Dossier

Dossier Grümph part 2 : Interro Surprise


John Grümph en 2017 lors des journées d’étude Jeu de Rôle à la Sorbonne

Le petit monde du jeu de rôle français s’élargit de plus en plus depuis quelques années et c’est très positif comme témoignage de la relance de ce loisir. Nous avons d’un côté les « survivants » de la grande époque et de l’autre les « petits » nouveaux qui investissent la place avec de nouvelles créations … comme bien souvent, ce qui m’intéresse le plus est l’entre-deux, à savoir ceux qui en pleine déconfiture n’ont rien lâché et participé contre vents et marées au renouveau que nous connaissons aujourd’hui.
Lorsqu’au tout début des années 2000, Magic1 décimait les rangs des rôlistes aussi bien que la dysenterie le fit des philistins en leur temps, certains irréductibles se dressèrent pour faire face à l’ennemi et affirmer qu’il y avait encore de la vie dans ce petit bout de culture à l’agonie qu’était le jeu de rôle.
Parmi eux, l’homme qui nous intéresse aujourd’hui, à savoir : John Grümph2
Que ce fut avec le collectif Ballon Taxi3, les éditions John Doe4 ou encore la collection Chibi5, le personnage n’a eu de cesse que de fournir des heures et des heures d’évasion à des individus somme toute assez louches : les rôlistes. Pourtant, en dépit de tout cela et malgré un rythme de production à faire pâlir Henry Ford6, je ne peux que faire le triste constat que justice n’est pas rendue à ce travail de Titan (& fils … joke inside) dans les colonnes des différents organes de presse privilégiant bien souvent les mastodontes anglo-saxons, plus porteurs commercialement parlant.
Hé bien Mesdames et Messieurs, je ne suis pas d’accord et vous propose, afin de corriger ceci à la hauteur de mes petits moyens, un entretien avec cet auteur au cours duquel nous évoquerons son travail, sa conception du jdr, la vie, l’univers et le reste.

Bonjour à toi John Grümph (mes petits doigts tremblotent sur le clavier … non non je ne suis pas fan du tout) et merci d’avoir accepté de répondre à mes quelques questions.
Comme je le disais plus haut, ça commence à faire un petit moment que tu es dans le paysage rôliste français… qu’est-ce qui t’as décidé à t’y investir, au-delà du simple loisir, de surcroît à un moment où ça ne paraissait pas forcément très porteur ?

Bonjour m’sieur. Pour commencer, le plus simple c’est juste de dire que j’ai commencé à jouer en 1983, grâce au grand-frère d’un copain. J’avais d’autres envies de carrière – musicien, animateur de l’éducation populaire – mais aussi bien le caractère du bonhomme que ses capacités réelles ou l’état du marché de l’emploi l’en ont détourné. Du coup, pour ne pas rester à rien faire et avec une illusion de soi-même qui aurait pu être dramatique, je me suis mis dans l’idée de dessiner et de proposer mes créations à des éditeurs. Forcément, ça ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais grâce à la triple circonstance de bénéficier d’un RMI pour vivre, d’être en couple avec une femme compréhensive et encourageante et d’avoir fait la rencontre de quelques belles personnes, j’ai fini par décrocher un premier contrat (Chamourai, avec Tarek et Darwin7). En vérité, ça m’a pris trois ans à apprendre sur le tas en bossant tous les jours (en grande partie pour ne pas décevoir ma moitié en me transformant en couch potatoe et puis aussi parce que c’est devenu de plus en plus facile de se mettre au boulot le matin).

Chamouraï tome 2

Le métier d’auteur de bandes-dessinées étant ce qu’il est et les éditeurs étant, en majorité, des crevards, c’était assez compliqué d’en vivre malgré tout – ou comment produire deux albums complets sans jamais être parvenu à se faire payer.
Dans le même temps, je jouais beaucoup – genre cinq ou six parties par semaine (en présentiel bien sûr) – et je produisais du texte et des univers-maison pour ma consommation personnelle. Fin 2003, l’arrivée de l’ADSL (et de l’internet 24/7) dans mon coin paumé m’a permis de rencontrer Emmanuel Gharbi8 via les mails et les forums. Il bossait sur Exil9 et le proposait en libre téléchargement. Une équipe s’est constituée autour de lui pour essayer de transformer son jeu amateur (on est en pleine période CDJRA10) en quelque chose de professionnel. On fonde Ballon-Taxi (avec Antoine Bauza11 et Pierrick May12, qu’on retrouvera plus tard, et d’autres personnes) et un an et demi plus tard, on sort Exil chez Edge13. C’est à peu près à ce moment-là que j’ai décidé que les éditeurs de BD étaient définitivement des crétins et que je n’avais pas spécialement besoin d’eux. Avec Manu, on se lance dans la création de John Doe avec l’idée de sortir les bouquins qui nous plaisent sans devoir attendre le bon vouloir de quiconque.
Proposer un bouquin à un éditeur, c’est trois mois de taf minimum juste pour lui présenter le projet. Quelques semaines à quelques mois d’attente. Et une réponse négative neuf fois sur dix, au mieux. Quand c’est positif, c’est juste décrocher un rendez-vous, pas un contrat.
En faisant les choses soi-même, on se décide très vite si un bouquin va sortir ou pas. Et on le sort. Sans perdre de temps. Et on se paye dessus si tout va bien.
C’est ce qu’on a cherché à faire avec John Doe, avec des succès variés. Mais la motivation, c’était vraiment de faire (enfin) le boulot que je m’étais choisi (auteur-illustrateur), dans un domaine qui me plaisait infiniment (le jeu de rôle) et avec des conditions correctes (en indépendant). Une fois lancé, le principe c’est seulement de mettre un pas devant l’autre et de recommencer, bouquin après bouquin.

Bon, faire vivre le jdr n’est pas chose aisée, s’en nourrir encore moins. Comment as-tu géré les choses au fil du temps, de Ballon Taxi à nos jours ?

Le collectif Ballon Taxi

Clairement, les revenus ont été longs à se mettre en place. Mais je le savais en commençant. Il faut dix ans après son premier contrat pour plus ou moins vivre de ce boulot – j’avais été prévenu par des professionnels.
Il y a eu plusieurs phases. D’abord, tant que mes gamins étaient petits, on considérait à la maison que j’étais seulement auteur à mi-temps. J’ai fait la nounou et l’homme au foyer pendant une dizaine d’années tout en produisant des bouquins pour JD ou en bossant comme traducteur pour d’autres éditeurs (Sans-Détour14, Edge, la Bibliothèque interdite15). Les rentrées étaient irrégulières, mais ma femme est professeur en lycée et donc elle a toujours assuré la chasse au mamouth pendant que je m’occupais de la grotte et des lémuriens qui l’habitaient. Les choses ont changé quand les petits sont devenus plus grands et qu’ils n’avaient plus besoin d’une nounou, mais de tas de trucs utiles pour des primates en phase de prise d’indépendance. C’est à ce moment-là que j’ai créé Chibi en 2015, dans l’espoir d’assurer des revenus plus importants et plus réguliers. Et j’ai eu la chance que ça marche.
Du coup, je ne me plains pas. Partant du RMI (genre 300 balles par mois), j’ai toujours augmenté mon salaire jusqu’à atteindre les 1000 balles aujourd’hui. C’est sans doute pas bézef, mais
1/ je n’ai pas besoin de vider des poulets pour ça et
2/ j’ai un métier que j’adore et qui me comble et tout le temps dont j’ai besoin pour faire les choses comme je veux.
Et, franchement, vu mon niveau graphique, je ne pourrais pas espérer travailler comme art designer pour une grosse boite avec un gros salaire, donc ça me convient parfaitement.

Tu es auteur, illustrateur, traducteur, maquettiste, éditeur avec John Doe et indépendant avec ta collection Chibi. Un véritable Swiss Army Man16 (mais bien vivant) de l’édition …
Tu t’es formé sur le tas ? Et ça c’est fait comme ça ou c’est issu d’une réelle volonté d’indépendance de ta part ?

Je suis entièrement autodidacte – avec l’aide précieuse de plein de gens qui m’ont conseillé, montré des trucs, donné ma chance et ainsi de suite… Tout s’est fait selon les opportunités et les nécessités. Quand j’ai besoin d’apprendre un truc, j’essaie de trouver le temps pour ça. Ensuite, c’est des heures et des heures à pratiquer jusqu’à trouver des méthodes qui fonctionnent. J’ai appris le dessin comme ça (et je continue à l’apprendre en regardant des profs sur youtube), j’ai appris à écrire en soumettant mes textes à la critique et en discutant avec d’autres auteurs. La traduction, au début, c’était seulement pour mon usage personnel, jusqu’à atteindre une certaine fluidité (mais, là encore, je ne suis pas au niveau d’un vrai pro qui a fait des études dans le domaine et qui maîtrise infiniment mieux toutes les subtilités du travail).
Je présume que tout provient des besoins. Je n’ai pas les moyens de faire faire les choses par d’autres. Donc j’apprends à faire moi-même. Au début, c’est pas terrible. Et puis on se met à tricher et à simplifier. Je ne peux prétendre à la maîtrise dans aucun des domaines nécessaires au métier que j’exerce – je fais au mieux, mais je profite surtout de pouvoir intégrer tout ça dans une même chaîne de production, en réfléchissant à toutes les étapes à la fois tout au long du processus de création et de développement. Et puis, surtout, ça me donne la possibilité de lancer n’importe quel projet perso en sachant ce que je peux espérer atteindre comme résultat et ce que je ne saurai pas faire.

Quand j’étais en formation de musicien professionnel, l’ un de mes profs un jour, nous a dit que tout artiste renfermait en lui une part de mégalomanie, ne serait-ce que par le fait d’estimer que sa vision méritait d’être exprimée devant le plus grand nombre … c’est certes un peu réducteur, mais l’image m’a marquée durablement. Les rôlistes sont (d’expérience) souvent bien pourvus en la matière, mais de ton travail se dégage, à mon sens, une forme de modestie que j’ai bien du mal à m’expliquer. Comment tu fais ça ? Et surtout, suis-je totalement à côté de la plaque dans mon ressenti ?

Par principe, je fais les choses d’abord pour moi. Je ne cherche à prouver à personne que je suis le meilleur ou que mes idées sont les seules qui vaillent. J’ai un gros ego, je pense, mais je ne ressens pas le besoin d’aboyer pour le prouver au monde.
Fac et Spera : fais et espère.
J’en ai fait ma devise. Je fais les choses d’abord pour moi et j’ai la chance immense de trouver un accueil et un écho chez plein de gens qui suivent mon boulot. J’essaie aujourd’hui d’être au service de la clientèle et de leur proposer le meilleur possible, mais je continue quand même à bosser d’abord pour mon plaisir, les besoins de ma table, mes envies de jeu et ainsi de suite. C’est aussi pour ça que je produis peu de suite à mes bouquins – je vais au bout de ce que j’ai à dire et de ce dont j’ai besoin, puis je passe à autre chose qui me fait envie.
Je ne sais pas si c’est tellement modeste comme approche, en fait. C’est juste que je ne m’embête pas tellement avec ce qu’on peut penser de moi – sauf des rares personnes qui comptent vraiment. Je suis plus intéressé par ce qu’on peut dire de mon boulot. Quand j’ai commencé de manière professionnelle dans le JdR, j’avais déjà fait toutes mes expériences de désillusion et d’échec – et de leur non-importance pour continuer à avancer. J’imagine qu’en vieillissant, on s’attache de moins en moins à ces choses.
D’un autre côté, intérieurement, ce qui m’intéresse, c’est de faire “oeuvre” – de produire plein de bouquins, de développer des trucs, de laisser quelque chose. J’espère que quelques-uns passeront à la postérité, mais ce n’est pas à moi de dire – je peux très bien être le Sainte-Beuve de ma génération. Pas grave – je ne serai plus là pour m’en désoler. Et en attendant, j’ai juste à faire du mieux que je peux (et surtout du bon boulot – merci Laurent). Fac et Spera.

