Focus

Focus sur Julien Heylbroeck (article initialement publié sur le blog « Cultures de l’imaginaire »)

Fans de littératures de genre ou de jeu de rôle, amateurs de catch mexicain et de totalitarisme rouge, le tout sur fond d’afro beat des 70’s et avec toujours une pointe d’humour, ce focus est pour vous.

« This is ground control to major Tom »… c’est parti.

1 : Bonjour mon grand, alors dis moi, comment tu t’appelles ?

Julien Heylbroeck. J’ai pas mal sévi sur les forums de jeux de rôles sous le pseudo de Wyatt Scurlock (un mélange de deux légendes de l’Ouest car j’aime bien les westerns). Et il m’est aussi arrivé d’écrire avec les alias : Green Tiburon, Degüellus et Julian C Hellbroke. Voilà, voilà. Je crois que c’est bon, j’ai tout dit sur les noms.

2 : C’est un joli prénom ça…et lorsque tu étais en âge qu’on te pose la question, tu savais ce que tu voudrais faire quand tu serais grand ?

Pas vraiment, mais j’ai toujours aimé l’histoire, alors je pense que ça explique un peu pas mal de choses. Donc du coup, j’ai embrayé sur des études d’histoire, logique. Et puis en cours de route, je me suis dit que j’allais faire coller mes études avec mes engagements politiques donc je suis allé du côté de la socio, j’ai fait un stage dans une asso à thématique sociale pour les besoins de mon mémoire de recherches et j’ai abandonné l’université pour le travail social.

3 : Allé, j’arrête les « Martineries » pour attaquer les choses sérieuses.

La première fois que j’ai croisé ton nom dans des bouquins, c’était en lisant le jeu de rôle WarsaW¹, peu de temps après sa sortie… ce n’était pas une thématique « facile » pour un début (je sais je sais, il y a eu Kuro² avant, mais WarsaW m’a toujours parût plus « personnel ») …en général on démarre par des elfes un peu fachos et des nains bourrus qui s’engueulent avec des paladins non ?

WarsaW aux éditions John Doe

Alors avant même Kuro, il y a eu Humanydyne³, toujours en compagnie de Willy Favre⁴. Et même avant ça, des productions en amateur. WarsaW était effectivement mon premier vrai projet perso, qui a germé pendant un long moment dans ma cervelle. Toujours avec Willy, j’ai pu développer cet univers et John Doe⁵ a permis de le proposer sous une forme idéale. Résultat : j’ai pu travailler sur tout ce que j’aime : un jeu court, qui laisse de la place au MJ, avec un système de règles adapté à la tension de cet univers, sur mes obsessions du moment et avec un rendu graphique somptueux.

4 : On a vu, au titre de tes obsessions, un Staline ressuscité dans WarsaW, après quoi tu as abordé avec Luchadores⁶ le monde coloré de la Lucha Libre, joyeusement mêlé à beaucoup de pulp et une grosse touche de fantastique… il ne manquerait pas un jeu sur les rats et un autre sur Bowie pour faire bonne mesure ?

C’est vrai que j’ai quelques thématiques de référence auxquelles je m’accroche et que j’aime à caser un peu partout. C’est parfois un peu comme un défi. Après je ne force pas si je vois que c’est vraiment incongru. Mais ouais, j’adore caser des rats, c’est une bestiole que j’adore. L’univers de la lucha libre, je suis tombé dedans il y a une dizaine d’années, c’est un monde passionnant et très proche de ce que j’aime dans la culture populaire. Et l’horrible totalitarisme stalinien, c’est assez fascinant, dans le sens presque morbide du terme, une telle emprise sur l’ensemble de la société, à l’échelle d’un continent (voire davantage). 

David Bowie, bon, j’évite d’en parler, sinon, je vais avoir la larme à l’œil et je ne veux pas que tu me vois pleurer, cher lecteur.

5 : Snif, je comprends…passons prudemment à autre chose.

C’est en 2012 au Utopiales de Nantes que j’ai découvert que tu étais passé du jeu de rôle à l’écriture de romans, en me faisant dédicacer « Stoner Road »⁷ (bon collectionneur que je suis), un Road Trip sous acides que j’ai beaucoup apprécié… qu’est ce qui t’as fait basculer dans cet autre pan de l’imaginaire en délaissant le jeu de rôle ?

