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Paroles d’experts S01E02 : Emmanuel Gharbi

Toujours Paris… Toujours 2021…

Suite à la montée en puissance des agissements du C.A.L.E.C.O.N.S (voir premier épisode), le gouvernement a décrété un état d’urgence afin de limiter l’exposition de la population au S.Y.Q.S (pour rappel, le Syndrôme des Yeux Qui Saignent), restreignant l’accès aux lieux publics tels que les terrasses, musées, galeries d’expositions, magasins de piles… tous participant activement à la propagation de la maladie.
Le S.S.L.I.P poursuit donc son action plus que jamais et ses membres sont mis à rude épreuve dans leurs tâches quotidiennes. Entre deux opérations coup de poings, nous avons pu nous entretenir avec l’un des éminents représentants de la brigade, responsable de la branche éditoriale/médecine légale et c’est entre deux identifications de corps, au milieu des bodybags qu’il a aimablement pris le temps de nous répondre… behold : Emmanuel Gharbi.

L’uniforme reste à revoir afin que les membres du S.S.L.I.P ne participent pas à la propagation du S.Y.Q.S…

Salut Emmanuel. Déjà, merci de m’accorder un peu de ton temps, comme a pu le faire ton comparse LG¹ il y a quelques semaines. J’ai cru comprendre que vous aviez des comptes à régler niveau temps de parole, ce qui me sert à point nommé pour te tirer de la morgue au sein de laquelle tu officies quand tu te livres à tes œuvres. Alors, parlons trop, parlons bien...
Les œuvres en question, en ce moment c’est quoi ?

Pas de règlement de comptes, rassure-toi 🙂 
C’est bien normal que LG soit plus exposé que moi au vu de son excellente production. Quand tu bosses avec lui, tu te rends compte à quel point il est toujours en pleine réflexion, en pleine ébullition. L’étendue de ses talents est assez flippante, il est une des rares personnes que je connaisse (avec Yno²) à pouvoir gérer un bouquin de A à Z, des textes à la maquette en passant par les illustrations… 
Et puis, quand j’ai accepté de gérer John Doe³, je savais aussi que c’était par définition un rôle moins exposé, un truc qui se déroule pas mal dans l’ombre puisque certaines des tâches que je réalise ne se “voient pas” directement dans les bouquins. Aucun souci avec ça. 
Ce qui est vrai, toutefois, c’est qu’en ce moment, j’ai plus envie d’écrire que de produire. J’ai envie de concrétiser certains de mes projets personnels, et passer moins de temps à aider des auteurs à concrétiser les leurs. Du coup, on refuse pas mal de choses ces derniers temps chez JD pour libérer notre emploi du temps.
Parmi ces projets, il y a bien sûr la seconde édition d’Exil⁴. C’est un énorme chantier sur lequel il reste encore beaucoup à faire. J’aimerais également ressortir Final Frontier⁵. Le jeu est épuisé depuis très longtemps et il nous est souvent réclamé en format papier, même si la version PDF est gratuite sur mon blog. Mais pour ce faire, il faut des modifications substantielles pour qu’une v2 se justifie pleinement. Je développe aussi un jeu à destination du jeune public avec mon compère Antoine Bauza⁶
Côté JD, c’est la finalisation de Donjon & Cie⁷, et celle du supplément pour Meute⁸, “Errances”…

Le travail d’un éditeur et celui d’un auteur n’ont à priori rien à voir… d’un côté, il faut peser des intérêts économiques, structurels, gérer des temps de travail, des délais, des fournisseurs, alors que de l’autre, bien souvent cela relève de l’immersion dans un univers particulier, de la capacité à se couper du monde pour construire quelque chose, ainsi que d’une certaine forme d’oubli de soi au profit d’une création qui peut vite s’avérer envahissante.
Comment, au départ auteur, as-tu évolué vers cet autre aspect de la création d’un livre, et pour toi, c’était quoi le plus dur à changer (si tant est que tu aies dû changer quelque chose à ta manière de voir les choses) ?

L’évolution s’est faite naturellement. Après la sortie d’Exil en 2005, on voulait continuer à faire des bouquins ensemble, décider par nous-même de ce qu’on sortirait et comment. Pas que les choses se soient mal passées avec Ubik⁹, à l’époque. Bien au contraire. Mais on avait des envies de gamme, de projets qui n’auraient pas forcément trouvé leur place chez un éditeur. Le choix du format A5 par exemple, n’était pas si populaire. On nous a souvent répété que Final Frontier serait un four… Donc l’évolution s’est faite toute seule : si on voulait produire nos livres, il fallait apprendre comment se passait la chaîne graphique, trouver un imprimeur, un distributeur, penser à la comm… Et miser un peu de sous, aussi. Le crowdfunding n’existait pas encore… Au départ, c’était vraiment pour nous, nos jeux à John et moi. Et puis on s’est dit qu’une fois la structure lancée, on pouvait y accueillir d’autres auteurs, et le premier fut Yno pour Patient 13¹⁰
Donc, tout ça s’est fait au fur et à mesure.
Ce qui n’a pas changé, et ne changera jamais sinon ça ne vaut plus le coup, c’est l’idée qu’on ne fonctionne qu’au coup de cœur. On ne prend un projet que si nous sommes tous (c’est à dire LG, Pierrick May¹¹, Antoine et moi) emballés. On va forcément beaucoup s’investir dessus et on doit tous être convaincus. 
Ce qui a changé dans ma façon d’aborder un jeu, grâce à l’expérience d’éditeur, c’est que je structure mieux mon travail d’auteur qu’avant. J’ai une tendance naturelle à être bordélique dans l’écriture, à partir bille en tête sans plan et à passer ensuite un temps fou à structurer un bazar touffu. J’ai appris à mieux planifier les choses, à soigner la note d’intention pour ne pas partir dans tous les sens. 