En parcourant tes jeux, notamment depuis Les Mille Marches17, j’ai l’impression que tu t’es lancé dans une sorte de quête du système de jeu « ultime », ou du moins de ton système de jeu « ultime », remettant sur l’ouvrage des mécaniques d’un jeu à l’autre et les affinant ou les poussant de côté au fil du temps.
En ce sens, Oltree !18 (que j’apprécie tout particulièrement) m’a toujours semblé faire office de phylactère contenant une grande part de tes réflexions ludico-narratives (bouhou, nan mais sortez-le avec ses grands mots) … il y a de ça ou bien ?

Oltree ! un jeu qu’il est bien, un jeu qu’il est beau !

J’écris les jeux et je développe les mécaniques dont j’ai besoin pour ma table. C’est moins vrai pour les traductions, qui sont toujours des coups de cœur mais qui ne proviennent que rarement d’une nécessité. L’essentiel des jeux que j’ai écrits l’ont été pour ma table de jeu, selon mes besoins ou les envies de mes joueuses. Généralement, je me pose des questions sur la manière dont je mène, sur les outils dont j’ai besoin, sur les mécaniques de gamedesign qui seraient utiles pour améliorer l’expérience ou pour amener les joueuses à jouer de telle ou telle manière. Toutefois, j’essaie de ne pas passer mon temps à réinventer l’eau froide.
Quand un outil semble fonctionner, je l’utilise et je le réemploie à chaque fois que j’ai besoin, ajoutant de nouveaux outils à ma panoplie, les affinant aussi. Parfois, il y a des outils mécaniques qui finissent par ne plus être que des conseils – des principes de jeu à garder dans un coin de l’esprit mais qu’on peut gérer de manière plus informelle.
Là, j’ai passé pas mal de temps à réfléchir aux mécaniques de l’improvisation, au player’s skill, à la manière dont l’esprit de la maîtresse de jeu fonctionne quand elle invente ou rebondit sur les inventions des joueuses. Je commence à avoir quelques pistes que je transforme en principes ou en mécaniques.
Plus tard, quand ça sera digéré, je passerai sans doute à autre chose, mais ça sera toujours là quelque part. Je présume que c’est ça qui donne une impression de continuité dans mon travail. Il n’est jamais détaché de ma pratique, y compris quand je me foire.
Ensuite, et c’est peut-être un souci, j’ai aussi toujours peur de me répéter et de remplir mes bouquins avec des évidences déjà rabachées. Il y a des choses qu’on va trouver dans d’anciens bouquins mais pas dans les nouveaux alors que ce sont des choses que j’emploie en permanence à ma table, quel que soit le jeu. Je dois penser que c’est intégré par mes lecteurs et qu’il n’y a pas forcément besoin d’y revenir…

Au moment de se lancer sur un nouveau jeu, tu pars le plus souvent sur un concept bien particulier, des illustrations évocatrices ou des points de règles que tu souhaiterais mettre en situation ? Et sinon, tu es plutôt du genre à avoir besoin d’une vision globale des choses avant de te lancer, ou risque-tout fonçant au gré des idées pour voir où ça le porte ?

Il n’y a pas de méthode particulière. Certains jeux naissent en quelques heures ou jours – le matin pour le soir presque si j’ai une ouverture pour faire jouer ; d’autres ont nécessité des mois de boulot et de tests.
Les idées peuvent provenir de plein de choses – en fait, la plupart du temps, je ne sais même pas trop comment ça peut naître : après une sieste, en montant l’escalier pour aller me coucher, en voiture, en discutant avec les potes, en reposant un bouquin… Des fois c’est un thème, d’autres fois une mécanique – presque jamais des images ou des illustrations, sauf peut-être des plans et des cartes.
Ensuite, j’ai un processus d’élaboration et de maturation assez particulier : je bosse sur un projet donné pendant quelques jours parce que ça m’amuse ; parfois il avance bien, des fois non ; et puis je passe à autre chose, qui avance à son tour, avant de laisser sa place à un autre projet – j’en ai toujours une quinzaine d’ouverts sur mon bureau. De temps en temps, un projet arrive suffisamment à maturation pour que je sente qu’un dernier coup de rein peut le faire aboutir. Là, je vise la parution et je boucle aussi vite que possible, en rentrant dans une sorte de zone exclusive assez intense.
C’est, en fait, ce qui explique la productivité. Je ne bosse pas sur un truc mais sur dix et je laisse l’inspiration faire son boulot. C’est seulement que je bosse tous les jours et que je peux passer d’un truc à un autre, des fois dans la même journée.
C’est parfois compliqué quand je bosse en collaboration, pour le coup, parce qu’il m’est difficile de livrer quand je suis sur autre chose, que je n’ai pas d’inspiration ou d’idées pour le projet en collab, que mon cycle de travail m’a emmené vers d’autres projets, que j’ai l’esprit ailleurs ou que je suis à fond sur une finition de bouquin. Alors bon, maintenant j’essaie de ne plus faire faux bond en ne disant plus oui aux projets extérieurs (ou le moins possible), histoire de ne plus me fâcher avec personne.
Dernièrement, avec la nécessité du gratuit mensuel pour le patreon, j’ai commencé à aborder les choses avec un peu plus de discipline qu’avant. Il y a désormais au moins un truc que je dois absolument boucler chaque mois.

Ça ressemble à quoi une journée de travail du Grümph ?

Levé entre 6h et 9h la plupart du temps, selon l’état du sommeil ou l’heure du réveil de ma femme. Un peu de glandouillage devant les mails, les forums, discord, youtube, en prenant le tidéj et puis boulot jusqu’à l’heure de se mettre au lit entre minuit et deux heures du mat. Entre les deux, j’ai du temps pour les courses, ma part des tâches ménagères, la cuisine quand c’est mon tour, une petite sieste (toujours), pour jouer de la musique, faire des trucs avec la famille et jouer avec les copains.

Hé bien oui, tout le monde doit faire le ménage !

C’est un peu fonction des jours.
Mais dans l’ensemble, j’ai entre 6 et 12 heures de bon boulot tous les jours, sept jours sur sept, sans vraiment de vacances (les gens autour de moi ont des vacances, mais je continue toujours à passer du temps à écrire, à concevoir, etc. ne serait-ce qu’avec un carnet ou un cahier – ou alors serait-ce que je suis toujours en vacances ?). Tout ça, ça occupe une vie, tranquillement et sans stress.

Et d’ailleurs, en toute indiscrétion, tu bosses sur quoi en ce moment ?

Plein de choses. Le temps que l’article paraisse, je serais sur d’autres trucs encore et une partie de ce sur quoi je bosse aujourd’hui sera peut-être sortie. Mais j’ai largement de quoi m’occuper.

Quelques bruits de couloir trainent concernant une V2 de Oltree, ainsi qu’un jeu de plateau du même nom.
A moins qu’une certaine top secrétitude ne soit de rigueur, mon petit doigt m’a dit qu’une V2 du Exil d’Emmanuel Gharbi reposant sur certaines mécaniques abordées dans N.YX19 pourrait bien être sur le feu du côté de John Doe … Tu en es ?

Le magnifique écran de la V1 de Exil

Oltréé² est dans les tuyaux depuis plus d’un an. Les divers confinements ont arrêté les tests en plein vol et il est très difficile de jouer en distanciel, avec les cartes et les accessoires. Mais c’est très avancé. Je reprendrai quand j’aurai l’envie et la possibilité de jouer.
Antoine Bauza sort effectivement un jeu de plateau Oltréé, chez Studio H20, illustré par Vincent Dutrait21. ça envoie du bois grave ! Le jeu est magnifique, les mécaniques au top. C’est du coopératif, avec plein d’histoires à jouer et une ambiance fidèle au JdR.
Pour Exil2, je ne sais pas ce qu’il en est du secret autour du projet. On vient juste de lancer des tests de trucs avec la Dream Team et effectivement, le système de N.Y.X a l’air de trouver un écho favorable autour de la table. Dans tous les cas, ça va être très bien…

Et puisqu’on est sur les V2, c’est quoi l’intérêt et les difficultés quand on reprend un jeu qu’on connaît bien pour en proposer une relecture ?

Une V2 c’est l’occasion d’affiner des points, de virer des scories, de lisser l’écriture en profitant d’années d’expérience en tant qu’auteur – et de relire un jeu comme si on ne l’avait jamais écrit soi-même. On ne fait plus les choses de la même manière. On n’attache plus la même importance aux mêmes choses. Certaines deviennent secondaires, d’autres gagnent en force. On ne tient plus le même discours non plus. C’est assez intéressant de se relire (avec horreur) et de tenter d’être plus fin, plus subtil.

Si tu avais un conseil à donner à un jeune auteur qui veut se lancer, le genre de truc que tu aurais aimé qu’on te donne à tes débuts, ça serait quoi ?

Alors, attention aux TMS. Une bonne position de travail, c’est juste le truc le plus important qui soit. Sinon, c’est lumbago, sciatiques, tendinites, et tout ce qu’on veut comme douleurs dans tous les sens. Et pourtant, si on a le bon poste de travail, on peut s’éviter tout ça. Donc surtout, surtout, ne bossez pas sur une table à la con avec la première chaise venue. Travaillez l’ergonomie de votre espace et réévaluez-le aussi souvent que nécessaire.
Et épousez un.e fonctionnaire.

Je le disais dans l’introduction, mais tu es plus que discret dans les différents médias rôlistes, c’est un choix, une malédiction ?

Je ne sais pas. Je ne suis pas un communicant. D’une part, je n’ai pas le temps et le goût pour ça. ça m’emmerde de devoir me vendre. Je trouve ça limite indigne. Mon boulot c’est de créer et d’inventer, pas de convaincre le monde que je suis un génie. D’autre part, j’estime, à tort sans doute, que c’est le boulot des journalistes que d’aller chercher les infos, pas juste d’attendre des communiqués de presse.
D’un autre côté, c’est pas comme si la presse rôliste existait pour de vrai. Il y a des revues et des sites, mais les gens qui y écrivent n’ont pas le temps pour tout lire, tout critiquer, tout citer – c’est bien normal. Et qu’ils lisent et critiquent en priorité les trucs qui leur plaisent, c’est normal aussi. Du coup, je suis assez détaché de ça. Je suis content des articles et des critiques sur mes jeux, je réponds aux questions qu’on me pose, j’aime bien participer aux tables rondes et aux conférences, mais je ne cours pas après. Je préfère prouver mon existence par mes jeux que par ma gueule sur Youtube
De toute manière, c’est la malédiction des auteurs. On a entre 1 et 3% de retours sur ce qu’on publie, gratuitement ou non. Les gens suivent, lisent, s’intéressent, mais c’est pas non plus leur boulot que de faire des retours ou de pondre des critiques. Du coup, moi je regarde seulement les chiffres de vente. C’est un bon indicateur. Et puis, pour le reste, il y a quand même les discussions sur Discord ou les forums.

D’un jeu à l’autre, tu peux totalement changer d’approche dans tes illustrations. Si l’on compare Les Cahiers du Vastemonde22 à Aux seuil d’Abysses très anciens23 ou Technoir24, on se rend bien compte des différences.
Je ne suis pas illustrateur (en fait, je suis à peu près incapable de reproduire Peppa Pig sans papier calque), mais en tant que musicien, je vois bien l’effort que ça demande de passer mettons du blues au métal ou au funk, tout en restant convaincant. Tu opères comment tes transitions d’un style à un autre ?

Ouiiii, alors je ne dessine pas très bien… Nan mais ho… il suffit hein !

En fait, je suis terriblement limité techniquement. Je fais bien comme je peux. J’essaie seulement de coller à l’esprit du jeu en essayant de trouver des solutions graphiques que je peux tenir. Un vrai musicien, c’est quelqu’un qui peut tout jouer – pour ça, il faut à la fois des compétences techniques monstrueuses et d’autre part un feeling et une ouverture d’esprit incroyable (genre Thomas Gansch25, le trompettiste). Un vrai illustrateur, c’est pareil, il peut tout faire – genre Moebius26 ou Uderzo27. Moi je fais ce que je peux. Je cherche beaucoup pour trouver les approches intéressantes. J’ai juste quelques tours dans mon sac – savoir bien composer une image, un encrage pas trop foireux et puis remplacer le talent par le remplissage avec des tas de détails qui font trop genre. C’est le principe d’un bon prestidigitateur : regardez ici et vous ne verrez pas l’illusion.