Stoner Road aux éditions actusf

Le fait de bosser sur l’adaptation en jeu de rôle de l’univers de la Brigade Chimérique⁸ a été déterminant. Je ne peux que remercier Romain d’Huissier⁹ de m’avoir embrigadé (huhu) dans ce projet. J’y ai découvert tout un pan de notre littérature populaire avec des personnages plus grands que nature, des monstres, des voyages spatiaux, des pouvoirs psy, tout un univers décomplexé, inventif, d’une richesse impressionnante. Moi qui avais déjà un peu envie de me lancer dans un récit un peu pulp, ça m’a conforté dans cette voie en nourrissant mon imaginaire comme jamais.

Ça et également le fait d’avoir l’impression d’un cheminement inconscient qui se faisait petit à petit dans ma tête, en me goinfrant de films de série B, de romans de fantastique. A un moment, comme quand tu mets de l’essence, le pistolet de la pompe remonte pour te dire que c’est bon, le plein est fait. Ça a été pareil avec la volonté d’écrire. Je me suis enfin senti prêt d’un coup et ensuite, j’ai écrit une douzaine de romans d’affilé en quelques années. Et puis, un dernier truc : j’avais envie que mes scénarios amoureusement concoctés se passent comme j’aimerais qu’ils se passent. En gros, j’en avais assez de prêter mes jouets à d’autres pour qu’ils s’amusent avec et je voulais en profiter moi !  C’est purement égoïste, en fait.

6 : Sur la liste de tes passions (fort nombreuses au demeurant),on peut ajouter la musique et le gore… Dis moi un peu, comment tout ça alimente ton écriture ? Car quand je te lis, je ne peux m’empêcher de sentir la musique derrière chaque paragraphe (après, je projette surement beaucoup de mes attentes… mais quand même 😅)

C’est vrai que dès que j’aime quelque chose, je farfouille à fond dans le truc, parce que je veux tout savoir ou presque. Alors la musique, c’est simple, je peux difficilement écrire sans. En gros, j’ai toujours une sorte de sélection d’albums pour chaque projet, qui s’affine au fur et à mesure de l’écriture. D’ailleurs, je cite systématiquement ces inspis musicales désormais.

7 : Tu as publié quelques fascicules au Carnoplaste¹⁰, tous plus barrés les uns que les autres et notamment les Green Tiburon, très étroitement liés à Luchadores, de même que « Cartel de sang »¹¹ (qui initie ta série El hijo del Hierofante)…en fait,tu as du sang mexicain qui coule dans tes veines, non ?

Alors effectivement, et c’était pas prémédité. Je veux dire : je ne me sentais pas vraiment attiré par ce pays en particulier avant d’y découvrir la lucha libre et tout le folklore et la culture associées. Désormais, je suis un peu tombé amoureux du Mexique et j’aimerais y aller un jour. Mais je sais bien que j’en ai une vision très formatée par le prisme de mes passions.

8 : Dans « Le dernier Vodianoï »¹¹ (qui chronologiquement serait ton premier roman 🧐), on embarque pour une URSS sous Staline, mélangeant créatures étranges, grandes figures historiques et agence gouvernementale à la Hellboy¹². Au delà de l’aspect littérature de genre, ça sent bon l’amour de l’Histoire et du folklore, alors…une passion de plus ?

Le Dernier Vodianoï aux éditions OVNI

Oui, c’est bien mon tout premier roman, fascicules de Green Tiburon exceptés. Alors, le folklore, pour être honnête, pas vraiment, même si le folklore slave regorge de créatures cheloues, velues et plutôt effrayantes et donc intéressantes. L’histoire, par contre, à fond ! En fait, je n’y connaissais pas grand-chose à l’URSS avant de bosser WarsaW. A l’époque, je me suis documenté et j’ai découvert cette période, que j’évoque brièvement plus haut et là, paf, je me suis dit : c’est, par certains côtés, une espèce d’enfer bureaucratique, anonyme et flippant (attention, je généralise pas sur l’époque, mais disons qu’il y a de quoi piocher pour dépeindre des temps plutôt difficiles à vivre quand même), qui fera un pendant « merveilleux » à un monde féérique bien glauque. Je voulais faire mon labyrinthe de Pan à moi, je suis rien qu’un gros copieur, en fait. Après, quand j’ai commencé à reconnaître tous les gens dans les photos autour de Staline, dans les bouquins, je me suis un peu fait peur et je suis passé au Mexique !!

9 : J’ai surpris sur ta page Facebook plusieurs « teaser » de ton prochain livre à paraître (dont le WIP de la couverture figurant des rats qui m’ont l’air plutôt teigneux… Haha !)… Tu peux nous en dire un peu plus ou c’est top secret ?

