Avant la sortie

Entretien avec Frédéric BESSY autour de Yuigahama Bad Seeds aux Éditions du Troisième Oeil

C’est toujours avec une certaine émotion que je vois débarquer un nouveau jeu chez LETO1, les propositions étant en général aussi fortes que variées. Que l’on adhère ou non aux jeux en question, on ne pourra certainement pas reprocher à cet éditeur de ne pas prendre de risques en s’aventurant régulièrement là où bien peu osent aller (entre Cobra2, Kabbale3, One %4 ou Against the Dark Master5, mon cœur balance) dans notre petit paysage ludique.

Et ouais, quand on parle de propositions variées, LETO n’est jamais bien loin

Le dernier né, Yuigahama Bad Seeds ne déroge pas à cette règle tacite de surprendre les clients, tant par son univers, que par sa prise en main aux antipodes de AtDM (au hasard), ainsi que par sa méthode de financement.
En effet, le projet est prêt, et alors que la campagne court toujours, les heureux souscripteurs tiennent déjà entre leurs petites mains fébriles (et virtuelles) les pdf du livre de base ainsi que de l’écran de jeu.

Yum yum yum

Après avoir lu la bête (je confesse toutefois n’avoir pas encore finit de lire les scenarios), c’est, comme bien souvent, séduit par ce jeu, que je me suis dit qu’un entretien avec son auteur pourrait être le bienvenu et permettre à celles et ceux dont il serait passé sous le radar, de rejoindre le bateau avant clôture du financement (courant janvier, à priori). Aussi, sans plus attendre et sous vos applaudissements mesdames et messieurs, voici venir Frédéric Bessy, l’heureux papa de YBS.

Bonjour Frédéric, et merci de prendre un peu de ton temps, en dépit du décalage horaire, pour répondre à mes quelques questions.
Décalage horaire me direz-vous ? Hé bien oui, car notre auteur pourrait bien être plus proche du monde qu’il nous dépeint dans son jeu que de la tour Eiffel.
Frédéric, tu pourrais nous en dire un petit peu plus sur toi et la manière dont ton mode de vie a pu influencer ton jeu ?

Merci pour ton invitation !
Je nous imagine dans un petit café, à mi-chemin entre la France et le Japon. Je suis content de pouvoir faire ta rencontre et de parler un peu du jeu.
Ce qui a motivé la création de Yuigahama Bad Seeds dans les premiers temps n’est pas vraiment glamour. C’est un jeu qui est né d’un sentiment de frustration.
Je travaille dans une entreprise de jeux vidéo en tant que graphiste 3D.
Quand j’ai intégré cette entreprise basée à Tsukishima (Tokyo), c’était une boîte faisant de l’originalité de ses concepts de jeu son principal argument de vente.

Tsukishima


Au fil du temps, nous sommes devenus des sous-traitants pour d’autres développeurs. Nous leur apportons notre expertise technique pour mettre en valeur leurs concepts.
C’est une formule qui fonctionne, car l’entreprise perdure, bon an mal an. Mais tout un pan du travail basé sur la créativité est à présent atrophié.
Beaucoup de gens me disent que travailler dans ce type d’entreprise est en soi un accomplissement.
C’est vrai.
Je ne me plains pas ni même regrette les choix qui m’ont conduit à travailler ici.
Par contre, il y a des choses que l’on découvre en interne comme une forme de conformisme, de conservatisme et d’attentisme (les trois « ismes » !) contre lesquels on laisse énormément d’énergie.
En 2020, après avoir proposé une dizaine de projets de jeux (je ne me contente pas du travail de graphiste), je me rends compte que je suis dans une impasse. YBS va naître progressivement de ce sentiment de gâchis.
En dehors du travail, le Japon est une source perpétuelle d’étonnement. J’y retrouve mes yeux d’enfant. Encore aujourd’hui après 15 ans, tout m’y semble étrange ; comme cette structure bétonnée aperçue au loin sur une plage vendéenne qui devenait pour le petit garçon que j’étais un artefact venu d’ailleurs (syndrome de Stendhal, quand tu nous tiens !).