Une petite dernière pour la route ?
Qu’est-ce que tu penses du marché du JDR en France ? Il y a plein de « nouveaux » auteurs qui arrivent, dont pas mal qui s’inscrivent dans une démarche similaire à la tienne en terme d’indépendance (je pense à des gens comme James Tornade28, Anthony Combrexelle29, Vivien Féasson30 ou encore Romaric Briand31)… Tu suis un peu le travail de certains ou pas le temps ?
Tu penses que c’est ça l’avenir du Jdr (au moins chez nous) ?

Non, l’indépendance n’est pas sale… Vous pourriez même y trouver quelques jolies pépites

Même à l’époque où le JdR était mort, personne n’avait réclamé le corps et tout le monde continuait comme si de rien n’était. C’était l’époque bénie de la CDJRA ou de la Cour d’Obéron32. Mine de rien, pas mal d’auteurs (ou même d’éditeurs actuels) viennent de cette scène-là – y compris des “nouveaux” que tu cites et qui sont quand même dans le coin depuis longtemps, comme Yno ou Romaric.
Dans tous les cas, la scène française a toujours été bouillonnante. Ce n’est pas récent. Dans les années 90, j’appartenais à un club où chacun avait son ou ses petits mondes maison, avec un système commun au club, etc.
Et pas loin, on avait Finrod33 qui éditait son fanzine Arkenstone. C’était déjà bouillonnant, mais dans notre coin, parce que les canaux de diffusion n’existaient pas tellement.
Avec la CDJRA, ça partait dans tous les sens.
Ensuite, pas mal de gens ont maintenu cette activité – en écrivant des jeux, en podcastant, en bossant pour des éditeurs installés – tout le monde n’a pas le goût de l’indépendance et c’est très bien aussi. Et des nouveaux n’ont jamais arrêté de se mêler de ça non plus, en amenant de nouvelles choses. Moi je suis juste content de durer un peu au sein de cette scène, de ne pas devenir trop vite dépassé et vieux-jeu.
D’une manière générale, j’essaie de rester au taquet avec les sorties et la production. Je ne lis pas tout, mais je reste informé et puis pas mal d’auteurs sont des potes ou au moins des relations – Johan Scipion34, Romaric, Melville35, Thomas Munier36, Koba37, les Lapins Marteaux38, Mangelune39, etc.
Il y a toute une partie de cette production avec laquelle je suis moins en phase – les storygames, les PbtA, les jeux à drama, et ainsi de suite – parce que c’est pas mon kif de joueuse, mais je les lis et je trouve ça très intéressant, a minima pour évaluer ce que j’aime et ce que je n’aime pas, ce à quoi j’ai envie de jouer ou les domaines dans lesquels j’ai encore des trucs à dire. Je dois certainement rater plein de monde, forcément, notamment plein de trucs qui sortent sur itchio40.
Ceci étant, je teste réellement très peu de choses en dehors de mes productions, sauf les créations des joueuses à ma table (qui vont bientôt arriver) ou quand on organise un one-shot de quelque chose. Mais je suis super content de cette variété, de ces recherches, de toute l’énergie qui existe.

Et voilà qui conclura notre entretien. Vous l’aurez compris, être auteur de jdr n’est pas simple et demande de nombreuses concessions en plus d’une passion certaine, mais quand on s’en donne les moyens … quel bonheur.
On notera également qu’une vie existe en dehors des maisons d’édition (c’est d’ailleurs à mon sens là qu’il se passe le plus de choses) et qu’il est important de donner plus de visibilité à celles et ceux qui font le pari de mener leur barque en dehors de ces grands canaux, ne serait-ce que pour qu’ils aient un retour sur leur travail (et parce qu’ avouons-le, un minimum de reconnaissance fait toujours du bien quand on doit se lever le matin pour aller ramer à contre-courant).
Un très grand merci à John Grümph pour ses réponses à mes questions, en dépit d’un emploi du temps bien rempli et pour tous les jeux qu’il continue inlassablement de mettre à la disposition de ce public turbulent (ayant de surcroit souvent la dent dure) que constituent les rôlistes
de France et de Navarre.

Et pour toujours plus de Grümphitude, revenez vite nous voir pour le très imminent « Dossier Grümph part Two »TATATAAAAA !!!

Propos de John Grümph recueillis par David Barthélémy

Notes et Références :

1 : Magic l’Assemblée
2 : John Grümph
3 : Ballon Taxi
4 : John Doe
5 : Chibi
6 : Henry Ford
7 : Chamourai
8 : Emmanuel Gharbi
9 : Exil
10 : CDJRA
11 : Antoine Bauza
12 : Pierrick May
13 : Edge Entertainment (UbIk, la maison d’édition de Exil a fusionné avec Edge en 2008)
14 : Sans-Détour
15 : Bibliothèque Interdite
16 : Swiss Army Man
17 : Les Mille Marches
18 : Oltréé !
19 : N.YX
20 : Studio H
21 : Vincent Dutrait
22 : Les Cahiers du Vastemonde
23 : Au Seuil d’Abysses Très Anciens
24 : Technoir
25 : Thomas Gansch
26 : Moebius
27 : Uderzo
28 : James Tornade
29 : Anthony « Yno » Combrexelle
30 : Vivien Féasson
31 : Romaric Briand
32 : La Cour d’Obéron
33 : Finrod et Fanzine Arkenstone
34 : Johan Scipion … P.S. achetez Sombre … Sombre c’est bon, mangez-en !
35 : Melville
36 : Thomas Munier
37 : Kobayashi
38 : Les Lapins Marteaux
39 : Mangelune : Vivien Féasson
40 : itch.io

Retour de lecture

Ce que j’en pense : Dragons, Le Grimoire

Je vous avais prévenu au moment du retour pour Aventuriers, la présentation sera donc plus courte qu’à l’accoutumée car il s’agit d’un livre complémentaire et non pas d’un livre-univers contenant des règles en plus du monde.
Si vous suivez un peu les articles qui passent par ici, vous aurez donc noté tout le bien que j’ai pensé du livre Aventuriers et ne serez probablement pas surpris de la tournure que prendra ce retour.
Tout d’abord, commençons par une petite piqure de rappel pour les anxieux … Dragons n’est pas concerné par les embrouilles juridiques qu’il y a pu avoir entre Wizard1, Gale Force 92 et Black Book Editions3 et qui se sont notamment soldées par l’arrêt de la gamme Héros & Dragons4, donc pas d’alarme, vous pourrez effectivement continuer d’arpenter Eana en toute sérénité.
Ceci étant évacué, revenons à nos moutons et penchons nous plus avant sur cet ouvrage.

Mais où sont les Fireballs ?

La Forme

Tout comme son prédécesseur dans la gamme Dragons, le Grimoire est un bon gros bouquin au format A4, couverture cartonnée et reliure cousue qui devrait tenir de nombreuses années sans finir par ressembler au grand livre des recettes de confitures de tata Lolo. Du haut de ses 320 pages (ça pousse vite à cet âge là), vous aurez tout ce qu’il vous faut pour créer, gérer, faire vivre la magie sur Eana.
Si j’avais trouvé la mise en page de Aventuriers aux petits oignons, il semblerait que l’on pouvait encore monter d’un cran dans ce domaine. Les fonds de pages, les cadres, les lettrines, toujours cet aspect parcheminé et cette fois une omniprésence des pastels font que même une page sans illustration a son identité propre.

Mes photos sont certes moches, mais n’empêche, la mise en page est là

Bon, les illustrations, comme d’habitude, il n’y a rien à en dire, si ce n’est : c’est beau.
On arrive à sortir du carcan des dragons menaçants et omniprésents pour se diriger vers quelque chose de plus mature dans la représentation d’un univers de fantasy, de plus sobre également … pas de déferlante de boules de feu en perspective, ni de grands mages ténébreux à qui l’on ferait bien de rappeler de moins se la péter avec leur d6 de vie.
Ici, on nous présente un ouvrage qui véhicule une impression d’érudition plutôt que de force brute, un émerveillement devant des forces capable d’autant de poésie que de destruction, à traiter avec respect. Je ne sais pas vous, mais personnellement, je trouve ça rafraichissant et sain pour les joueurs que d’aborder la magie autrement qu’en tant que machine à viander qui fait des étincelles. Bon, entendons nous bien, la grosse majorité des sorts reste là pour pourrir la vie des gens qui se mettraient en travers de votre route … mais pas que.

Alors, il est flippant mon Dra … … ha ben non, elle est belle ma grenouille hein

Donc pour ce qui est de l’aspect esthétique de la chose, il n’y a pas à tortiller … je me répète, mais si j’ai le choix entre lire D&D5, Héros & Dragons et Dragons, mon choix est vite fait.
Nous avons d’un côté des manuels de jeu (qui présentent bien certes, nous ne sommes plus dans les années 80) et de l’autre de vrais beaux livres qui ont à mon sens en plus le mérite d’être fonctionnels … encore une petite image à titre comparatif :

Hmmm, alors devinez qui est qui … si vous avez bien lu, vous ne devriez pas avoir trop de mal

Voilà pour ce qui est de l’apparence du bouquin. Je ne m’étendrai pas plus sur le sujet, ça reviendrait un peu à enfoncer des portes ouvertes. C’est la marque de fabrique du Studio Agate5 et indéniablement aux vues du résultat, ils auraient torts de se priver.

Le Contenu

Tout, tout, tout, vous saurez tout sur la magie (sur un refrain bien connu).
Bon, je continue dans les louanges ou vous avez votre dose ? Allé, vous en reprendrez bien un petit peu.
La première centaine de pages du Grimoire va prendre le parti de vous expliquer la magie, en partant de la base (apprentissage, niveau, sorts mineurs, rituels, lancé, composantes, sauvegarde, effets) pour évoluer vers des choses ensuite plus spécifiques, à savoir les différentes écoles ainsi que comment la faire évoluer. Une fois ceci fait, plusieurs couches de magie propre à Dragons arrivent, et là on commence à toucher à quelque chose de vraiment intéressant, à mon sens.

Tout d’abord, l’Eveil. En effet, pour pratiquer la magie, il faut y être éveillé, c’est à dire avoir vécu une sorte d’épiphanie durant laquelle vous vous ouvrez aux forces magiques environnantes avant de pouvoir les manipuler. En soi, rien de bien sorcier me direz-vous (fufufu) ? Hé bien non, certes. Là où c’est intéressant, c’est lorsque l’on envisage la possibilité de jouer l’avant Eveil, et d’un coup d’un seul, paf on peut enfin mettre en place des mécanismes équivalents aux « Quêtes initiatiques » couramment pratiquées dans la grande majorité des cycles de Fantasy romanesques. Il y a bien sûr des petites options prévues pour adoucir un peu le quotidien d’un mago privé de son principal atout, mais je trouve que c’est très loin d’être abusé et permettra vraiment de faire jouer différemment un personnage magicien (ou autre classe pratiquant la magie) consentant.

Hop hop hop ! C’est l’heure !


Vient ensuite la Géomagie, qui vous permettra d’envisager cette puissance comme vraiment vivante, fluctuante et pleine de surprises. Je ne m’étendrai pas sur le sujet pour ne pas spoiler d’éventuels joueurs sur les possibilités de se renouveler que cela offre aux MJ, mais les pratiquants d’Ars Magica6 pourront déjà se douter de ce que cela implique en terme de mécaniques de jeu. Vous pourrez revisiter pas mal de situations sous un prisme différent en usant de ce chapitre.
On poursuit avec les deux derniers éléments que sont la Folie (hé oui, jouer avec des forces qui vous dépassent ou se frotter régulièrement à des Horreurs sans nom ne va pas forcément sans conséquences) et la Corruption.
Cette fameuse corruption incarnée par le Chancre est un élément important de l’univers de Dragons et l’on vous donnera ici des pistes pour l’approche que vous souhaitez utiliser à votre table … Ennemi mystérieux, Menace omniprésente, bien connu ou au contraire agissant en coulisse, vous pourrez l’adapter à votre sauce, ,ainsi que l’impact qu’il pourra avoir sur votre groupe de joueurs (gniark gniark).
Avec ces différents éléments en main, l’air de pas y toucher, vous aurez très largement de quoi customiser votre univers de jeu pour coller au plus proche de vos attentes ainsi que celles de votre groupe.
C’est clair, concis, efficace et sait rester optionnel pour les ceux-ce qui préfèreraient rester sur un setting plus traditionnel à leur table, par exemple en tatanant joyeusement des dragons entre deux passages à l’auberge du coin.