Garbage Rampage aux éditions OGMIOS

Alors en fait, c’est une réédition d’un roman édité chez Trash¹³. J’ai voulu écrire une sorte de série B comme on pouvait en trouver dans les vidéoclubs de mon enfance, entre Bad Taste et Hellraiser. Avec ce New York bien craspec des eighties, des rats (ben oui, forcément), des mutations, un duo de flics antagonistes, un clochard qui sait… Du cliché mais en respectant le genre. Du coup, ce roman, c’est comme si vous vous aventurez dans un vidéoclub désaffecté et qu’il reste une pauvre cassette dans un rayon vide et poussiéreux et qu’il y a la petite jaquette cartonnée glissée dans le plastique pour signaler qu’elle est dispo. Normalement, c’est aussi le premier volume d’une espèce de trilogie « Rampage » dont je ne veux pas trop parler pour garder une certaine aura mystérieuse.

10 : Je te soupçonne d’avoir des projets plein les tiroirs pour les années à venir, tu comptes nous surprendre avec de nouvelles thématiques ( de nouveaux supports peut être ) ou creuser plus avant tes univers déjà établis ?

Je me lasse très vite. A mon grand dam, comme on dit. Du coup, des suites, pour moi, c’est compliqué, vu que je pars de suite sur un projet totalement différent. Sauf pour Hierofante, dont j’aimerais proposer le dernier épisode dans pas longtemps. Là, je suis sur un très gros projet SF-médiévalo-craspeco-lovecrafto-futuristo-apocalyptique. Je veux moi aussi écrire un pavé SF dans lequel j’évoque tout plein de thématiques qui me donneront l’air intelligent en dédicaces !

11 : un petit quickie sur l’imaginaire en général :

  • Si tu étais un livre (roman/bd,…) :

C’est pas vraiment un roman mais Hommage à la Catalogne¹⁴ de George Orwell, mon idole (avec David).

  • Si tu devais cosplayer quelqu’un :

Je ne suis pas assez beau pour cosplayer Ziggy Stardust. Trop vieux, trop gras, je serais ridicule. Même si j’aime le look post apo, je crois pour autant que je choisirais The Dude. Ce serait l’occasion de faire sa feignasse en sirotant des white russians et l’idée est séduisante. Et puis c’est physiquement moins exigeant.

  • Si tu étais un jeu (de rôle/vidéo,…) : 

Alors là, forcément, ça fait prétentieux, mais j’aimerais bien être Luchadores car j’aimerais franchement pouvoir y jouer une petite campagne en tant que PJ. Sinon, j’aime beaucoup Miles Christi¹⁵ (vous connaissez pas, gamins ?).

  • Si tu étais une période historique : 

Le Moyen Âge m’a toujours terrifié, les années 30 aussi. Alors je les adore mais j’aimerais pas les « être ». Par contre, les années 70, c’était vraiment spécial : c’est le moment où la musique, les voitures, les films, tout est le plus mieux. Y’a aussi des aspects difficiles à cette époque, c’est sûr mais voilà, je choisis les années 1970. 

  • Si tu étais un univers fantastique : 

Star Wars. J’aime les jawa, l’idée d’aller sur des planètes différentes, l’esprit d’aventure qu’il y a dans chaque plan.

Et pour conclure, selon toi, quelle serait la place de l’imaginaire dans la culture (qu’elle soit populaire ou autre) et comment te positionnes tu dans ce vaste tableau ? (rhaaa, elle est vache celle là hein ?) 

La place de l’imaginaire dans la culture ? Pour moi, elle est plus que prépondérante, elle est la base, en quelque sorte. Comme disait l’autre, à la base de toute création, il y a une négation. Et c’est cette négation qui est comme la mèche de l’imaginaire. Et j’ai construit ma culture autour de piliers de l’imaginaire. Du coup, tout ce qui est littérature blanche, ciné d’auteur rive gauche, tout ça, m’est totalement étranger et ne m’attire guère. 

Ma place dans tout ça, elle est plutôt claire pour moi. Je me vois comme un artisan. Je n’aime pas parler d’écrivain, encore moins d’artiste. Artisan, ça me va, vu que perso, ma démarche est de recycler mes obsessions du moment en les mélangeant pour en tirer des histoires que j’essaie de produire comme les plus efficaces possibles. Je me vois comme un gars qui fait une commode qui sera la plus belle et la plus pratique possible mais moi, je ponce des pages, pas des tiroirs.

Et voilà pour aujourd’hui, n’hésitez pas à jeter un oeil sur les « commodes » de Julien, artisan passionné (qui va jusqu’à utiliser de jolis tampons thématiques pour ses dédicaces) et passionnant des littératures de genre.

