec Melwan⁵ et Emmanuel Roudier)…c’est un domaine qui t’attirerait ?

Alors, je suis un consommateur de BD en tout genre (franco-belge, manga, comics, etc.). J’aime beaucoup ça en tant que lecteur, mais pas du tout à réaliser. C’est un taf à part entière, on ne s’improvise pas auteur de BD comme ça, même si on est illustrateur. C’est aussi un taf monstre et je ne sais pas si j’aurais le courage et les compétences sur ce format là pour mener à terme un tel chantier. Mais bon après si des personnes sont intéressées pour réaliser une BD (ou pourquoi pas d’autres types de médias et de projets) dans l’univers, personnellement je suis ouvert à toutes les discussions <3

8 : Je suis assez admiratif quant au fait que tu aies réussi à imposer (le terme n’est peut être pas idéal) les différentes teintes de rose de ton travail dans un paysage qui se revendique traditionnellement d’une imagerie plutôt « virile » (cf warhammer, add, cyber punk et consorts) … C’était une sorte de défi personnel ou ça s’est fait naturellement ?

Tu penses que ça marque une évolution dans le monde du Jdr ?

Paysage de Sakura-Shima « l’Empire des Cerisiers »

Si tu savais ce que j’en pense que l’imagerie plutôt “virile” (Rires)! J’aime la couleur rose (j’adore même), je voulais du rose, j’ai mis du rose. Bref on a mis du rose tout naturellement. On a eu le droit à quelques commentaires du genre “mais la bande sur la couverture elle va vraiment rester rose?”… mais franchement c’est resté très light et rare. On va pas tourner cent fois autour du pot, je dois très certainement être catégorisé par une poignée de grincheux de fond de cave dans les SJW, les Paladins Chatoyants, les khmers roses (tiens d’ailleurs du rose, c’est cool), etc. Personnellement ça me va, même si je ne pense pas en être digne (rires). En fait, je m’en contrefous, ça me fait rire parfois. Si des personnes ont besoin de suivre un code couleur pour se sentir “viriles” (ce que ce mot sonne idiot), à part les plaindre que veux tu que je leur dise? Plus sérieusement, le milieu professionnel évolue positivement on voit des productions qui aujourd’hui repensent les codes, jouent avec, et les cassent pour offrir et intégrer des évolutions sociales qui sont nécessaires dans un milieu, pour un média qui se veut profondément social, profondément lié à notre société (si il fallait le rappeler, le jeu de rôle c’est avant tout un jeu de société). C’est important de ne laisser personne sous prétexte qu’on ne veut pas changer ses petites habitudes. Moi-même j’ai changé, en profondeur, le rôliste, l’Olivier d’aujourd’hui, ce n’est plus le même que celui d’il y a 2 ans et je ne te parle pas de celui que j’étais il y a 10 ans. Bref, je pense qu’aujourd’hui on peut continuer à jouer comme on le souhaite, si on reste ancré dans un certain traditionalisme, personne ne va venir vous fliquer pour savoir comment vous jouez, mais pour les nouvelles générations, les minorités, les genres, etc. un peu plus d’inclusivité et des produits qui correspondent à toutes et tous c’est une très bonne chose. Bon je me suis peut être éloigné de ta question, mais je réagissais à l’aspect tradi “virile” et au fait que ma démarche paraisse étonnante. Non, tu n’as pas à être admiratif, vraiment, j’ai juste mis du rose dans mon jeu (et franchement je n’y ai pas mis que ça ^^)!

9 : Tu ne penses pas qu’il faudrait mettre à jour ta biographie sur le grog 😜🧐?

Ha ha!!! (Rires) Ma femme m’a dit la même chose il y a quelques jours et une collègue aussi! Ouais il faudrait… Mais j’aime bien cette bio. J’ai l’impression que c’était hier que je l’écrivais et franchement je suis toujours le même gamin qui a des paillettes dans les yeux et qui aujourd’hui a la joie de bosser sur des jeux qui l’ont fait rêver ado. C’est juste fou. Et du coup j’aime bien cette bio du tout début de ma carrière.