Ton parti pris avec YBS est de nous présenter un Japon moderne réaliste (certes chamboulé par des événements apportant une touche de fantastique), par opposition avec les multiples ambiances que l’on nous vend généralement au travers des mangas et autres animés. Tu en avais marre des images d’Epinal ?

La démarche à ce niveau n’est pas vraiment consciente (du moins au départ).
Le jeu n’est pas bâti contre quelque chose. Disons que je souhaitais baser cette création sur un environnement qui m’est familier.
Les mangas forcent souvent le trait quant aux personnages et aux univers choisis comme matériau de base. Il existe bien sûr une branche de la famille manga qui propose de suivre la vie quotidienne assez banale de l’homme de la rue (je pense à le gourmet solitaire6).
Mais en général les thèmes choisis sont traités avec beaucoup de dynamisme et mettent en scène des personnages très typés (là où le japonais réel est plutôt réservé et silencieux).
Beaucoup de ces mangas et animes se servent de choses qui relèvent du fantasme ; y sont présentés des personnages héroïques incarnant une image flatteuse du Japon.
Le gars qui en prend plein la gueule, et qui est battu à la dernière seconde, mais reste fidèle à ses convictions.
Contrairement aux États-Unis, le Japon n’est pas un bon creuset pour le « happy-end ».
Mais je m’égare.
Ce Japon magnifié des mangas n’est pas celui que je voulais mettre en avant.

Bienvenu au Japon Japon

Le Japon des villes de seconde zone est suffisamment curieux et intriguant pour nous occidentaux, sans qu’il soit nécessaire de recourir à ce que contient la culture anime-manga.
Il suffit de voir les ustensiles de cuisine japonais pour comprendre que l’esprit des habitants est tout différent du nôtre.
L’aventure nous attend là, dans le golfe de Sagami, tel qu’il est en réalité (ou presque).

YBS est donc ton premier jeu publié… pour autant, en qualité d’auteur, tu n’en es pas à tes débuts. Qu’est-ce que tu as dû revoir ou ajuster dans ta manière d’écrire pour opérer la transition entre une écriture romancée et une création interactive destinée à être pratiquée par d’autres ?

Ce travail d’écriture a été un sacré défi.
Oui, c’est un exercice bien différent de ce que j’ai pratiqué jusque-là.
Les trois premiers galops d’essai ont été l’occasion de se rendre compte d’une chose qui tombe sous le sens :
Ce qui est évident pour l’auteur ne l’est pas forcément pour le lecteur.
La réalisation de la bande dessinée est peut-être ce qui a été le plus formateur ; parce que le nombre de pages est limité (il faut jeter pour conserver le meilleur plutôt qu’ajouter) et qu’il faut apprendre à varier angles et points de vue pour aspirer le lecteur dans l’histoire tout en évitant qu’il ne s’y lasse.
Cette BD n’est pas une réussite bien qu’elle se tienne, mais elle m’a permis de toucher du doigt toute l’importance du rythme dans un récit.
Ce que j’ai dû changer dans ma méthode de travail pour YBS ?
Il m’a fallu d’abord freiner mes ardeurs, faire preuve de patience et me méfier de mes propres intuitions.
Pour ça Aurélien m’a bien aidé en m’enjoignant à temporiser et à ne pas me lancer immédiatement dans l’écriture.
Pendant longtemps ça a été une bataille avec des schémas et croquis organisationnels, puis tout a commencé à se décanter.
J’ai malgré tout pris quelques risques en écrivant une partie des scénarios sans être certain de retomber sur mes pattes. Dans le cas d’un roman, l’ossature du récit peut être mise en place assez rapidement et être étoffée ensuite.
Là, il s’agissait quand même d’une saga étalée sur douze mois, censée présenter divers points de vue sur les événements qui perturbent la ville.
Il fallait garder une cohérence au fil des 12 nouvelles tout en variant les points de vue.
Faire écrire chaque nouvelle par une personne différente aurait été l’idéal pour montrer l’action passée au filtre de divers individus ; le ressenti de chaque acteur de cette épopée sous-tend la thématique de « théorie du complot ».
Où se trouve la vérité dans tous ces témoignages ?
Pour que la forme suive le fond, il m’a fallu, autant que faire se peut, varier les styles comme s’il s’agissait d’une compilation de nouvelles rédigées par différentes personnes.
Ensuite, le gros défi a été de dépeindre un univers qui soit intelligible par le lecteur en un nombre limité de pages, en partant du principe qu’il ne connaît pas ou peu le Japon et réussir à maintenir des zones d’ombre pour titiller sa curiosité et le pousser à investir ce qui reste volontairement non défini.