Mais cachez-donc cette chaire que je ne saurais voir

L’autre gros morceau du livre est bien sûr le catalogue de sortilèges, ici classés par ordre alphabétique et rappelés en fin d’ouvrage par classes de personnage et par écoles de magie, le tout sur un peu plus de 170 pages. Je trouve la forme pratique, tout est très lisible et un système d’icônes accompagnant chaque sort permet de visualiser très rapidement ce que l’on a sous les yeux.
On peut donc dire que le job est fait, le tout avec une certaine sobriété qui me plait au plus haut point.

Conclusion

Hé bien, à moins d’être particulièrement obtus, vous aurez sans doute compris que je suis sous le charme de cette version particulière des règles de D&D 5.
Jusque là, je trouve que le travail fourni est d’une qualité assez irréprochable, proposant à la fois un jeu de type med-fan/high fantasy abordable par tous et des possibilités disons « moins traditionnelles » pour les plus aventureux d’entre vous.
La production est soignée, et l’on sent que les auteurs ont développés une réelle affection pour leur univers, ne se contentant pas de surfer sur la vague du « chouette une nouvelle édition de l’ancêtre » en se positionnant sur cette partie du marché du jdr.


Pour ce qui est du prix, le Grimoire est à 34€90 ce qui me parait plus que raisonnable pour un bouquin de cette qualité et promet de ne pas vous ruiner pour avoir un jeu cette fois complet. J’attendrai d’avoir lu le Bestiaire et l’Encyclopédie avant de me prononcer définitivement, mais toujours est-il que dans l’attente, je suis enthousiaste quant à ce qui a été produit.
Reste à attendre la suite, mais à priori et sauf invasion zombie impromptue, les deux derniers livres et l’écran devraient arriver cette année sur nos étagères … Vivement !
En bref, pour résumer : Dragons c’est bon, mangez-en !


Notes et références :
¹Wizards of the Coast
²Gale Force Nine
³Black Book Éditions
Héros & Dragons
Studio Agate
6Ars Magica

Dossier

Dossier Grümph part 1 : Petit Scarabé deviendra grand

Il faut savoir une chose… les monstres existent… Pas forcément ceux qui font peur, avec des cornes, des crocs, des yeux rouges ou tout autre attribut destiné à faire comprendre que l’on va passer un sale moment en leur compagnie, mais ceux qui interpellent.
À l’instar d’un abominable homme des neiges, que l’on désigne parfois sous le sobriquet affectueux de Yéti, nous avons nous aussi dans le jeu de rôle un abominable homme des textes, terreur des portefeuilles de fans et des inconditionnels ne jurant que par le même système de jeu depuis quarante ans (mais pas pour les mêmes raisons)… Le Grümph.

Au-delà d’une pilosité fournie, le Grümph partage avec son collègue tibétain une autre caractéristique : il ne s’expose pas facilement, préférant son terrier d’auteur aux flash des photographes.
Conséquence de tout cela, il (ainsi que son travail) n’est à mon sens pas assez mis en avant dans les différents média rôlistes, qui lui préfèrent les grosses machines (Kraken et autres Dragons) n’ayant pourtant plus besoin d’assoir leur légende.

Hé bien il suffit… À défaut de coincer l’animal en personne pour vous prouver qu’il existe bel et bien, nous ferons comme tout cryptozoologue digne de ce nom et examinerons les traces qu’il laisse derrière lui (hé non, il n’y aura rien de sale, promis)
Je ne vous ferai pas l’affront de vous ressortir le wiki du monsieur, vous n’avez pas besoin de moi pour cliquer sur sa biographie, par contre je vais faire quelques arrêts sur certains de ses jeux (je ne serai pas exhaustif dans le sens où je ne parlerai que de ceux que je possède, ai lus et pour la plupart, fait jouer) afin de dire ce que j’en pense (méthode au combien scientifique s’il en est).

John Grümph au saut du lit… haaa non! Pardon

Comme nous l’avons établi précédemment, ma démarche sera des plus approximative et fortement guidée par mes propres affinités avec les jeux traités. C’est pourquoi nous allons commencer avec non pas un jeu à proprement parler, mais un système générique, bien connu des afficionados de John Doe1 ou des intégrales des XII Singes2.
Ben oui hein, quitte à faire, autant quasi démarrer avec un truc qui va gentiment s’imposer un peu partout. Donc le Dk System3 c’est quoi ?
Il s’agit d’un système de jeu fortement hérité de Donjons et Dragons4, dont il reprend l’essentiel des mécaniques tout en le simplifiant d’une manière ma foi fort bienvenue.
La première version est détaillée dans le livre de base (et seul livre d’ailleurs, bien qu’un écran soit disponible) de Lanfeust de Troy5, par Eric Nieudan6.

Dk² chez John Doe avec une illustration de devinez qui … ?

En 2006, c’est donc en collaboration avec le dit Eric Nieudan que sortira chez John Doe ce petit bouquin qui mine de rien va s’imposer au travers de toute une succession d’univers comme Mahamoth7 (réédition d’un jeu du Grümph chez les XII Singes, la première version pdf tournant sous un dérivé de Barbarians of Lemuria8), Mantel d’Acier9, Plagues10, Mississippi11, B.I.A12, Necropolice13
On prend D&D, on vire tout ce qui est trop tactique/pénible, on ajoute une petite mécanique maison autour des dés Krâsses (des dés bonus qui fournissent des billes aux meneurs pour qu’il puissent ensuite s’en servir contre les PJs), et roule ma poule on arrive sur un truc facilement adaptable, que l’on customisera à grand renfort d’avantages dédiés aux univers abordés.
C’est malin, simple et pratique à défaut d’être vraiment en capacité de coller étroitement à un univers de jeu très spécifique. On notera qu’une foultitude d’adaptations d’univers connus ont été faites pour le Dk (Cadwallon14, ArKipels15, Tsuvadra16 …) et qu’une deuxième version est disponible (sobrement baptisée Dk²).

Faisons ensuite un saut jusqu’à 2011, avec l’arrivée de mon premier chouchou, à savoir Les Mille Marches17. Là, on attaque les choses sérieuses (je vous avais prévenu, je parle en toute subjectivité).

Ce jeu est une création 100% Grümph et va nous proposer d’évoluer dans un multivers très chouette, en partant d’Oröpa, une énorme mégalopole ayant pour centre Bruxelles, englobant une bonne partie de la Belgique et courant jusqu’à Dunkerque. La « cité » comprend des agglomérations, des forêts et toutes sortes de paysages aptes à servir vos aventures. Il existe un nombre infini de versions d’Oröpa, autant que de Marches, les différents pans de ce multivers. Si vous avez lu le cycle d’Ambre de Roger Zelazny18, vous ne serez pas perdus ici.
Pour moi, cet univers dégage une réelle poésie (même s’il peut s’avérer cruel), avec sa cité tentaculaire utopique où toutes les histoires se racontent et se percutent. La magie est bien présente, mais n’exclue pas la technologie (voir l’inclue fortement avec la Mage-Tech), faisant se côtoyer féérie et criminalité, bosquets enchantés et zone d’ombres pour croquemitaines en goguette.
Je ne déflorerai pas plus la cosmogonie du jeu, vous en laissant (ainsi qu’à vos PJs) la surprise, sachez juste que telle une choucroute aux fruits de mer, c’est riche sans être bourratif et que si vous cherchez du dépaysement, vous serez servis.
C’est aussi avec ce jeu que débarquent les MUSAR, pour Mécaniques Universelles de Simulation d’Aventures Romanesques, toute une liste d’outils pour vous aider à gérer simplement certaines situations incontournables des parties de jdr (combats, poursuites, inventions diaboliques, planification d’opérations …). Ce sont à chaque fois des aménagements légers qui permettront de privilégier la narration aux mathématiques durant vos parties, et pour la plupart fort bien vus.
Je suis particulièrement fan de la manière de traiter la planification … avant une scène d’infiltration par exemple, vos PJs feront quelques jets de dés en vue d’activer leurs contacts, chopper du matériel, se renseigner sur l’endroit où ils vont mettre les pieds … le tout sans détailler les infos en questions. Les jets de dés vont permettre de quantifier un pool de points qui seront utilisés au fur et à mesure de la résolution des situations pour surmonter les différents obstacles que le MJ aura mis en place.

Ex : le groupe se retrouve face à une serrure à code électronique pour pénétrer dans le hangar au sein duquel sont entreposées les marchandises qui les intéressent. Les joueurs prélèvent 2 points dans leur réserve et expliquent que 2 semaines avant l’opération, ils ont soudoyé un homme d’entretien travaillant sur place, obtenant le dit code.
C’est simple, élégant et permet de monter des plans à la Ocean’s Eleven19 sans pour autant y passer des heures.

C’est à mon sens à partir de ce jeu que la démarche d’ergonomie dans le Game-design Grümphien devient flagrante, et nous retrouverons plusieurs des mécaniques amenées dans les 1000 Marches au cœur des productions ultérieures, toujours affinées et de plus en plus pertinentes.
Le jeu s’enrichit également d’un supplément (Stormchasers20), proposant un écran de jeu et un livre de 64 pages détaillant de nouveaux éléments de magie, apportant des précisions sur quelques points de règles, ainsi qu’une nouvelle Marche orientée Pulp années 30.
Un recueil de nouvelles intitulé Trois Contes Oropaens21 est aussi disponible dans la collection Chibistouri, écrit par Ireann Delaunay et illustré par le Grümph, vous permettant de vous plonger plus avant dans cette ambiance si particulière.

Mon second jeu fétiche arrive en 2013 avec Oltréé !22
C’est celui-ci qui a finit de me convaincre que quelque chose se tramait véritablement au niveau du Game-design afin de proposer une manière de jouer décomplexée, basée sur l’improvisation et résolument moderne, tout en s’inscrivant pleinement dans la mouvance OSR.

Une magnifique version collector était disponible lors du financement du jeu … Rhaaaa Lovely !

Je vais essayer de faire court, mais ne m’en voulez pas si je digresse, Oltréé ! étant pour moi un véritable jeu de cœur (si je devais n’en conserver que deux sur ma ludothèque, je pense qu’il trônerait fièrement à côté de Rêve de dragons23, au grand dam de tous les autres).
Donc, avec Oltréé ! , LG (diminutif de l’auteur) nous propose sa version d’un jeu d’exploration med-fan d’apparence traditionnel, avec carte à hexagones, anciennes colonies d’un empire renaissant (les satrapies) et bestiaire classique revisité à sa sauce.
Vos joueurs incarneront donc des patrouilleurs au service d’un Empire en pleine reconstruction suite à une terrible guerre contre des forces obscures, patrouilleurs dont la mission sera de renouer le contact avec les anciennes colonies ayant pris leur indépendance (souvent forcée) durant les siècles passés.
Pour la plupart, l’Empire n’est plus qu’un souvenir se manifestant au travers des ruines d’anciens fortins ou la persistance de certaines traditions tombant petit à petit en désuétude.
Là où ce jeu se démarque des autres, c’est par la multitude de mécanismes visant à émuler l’exploration d’une terre redevenue barbare (au sens grec ou romain du terme), qui mettront véritablement l’accent sur l’improvisation et l’aspect Bac-à-sable en fournissant des outils et une approche dynamique du jeu, ne nécessitant pas de poncer son scénario pendant des heures avant chaque partie.
Merci pour tous les MJs débordés par la vie de tous les jours, dont je fais partie.
Le principe est donc de fournir un travail en amont du jeu par la création d’une carte à hexagones sur laquelle figureront diverses cités, factions, menaces, ruines … et l’agenda des différentes forces en présence à plus ou moins long terme (à la manière des Fronts de Dungeon World24). Le livre fournit quantité de tables aléatoires (ou non, c’est selon) pour aider à la construction de ce squelette sur lequel viendront se greffer vos patrouilleurs et qui fournira les aventures tant recherchées.