Merci à toi pour toutes ces réponses et ton amour des « freaks »…

… … Scary monsters, super creeps

Keeps me running, running scared… …

Propos recueillis par David Barthélémy

Liens utiles :

Biographie et bibliographies :

https://www.moutons-electriques.fr/julien-heylbroeck

http://www.legrog.org/biographies/julien-heylbroeck

Blog :

http://loeilcannibale.blogspot.com/?m=1

Références :

¹http://www.legrog.org/jeux/warsaw

²http://www.legrog.org/jeux/kuro

³http://www.legrog.org/jeux/humanydyne

http://www.legrog.org/biographies/willy-favre

https://johndoe-rpg.com/

http://www.legrog.org/jeux/luchadores

https://www.editions-actusf.fr/a/julien-heylbroeck/stoner-road

http://www.legrog.org/jeux/brigade-chimerique

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Romain_d%27Huissier

¹⁰https://www.lecarnoplaste.fr/

¹¹https://www.actusf.com/detail-d-un-article/le-dernier-vodianoi

¹²https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Hellboy_(comics)

¹³http://trasheditions.blogspot.com/?m=1

¹⁴https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Hommage_%C3%A0_la_Catalogne

¹⁵http://www.legrog.org/jeux/miles-christi

Focus

Focus sur Olivier « Akae » Sanfilippo (article initialement publié sur le blog « Cultures de l’imaginaire »)

Si vous avez ouvert un livre de jeu de rôle de production française sur, disons les cinq dernières années et rêvé devant une carte détaillée de votre région d’aventure favorite, ou encore bavé devant une superbe couverture mêlant tons sépias et vert électrique, alors vous avez certainement déjà croisé le travail d’ Olivier… 

Princesse Yukihime « l’Empire des cerisiers »

1 : Salut Olivier, ça va bien ?

Et bien Salut David! ca va super bien! merci beaucoup!

2 : Depuis quelques années maintenant, tu deviens un illustrateur incontournable du petit monde du jeu de rôle…dis voir, il reste encore des gens ici (la France notamment) avec qui tu n’as pas travaillé et souhaiterais le faire ?

Incontournable je ne suis pas certain, mais oui je commence à avoir quelques participations à pas mal de projets c’est certain. J’ai bossé avec pas mal de monde, mais oui il y a encore des personnes avec qui je n’ai pas travaillé. Après si parmi certains d’entre eux j’aimerais travailler avec? En fait, je t’avoue je n’y ai pas réfléchis. Je m’éclate déjà actuellement, du coup j’ai pas nécessairement besoin d’aller chercher ailleurs. Pour le reste je fais en fonction des rencontres, des affinités et des projets. J’ai eu des demandes de certains collègues et amiEs avec qui je n’ai pas encore travaillé, après c’est plus là une question de disponibilités que d’opportunité de travailler avec ou pas.

3 : Mon premier contact avec ton travail remonte à Antheas¹ (un univers injustement méconnu à mon sens) et depuis, bien du chemin a été parcouru (c’est le moins que l’on puisse dire)…alors, coup de pot, bête de travail ou puissante magie vaudou pour arriver où tu en es aujourd’hui ?

Rhaaaa Anthéas! C’était l’une de mes toutes premières publications, ma toute première éditée professionnellement même. Ca avait été une super expérience avec les copains Denis et Fabien! Franchement un super univers qui à mon sens mériterait une nouvelle édition! Le jeu est sorti en 2008, donc oui pas mal de chemin parcouru depuis! A part la magie, sinon je pense que c’est un mélange de plein de chose qui m’a mené là aujourd’hui. Des rencontres formidables, du travail bien entendu, un entourage exceptionnel, des amiEs qui vous soutiennent, de la remise en question et oui du hasard, des coups de pots probablement. Bref, plein plein de chose. Mais bon le chemin devant est encore plus long que ce que je viens de parcourir. On va voir où il me mènera, mais en tous les cas je suis super bien là où je suis aujourd’hui et c’est le plus important à mon humble avis.

4 : Quand on parle de cartographie ludique (pardonne moi le terme), c’est bien souvent synonyme de Akae…d’où te vient cet amour du terrain ? (Réelle passion, hasard des commandes, … ?)