10 : Tu as un planning plutôt chargé, un petit tour d’horizon des projets en cours et à venir ?

Ouch!!! beaucoup! Actuellement je boucle la carte de Célestopol⁶ pour Emmanuel Chastelière. J’ai aussi rendu en juillet le plan pour le prochain roman de Maxime Chattam, L’Illusion⁷ (Albin Michel). Sinon je continue la suite de l’Empire des Cerisiers bien entendu. J’ai particulièrement bien avancé sur le prochain supplément qui traitera des yôkai. Je travaille en ce moment sur GODS⁸ (Arkhane Asylum Publishing). J’ai bouclé déjà depuis un petit moment mon travail sur la prochaine édition de Maléfices⁹. Je travaille aussi sur METRO 2033¹⁰ ( toujours avec Arkhane Asylum Publishing). Je continue aussi mon travail avec Chaosium, notamment sur RuneQuest¹¹ et il y a des parutions pour l’Appel de Cthulhu¹² qui devraient sortir prochainement. J’ai aussi toute une série de projets personnels (qui ont déjà un éditeur) et d’autres importants, mais dont je ne peux pas parler pour le moment, mais y’a du lourd ^^!

11 : un petit quickie sur l’imaginaire en général :

  • Si tu étais un livre (roman/bd,…) :

 Allez j’en cite deux!!! l’Affaire Caïus¹³. Je l’ai lu enfant et il est resté gravé à la fois comme une super aventure dans le cadre antique et comme un exemple de comment il est possible de jouer avec l’Histoire. Comment l’Histoire, les sciences, le savoir, etc. sont des matériaux extraordinaires pour créer de la fiction et nourrir son imaginaire. Je ne l’ai plus lu depuis le collège et pourtant il reste très présent. J’avoue j’ai peur de le relire aujourd’hui et d’y perdre les sensations et le plaisir que j’avais eu à l’époque! Un autre livre, c’est la découverte du roman Les contes du magatama : La Fille de l’eau¹⁴, de Noriko Ogiwara. Je l’ai découvert en pleine écriture de l’EdC. C’est mon éditeur qui me l’a commandé et donné car mes choix sur la manière de réinterpréter et de me servir de la matière mythologique, folklorique, historique japonaise avait certains points communs avec le travail de Noriko Ogiwara sur son roman. Il m’a dit : “il faut que tu le lises”. En plus, c’est lui qui l’avait édité auparavant… si c’était pas une bonne coïncidence! J’ai de fait découvert une oeuvre considérée comme le premier roman de fantasy japonaise et une autrice de talent. Son roman est vraiment sublime et l’emploi qu’elle fait des références japonaises m’a conforté dans ma propre approche avec l’Empire des Cerisiers. D’ailleurs je le conseille à tous ceux qui ne le connaissent pas.

  • Si tu devais cosplayer quelqu’un : 

Bah là je crois que je vais pas pouvoir échapper au costume du Tanuki¹⁵… Mais si je devais être un cosplay? Hauru (Le Château Ambulant¹⁶). J’aime énormément ce personnage, il me parle beaucoup et je retrouve certain morceaux de moi en lui. Tant sur ce qu’il est que sur ses faiblesses qui font sa force et inversement. bref j’aime énormément ce personnage. Y’a bien Nausicaa¹⁷ (quel personnage fabuleux) aussi ou encore Sailor Moon¹⁸!

  • Si tu étais un jeu (de rôle/vidéo,…) :

 En jeu de rôle? Bah je crois que l’Empire des Cerisiers c’est clairement un vrai morceau de moi. mais bon ça compte pas non? Du coup je dirais Legend of the Five Rings¹⁹. Il a eu lui aussi tellement d’impact sur ma carrière, un tas de choix professionnels, et même universitaires. Sans compter le paquet d’années et les folles campagnes que j’y ai mené avec mes amiEs, la Voix de Rokugan et tout ce que ça m’a apporté!