Carte d’Elysia basée sur la satrapie proposée dans le livre de base

Une fois votre travail préparatoire effectué, amis MJs, faites bosser vos joueurs et mettez les pieds sous la table pour découvrir ce qu’ils vont bien pouvoir vous pondre.
En effet, Oltréé ! fonctionne avec un système très malin de cartes d’exploration. Chaque fois que votre patrouille va explorer (ou simplement traverser) un nouvel hexagone, l’un des joueurs va tirer une carte dite de Patrouille, sur laquelle figureront certaines données.
Il peut s’agir d’une menace, d’une opportunité, d’une complication ou pour certaines cartes, d’un laconique « rien à signaler ». En fonction des événements, une liste de mots clés est donnée sur la carte, à partir de laquelle le joueur ayant effectué le tirage lancera un début de scène, posant les bases de l’action à venir … et le MJ reprend la main ensuite pour animer la scène à sa sauce.
C’est très chouette dans l’idée (même si ça ne conviendra pas à toutes les tables de part les aspects participation des joueurs et lâché prise du MJ) et permet aux joueurs de s’approprier le jeu au delà de la simple réaction à une situation donnée, puisqu’ils en seront bien souvent eux-mêmes les instigateurs.
Pour résoudre les actions, vos PJs lanceront trois dés à 8 faces de couleurs différentes afin d’identifier : un dé de maîtrise, un dé de prouesse et un dé d’exaltation, contre un seuil de difficulté.
Seuls deux de ces trois dés seront conservés au final : le dé de prouesse et celui de maîtrise, le dé d’exaltation étant éventuellement destiné à remplacer le score affiché par l’un ou l’autre de ses confrères. Petit twist intéressant sur les jets de dés, le résultat du dé de prouesse permettra de déclencher des effets (mécaniques ou narratifs) parmi une liste, au choix des PJs.
C’est un coup à prendre, mais une fois habitué, cela permet de fort jolies choses quant à l’interprétation des jets.
Le livre comprend également tout l’attirail nécessaire pour faire vivre le fortin des patrouilleurs et le transformer en véritable générateur d’évènements dans vos parties.
Le livre de base est rempli de trouvailles mécaniques visant à fournir une expérience différente de ce que l’on pratique habituellement en jdr et souffre, par là même d’être parfois « trop » riche, chaque aspect traité amenant sa « petite règle ». C’est un travers qui fait que Oltréé ! a du mal à trouver son public en dépit de la souplesse de jeu qu’il accorde. Sachez toutefois que si vous consentez à faire l’effort de le faire votre (en triant notamment les points de règles que vous souhaitez conserver), je pense qu’il saura satisfaire à peu près toutes vos envies ludiques en leur apportant un petit vent de fraicheur non négligeable.
Dernier point et non des moindres.
Devant la quantité de « petites règles » présentes dans le jeu, l’ergonomie devient ici un point important dans la présentation du matériel qui ne quittera plus les productions de LG. Pour preuve, la fiche de patrouilleur de Oltréé ! qui a le bon goût de rappeler le fonctionnement des différents détails du personnage (en gris sous chaque entrée) :

Enfin, on notera qu’un supplément, sobrement baptisé Le Compagnon25 est également disponible et qu’il vous fournira à peu près tous les outils qu’il pouvait manquer (et bien d’autres encore) au livre de base, ainsi que de nouvelles cartes adaptées cette fois à l’exploration de cités médiévales. L’animal fait bien une fois et demi la taille du livre de base et dorénavant si un outil particulier venait à vous faire défaut, c’est vraiment que vous le faites exprès.

Les plus observateurs d’entre vous aurons probablement remarqué de gros trous dans ma chronologie … Je précise, à toutes fins utiles, que je n’évoque ici que les productions 100% Grümphiennes (ou presque) et pas les collaborations, illustrations, mises en page et compagnie, car si je devais me lancer là-dedans, c’est un blog entier qu’il me faudrait consacrer à l’auteur, au risque de passer pour un dangereux maniaque encourant une ordonnance restrictive pour harcèlement.
Oltréé ! sort en juillet 2013 et le tournant dans la carrière de l’auteur arrive en décembre de la même année avec … Chibi26.
Chibi qu’est-ce que c’est ?

Le catalogue Chibi/Chibig chez Lulu

C’est sur cet intolérable suspens que se clôturera la première partie de notre dossier, la collection Chibi méritant à elle seule pleinement un article dédié.
Pour me faire pardonner de vous laisser tout pantelant devant tant de Grümphitude, vous pourrez retrouver ce week-end une interro surprise de notre aimable sujet, dont j’ai fini par remonter la piste et qui, en contrepartie de ma persévérance a consenti à répondre à quelques questions indiscrètes
.
Mais quel odieux procédé que le cliffhangerMOUAHAHAHAHAHAHAHA !!!

Affaire à suivre

Notes et Références :

1 John Doe
2 Les XII Singes
3 Dk System
4 Donjons & Dragons
5 Lanfeust le jeu d’aventures
6 Eric Nieudan
7 Mahamoth
8 Barbarians of Lemuria
9 Mantel d’Acier
10 Plagues
11 Mississippi
12 B.I.A
13 Nécropolice
14 Cadwallon
15 Arkipels
16 Tsuvadra
17 Les Mille Marches
18 Le Cycle d’Ambre de Roger Zelazny
19 Ocean’s Eleven
20 Stormchasers
21 Trois Contes Oropaens
22 Oltréé !
23 Rève de Dragons
24 Dungeon World
25 Le Compagnon
26 Chibi

Et enfin, l’adresse direct vers Le Terrier du Grümph, où vous pourrez poursuivre l’exploration de son travail (tout en attendant impatiemment la suite du présent dossier)

Paroles d'Experts

Paroles d’experts S01 E01 : Sandy Julien

Bonjour à toutes et à tous.

Nous inaugurons aujourd’hui une nouvelle rubrique ayant pour but de présenter les différents métiers de l’édition, qui bien que dans l’ombre des créateurs, sont essentiels et sans lesquels nous serions bien en peine de pratiquer notre loisir (et tant d’autres).
Traduction, relecture, mise en page, impression, distribution … Autant d’aspects méconnus et pourtant indispensables de la chaîne du livre, auxquels nous allons tenter de rendre la place qu’ils méritent, en donnant la parole aux différents acteurs qui les incarnent.

Paris, 2021

Alors que le langage sms et l’illettrisme sévissent sur tous les réseaux, le monde de la culture est en péril. Le Mal progresse et menace de plus en plus de lecteurs innocents d’être frappés du syndrome dit « des yeux qui saignent ». Pire, certains individus commencent à développer une sorte de « tolérance » face à cette incurie intellectuelle et ne relèvent même plus ce qui devrait pourtant leur sauter aux yeux.

Une seule solution : mobiliser une brigade de spécialistes prêts à en découdre avec la barbarie et qui, au mépris de tous les dangers, sauront se poser en gardiens de la Syntaxe et de l’Exactitude. Dernier rempart avant l’effondrement de la civilisation telle que nous la connaissons, le S.S.L.I.P (Section Spéciale des Lecteurs Intransigeants Professionnels) est né.

Pour les mener dans cette bataille de tous les instants, un homme s’élève : Sandy Julien

Bonjour Sandy, et merci d’avoir accepté de prendre quelques instants pour nous parler de toi, ta vie, ton œuvre. Alors dis-moi, pour les trois distraits du fond qui ne lisent jamais l’ours d’un bouquin, c’est qui Sandy Julien ?

Un traducteur de jeu de rôle et de romans qui sévit… euh, qui exerce depuis une vingtaine d’années. J’ai traduit du JDR, du jeu de plateau, de cartes, des comics, des bouquins de ciné, des romans… et pourtant il y a encore plein de choses auxquelles je n’ai pas touché mais que je souhaiterais essayer.
Et à côté de ça, je suis un homme tout simple. J’aime la pop culture en général, j’essaie d’être positif et optimiste dans tout ce que je fais, et je pense qu’il faut établir des ponts entre la culture établie, celle d’hier, celle que ma génération a pour mission de transmettre (et non pas de garder comme un temple) et la culture à naître, celle d’aujourd’hui, celle de demain, qui est en plein développement et qui a beaucoup à nous apprendre. Pour moi, l’essentiel, c’est ça : ne pas établir une « culture classique » qui serait sclérosée et en opposition avec des formes inédites et intéressantes, mais qu’on ne peut pas comprendre en leur appliquant les mêmes filtres.

Et je suis bavard, aussi. 

J’ ai bien cru que j’allais faire dérailler la molette de ma souris en déroulant la liste des bouquins que tu as traduit jusqu’à aujourd’hui … Comme quelques autres dans le milieu du jdr (pour ne pas citer John Grümph1), tu es soupçonné de n’être au final rien moins qu’un collectif d’auteurs/traducteurs … une déclaration à ce sujet ?

La team Sandy Julien

On va se concerter et on te répond ensuite…

Bon alors, traducteur aujourd’hui ça consiste en quoi exactement … ? Tu prends Google trad et tu bidouilles pour que ça fasse naturel (et on ne rigole pas, je ne citerai personne mais c’est du déjà vu … Oui oui) ou tu nous la joues Actor Studio avec mise en ambiance préalable pour rester fidèle au matériau d’origine ?

C’est du déjà vu, je l’ai déjà vu lorsque je supervisais des traductions chez Edge2

Il n’y a pas de mise en ambiance, non. On prend le texte et on avance. Pour certains textes techniques (ça m’arrive sur des bouquins de ciné au style complexe), je lis d’abord l’intégralité de l’ouvrage avant de commencer, afin de défricher un peu les notions qui ne sont pas forcément accessibles lorsqu’on traduit.
C’est un processus assez amusant, d’ailleurs. Il y a des textes qui se lisent très bien en anglais, on trouve ça très clair. Et puis quand il s’agit de les faire passer en français, ça devient plus difficile en particulier quand on veut éviter les anglicismes (je leur fais la chasse, mais je dois bien en commettre de temps à autre).

Comme on imagine les choses, traducteur/relecteur c’est un peu un métier d’ermite, le type dans sa grotte qui a le Harrap’s en guise d’oreiller et ronfle avec l’accent du Devonshire (enfin … moi, je vois assez les choses comme ça 😅), du coup si on veut dépasser un peu cette image issue d’un autre temps, tu pourrais nous en dire un peu plus sur tes méthodes, ton cadre de travail, les difficultés que tu as pu rencontrer face à un texte corsé et comment tu les as dépassées… ?

Le traducteur exerce un métier très solitaire, en effet, mais il a aussi des collègues (certains avec lesquels il pratique le JDR en ligne, d’ailleurs ! Coucou à l’équipage du Carnivale, au passage) : en cas de grosse difficulté, on a toujours la possibilité de poser la question aux copains et aux copines.
Mon cadre de travail est simple : un ordinateur portable avec word, une pile de dicos divers et variés, le logiciel Antidote pour repérer les petites coquilles sur lesquelles on passe sans les voir, et surtout, surtout, le plaisir de la traduction. C’est un immense privilège que de pouvoir se dire, quand on tombe sur un texte ardu : c’est compliqué mais c’est aussi ça qui rend le boulot agréable.
D’un autre côté, j’ai traduit pas mal de choses pas folichonnes, voire dont je ne suis pas forcément fier (en particulier en début de carrière). Mais aujourd’hui, je choisis mes textes (ou plutôt on me confie des textes dont on sait qu’ils vont me plaire) et je ne travaille quasiment plus que sur des projets qui m’enthousiasment à titre personnel.

Les difficultés… il n’y en a pas deux de semblables. Entre les complexités techniques, la nécessité de coller à un glossaire spécifique lorsqu’on aborde une franchise établie, les styles particuliers et les textes qui arrivent en n’étant pas finalisés, on tombe toujours sur de l’inédit. La plus grosse difficulté vient des délais extrêmement réduits… mais il faut faire avec ce qu’on a. 

Qu’est-ce que tu donnerais comme conseils à quelqu’un qui souhaiterait se lancer dans le métier (que ce soit pour du JDR ou des bouquins plus traditionnels) ?

Une seule chose. Il faut écrire court. La question la plus essentielle qu’un traducteur débutant puisse se poser est la suivante : « comment puis-je exprimer exactement la même chose, mais en utilisant moins de mots ? »

Abréger, c’est chercher les mots les plus pertinents et s’abstenir d’employer des périphrases et des formules à rallonge. 

J’imagine que plusieurs parcours peuvent mener à la traduction. A défaut d’un « chemin idéal » et selon toi, qu’elle serait la meilleure manière de s’y préparer ?