Village de Kokoro-Mura « l’Empire des cerisiers »

J’avoue la cartographie à fait exploser mon carnet de commandes! Alors l’amour des cartes ça me vient de tout petit et des atlas et bouquins d’histoire de mon Grand-Père. Je passais des heures à m’imaginer des histoires et des aventures en suivant du doigts les routes, chemins, et autres éléments cartographiques. Il y a je pense aussi toute cette dimension fantastique autour de la mythique “carte au trésor”. Un truc de gosse, mais qui pour moi avait un impact réel sur mon imaginaire et sur ma perception du monde. J’ai continué à aimer cartographier mes premières parties de JDR et par la suite quand j’ai opté pour un cursus universitaire en Histoire, les cartes sont restées pour moi un média très important pour ce qu’elles disent mais aussi ce qu’elles ne disent pas. Bref j’ai continué à baigner dans la cartographie historique, qui plus est vu mon sujet de thèse de doctorat qui traitait des échanges entre l’Europe et l’Asie au XVIIe et de fait des hommes qui faisaient les échanges et leurs déplacements, etc. Bref la carte est restée un élément important. Toutefois sur le plan de l’illustration je réservais le plus souvent la cartographie pour mon propre plaisir ou mes parties et univers perso. Il n’y avait pas encore le développement de ces 5 dernières années avec des “cartographes” à proprement parler dans le milieu. Le plus souvent un illustrateur s’y collait sans que ça le définisse véritablement comme un cartographe. La première grosse carte de cité que j’ai réalisé, ce fut pour le supplément que j’ai co-écrit avec Aldo Pappacoda, pour L5R, Sunda Mizu Mura² (La Voix de Rokugan/AEG/Edge) Finalement c’est avec les Ombres d’Esteren³ (Agate RPG) que la donne a changé. Je me suis retrouvé à faire des plans de lieux puis Nel m’a proposé de réaliser des cartes géantes des cinq cités les plus importantes du jeu. J’ai dis ok… et j’ai pleuré (rires)! Le boulot s’est étalé sur un an et demi. J’ai conçu et réalisé les cinq cités à la main pour toute les lignes encrées. J’ai pas mal appris, notamment sur les choses à ne plus faires, une des cartes mesurant au final plus de 2m00 sur 2m00 de dimension… bref au final ce chantier assez monstre s’est soldé par une récompense à la GenCon avec un Ennie Award en Gold dans la catégorie Best Cartography. C’était pour moi incroyable, j’ai eu du mal à réaliser d’abord qu’on avait été nommé, alors en plus quand on a remporté ce prix là, c’était exceptionnel! J’étais vraiment super content. C’était en 2016 et en fait dans les semaines qui ont suivi ce prix, j’ai été contacté par de nombreux éditeurs pour bosser sur diverses cartographies. Aujourd’hui j’ai un sacré paquet de réalisations cartographiques au compteur et des projets énormes!!!

5 : Tu as sauté le pas récemment en tant qu’auteur de ton propre univers (après le travail de créa pour la voix de Rokugan) et l’accueil du projet (rappelons le, l’Empire des cerisiers⁴ {l’EdC}, pour les trois du fond collés au radiateur qui ne suivent pas) a été plutôt chaleureux par la frange de rôlistes qui suivent les différents Financements Participatifs…ça doit pas mal changer du travail de commande, ça fait quel effet, pas trop de pression ?

Ouais l’accueil qui a été réservé au projet était énorme! Encore merci à tous ceux qui ont fait de ce Financement un succès et surtout une expérience humaine formidable! Alors oui très clairement ça change radicalement du travail de commande. C’est à la fois génial, très clairement on va là où on veut aller et là dessus, Mathieu, mon éditeur (Mathieu Saintout – Arkhane Asylum Publishing), m’a laissé une liberté totale. Mais c’est aussi un autre degré de pression. Donc oui j’ai eu de gros moments de stress, des moments de doutes, par paquets, beaucoup d’appréhension et c’est toujours le cas. J’ai un mal fou à prendre du recul sur mon travail, je doute énormément, que ce soit un travail de commande ou pas. Et même quand je sais très bien que j’ai rendu quelque chose de bien, j’attend les retours avec pas mal d’angoisse. Je crée bien entendu pour moi, parce que créer c’est pour moi vital, mais ma création n’a de sens que si elle est partagée, de fait le regard de l’autre sur celle-ci est très important. Concrètement, et c’est certainement très égocentré, j’aimerais que mon taf plaise à tout le monde. Mais, outre le fait que j’ai encore tellement de progrès à faire, je me doute bien que ça voudrait dire sacrifier une part de ce que je suis ou de ce que je veux transmettre. Et ça c’est hors de question. J’ai parfois des choses à dire, des choses à mettre dans mon travail, et sur certaines, il n’y a pas de concessions envisageables. Et cette conviction s’est affirmée avec le temps et à mesure que j’évolue. Du coup on s’expose c’est certain, et de fait on attend la critique bonne ou mauvaise avec attention, beaucoup d’intérêt et ouais un peu de crainte c’est sûr (rires).