Avec Exil, tu as livré un premier univers à l’identité très forte et sans doute très personnel, en dépit des collaborations. Tu nous as présenté un monde à la fois sombre et poétique, très riche et cohérent, destiné à être joué par d’autres. Tu t’y es pris comment pour coordonner tout ce petit monde et malgré tout respecter ta vision des choses ?

Il existait une bonne base, une version déjà détaillée de l’univers. Ce fut un long travail solitaire, avant d’être d’abord rejoint par Antoine qui m’a aidé à finaliser cette première version. C’est ce gros document qui a servi de base au travail collaboratif qui a été lancé ensuite avec la création du studio Ballon-Taxi¹². On a repris chaque sujet, en fonction des affinités de chacun, et on a tout creusé. Il y avait de nombreuses réunions de travail où on pesait les idées de chacun pour décider si cela rejoignait le bouquin ou pas. Et j’avais le “director’s cut” pour départager en fin de course. Chacun avait forcément sa vision d’Exil, et j’ai essayé de conserver la mienne au fur et à mesure que l’univers était densifié. Dans l’écrasante majorité des cas, ça s’est passé idéalement. Les idées fusaient, se complétaient, étaient adoptées ou écartées assez naturellement, organiquement. Bon, il y a bien eu quelques frictions, comme lorsque l’un des membres de l’équipe a voulu ajouter des êtres fées à Exil. Là ce fut juste non 🙂 Mais on a bien rigolé. Ça reste une magnifique expérience, beaucoup de bons souvenirs.
Après, ce premier jeu édité a été fait dans l’improvisation. Nous n’avions pas vraiment de méthode et, au départ, nous n’avions même pas d’éditeur. L’implication d’Ubik s’est faite en cours de route. Durant la conception, l’idée était vraiment de faire le truc le plus abouti possible, d’y mettre tout ce qu’on imaginait. D’où, sans doute, l’aspect un peu mastoc du résultat final. Nous n’avons pas pensé en terme de gamme, on voulait tout mettre parce que nous ne savions même pas si nous pourrions avoir une gamme !

Et au fait, ta conception du boulot d’un éditeur, c’est quoi ?

D’être un facilitateur au service de l’auteur. On l’aide à aboutir à la version la plus complète possible de son jeu, dont il – et nous – puissions être fiers. L’aider à peaufiner ses textes, à faire des choix s’il a des doutes, lui adjoindre l’artiste qui va bien, réfléchir ensemble à la forme finale du bouquin, définir la forme du suivi s’il y en a. Ce sont des sujets sur lesquels John Doe a évolué, puisqu’au début, on faisait des bouquins courts et tout-en-un, sans suivi, avant de s’écarter de ce dogme. 
On a aussi la responsabilité de pousser la reconnaissance du jeu (et c’est un domaine sur lequel, la communication, nous ne sommes pas bons, je le crains) et d’assurer qu’il soit bien distribué. Pour cela, nous avons un distributeur professionnel car nous n’avons pas les épaules pour faire ça nous-même. 

Je lisais récemment Julien Heylbroek¹³ à propos de WarsaW¹⁴ qui racontait avoir été reçu comme un prince chez John Doe (plutôt cool hein). Souvent les retours des auteurs sur les maisons d’édition sont plus mitigés (surtout quand les manuscrits ne sont pas retenus et je généralise hein, entendons nous bien), du coup, vous faites ça avec tout le monde ou c’est parce qu’il est particulièrement charmant comme garçon ?

Julien est effectivement un garçon charmant, mais on essaie d’avoir le même accueil avec tous les auteurs. On essaie de les traiter comme nous aimerions l’être nous-même. Sans auteurs, pas de jdr. Et c’est ingrat, auteur : on ne gagne pas grand chose et on est en bout de chaîne. La reconnaissance est parfois moindre que pour les illustrateurs par exemple. Il y a encore beaucoup de jeux dont le nom de l’auteur n’apparaît pas sur la couverture. Même nous, on ne l’a fait que récemment.  En 15 années de John Doe, tout s’est je crois bien passé. Il y a bien eu des erreurs ou des frictions, naturellement ! Mais pas, je crois, de grosses fâcheries. 
Concernant les manuscrits, c’est un peu différent. On reçoit des choses très disparates. Des fois, c’est immédiatement clair que ce n’est pas au niveau d’une publication. Parfois, ça demande de creuser un peu plus pour se faire une idée claire du projet. Nous essayons de répondre à chacun, mais il nous arrive de nous louper et de répondre très tardivement. Il suffit que le jeu arrive à un moment tendu, comme un bouclage ou une préco, ou bien qu’il ne provoque pas un intérêt immédiat… J’en suis désolé parce que je sais à quel point c’est frustrant de ne pas avoir de réponses quand on croit à son jeu. Nous faisons au mieux mais nous sommes loin d’être irréprochables sur ce point. 