Il n’y a pas de chemin idéal, mais il y a un état d’esprit. Il faut aimer traduire. Et il faut aimer lire. Et par lire, j’entends « lire dans la langue de destination » (le français, dans mon cas). Pour éviter les anglicismes, par exemple, il faut vraiment lire des textes en « bon français » (c’est une expression… qui vaut ce qu’elle vaut, mais voilà : on a plus de chances de côtoyer un bon niveau de langue en lisant de bons auteurs et de bons traducteurs qu’en se cantonnant à parcourir des sites internet et des conversations sur les réseaux sociaux). 

Il existe de nombreuses écoles de traduction, mais aucune ne saurait affirmer qu’elle produit une traduction parfaite. Traduire, c’est toujours trahir. J’ai beau ne pas apprécier la nouvelle traduction du Seigneur des Anneaux, elle a des qualités et prouve que l’on peut tout à fait reprendre une traduction classique et l’altérer de façon satisfaisante. Il y a beaucoup de lecteurs qui l’aiment énormément ; en ce qui me concerne, j’ai trop de mal avec les changements de noms, et je ne retrouve pas en la lisant le plaisir du texte d’origine, qui m’a trop marqué pour que je puisse la juger de façon objective. Mais elle existe, elle est pertinente et elle propose autre chose à partir du même matériau.

Le Chef des Bagouzes vous dîtes ? 🤔

Pour revenir à nos moutons : il faut aimer la langue, les langues, mais il faut également savoir trancher, en particulier lorsqu’on travaille dans un domaine où les tarifs ne sont pas très élevés et où il faut abattre beaucoup de taf en temps record (encore qu’ils aient augmenté un peu et que certains éditeurs pratiquent des prix raisonnables). L’amour immodéré du texte peut devenir un frein, en particulier quand on traduit de la technique, comme dans le jeu de rôle : il y a un moment où il faut penser à rendre le texte. Et ce moment est beaucoup plus proche que ne le voudrait une vision « confortable » du mode de travail. Il faut « tomber les signes » très vite. Dans des conditions pas toujours agréables (par exemple, sans jamais avoir joué au jeu : c’est un gros handicap quand on traduit du jeu de plateau). Bref, il faut savoir que c’est un travail passionnant, mais pas facile du tout. Et au début, trouver des clients est très difficile. Il faut s’accrocher, et bien comprendre qu’on travaille pour le long terme.

Quand tu reçois un texte à traduire, tu as un cahier des charges qui va avec ou c’est le freestyle total ?

Il y a parfois un cahier des charges, mais c’est rare. Les éditeurs avec qui je travaille me font confiance. J’ai supervisé pendant sept ans les traductions chez Edge, par exemple, donc j’ai une vision assez globale de ce que l’on doit faire ou pas sur tel ou tel texte. 

Quelle est la part de liberté d’un traducteur par rapport au texte original ?
Supposons que tu tombes sur un texte bourré de fautes au départ (ou d’incohérences flagrantes, tant au niveau du style que du contenu), tu as des recours possibles ou tu te retrouves à essayer de retranscrire tout ça en français (au risque d’y être associé par la suite) ?

Je vais te donner une réponse de Normand. Oui, il faut « corriger » le texte. Et non, il ne faut pas l’altérer. Il y a une limite à ce que l’on est en droit de faire. Si le texte est catastrophique… il arrive un moment où j’annote simplement ma traduction en proposant des alternatives. « On ne fait pas d’un âne un cheval de course… »
Mais il y a un piège dans lequel il faut bien se garder de tomber. Parfois, le manque d’expérience ou l’inattention vous font commettre de graves erreurs : on s’imagine que l’auteur ne sait pas ce qu’il fait, alors que c’est précisément le cas. Quand on imagine qu’un texte est mauvais ou incohérent, la première chose à se dire consiste à se poser la question : est-ce qu’il y a quelque chose que j’ai compris de travers ? Un second regard, celui d’un collègue, est précieux dans ce cas-là. 

Quand on est traducteur, peut-on se permettre d’avoir un style propre en regard du matériau d’origine ?


On ne devrait pas. Et pourtant ça donne de bien belles choses. Quand on lit ce que Jean Sola3 a fait sur le début du Trône de Fer4, on est époustouflé par un niveau de langue qui est un bon cran au-dessus de la VO. C’est Sola qui écrit, par endroits, et plus Martin5. C’est une option que certains lecteurs critiquent, et que d’autres apprécient.
Il faut bien comprendre que le niveau de langue est quelque chose de très délicat à appréhender. Lorsqu’un personnage s’exprime avec un accent en VO, on ne va pas lui donner un des rares accents bien reconnaissables en France, mais il faut quand même marquer cette différence…

Un accent … Quel accent ?

De la même manière, transcrire des figures de style balisées reste facile, mais on risque toujours de tomber dans le calque de l’anglais et d’avoir un texte un peu bancal au bout du compte.
Cela dit, je reste persuadé que l’on ne peut jamais se débarrasser de ses propres tics. Je ne sais pas si on peut parler de style, réellement, mais je pense que les traducteurs ont tous des formules, des façons de surmonter les difficultés, qui se ressemblent et qui donnent une couleur particulière à ce qu’ils écrivent. 

Par opposition, quand tu fais de la relecture, il y a d’un côté les fautes et la syntaxe à prendre en compte, mais aussi le rendu du texte (je pense au jeu de rôle notamment) afin qu’il soit lisible “et” compréhensible.
Ça t’es déjà arrivé de devoir ré-écrire des pans entiers pour le bien du texte ?
Et si oui, comment fait-on pour ne pas froisser la sensibilité de l’auteur ?

Il m’est arrivé de réécrire jusqu’à deux tiers d’une traduction bancale. Mais là, c’était en tant que relecteur pour des traducteurs parfois débutants. 
Je le dis souvent, mais j’ai récemment dû corriger un « when the shit hits the fan« 6 traduit par « quand la crotte heurtera le ventilo [sic] »… C’est un cas extrême, bien sûr, mais voilà le genre de chose qu’il faut corriger quand on est relecteur (ou quand on est traducteur, pour éviter de se faire tuer par son relecteur).
En ce qui concerne le texte VO qu’il faut réécrire… là, on le fait sans se poser trop de questions (surtout en temps limité). S’il faut élaguer un peu dans une prose alambiquée… eh bien tant pis. On a toujours quelques lecteurs qui vont compter le nombre de mots et affirmer qu’on a loupé une nuance ou altéré le texte d’origine, mais c’est anecdotique. Il vaut mieux un texte clair et qui sonne français plutôt qu’un calque effroyable de l’anglais. Tout ça est un équilibre délicat : il faut travailler en équilibre sur le fil qui sépare le « texte corrigé » du « j’en ai fait beaucoup trop ».
Quand quelque chose est incohérent et que je peux contacter l’auteur, je le fais. Jusqu’ici, dans 100% des cas, l’auteur répond : ah oui, on avait loupé ce détail et on va le corriger en réimpression VO. 

Selon toi, c’est quoi les dix commandements du traducteur pro ? (ou trois, ou cinq hein)

  • Respecter l’intention de l’auteur ou de l’autrice d’origine. Tu peux adapter, modifier, etc., mais pas trahir l’intention. Si un personnage s’exprime de façon sexiste, tu le traduis sexiste, tu n’en fais pas un féministe, et vice-versa. L’intention, c’est essentiel.
  • Eviter les verbes ternes (être, avoir, faire) et les remplacer par des verbes plus précis et plus variés (représenter, adopter, relever de, etc.) sans pour autant (et c’est essentiel) aller chercher des verbes trop complexes. Quand on donne ce conseil aux traducteurs débutants, ils sortent un dico pour balancer des « ratiociner », des « gloser », etc., dans un texte qui est au ras des pâquerettes en VO. Enrichir son vocabulaire, ce n’est pas le rendre inintelligible. Il y a un bon exercice : tu lis un bon auteur français (je relisais Stefan Wul7 récemment), dans un registre populaire ou jeune lecteur, et quand tu tombes sur un verbe ou un mot simple mais que tu n’utilises jamais, tu le notes. Sur un tableau blanc, par exemple. Il y reste jusqu’à ce que tu aies eu l’occasion de l’employer. Les mots les plus précieux sont les plus simples : c’est en allant chercher des mots compliqués comme « solutionner » qu’on oublie qu’en français, il suffit de « résoudre ». La langue claire et élégante, ce n’est pas une langue complexe. La richesse du vocabulaire, ce n’est pas de l’érudition de salon.
  • Ecrire au plus bref. Moins j’utilise de mots, plus j’utilise les bons.
  • Limiter les adverbes en « ment ». Je plaide coupable. J’essaie d’arrêter.
  • Être sympa avec ses collaborateurs. Quels qu’ils soient, à quelque niveau de la chaîne de production qu’ils se trouvent.
  • Apprendre à gérer son emploi du temps et s’imposer une discipline en matière d’horaires. Ne pas travailler « tout le temps, même pendant les vacances et le week-end ».
  • Lire. Lire de la bonne traduction, du bon roman, de bons articles. S’imposer l’exercice qui consiste à comparer VO et VF de bons ouvrages par de bons traducteurs (Pierre-Paul Durastanti8, Patrick Marcel9, Patrick Couton10 par exemple). 
  • Travailler en binôme et apprendre mutuellement.
Les binômes, y’a qu’ça d’vrai
  • Sortir de sa zone de confort et s’essayer à des traductions dans d’autres domaines. 
  • Manger moins de sucre et faire de l’exercice. Mais ça, ça s’applique à tout le monde, non ? 🙂 

Paris, toujours 2021

Dans l’ombre des réseaux, les vilains agissent et continuent d’influencer la langue, de manière plus ou moins subtile, afin de la faire évoluer vers une forme moins littéraire et plus proche de leurs attentes textuelles dépravées. En réaction à la création du S.S.L.I.P, ils s’organisent à leur tour et se regroupent sous la bannière du C.A.L.E.C.O.N.S (Cellule d’Action Libératoire de l’Ecriture Contre l’Onanisme Nomenclatural du Sachoir).
Nous rentrons dans une nouvelle ère de terreur et les forces en présence sont sans pitié. Qui triomphera en ces temps troublés ?
En tout cas, une chose et sûr, personne ne sera épargné dans cette lutte fratricide … Alors, S.S.L.I.P ou C.A.L.E.C.O.N.S, choisissez bien votre camp …

Un très grand merci à Sandy de s’être prêté au jeu des questions et à bientôt pour l’épisode 2

Notes et références :

1John Grümph
2 Edge Entertainment
3
Jean Sola
4
Le Trône de Fer
5
Georges R.R. Martin
6
When the shit hit the fan : expression signifiant que les choses se compliquent, dégénèrent, que c’est la merde en somme.
7
Stephan Wul
8
Pierre-Paul Durastanti
9
Patrick Marcel
10
Patrick Couton

Focus

Focus Sur les Terres de Matnak, avec Mathieu « Mysko » Myskowski, Guillaume Meistermann et Jean-Pierre Hufen

Rapport de contact de l’alchimiste Barthus, éclaireur de Tyzalek, rapporté par son Oiseau d’alerte et disparu en mission depuis maintenant trois mois.