Après pour revenir sur le projet de l’EdC, j’ai eu la chance d’être entouré d’une équipe formidable tant humainement que techniquement et le projet est ce qu’il est grâce à elles toutes et tous. C’est hyper important d’être bien entouré dans un projet comme ça surtout qu’il y a une masse de travail énorme. Je les en remercie encore mille fois!  

6 : Du coup, des projets de développement autour de l’EdC ?

(Je suis tombé via ta page Facebook sur une illustration clairement orientée Space op’, ou à tout le moins SF…peut on espérer un autre jeu, ou un supplément inscrit sur une Time Line commune mais plus lointaine ?)

Ha ha! L’EdC dans les étoiles! En fait, c’est une idée qui m’est venue naturellement, mais c’était un délire très personnel. J’adore la Space Fantasy du coup j’ai improvisé à mon épouse un solo et j’ai pris comme cadre l’EdC que j’ai projeté en avant en terme de Timeline. Mais mes envies de Space Op/Fantasy étaient déjà là avant, l’envie d’y inclure une dimension japonaise aussi et je ne suis pas le seul à m’y être intéressé. D’ailleurs on retrouve très souvent des éléments issus de la culture japonaise dans la science-fiction. Bref c’était un délire et j’en ferai probablement quelque chose de finalisé. Quant à savoir la forme que ça prendra (supplément type spin-off ou autre), ça c’est une autre question. L’important actuellement c’est de continuer et terminer la gamme prévue 🙂

7 : Quand je vois tout ton boulot sur l’EdC, je me prends à rêver d’une série de bd sur le thème (ou pour le moins un one shot, comme a pu le faire l’équipe des Ombres d’Esteren avec Melwan⁵ et Emmanuel Roudier)…c’est un domaine qui t’attirerait ?

Alors, je suis un consommateur de BD en tout genre (franco-belge, manga, comics, etc.). J’aime beaucoup ça en tant que lecteur, mais pas du tout à réaliser. C’est un taf à part entière, on ne s’improvise pas auteur de BD comme ça, même si on est illustrateur. C’est aussi un taf monstre et je ne sais pas si j’aurais le courage et les compétences sur ce format là pour mener à terme un tel chantier. Mais bon après si des personnes sont intéressées pour réaliser une BD (ou pourquoi pas d’autres types de médias et de projets) dans l’univers, personnellement je suis ouvert à toutes les discussions <3

8 : Je suis assez admiratif quant au fait que tu aies réussi à imposer (le terme n’est peut être pas idéal) les différentes teintes de rose de ton travail dans un paysage qui se revendique traditionnellement d’une imagerie plutôt « virile » (cf warhammer, add, cyber punk et consorts) … C’était une sorte de défi personnel ou ça s’est fait naturellement ?

Tu penses que ça marque une évolution dans le monde du Jdr ?

Paysage de Sakura-Shima « l’Empire des Cerisiers »

Si tu savais ce que j’en pense que l’imagerie plutôt “virile” (Rires)! J’aime la couleur rose (j’adore même), je voulais du rose, j’ai mis du rose. Bref on a mis du rose tout naturellement. On a eu le droit à quelques commentaires du genre “mais la bande sur la couverture elle va vraiment rester rose?”… mais franchement c’est resté très light et rare. On va pas tourner cent fois autour du pot, je dois très certainement être catégorisé par une poignée de grincheux de fond de cave dans les SJW, les Paladins Chatoyants, les khmers roses (tiens d’ailleurs du rose, c’est cool), etc. Personnellement ça me va, même si je ne pense pas en être digne (rires). En fait, je m’en contrefous, ça me fait rire parfois. Si des personnes ont besoin de suivre un code couleur pour se sentir “viriles” (ce que ce mot sonne idiot), à part les plaindre que veux tu que je leur dise? Plus sérieusement, le milieu professionnel évolue positivement on voit des productions qui aujourd’hui repensent les codes, jouent avec, et les cassent pour offrir et intégrer des évolutions sociales qui sont nécessaires dans un milieu, pour un média qui se veut profondément social, profondément lié à notre société (si il fallait le rappeler, le jeu de rôle c’est avant tout un jeu de société). C’est important de ne laisser personne sous prétexte qu’on ne veut pas changer ses petites habitudes. Moi-même j’ai changé, en profondeur, le rôliste, l’Olivier d’aujourd’hui, ce n’est plus le même que celui d’il y a 2 ans et je ne te parle pas de celui que j’étais il y a 10 ans. Bref, je pense qu’aujourd’hui on peut continuer à jouer comme on le souhaite, si on reste ancré dans un certain traditionalisme, personne ne va venir vous fliquer pour savoir comment vous jouez, mais pour les nouvelles générations, les minorités, les genres, etc. un peu plus d’inclusivité et des produits qui correspondent à toutes et tous c’est une très bonne chose. Bon je me suis peut être éloigné de ta question, mais je réagissais à l’aspect tradi “virile” et au fait que ma démarche paraisse étonnante. Non, tu n’as pas à être admiratif, vraiment, j’ai juste mis du rose dans mon jeu (et franchement je n’y ai pas mis que ça ^^)!