Ce que j’aime beaucoup dans tes jeux, c’est qu’à chaque fois, ils ont  un caractère unique, que ce soit Exil, Eleusis¹⁵, Final Frontier ou Hellywood¹⁶, et refusent de succomber à l’appât du gain en proposant une resucée des classiques commerciaux à la D&D¹⁷, Cthulhu¹⁸ ou Star Wars¹⁹, tout en restant accessibles. C’est quelque chose que l’on retrouve dans les choix éditoriaux de John Doe et dont à mon sens, vous pouvez être fiers. Comment vous procédez à la sélection de tel ou tel jeu (Meute, Patient 13, Tenga²⁰, Notre Tombeau²¹…) et est-ce qu’il vous est déjà arrivé de passer à côté d’une licence, disons juteuse, sous prétexte qu’elle ne correspondait pas à votre ligne éditoriale ?

On a loupé des licences qui nous plaisaient, parce qu’on a pas été assez réactifs et que nous ne sommes pas très bien organisés pour ça… Des jeux que nous aurions adoré traduire, mais qui nous sont passés sous le nez, parfois de justesse. Il y en a eu plusieurs mais ils ont tous trouvé preneurs donc le public les a eu, c’est ce qui compte. 
Pour le choix des jeux, c’est encore une fois au feeling. Est-ce que c’est bien ? Est-ce que nous avons envie d’y jouer ? Est-ce que la note d’intention du jeu est claire, originale, prenante ? Est-ce que ça n’existe pas déjà et en mieux ? C’est la seule question que nous nous posons, jamais celle de la rentabilité. Avec le crowdfunding, je pense que même la proposition la plus originale trouvera son public si elle est bien calibrée. Donc, ça se résume vraiment à : est-ce qu’on aime le jeu ? Et aussi l’auteur. On va travailler longtemps ensemble et on aime bien se dire qu’on a des atomes crochus avec l’auteur. 
Tout ça pour dire que nous n’avons pas une réflexion du style : refusons ce qui est commercial ou visons forcément un truc cryptique. Moi je suis ravi quand un jeu se vend très bien, parce qu’il entraîne les autres projets, il vit sur les tables et tout ça. Et je joue moi-même à des choses que tu dis commerciales comme D&D ou Cthulhu. Donc, il n’y a aucune volonté d’élitisme dans nos choix. Moi, demain, tu me confies Star Wars ou l’Appel, je suis ravi ! Mais nous n’avons pas forcément les épaules pour, nous ne sommes pas sur les rangs. Certains projets ne passeront jamais par nous. 

Tu fais également de la traduction (avec Icons²² notamment), en plus de tes rôles de directeur de publication et d’auteur (hein, parce que quand même, ce serait dommage de s’ennuyer), donc même question qu’à ton collègue Le Grümph… Tu es hyperactif ou c’est juste pour faire bisquer des gens qui comme moi peinent à faire leur courses et écrire trois questions sur le jdr dans leur journée ? 
Et au fait, le directeur de publication, c’est le type qui casse ton rêve en refusant les manuscrits ou celui qui paie les cake à l’épeautre ?

Le cake à l’épeautre… une recette indémodable au succès garanti

Pour nous, le directeur de publication, c’est justement le “facilitateur” dont je parlais plus haut. Celui qui aide l’auteur à accoucher de son jeu. 
Au niveau charge de travail, comparé à LG, je suis un fainéant 🙂
Mais oui, c’est beaucoup de boulot car j’ai gardé mon job, je ne vis pas de l’édition. Comme toute passion, tu prends sur ton temps perso. Certains font de la pêche à la ligne, moi j’écris du jdr. Comme je te le disais plus haut, j’ai envie en ce moment de passer plus de temps à écrire et moins à gérer. C’est pour cela que nous nous sommes rapprochés de nos amis de BBE²³ qui ont géré la précommande de Donjon & Cie. Ils ont proposé de nous aider, pour nous libérer du temps de créa. Et c’est formidable car ces dernières années, j’avais ressenti un manque. Après, l’écriture reste une maîtresse difficile et changeante. Des fois tu es sec. Je peux rester des semaines sans produire une ligne utile et puis, soudain, sortir un scénario complet en une soirée. Personnellement, je me trouve peu productif. J’ai genre 15 projets esquissés, qui seraient tous, je le pense, des jeux sympas que j’aimerais essayer avec mes potes. Et je sais que faute de temps, certains ne seront jamais aboutis. 

Le paysage français du Jdr commence à être bien chargé niveau maisons d’édition. Du coup je suis curieux (surprenant n’est-ce pas ?), et m’interroge sur les rapports entre professionnels… Il y a de la communication entre vous, c’est une grande et belle famille, une famille normale (avec l’oncle un peu con, la cousine bavarde et le papy pontifiant qu’on écoute par politesse), ça se règle à coup de couteaux dans les allées sombres une fois la nuit venue ?