Jour 1 : « Ça y est, je quitte les murs de Matnak et me lance dans mon périple afin d’en apprendre plus sur l’Obwod et le monde dans lequel nous devons vivre (ou devrais-je dire survivre) aujourd’hui. Je sais que mon départ ne cadre pas avec l’esprit des « Eclaireurs de Tyzalek » car je pars seul et sans prévenir personne, mais j’ose espérer que c’est pour le bien de toutes et tous et que cela permettra d’assurer des jours meilleurs à mes camarades, dussé-je ne pas revenir. Depuis plusieurs jours maintenant, je sens l’Obwod bouillonner en moi et me pousser de plus en plus à la limite de cet état de Changé que je redoute.
Aussi, plutôt que de mettre en danger mes camarades par ma simple présence, j’ai préféré l’exil volontaire.
Pourquoi ? me direz-vous… Hé bien, je suis las de lutter contre le changement et me sens prêt à l’accueillir, du moment que cela n’est pas en vain.
Il y a de cela maintenant quelques semaines, j’ai eu vent (je ne saurais vous dire par quels moyens sans placer mes contacts dans une situation délicate) d’une petite communauté d’individus vivant en secret dans les ruines de l’ancienne Oréane et qui détiendrait de nombreuses réponses quant aux mystères de la genèse du monde tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Mythe ou réalité, il ne tient qu’à moi de le découvrir.
Car même au sein des éclaireurs, j’ai des doutes sur les loyautés de certains et ne souhaite pas prendre le risque que d’éventuelles découvertes ne soient étouffées par des factions mal intentionnées… »

Ruines de l’ancienne Oréane

Jour 6 : « C’est bien affaibli par la longue route que j’arrive aujourd’hui en vue des premières ruines de l’ancienne cité. Je vous épargnerai le détail de mes pérégrinations, car, n’ayant que deux Oiseaux d’alerte avec moi, je me dois de préserver un maximum de place sur les parchemins pour les informations que je pourrai recueillir. »

Jour 7 : « Le contact est établi avec trois Changés encore étonnamment civilisés, suivant les termes qu’ils m’avaient fait parvenir… une longue discussion s’entame dont je vous relaterai la teneur aussi fidèlement que possible lorsque j’aurai l’opportunité de la transcrire. »

Jour 8 : « Ce que j’ai appris hier dépasse tout ce que j’aurais pu imaginer, mais l’on me fait comprendre que ce n’était rien comparé à ce que je m’apprête à vivre. En effet, j’ai accepté que mes hôtes me conduisent à leur temple afin d’y expérimenter ce qu’ils nomment La Transhumance de l’Âme, une sorte de cérémonie permettant d’accéder à des existences passées remontant à bien avant le Déluge. Ils m’expliquent que s’ils m’ont contacté, c’est parce qu’ils ont vu lors d’une précédente transhumance que nous avions été connectés il y a de cela bien des vies.

Tout ceci me semble parfaitement irréel, mais d’après eux, je pourrais être la clé permettant de débloquer l’accès à un ensemble de connaissances sur le Monde, l’Obwod ou même, la Création de l’univers tel que nous le connaissons aujourd’hui.

On m’explique que nous allons nous rendre dans une grotte non loin d’ici, sous terre et que, sous l’Œil de la Nuit qui Voit Tout, nous devrons nous immerger dans l’Eau de la Vie tous ensemble afin d’y revivre ce qui fut vécu et le sera à nouveau.C’est avec une certaine anxiété mêlée d’excitation que je dépose mes affaires et m’apprête à les suivre, … pour Matnak. »

1 : Bonjour Mathieu1, Guillaume2 et Jean-Pierre3… Dîtes moi, après un kit d’introduction ma foi fort sympathique, vous nous concoctez un bouquin de 450 pages autour de Matnak, avec plein de belles choses dedans. Vous pouvez nous en dire un peu plus sur la répartition des tâches ?

JP : J’ai eu un rôle de scénariste, ainsi que de co-auteur concernant le développement de l’univers (certaines factions, PNJ et évènements aléatoires notamment), à partir de la base déjà présente. J’ai suivi les demandes et conseils des autres membres de l’équipe. J’ai également émis mes propres conseils dans leur domaine de travail, lorsqu’ils me le demandaient. Nos travaux se sont mutuellement influencés : il est arrivé qu’un point d’univers demande le développement d’un point de règle, ou encore qu’une modification des règles entraîne un réajustement des intrigues, par exemple. Nous avons donc beaucoup échangé pour nous assurer que nous allions toujours dans la même direction et pour éviter les incohérences.

Mathieu : pour s’assurer de la cohérence nous faisions une réunion hebdomadaire en ligne. Nous parlions de ce qu’il restait à faire, nous nous assignions des tâches et nous nous donnions rendez-vous avec l’objectif de les avoir accomplies. 

Guillaume : Pour ma part, j’ai eu le rôle du “game designer”, essentiellement, mais j’ai aidé aussi au développement de l’univers. Car si l’univers est à la base issu de l’imagination de Mathieu, ce fut aussi une création collective. Mathieu nous a vraiment laissé le champ libre, a été très à l’écoute, même si ultimement, cela reste son œuvre. Il y a eu à tous les niveaux des discussions, du partage. C’était vraiment une période très agréable, de développer le jeu tous ensemble.


2 : Quand j’ai lu le kit d’introduction, je me suis fais la réflexion qu’au niveau des thèmes abordés pour un jeu d’aventure, on avait quand même un fond assez corsé, avec notamment la part de bestialité sommeillant en chacun de nous ici assez pleinement exprimée, l’ostracisation de la différence et la peur qui l’accompagne, les difficultés à concilier les points de vue en période de crise, la menace d’extinction … Ce sont des choses qui vous travaillent dans la vie de tous les jours ?

Qui a parlé de bestialité ?

JP : Ce sont des thèmes auxquels on est confronté au quotidien. Selon l’interprétation, on peut les retrouver dans une très grande partie des œuvres artistiques, qu’ils soient sciemment mis en avant ou discrètement dissimulés.

Mathieu : En effet, comme dit JP, ces problématiques traversent notre époque et j’ai voulu les inclure tôt. Elles sont comme un miroir déformé de notre réalité et donnent à réfléchir un peu sur notre condition actuelle. Libre à chacun ensuite d’intégrer plus ou moins ce genre de thématique disons, de « société ». 

Guillaume : Je ne sais pas si ça me “travaille” particulièrement, mais en tout cas, ça m’a de suite parlé. J’ai adoré cette multiplication de thématiques fortes, portées par un univers très “BD”. Cette richesse permet plusieurs niveaux de lecture, on peut faire de ce jeu bien des choses, en fonction des groupes de joueurs.


3 : Quand on regarde les illustrations du jeu, on ne peut se défaire de la sensation d’une « vision d’artiste » mise en mots (en tout cas c’est mon cas). Ca s’est passé comment la génèse du projet ?

Oui Môssieur, je suis très sérieux quand je parle de vision d’artiste !

Tout à commencé avec une volonté de faire un univers aussi riche et cohérent que possible. J’ai d’abord beaucoup dessiné. Des personnages et des décors sortaient sans que je n’aie aucune ligne directrice. D’abord surgit un univers très médiéval puis au fur et à mesure, ça s’est orienté vers une pointe de renaissance. Quand je terminais un personnage ou un décor, aussitôt je l’insérais dans cet univers en formation. Le processus a duré trois ans, tous les soirs je me mettais à ma table pendant trois ou quatre heures. Quand cette période fut terminée, j’ai engagé un gros travail de cristallisation. C’est à dire que j’insérais dans la trame générale les illus que je n’avais pas encore liées à quoique soit et j’affinais les liens de cause à effet entre les pnj principaux, les factions, etc… ça fonctionnait comme un système d’entonnoir. j’ai fini par avoir quelque chose de stable. Mais c’était seulement les fondations. 
Puis je me suis attelé à faire un jeu de rôle dans cet univers. J’ai posé les bases d’un vague système. Ce que je voulais retranscrire en jeu. J’ai pondu 50 pages de textes sur l’univers : qui allions nous incarner ? quelles factions faisaient quoi et pourquoi ? etc… Ce processus a duré deux ans environ, toujours quatre heures par jour. 
Là, les choses vraiment sérieuses ont commencé. Jean Pierre Hufen a désiré écrire un premier scénario dans cet univers (il en écrivit cinq au total, tous riches en péripéties et transcendant les éléments de l’univers. C’était vraiment cool). 
Ensuite j’ai créé une page sur Facebook pour faire parler du projet. Le soutien de beaucoup de personnes a été galvanisant. 
Ça a permis à Guillaume Meistermann de découvrir l’univers et après lui avoir envoyé le doc texte de l’univers et du proto-système (cette partie était vraiment embryonnaire et j’étais complétement perdu pour tout dire) il a voulu embarquer dans l’aventure,ce dont je n’ai pas été déçu une seule seconde. Il a créé un système efficace, sobre, prompt à s’harmoniser avec Les Terres de Matnak, univers rude par définition. 
On a travaillé, testé, fait des conventions. On s’est adjoint d’un co-auteur pour développer ce qui avait déjà été posé, bref nous étions là, lancés dans une véritable aventure éditoriale. 
En tout et pour tout, à l’heure où je vous parle, il s’est donc passé près de huit ans depuis la première intention.

4 : Jean-Pierre, tu es en charge des différentes « missions » (les scénarios qui permettront à tout un chacun de prendre la mesure des possibilités du monde de Matnak) proposées dans le jeu. Tu t’y es pris comment pour t’approprier cet univers, sans disons, trahir la fameuse vision évoquée plus haut. Tu avais un cahier des charges ou on t’as simplement dit « lance toi, si ça ne le fait pas, tu seras juste cloué au pilori » ?

J’ai eu la chance d’avoir une certaine liberté dans la rédaction des missions. Pour m’imprégner de l’univers et trouver une source d’inspiration, j’ai tout d’abord observé les illustrations et les concepts déjà mis par écrit. Lorsqu’il y avait beaucoup de matière, je cherchais quel type d’intrigue permettait de la mettre en valeur. Dans les autres cas, je développais également les particularités des régions et des factions en fonction des besoins des missions que je rédigeais.
J’ajustais mes textes selon les demandes et conseils qui m’étaient faits lorsque je présentais les synopsis, puis une nouvelle fois lorsque je présentais les missions complètement rédigées.

5 : Mathieu, non content de nous balancer quelque chose comme cent cinquante illustrations dans le livre et d’être le papa de l’univers, tu es aussi responsable de la maquette (fiou…). Du coup, c’était quoi ta ligne directrice quand il s’est agi d’organiser tout ça, ainsi que les écueils auxquels tu as (peut-être) dû faire face ?

Alors je pourrais te dire que j’ai pris les choses chacune en son temps. Mais en fait, j’ai chevauché les étapes les unes avec les autres, pour gagner en efficacité. C’était risqué, dans le sens où je naviguais à vue. Mais j’ai patienté et ça a fini par payé, car aujourd’hui la maquette et le texte ne fonctionnent pas sans les illustrations, et inversement.


Je faisais une illustration pendant que le texte attendait. Parfois c’était l’inverse. Et quand j’ai abordé la maquette le texte n’était pas terminé entièrement, ni les illus d’ailleurs (il m’en manque encore, je suis dessus actuellement). 
Comme outil de production en équipe j’ai choisi le couperet des deadlines, même si ça peut être stressant c’est ce qu’il faut à mes yeux pour mener à bien un projet de grande envergure, avec les contraintes qui y sont liées. Bien sûr nous ne sommes pas à Hollywood, les deadlines nous servaient surtout à nous imposer un rythme entre nous. Parfois il y eu des retards mais l’essentiel était de toujours aller de l’avant. Même lentement, il faut avancer. 
Même dans le bordel il faut avancer. L’ordre finit par s’imposer naturellement au fur et à mesure du travail.

6 : Accoucher d’un jeu, comme toutes les naissances, ce n’est pas quelque chose qui se fait sans mal (pensée émue pour toutes les mamans du monde). Ça demande beaucoup de travail et de réflexion, mais au-delà de ça, comment on s’y prend pour savoir si effectivement on va réussir à proposer quelque chose de ludique en plus d’être fonctionnel ?

Mathieu : on prie pour que toutes les lectures, visionnages, et autres sources d’inspirations et de créations que nous avons emmagasinées dans notre vie de rôlistes nous servent à viser juste dans les choix à faire. Parfois ça marche, parfois on doit rebrousser chemin. Et comme avec un enfant qu’on élève, on ne sait pas ce qu’il va devenir … mais on fait tout pour que son avenir soit le meilleur possible. 

JP : Lorsque l’on prépare les intrigues et les mécaniques de jeu (y compris celles qui vont au-delà du système de règles), il me semble que le plus efficace est d’échanger avec le public ciblé. On peut en retirer de nombreuses pistes.
Dès la première ébauche produite, le plus simple est de tester le jeu autant de fois que possible et de récolter les retours, afin de déterminer si on a bien atteint les objectifs que l’on s’était fixés. Il arrive même que l’on découvre ici des pistes si intéressantes qu’elles deviennent de nouveaux objectifs.
Une fois la version quasi-finale prête, une nouvelle phase de test et de discussion ne peut pas faire de mal. Après les derniers ajustements qui s’imposent, on devrait avoir le résultat voulu. C’est comme une recette de cuisine peu précise : il faut savoir quand ajuster les étapes si on se rend compte que ça ne fonctionne pas comme espéré. L’une des grandes difficultés est de déterminer quand arrêter de faire des tests ou des ajustements, car on risque de se perdre à vouloir développer et affiner toujours plus.