  • Si tu étais une période historique : 

Alors étrangement, je suis un fan d’Histoire, j’ai un amour sincère pour cette matière, j’en ai même fait mes études, de la recherche, etc., je m’y plonge continuellement pour me documenter et pour le plaisir. Mais, je n’ai jamais voulu être une autre période que celle que je vis. Je n’ai pas cette nostalgie d’une époque révolue. Peut-être un regret de ne pas pouvoir voir quelles autres avancées l’humanité va faire dans les siècles à venir, comment nous allons évoluer, nous adapter. J’aurais rêvé être un voyageur spatial, embarquer les gens que j’aime et partir à la découverte de l’univers à travers les étoiles! Notre Histoire d’aujourd’hui et celle que l’on construit me fascinent et me stimulent au plus haut point. Du coup te donner une période historique que je pourrais être c’est dur.

  • Si tu étais un univers fantastique : 

C’est tellement difficile ces questions. Je suis incapable de savoir ce que je serais en fait. Probablement parce que j’ai du mal à me définir clairement et parce qu’il y a tellement de choses qui viennent à l’esprit, repartent, etc. je citerais peut-être l’Harmonde²⁰, conçu par Mathieu Gaborit, et son rapport à l’inspiration, les Muses, les arts, etc.? Je rêve d’une nouvelle édition en jeu de rôle (avec un autre système plus en adéquation avec la poésie qui se dégage de cet univers). 

Et pour conclure, selon toi, quelle est la place de l’imaginaire dans la culture (qu’elle soit populaire ou autre) et comment te positionnes tu dans ce vaste tableau ? (rhaaa, elle est vache celle là hein ?) 

La culture est pour moi essentielle au développement d’une société et l’imaginaire y occupe une place centrale. C’est un moyen, un cadre de projection, de dépassement et de renouvellement permanent, c’est injecter le rêve dans la culture, dans la société. Après, je suis forcément parti pris et peu objectif sur la question. En fait, pour moi l’imaginaire fait sens tout autant que le réel, voir me permet de mettre en relief ce dernier et les deux se nourrissent mutuellement. Personnellement je ne me positionne nulle part en particulier dans ce tableau. J’existe, je suis un petit rouage au milieu de tant d’autre. Tout au plus je laisse les autres me placer là où ils pensent qu’il est nécessaire de me placer, de mon côté j’avance tranquillement, je crée mon petit quota de culture et je partage ma petite part d’imaginaire.

Et voilà,ce sera (hélas) tout pour aujourd’hui.

Je tiens à remercier chaleureusement Olivier pour avoir accepté de se prêter à mes petites questions et vous encourage à suivre son travail de près, l’homme n’ayant pas fini de faire parler de lui et de ses univers 😁

Propos recueillis par David Barthélémy

Liens utiles :

Biographie d’Olivier sur le grog :

http://www.legrog.org/biographies/olivier-akae-sanfilippo

Site internet :

https://shosuroakae.wixsite.com/sanfilippo

Références :

¹http://www.legrog.org/jeux/antheas

²https://www.voixrokugan.org/sunda-mizu-mura/

³http://www.legrog.org/jeux/shadows-of-esteren

https://www.arkhane-asylum.fr/lempiredescerisiers

https://mobile.ulule.com/esteren-melwan/

http://www.emmanuel-chastelliere.com/celestopol

https://club-stephenking.fr/maximechattam-lillusion

https://mobile.ulule.com/gods-jdr/?lang=fr

http://www.legrog.org/jeux/malefices

¹⁰https://mobile.ulule.com/metro-2033/?lang=fr

¹¹https://fr.m.wikipedia.org/wiki/RuneQuest

¹²http://www.legrog.org/jeux/appel-de-cthulhu

¹³https://www.babelio.com/livres/Winterfeld-Laffaire-Caius/55358

¹⁴https://www.babelio.com/livres/Ogiwara-Les-contes-du-Magatama-tome-1–La-fille-de-leau/623516

¹⁵https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Tanuki

¹⁶https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Le_Ch%C3%A2teau_ambulant

¹⁷https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Nausica%C3%A4_de_la_Vall%C3%A9e_du_Vent_(film_d’animation)

¹⁸https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Sailor_Moon

¹⁹http://www.legrog.org/jeux/livre-des-cinq-anneaux

²⁰https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Cat%C3%A9gorie:L%27Harmonde