Avec LG, on a toujours eu une réputation de Bisounours, on se bagarre avec personne. C’est un peu vrai (même si on sait défendre notre pré carré, hein). Donc, comme avec nos auteurs, on n’a jamais eu de gros clash. A vrai dire, lorsque nous avons commencé, nous avons eu un bon accueil, certains éditeurs nous ont aidé, sans contrepartie, et nous leur en sommes extrêmement reconnaissants. Après, en ce qui me concerne, je connais assez peu le milieu, je suis plutôt discret. Donc pas de réunions secrètes de domination mondiale ! Je connais très bien certains éditeurs avec qui le contact est récurrent, et pas du tout certains autres. Idem avec les auteurs. Au fil du temps, on croise quand même plein de gens, notamment sur les grosses conventions, et des liens se nouent. Il y a des auteurs avec qui j’aimerais vraiment bosser, des éditeurs dont j’admire le boulot. Tu vois Pavillon Noir²⁴, tu te dis “mais quel boulot de dingue !”. Tu vois L’empire des Cerisiers²⁵ et tu te dis, wouha, qu’est-ce que c’est bien ! 

Un p’tit dernier avant qu’on ne discute de qui va localiser Deadland²⁶ ?

Si tu avais une recommandation (ou trente) à faire à quelqu’un qui veut éditer son jeu ou au moins essayer de s’insérer dans ce milieu, ça serait quoi ?

Surtout de ne pas rester dans son microcosme, de sortir du cercle d’amis pour faire goûter son univers, son jeu à d’autres. En convention, en club… Voir si le truc prend. Présenter son jeu à de nouveaux joueurs, c’est un exercice en soi, et il est très utile : qu’est-ce que je mets en avant ? Qu’est-ce qui compte dans mon univers, quelle est la proposition de jeu ? En quoi est-elle unique ? 
Se contraindre à cet exercice, c’est parfois se rendre compte qu’il faut élaguer des choses, que certaines mécaniques sont superflues, belles sur le papier mais peu concluantes en live. 
Tout ça va aider à affiner la proposition. Quand on me propose un projet, j’adore recevoir une note d’intention claire, pas plus de quelques pages mais un truc bien charpenté qui explique la vision de l’auteur, l’enjeu de ce qui va être au cœur du jeu.

Quand j’étais prof de guitare, j’avais l’intime conviction que je n’exercerais pas ce métier toute ma vie, même si d’un point de vue extérieur, j’étais à ma place et vivais (vivotais) de ma passion.
De l’intérieur, de nombreuses choses me pesaient, comme le fait par exemple que la dite passion touchait plus à la musique en elle-même qu’à l’enseignement… Pour toi, ça se passe comment dans ton boulot d’éditeur, tu as des regrets, des envies, le sentiment d’avoir trouvé ta place ?

Mmmm… C’est intéressant ça, parce que je suis en pleine réflexion en ce moment. Est-ce que ce qu’on a fait a compté ? Est-ce que ça valait le coup de s’y être autant investi ? Je ne sais pas. Aujourd’hui, il y a une offre pléthorique. Être joueur de rôle aujourd’hui, c’est vraiment avoir l’embarras du choix, que tu aimes les mécaniques simples ou complexes, que tu aimes les univers très touffus ou au contraire si tu privilégies un univers émergent qui se dessine peu à peu en fonction du choix des joueurs… Tu as tout ça. Des produits d’initiation super bien faits, des grosses gammes et des jeux courts… Bref, il y a plein de choses.
Et je me demande parfois si j’ai encore des choses à apporter, qui vaillent la peine qu’on passe parfois deux ou trois ans en développement. Imposer un nouveau jeu, c’est très difficile.
Les gens ont des valeurs refuges, tu n’as quasiment plus aucune gamme existante dans les années 80 ou 90 qui n’ait pas été rebooté. Alors est-ce que ça vaut le coup de continuer à se battre sur de la créa ? J’aurais affirmé oui sans hésiter il y a quelques années, mais aujourd’hui, je ne sais plus. Je prends toujours autant de plaisir à imaginer un univers, c’est vraiment ce que je préfère et je continuerai, c’est certain. Mais tout le reste, le développement pour rendre cela jouable, le long chemin de l’édition. J’ai des doutes, clairement. Je n’ai pas de réponse définitive. Je suis très fier de ce que nous avons fait avec John Doe. On a eu des retours si chaleureux que ça payait toutes les galères, tous les écueils. Mais j’ai parfois l’envie de ne développer que pour ma table de jeu, sans penser à un produit fini. Tout cela est en cours de mûrissement. 
Des regrets, on en a forcément après 15 ans de boulot : n’avoir pas su défendre tel ou tel jeu qui l’aurait mérité, s’être interdit des choses qu’on aurait pu faire, des erreurs factuelles aussi, qu’on assume car au moment où on les a faites, on manquait peut-être d’expérience, de recul… Tout ça fait grandir. 

Question bonus : tu as un teaser à nous faire à propos de la v2 de Exil (comme ça, l’air de pas y toucher) ?