Guillaume : On a énormément discuté autour du système justement, parce qu’on avait à cœur de donner un vrai objet ludique. On ne pouvait se contenter d’adapter un système, il fallait quelque chose qui colle vraiment à l’esprit de Matnak. Un truc qui fait qu’au cœur des mécanismes, il y ait ce dilemme de recourir à la puissance illimitée de la zoomorphose au risque de se perdre soi-même. J’espère avoir réussi. Mais c’est autour de ces nombreux échanges que le système s’est peaufiné.

7 : Guillaume, c’est toi qui a commis la partie mécanique du jeu en t’attelant au système de résolution … Alors, je sais que tu fais beaucoup de traduction de jdr, mais de là à basculer dans le game design, on n’est pas tout à fait dans le même registre. Ca t’as pris comme ça ou ça faisait un moment que ça te travaillait ?

Guillaume : En réalité je ne fais de la traduction que depuis peu. J’ai travaillé sur Matnak avant de traduire. Et quant au game design… Je me demande toujours si je peux prétendre être game designer. C’est un vrai métier, complexe et qui s’apprend. J’y ai mis beaucoup de cœur, j’ai travaillé sans cesse, autour de quelques points clefs.
Le cahier des charges était assez clair, en fait. La base de ce cahier a été édictée par Mathieu, mais la suite nous l’avons décidée en équipe. Il fallait de la simplicité, peu de caractéristiques chiffrées, pas de compétences, seuls les Joueurs devaient lancer les dés, on ne voulait pas d’une progression “classique” avec des niveaux mais autre chose, que les PJ soient dès le début de vrais héros, de la mortalité, un vrai sentiment de puissance, des PV, des dégâts (relativement) aléatoires, une mécanique unifiée entre toutes les phases de jeu…
Et c’est sans parler de la partie “symbolique” : bien des éléments ne sont pas choisis au hasard. Le D8, symbole d’infini, le 7 (les PV sont octroyés par tranches de 7), les 3 caractéristiques, qui additionnées font 21, etc. Tout ceci est la “faute” de Mathieu, notre grand Alchimiste. Bien évidemment, je ne me suis pas contenté de bricoler autour de ces données. Elles ont été agencées et organisées de manière très rationnelle. Les statistiques sont calculées et réfléchies. Et tout ça pour donner quelque chose de souple et plutôt orienté vers l’histoire.

8 : Pour en revenir au système de jeu, j’ai cru déceler comme une parenté avec l’Apocalypse4, tout en proposant  une approche plus « traditionnelle » dans la prise en main. Vous pouvez nous en dire un peu plus sur le cheminement qui vous a mené là ?

La fiiiiin du moooonde… ha non, l’Apocalypse

Mathieu : L’idée était de conserver les habitudes des jeux traditionnels et d’y ajouter le principe de l’apocalypse selon lequel rien ne doit pouvoir se conclure sur « il ne se passe rien ». 
Guillaume a eu la très bonne idée de synthétiser en actions courantes les mouvements habituels des jeux traditionnels (je défonce la porte, je saute le pont, je séduis tel pnj). Une fois ces habitudes adaptées en termes narratifs (franchir un obstacle, aggraver la situation, etc…), il n’y avait plus qu’à imaginer le système de résolution. Vu que le moteur est souvent les joueurs dans une partie de jdr (du moins, c’est ce que je pense) on a libéré le mj des lancers de dés, pour qu’il se concentre sur la cohérence de l’univers et la mise en scène de ses parties. 

Guillaume : En effet, Mathieu l’a très bien dit, nous cherchions un compromis entre les PbtA5 et les jeux old school. Au final, il y a une proximité avec Dungeon World6. C’est un jeu formidable qui mérite d’être testé, mais ce n’est pas aisé de le mener, cela dit. C’est plus abordable à mon avis, dans le sens où les actions ne sont pas pensées pareil. Plus simples à utiliser ! Pour finir, nous voulions un jeu dont les règles serviraient l’histoire. Facile d’accès. Qui parle aussi aux anciens, nous ne voulions perdre personne en route ! 

9 : Bon, si l’on observe bien la carte des Terres de Matnak, on peut faire la constatation que c’est à peu de chose près gros comme la Corse… C’est tout l’univers de jeu ou vous nous avez préparé douze suppléments/spin off pour étoffer tout ça ?

Matnak, Ile de beauté

C’est parfaitement ça pour l’allusion à la Corse. Imaginez, il ne reste plus que la Corse d’habitable dans le monde entier, et sur ça vous ajoutez un virus qui transforme les hommes en bêtes. Virus provoqué par la cupidité et l’orgueil. Le tout enrobé d’un nappage à la Madmax7 médiéval fantastique psychédélique, et vous avez Les Terres de Matnak !
Quant au jeu, il n’y aura qu’un seul livre, avec tout ce qu’il faut pour jouer plusieurs campagnes. Des événements aléatoires appelés Aléas, la description de 7 régions et de 7 factions liées. Le tout accueillant 150 pnj environ . Là dessus, nous avons ajouté des secrets à découvrir et des outils pour le faire. Il y aussi nos conseils pour jouer une partie ou créer une mission. Et le livre se termine sur pas moins de cinq missions pouvant se jouer en campagne. 
C’est vraiment un jeu clef en main que nous avons voulu.

10 : Un petit quickie sur l’imaginaire en général ?

  • Si vous étiez un livre (roman/bd,…) :

JP : Je serais un faux livre, pour décorer les bibliothèques.

Mathieu : le cycle de Dune8 de Frank Herbert (particulièrement L’empereur-dieu

Guillaume : Je suis incapable de répondre à ce genre de questions… Quelle torture de choisir ! Si je dois vraiment parler de mes livres favoris, je dirais “Notre besoin de consolation est impossible à rassasier” de Stig Dagerman9, “Que ma joie demeure” de Giono10, « Le Moine » de Lewis11… Mais sinon, pour la SF/Fantasy, j’ai adoré “Seigneur de Lumière” de Zelazny12. En BD c’est assurément “L’Incal” de Moebius et Jodo13, et… “Les formidables aventures de Lapinot” de Trondheim14. Et là je me dis que je suis à côté de la question, puisque je dois parler d’un livre qui me ressemble. Du coup si quelqu’un a écrit “L’indécis”, ça pourrait bien coller.

  • Si vous deviez cosplayer quelqu’un :

JP : Je serais un gigantesque Kirby15… ou un énorme Mr. Saturn16… ah, je n’arrive pas à choisir !

MathieuDocteur Who17

Guillaume : Oh la la. C’est compliqué. On va dire un truc avec un chapeau. J’aime bien les chapeaux.

  • Si vous étiez un jeu (de rôle/vidéo,…) :

JP : Je serais un jeu de dés.

Mathieu : Riven (de la série Myst18

Guillaume : faut arrêter avec les questions comme ça ! JE SAIS PAS. Bon, Shining Force 319, sur Sega Saturn. Sinon j’aime bien les jeux qui font peur.

  • Si vous étiez une période historique :

JP : Je serais la préhistoire. Il y avait de l’espace libre. Ça devait être calme. J’aime bien quand c’est calme.

Mathieu : moyen âge.

Guillaume : 20ème siècle, autour de l’avènement du rock progressif. 

  • Si vous étiez un univers fantastique :

JP : Je serais une utopie. Ça aussi, c’est bien calme.

Mathieu : l’univers du baron de Müncchausen20. Baroque, où tout est possible, et qui garde un esprit positif malgré tout. 

Guillaume : l’univers d’Ambre21, parce que tout y est possible.

Et pour conclure, la question vache… selon vous, quelle est la place de l’imaginaire dans la culture (qu’elle soit populaire ou autre) et comment vous positionnez-vous dans ce vaste tableau ? 

JP : Je pense que l’imaginaire offre d’immenses opportunités de réflexion concernant des situations fictives pouvant ou non se réaliser dans le futur. Cela permet de se préparer logiquement, mais aussi de se développer émotionnellement, bien au-delà de ce que permettrait le simple traitement de données factuelles.
Comme toute personne ayant un jour partagé un peu de son imaginaire avec un tiers, j’apporte mon infime participation au développement de ce collectif gigantesque… en bien ou en mal, je ne sais pas.

Guillaume : l’imaginaire dans la culture ou la culture de l’imaginaire ? C’est vaste. Je dirais que la place de l’imaginaire est importante, à une époque où on a du mal à distinguer les contours de la réalité. Cultiver l’imaginaire pour savoir ce qui est vrai du faux, c’est peut être une piste à suivre. Quant à notre place là dedans avec Matnak, j’ai envie de dire qu’on est dans la lignée de l’imaginaire de Jodo, Moebius22. Cet imaginaire de BD un peu fou qui va venir questionner justement la réalité. 

Mathieu : l’imaginaire, en tant qu’élément constitutif de notre condition, a toujours tenu une place importante dans l’histoire de l’humanité et nous a toujours servi à nous extraire de situations problématiques apportées par le réel. Pour moi il est l’essence même de l’homme et sans lui nous serions voués à disparaître. Pas de survie possible sans imaginaire, pas d’adaptation. 
Et si aujourd’hui l’imaginaire ne nous sert plus à comprendre comment fabriquer un piège ou fabriquer un outil, il nous sert à explorer le « champ des possibles » de nos sociétés, de nos comportements. 
En gros, je pense que l’imaginaire est une distanciation nécessaire, essentielle même, et non une simple évasion, lubie, ou passe-temps, comme on disait souvent il n’y a pas 30 ans.

Un très grand merci à vous trois d’avoir bien voulu vous prêter au jeu des questions et à très bientôt sur les Terres de Matnak.

Jour … ? :  « Je ne saurais dire combien de temps s’est écoulé entre mon entrée dans la grotte et maintenant… Mon esprit me chuchote que tout cela n’a duré que quelques minutes/heures, alors que mon corps me hurle qu’il s’agit de jours entiers.
Mon corps… il m’a fallu un certain temps pour le réaliser, mais ça y est… ce corps que je pensais mien à tort n’est plus, il est devenu… autre chose durant la cérémonie.
Ce qui est surprenant c’est que mon esprit lui, ne semble pas altéré par le Changement, contre toute attente. Est-ce lié à l’expérience que je viens de vivre ? Je ne saurais le dire… d’ailleurs je ne sais quoi en penser, phantasme induit par mes hôtes, par une quelconque substance que l’on m’aurait fait ingérer, ou réel témoignage d’un autre temps, d’une autre réalité… ?
Je préfère m’abstenir de trop y penser dans l’immédiat, devant l’énormité de ce que signifierait la véracité de ce dont je fus témoin/acteur… tout n’est-il donc qu’illusion ?

Non, ce n’est pas possible.
Mes émotions, mes sensations sont bien réelles, elles m’appartiennent en propre. Seule chose dont je sois sûr à l’instant, je ne peux plus retourner à Matnak, étant dorénavant un Changé.
Je ne peux que me résoudre à vous faire parvenir ce témoignage en guise d’adieux.
Le Changement ne signifie pas forcément la Fin… ou tout du moins, … … … je l’espère. »

Pour vos petits yeux éblouis, le WIP de L’écran du jeu

Propos recueillis auprès de Mathieu Myskowski, Guillaume Meistermann et Jean-Pierre Hufen par David Barthélémy

Article initialement publié sur le blog : Cultures de l’imaginaire

Notes et références :

1 Mathieu Myskowski
2 Guillaume Meistermann
3 Jean-Pierre Hufen
4 L’Apocalypse : référence au système de jeu développé pour Apocalypse World (cf Pbta)
5 Pbta
6
Dungeon World
7
Mad Max
8
Dune
9
Notre besoin de consolation est impossible à rassasier
10
Que ma joie demeure
11
Le Moine
12
Seigneur de Lumière
13
L’Incal
14
Les formidables aventures de Lapinot
15
Kirby
16
Mr Saturn
17
Doctor Who
18
Riven, saga Myst
19
Shining force 3
20
Baron de Münchhausen
21
Ambre
22
Moebius