9 : Tu ne penses pas qu’il faudrait mettre à jour ta biographie sur le grog 😜🧐?

Ha ha!!! (Rires) Ma femme m’a dit la même chose il y a quelques jours et une collègue aussi! Ouais il faudrait… Mais j’aime bien cette bio. J’ai l’impression que c’était hier que je l’écrivais et franchement je suis toujours le même gamin qui a des paillettes dans les yeux et qui aujourd’hui a la joie de bosser sur des jeux qui l’ont fait rêver ado. C’est juste fou. Et du coup j’aime bien cette bio du tout début de ma carrière.

10 : Tu as un planning plutôt chargé, un petit tour d’horizon des projets en cours et à venir ?

Ouch!!! beaucoup! Actuellement je boucle la carte de Célestopol⁶ pour Emmanuel Chastelière. J’ai aussi rendu en juillet le plan pour le prochain roman de Maxime Chattam, L’Illusion⁷ (Albin Michel). Sinon je continue la suite de l’Empire des Cerisiers bien entendu. J’ai particulièrement bien avancé sur le prochain supplément qui traitera des yôkai. Je travaille en ce moment sur GODS⁸ (Arkhane Asylum Publishing). J’ai bouclé déjà depuis un petit moment mon travail sur la prochaine édition de Maléfices⁹. Je travaille aussi sur METRO 2033¹⁰ ( toujours avec Arkhane Asylum Publishing). Je continue aussi mon travail avec Chaosium, notamment sur RuneQuest¹¹ et il y a des parutions pour l’Appel de Cthulhu¹² qui devraient sortir prochainement. J’ai aussi toute une série de projets personnels (qui ont déjà un éditeur) et d’autres importants, mais dont je ne peux pas parler pour le moment, mais y’a du lourd ^^!

11 : un petit quickie sur l’imaginaire en général :

  • Si tu étais un livre (roman/bd,…) :

 Allez j’en cite deux!!! l’Affaire Caïus¹³. Je l’ai lu enfant et il est resté gravé à la fois comme une super aventure dans le cadre antique et comme un exemple de comment il est possible de jouer avec l’Histoire. Comment l’Histoire, les sciences, le savoir, etc. sont des matériaux extraordinaires pour créer de la fiction et nourrir son imaginaire. Je ne l’ai plus lu depuis le collège et pourtant il reste très présent. J’avoue j’ai peur de le relire aujourd’hui et d’y perdre les sensations et le plaisir que j’avais eu à l’époque! Un autre livre, c’est la découverte du roman Les contes du magatama : La Fille de l’eau¹⁴, de Noriko Ogiwara. Je l’ai découvert en pleine écriture de l’EdC. C’est mon éditeur qui me l’a commandé et donné car mes choix sur la manière de réinterpréter et de me servir de la matière mythologique, folklorique, historique japonaise avait certains points communs avec le travail de Noriko Ogiwara sur son roman. Il m’a dit : “il faut que tu le lises”. En plus, c’est lui qui l’avait édité auparavant… si c’était pas une bonne coïncidence! J’ai de fait découvert une oeuvre considérée comme le premier roman de fantasy japonaise et une autrice de talent. Son roman est vraiment sublime et l’emploi qu’elle fait des références japonaises m’a conforté dans ma propre approche avec l’Empire des Cerisiers. D’ailleurs je le conseille à tous ceux qui ne le connaissent pas.

  • Si tu devais cosplayer quelqu’un : 

Bah là je crois que je vais pas pouvoir échapper au costume du Tanuki¹⁵… Mais si je devais être un cosplay? Hauru (Le Château Ambulant¹⁶). J’aime énormément ce personnage, il me parle beaucoup et je retrouve certain morceaux de moi en lui. Tant sur ce qu’il est que sur ses faiblesses qui font sa force et inversement. bref j’aime énormément ce personnage. Y’a bien Nausicaa¹⁷ (quel personnage fabuleux) aussi ou encore Sailor Moon¹⁸!

  • Si tu étais un jeu (de rôle/vidéo,…) :

 En jeu de rôle? Bah je crois que l’Empire des Cerisiers c’est clairement un vrai morceau de moi. mais bon ça compte pas non? Du coup je dirais Legend of the Five Rings¹⁹. Il a eu lui aussi tellement d’impact sur ma carrière, un tas de choix professionnels, et même universitaires. Sans compter le paquet d’années et les folles campagnes que j’y ai mené avec mes amiEs, la Voix de Rokugan et tout ce que ça m’a apporté!