Je vais finir par croire qu’il est attendu ! Que dire ? L’essentiel des efforts portent sur l’accessibilité du jeu. La v1 est un gros pavé sans orientation claire de ce qu’on est amené à jouer. L’idée, c’était “faites ce vous voulez de l’univers, il est à vous”. Mais on peut très bien garder le détail et offrir une perspective claire, que le meneur pourra prendre telle quelle pour aller vite, ou ignorer s’il le souhaite. Donc, il y aura cela, une prise en main rapide avec de nombreuses aides de jeu pour faciliter la vie du MJ. Si on y arrive, naturellement 😉

Question piège : Stars Without Number²⁷, ça en est où ?

Ça ne sortira pas. Le projet a été abandonné. LG avait commencé une traduction puis est parti sur autre chose (Oltréé²⁸ à l’époque je pense), le temps a passé et nous avons décidé de ne pas poursuivre sur la VF. Désolé…

😭😭😭😭😭😭😭😭😭😭😭😭

Nos courageux agents du C.A.L.E.C.O.N.S vont-ils réussir à juguler la propagation du S.Y.Q.S au sein des couches de la population refusant de se protéger ?
Le S.S.L.I.P est-il en train d’ourdir de nouveaux complots visant à propager le virus ?
Autant de questions auxquelles seul l’avenir sera à même d’apporter des réponses.
Mais dans l’attente, gardons espoir, car nos défenseurs sont sur la brèche et ne ménagent pas leurs efforts, même si l’ampleur de la tâche peut parfois leur paraître décourageante.
Soutenons-les, encourageons-les, car s’ils venaient à flancher, l’exil pourrait finir par s’avérer indispensable et immanquablement, il ne serait pas possible pour tous.
D’innombrables étoiles seraient amenées à s’éteindre si cela devait advenir, aussi l’esprit de la meute doit prévaloir et c’est seulement en maintenant cette volonté de cohésion que nous pourrons triompher des obstacles…
Jusqu’à la frontière finale…
Ensemble contre la barbarie
Vers l’infini et au-delà.

Propos d’Emmanuel Gharbi recueillis par David Barthélémy

Notes et références :

¹ LG (Le Grümph)
² Yno
³ John Doe
Exil
Final Frontier
Antoine Bauza
Donjon & Cie
Meute
Ubik (aujourd’hui Edge Entertainment suite à une fusion)
¹⁰ Patient 13
¹¹ Pierrick May
¹² Ballon-Taxi
¹³ Julien Heylbroeck
¹⁴ Warsaw
¹⁵ Eleusis
¹⁶ Hellywood
¹⁷ D&D
¹⁸ L’appel de Cthulhu
¹⁹ Star Wars
²⁰ Tenga
²¹ Notre Tombeau
²² Icons
²³ Black Book Editions
²⁴ Pavillon Noir
²⁵ L’empire des cerisiers
²⁶ Deadland
²⁷ Stars Without Number
²⁸ Oltrée !

Paroles d'Experts

Paroles d’experts S01 E01 : Sandy Julien

Bonjour à toutes et à tous.

Nous inaugurons aujourd’hui une nouvelle rubrique ayant pour but de présenter les différents métiers de l’édition, qui bien que dans l’ombre des créateurs, sont essentiels et sans lesquels nous serions bien en peine de pratiquer notre loisir (et tant d’autres).
Traduction, relecture, mise en page, impression, distribution … Autant d’aspects méconnus et pourtant indispensables de la chaîne du livre, auxquels nous allons tenter de rendre la place qu’ils méritent, en donnant la parole aux différents acteurs qui les incarnent.

Paris, 2021

Alors que le langage sms et l’illettrisme sévissent sur tous les réseaux, le monde de la culture est en péril. Le Mal progresse et menace de plus en plus de lecteurs innocents d’être frappés du syndrome dit « des yeux qui saignent ». Pire, certains individus commencent à développer une sorte de « tolérance » face à cette incurie intellectuelle et ne relèvent même plus ce qui devrait pourtant leur sauter aux yeux.

Une seule solution : mobiliser une brigade de spécialistes prêts à en découdre avec la barbarie et qui, au mépris de tous les dangers, sauront se poser en gardiens de la Syntaxe et de l’Exactitude. Dernier rempart avant l’effondrement de la civilisation telle que nous la connaissons, le S.S.L.I.P (Section Spéciale des Lecteurs Intransigeants Professionnels) est né.

Pour les mener dans cette bataille de tous les instants, un homme s’élève : Sandy Julien

Bonjour Sandy, et merci d’avoir accepté de prendre quelques instants pour nous parler de toi, ta vie, ton œuvre. Alors dis-moi, pour les trois distraits du fond qui ne lisent jamais l’ours d’un bouquin, c’est qui Sandy Julien ?

Un traducteur de jeu de rôle et de romans qui sévit… euh, qui exerce depuis une vingtaine d’années. J’ai traduit du JDR, du jeu de plateau, de cartes, des comics, des bouquins de ciné, des romans… et pourtant il y a encore plein de choses auxquelles je n’ai pas touché mais que je souhaiterais essayer.
Et à côté de ça, je suis un homme tout simple. J’aime la pop culture en général, j’essaie d’être positif et optimiste dans tout ce que je fais, et je pense qu’il faut établir des ponts entre la culture établie, celle d’hier, celle que ma génération a pour mission de transmettre (et non pas de garder comme un temple) et la culture à naître, celle d’aujourd’hui, celle de demain, qui est en plein développement et qui a beaucoup à nous apprendre. Pour moi, l’essentiel, c’est ça : ne pas établir une « culture classique » qui serait sclérosée et en opposition avec des formes inédites et intéressantes, mais qu’on ne peut pas comprendre en leur appliquant les mêmes filtres.