  • Si tu étais une période historique : 

Alors étrangement, je suis un fan d’Histoire, j’ai un amour sincère pour cette matière, j’en ai même fait mes études, de la recherche, etc., je m’y plonge continuellement pour me documenter et pour le plaisir. Mais, je n’ai jamais voulu être une autre période que celle que je vis. Je n’ai pas cette nostalgie d’une époque révolue. Peut-être un regret de ne pas pouvoir voir quelles autres avancées l’humanité va faire dans les siècles à venir, comment nous allons évoluer, nous adapter. J’aurais rêvé être un voyageur spatial, embarquer les gens que j’aime et partir à la découverte de l’univers à travers les étoiles! Notre Histoire d’aujourd’hui et celle que l’on construit me fascinent et me stimulent au plus haut point. Du coup te donner une période historique que je pourrais être c’est dur.

  • Si tu étais un univers fantastique : 

C’est tellement difficile ces questions. Je suis incapable de savoir ce que je serais en fait. Probablement parce que j’ai du mal à me définir clairement et parce qu’il y a tellement de choses qui viennent à l’esprit, repartent, etc. je citerais peut-être l’Harmonde²⁰, conçu par Mathieu Gaborit, et son rapport à l’inspiration, les Muses, les arts, etc.? Je rêve d’une nouvelle édition en jeu de rôle (avec un autre système plus en adéquation avec la poésie qui se dégage de cet univers). 

Et pour conclure, selon toi, quelle est la place de l’imaginaire dans la culture (qu’elle soit populaire ou autre) et comment te positionnes tu dans ce vaste tableau ? (rhaaa, elle est vache celle là hein ?) 

La culture est pour moi essentielle au développement d’une société et l’imaginaire y occupe une place centrale. C’est un moyen, un cadre de projection, de dépassement et de renouvellement permanent, c’est injecter le rêve dans la culture, dans la société. Après, je suis forcément parti pris et peu objectif sur la question. En fait, pour moi l’imaginaire fait sens tout autant que le réel, voir me permet de mettre en relief ce dernier et les deux se nourrissent mutuellement. Personnellement je ne me positionne nulle part en particulier dans ce tableau. J’existe, je suis un petit rouage au milieu de tant d’autre. Tout au plus je laisse les autres me placer là où ils pensent qu’il est nécessaire de me placer, de mon côté j’avance tranquillement, je crée mon petit quota de culture et je partage ma petite part d’imaginaire.

Et voilà,ce sera (hélas) tout pour aujourd’hui.

Je tiens à remercier chaleureusement Olivier pour avoir accepté de se prêter à mes petites questions et vous encourage à suivre son travail de près, l’homme n’ayant pas fini de faire parler de lui et de ses univers 😁

Propos recueillis par David Barthélémy

Liens utiles :

Biographie d’Olivier sur le grog :

http://www.legrog.org/biographies/olivier-akae-sanfilippo

Site internet :

https://shosuroakae.wixsite.com/sanfilippo

Références :

¹http://www.legrog.org/jeux/antheas

²https://www.voixrokugan.org/sunda-mizu-mura/

³http://www.legrog.org/jeux/shadows-of-esteren

https://www.arkhane-asylum.fr/lempiredescerisiers

https://mobile.ulule.com/esteren-melwan/

http://www.emmanuel-chastelliere.com/celestopol

https://club-stephenking.fr/maximechattam-lillusion

https://mobile.ulule.com/gods-jdr/?lang=fr

http://www.legrog.org/jeux/malefices

¹⁰https://mobile.ulule.com/metro-2033/?lang=fr

¹¹https://fr.m.wikipedia.org/wiki/RuneQuest

¹²http://www.legrog.org/jeux/appel-de-cthulhu

¹³https://www.babelio.com/livres/Winterfeld-Laffaire-Caius/55358

¹⁴https://www.babelio.com/livres/Ogiwara-Les-contes-du-Magatama-tome-1–La-fille-de-leau/623516

¹⁵https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Tanuki

¹⁶https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Le_Ch%C3%A2teau_ambulant

¹⁷https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Nausica%C3%A4_de_la_Vall%C3%A9e_du_Vent_(film_d’animation)

¹⁸https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Sailor_Moon

¹⁹http://www.legrog.org/jeux/livre-des-cinq-anneaux

²⁰https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Cat%C3%A9gorie:L%27Harmonde