Et je suis bavard, aussi. 

J’ ai bien cru que j’allais faire dérailler la molette de ma souris en déroulant la liste des bouquins que tu as traduit jusqu’à aujourd’hui … Comme quelques autres dans le milieu du jdr (pour ne pas citer John Grümph1), tu es soupçonné de n’être au final rien moins qu’un collectif d’auteurs/traducteurs … une déclaration à ce sujet ?

La team Sandy Julien

On va se concerter et on te répond ensuite…

Bon alors, traducteur aujourd’hui ça consiste en quoi exactement … ? Tu prends Google trad et tu bidouilles pour que ça fasse naturel (et on ne rigole pas, je ne citerai personne mais c’est du déjà vu … Oui oui) ou tu nous la joues Actor Studio avec mise en ambiance préalable pour rester fidèle au matériau d’origine ?

C’est du déjà vu, je l’ai déjà vu lorsque je supervisais des traductions chez Edge2

Il n’y a pas de mise en ambiance, non. On prend le texte et on avance. Pour certains textes techniques (ça m’arrive sur des bouquins de ciné au style complexe), je lis d’abord l’intégralité de l’ouvrage avant de commencer, afin de défricher un peu les notions qui ne sont pas forcément accessibles lorsqu’on traduit.
C’est un processus assez amusant, d’ailleurs. Il y a des textes qui se lisent très bien en anglais, on trouve ça très clair. Et puis quand il s’agit de les faire passer en français, ça devient plus difficile en particulier quand on veut éviter les anglicismes (je leur fais la chasse, mais je dois bien en commettre de temps à autre).

Comme on imagine les choses, traducteur/relecteur c’est un peu un métier d’ermite, le type dans sa grotte qui a le Harrap’s en guise d’oreiller et ronfle avec l’accent du Devonshire (enfin … moi, je vois assez les choses comme ça 😅), du coup si on veut dépasser un peu cette image issue d’un autre temps, tu pourrais nous en dire un peu plus sur tes méthodes, ton cadre de travail, les difficultés que tu as pu rencontrer face à un texte corsé et comment tu les as dépassées… ?

Le traducteur exerce un métier très solitaire, en effet, mais il a aussi des collègues (certains avec lesquels il pratique le JDR en ligne, d’ailleurs ! Coucou à l’équipage du Carnivale, au passage) : en cas de grosse difficulté, on a toujours la possibilité de poser la question aux copains et aux copines.
Mon cadre de travail est simple : un ordinateur portable avec word, une pile de dicos divers et variés, le logiciel Antidote pour repérer les petites coquilles sur lesquelles on passe sans les voir, et surtout, surtout, le plaisir de la traduction. C’est un immense privilège que de pouvoir se dire, quand on tombe sur un texte ardu : c’est compliqué mais c’est aussi ça qui rend le boulot agréable.
D’un autre côté, j’ai traduit pas mal de choses pas folichonnes, voire dont je ne suis pas forcément fier (en particulier en début de carrière). Mais aujourd’hui, je choisis mes textes (ou plutôt on me confie des textes dont on sait qu’ils vont me plaire) et je ne travaille quasiment plus que sur des projets qui m’enthousiasment à titre personnel.

Les difficultés… il n’y en a pas deux de semblables. Entre les complexités techniques, la nécessité de coller à un glossaire spécifique lorsqu’on aborde une franchise établie, les styles particuliers et les textes qui arrivent en n’étant pas finalisés, on tombe toujours sur de l’inédit. La plus grosse difficulté vient des délais extrêmement réduits… mais il faut faire avec ce qu’on a. 

Qu’est-ce que tu donnerais comme conseils à quelqu’un qui souhaiterait se lancer dans le métier (que ce soit pour du JDR ou des bouquins plus traditionnels) ?

Une seule chose. Il faut écrire court. La question la plus essentielle qu’un traducteur débutant puisse se poser est la suivante : « comment puis-je exprimer exactement la même chose, mais en utilisant moins de mots ? »

Abréger, c’est chercher les mots les plus pertinents et s’abstenir d’employer des périphrases et des formules à rallonge. 

J’imagine que plusieurs parcours peuvent mener à la traduction. A défaut d’un « chemin idéal » et selon toi, qu’elle serait la meilleure manière de s’y préparer ?

Il n’y a pas de chemin idéal, mais il y a un état d’esprit. Il faut aimer traduire. Et il faut aimer lire. Et par lire, j’entends « lire dans la langue de destination » (le français, dans mon cas). Pour éviter les anglicismes, par exemple, il faut vraiment lire des textes en « bon français » (c’est une expression… qui vaut ce qu’elle vaut, mais voilà : on a plus de chances de côtoyer un bon niveau de langue en lisant de bons auteurs et de bons traducteurs qu’en se cantonnant à parcourir des sites internet et des conversations sur les réseaux sociaux). 

Il existe de nombreuses écoles de traduction, mais aucune ne saurait affirmer qu’elle produit une traduction parfaite. Traduire, c’est toujours trahir. J’ai beau ne pas apprécier la nouvelle traduction du Seigneur des Anneaux, elle a des qualités et prouve que l’on peut tout à fait reprendre une traduction classique et l’altérer de façon satisfaisante. Il y a beaucoup de lecteurs qui l’aiment énormément ; en ce qui me concerne, j’ai trop de mal avec les changements de noms, et je ne retrouve pas en la lisant le plaisir du texte d’origine, qui m’a trop marqué pour que je puisse la juger de façon objective. Mais elle existe, elle est pertinente et elle propose autre chose à partir du même matériau.

Le Chef des Bagouzes vous dîtes ? 🤔

Pour revenir à nos moutons : il faut aimer la langue, les langues, mais il faut également savoir trancher, en particulier lorsqu’on travaille dans un domaine où les tarifs ne sont pas très élevés et où il faut abattre beaucoup de taf en temps record (encore qu’ils aient augmenté un peu et que certains éditeurs pratiquent des prix raisonnables). L’amour immodéré du texte peut devenir un frein, en particulier quand on traduit de la technique, comme dans le jeu de rôle : il y a un moment où il faut penser à rendre le texte. Et ce moment est beaucoup plus proche que ne le voudrait une vision « confortable » du mode de travail. Il faut « tomber les signes » très vite. Dans des conditions pas toujours agréables (par exemple, sans jamais avoir joué au jeu : c’est un gros handicap quand on traduit du jeu de plateau). Bref, il faut savoir que c’est un travail passionnant, mais pas facile du tout. Et au début, trouver des clients est très difficile. Il faut s’accrocher, et bien comprendre qu’on travaille pour le long terme.

Quand tu reçois un texte à traduire, tu as un cahier des charges qui va avec ou c’est le freestyle total ?

Il y a parfois un cahier des charges, mais c’est rare. Les éditeurs avec qui je travaille me font confiance. J’ai supervisé pendant sept ans les traductions chez Edge, par exemple, donc j’ai une vision assez globale de ce que l’on doit faire ou pas sur tel ou tel texte. 

Quelle est la part de liberté d’un traducteur par rapport au texte original ?
Supposons que tu tombes sur un texte bourré de fautes au départ (ou d’incohérences flagrantes, tant au niveau du style que du contenu), tu as des recours possibles ou tu te retrouves à essayer de retranscrire tout ça en français (au risque d’y être associé par la suite) ?

Je vais te donner une réponse de Normand. Oui, il faut « corriger » le texte. Et non, il ne faut pas l’altérer. Il y a une limite à ce que l’on est en droit de faire. Si le texte est catastrophique… il arrive un moment où j’annote simplement ma traduction en proposant des alternatives. « On ne fait pas d’un âne un cheval de course… »
Mais il y a un piège dans lequel il faut bien se garder de tomber. Parfois, le manque d’expérience ou l’inattention vous font commettre de graves erreurs : on s’imagine que l’auteur ne sait pas ce qu’il fait, alors que c’est précisément le cas. Quand on imagine qu’un texte est mauvais ou incohérent, la première chose à se dire consiste à se poser la question : est-ce qu’il y a quelque chose que j’ai compris de travers ? Un second regard, celui d’un collègue, est précieux dans ce cas-là. 

Quand on est traducteur, peut-on se permettre d’avoir un style propre en regard du matériau d’origine ?


On ne devrait pas. Et pourtant ça donne de bien belles choses. Quand on lit ce que Jean Sola3 a fait sur le début du Trône de Fer4, on est époustouflé par un niveau de langue qui est un bon cran au-dessus de la VO. C’est Sola qui écrit, par endroits, et plus Martin5. C’est une option que certains lecteurs critiquent, et que d’autres apprécient.
Il faut bien comprendre que le niveau de langue est quelque chose de très délicat à appréhender. Lorsqu’un personnage s’exprime avec un accent en VO, on ne va pas lui donner un des rares accents bien reconnaissables en France, mais il faut quand même marquer cette différence…

Un accent … Quel accent ?

De la même manière, transcrire des figures de style balisées reste facile, mais on risque toujours de tomber dans le calque de l’anglais et d’avoir un texte un peu bancal au bout du compte.
Cela dit, je reste persuadé que l’on ne peut jamais se débarrasser de ses propres tics. Je ne sais pas si on peut parler de style, réellement, mais je pense que les traducteurs ont tous des formules, des façons de surmonter les difficultés, qui se ressemblent et qui donnent une couleur particulière à ce qu’ils écrivent. 

Par opposition, quand tu fais de la relecture, il y a d’un côté les fautes et la syntaxe à prendre en compte, mais aussi le rendu du texte (je pense au jeu de rôle notamment) afin qu’il soit lisible “et” compréhensible.
Ça t’es déjà arrivé de devoir ré-écrire des pans entiers pour le bien du texte ?
Et si oui, comment fait-on pour ne pas froisser la sensibilité de l’auteur ?

Il m’est arrivé de réécrire jusqu’à deux tiers d’une traduction bancale. Mais là, c’était en tant que relecteur pour des traducteurs parfois débutants. 
Je le dis souvent, mais j’ai récemment dû corriger un « when the shit hits the fan« 6 traduit par « quand la crotte heurtera le ventilo [sic] »… C’est un cas extrême, bien sûr, mais voilà le genre de chose qu’il faut corriger quand on est relecteur (ou quand on est traducteur, pour éviter de se faire tuer par son relecteur).
En ce qui concerne le texte VO qu’il faut réécrire… là, on le fait sans se poser trop de questions (surtout en temps limité). S’il faut élaguer un peu dans une prose alambiquée… eh bien tant pis. On a toujours quelques lecteurs qui vont compter le nombre de mots et affirmer qu’on a loupé une nuance ou altéré le texte d’origine, mais c’est anecdotique. Il vaut mieux un texte clair et qui sonne français plutôt qu’un calque effroyable de l’anglais. Tout ça est un équilibre délicat : il faut travailler en équilibre sur le fil qui sépare le « texte corrigé » du « j’en ai fait beaucoup trop ».
Quand quelque chose est incohérent et que je peux contacter l’auteur, je le fais. Jusqu’ici, dans 100% des cas, l’auteur répond : ah oui, on avait loupé ce détail et on va le corriger en réimpression VO. 

Selon toi, c’est quoi les dix commandements du traducteur pro ? (ou trois, ou cinq hein)

  • Respecter l’intention de l’auteur ou de l’autrice d’origine. Tu peux adapter, modifier, etc., mais pas trahir l’intention. Si un personnage s’exprime de façon sexiste, tu le traduis sexiste, tu n’en fais pas un féministe, et vice-versa. L’intention, c’est essentiel.
  • Eviter les verbes ternes (être, avoir, faire) et les remplacer par des verbes plus précis et plus variés (représenter, adopter, relever de, etc.) sans pour autant (et c’est essentiel) aller chercher des verbes trop complexes. Quand on donne ce conseil aux traducteurs débutants, ils sortent un dico pour balancer des « ratiociner », des « gloser », etc., dans un texte qui est au ras des pâquerettes en VO. Enrichir son vocabulaire, ce n’est pas le rendre inintelligible. Il y a un bon exercice : tu lis un bon auteur français (je relisais Stefan Wul7 récemment), dans un registre populaire ou jeune lecteur, et quand tu tombes sur un verbe ou un mot simple mais que tu n’utilises jamais, tu le notes. Sur un tableau blanc, par exemple. Il y reste jusqu’à ce que tu aies eu l’occasion de l’employer. Les mots les plus précieux sont les plus simples : c’est en allant chercher des mots compliqués comme « solutionner » qu’on oublie qu’en français, il suffit de « résoudre ». La langue claire et élégante, ce n’est pas une langue complexe. La richesse du vocabulaire, ce n’est pas de l’érudition de salon.
  • Ecrire au plus bref. Moins j’utilise de mots, plus j’utilise les bons.
  • Limiter les adverbes en « ment ». Je plaide coupable. J’essaie d’arrêter.
  • Être sympa avec ses collaborateurs. Quels qu’ils soient, à quelque niveau de la chaîne de production qu’ils se trouvent.
  • Apprendre à gérer son emploi du temps et s’imposer une discipline en matière d’horaires. Ne pas travailler « tout le temps, même pendant les vacances et le week-end ».
  • Lire. Lire de la bonne traduction, du bon roman, de bons articles. S’imposer l’exercice qui consiste à comparer VO et VF de bons ouvrages par de bons traducteurs (Pierre-Paul Durastanti8, Patrick Marcel9, Patrick Couton10 par exemple). 
  • Travailler en binôme et apprendre mutuellement.
Les binômes, y’a qu’ça d’vrai
  • Sortir de sa zone de confort et s’essayer à des traductions dans d’autres domaines. 
  • Manger moins de sucre et faire de l’exercice. Mais ça, ça s’applique à tout le monde, non ? 🙂 

Paris, toujours 2021

Dans l’ombre des réseaux, les vilains agissent et continuent d’influencer la langue, de manière plus ou moins subtile, afin de la faire évoluer vers une forme moins littéraire et plus proche de leurs attentes textuelles dépravées. En réaction à la création du S.S.L.I.P, ils s’organisent à leur tour et se regroupent sous la bannière du C.A.L.E.C.O.N.S (Cellule d’Action Libératoire de l’Ecriture Contre l’Onanisme Nomenclatural du Sachoir).
Nous rentrons dans une nouvelle ère de terreur et les forces en présence sont sans pitié. Qui triomphera en ces temps troublés ?
En tout cas, une chose et sûr, personne ne sera épargné dans cette lutte fratricide … Alors, S.S.L.I.P ou C.A.L.E.C.O.N.S, choisissez bien votre camp …

Un très grand merci à Sandy de s’être prêté au jeu des questions et à bientôt pour l’épisode 2

Notes et références :

1John Grümph
2 Edge Entertainment
3
Jean Sola
4
Le Trône de Fer
5
Georges R.R. Martin
6
When the shit hit the fan : expression signifiant que les choses se compliquent, dégénèrent, que c’est la merde en somme.
7
Stephan Wul
8
Pierre-Paul Durastanti
9
Patrick Marcel
10
Patrick Couton