Et au fait, ton rapport au jeu de rôle, il consiste en quoi ?
Vivant au Japon depuis une paires d’années, tu vois de grandes différences entre la pratique que l’on peut en avoir entre « occidentaux » et ce qui se fait là-bas ?

J’ai relativement peu d’éléments pour comparer les deux cultures de jeu.
Mes dernières parties de jeu de rôle en France remontent à la période étudiante. J’en garde malgré tout un souvenir assez précis. C’étaient des parties de Donjons & Dragons.
Ces trois dernières années, je n’ai joué que trois parties de Cthulhu7 menées par ma collègue de travail Tadokoro Mana. Je discute souvent avec elle de la scène rôliste au Japon.
Sa préférence va aux sessions en mode analogue, face à face.
Mais elle joue énormément en ligne (Corona oblige). D’après elle, c’est le jeu par le biais d’interfaces qui a le plus de succès.
Les Japonais remettent tout à leur sauce.
Je pense que les couvertures de manuels ou de recueils de scénarios pour Cthulhu ont de quoi faire sourire. Pas sûr que Lovecraft aurait apprécié !

J’ai l’impression que les joueurs japonais ne rechignent pas à utiliser les termes techniques du système en cours de partie.
Moi, ça me fait sortir de l’histoire… Encore une fois, je n’ai pas assez de bouteille pour dégager une différence évidente entre les deux cultures. Toutefois, le compte-rendu de partie en mode roman (replay) semble avoir beaucoup de succès pour son côté immersif.

Bien, rentrons un peu plus avant dans YBS… Le jeu est donc actuellement en financement sur le site de LETO, mais pour autant, il est prêt. Ça représente quoi en terme de durée la création de cet univers (car, rappelons-le tu es aussi bien aux textes qu’aux illustrations ou encore à la maquette, avec Julien Dejaeger8 à tes côtés) ?

La rédaction de Yuigahama Bad Seeds a débuté après octobre 2020 (date de la première visite à Yuigahama). Pendant un peu plus d’un an, Aurélien m’a épaulé après que je lui ai présenté l’ébauche du projet.
À cette époque, la maquette que j’ai bricolée avec le logiciel gratuit Scribus n’est encore composée que de 150 pages et ne contient que la première nouvelle.
Le tout est encore brouillon, avec certains chapitres pas positionnés de manière très logique.
Aurélien m’a aidé à réorganiser le tout et à remettre d’aplomb pas mal de choses bancales.
On a dû échanger pas moins de 400 mails en un an. Un travail de fou !
Aurélien a fait tout ça totalement bénévolement.
Sans lui, j’aurais jeté l’éponge un bon nombre de fois.
Quand on a obtenu quelque chose de correct, j’ai commencé à démarcher des éditeurs et fini par faire la connaissance de Laurent Rambour9 et Jérôme Isnard10 de chez LETO.
Jérôme a pris le relai d’Aurélien et fait un travail formidable pour que l’on assume plus franchement certains aspects du jeu.
Tout comme avec Aurélien, ça a été une longue partie de ping-pong, un échange très agréable et sans concession sur la qualité, pendant lequel les idées jaillissaient.
Julien Dejaeger a gentiment accepté beaucoup de mes caprices pendant la finalisation de la maquette et trouvé plein de solutions à des problèmes de mise en page.
Pendant plus de deux ans, j’ai mis ma vie privée entre parenthèses pour écrire et illustrer le manuel, le soir après le labeur chez mon employeur.
Je pense qu’Aurélien, Jérôme et Laurent ont également fait de gros sacrifices. Merci à eux !

Pour ce qui est du système de jeu, tu as bossé avec Aurélien Trotignon11, et vous nous avez trouvé une approche assez légère des mécaniques régissant YBS.
En général dans le milieu du jeu de rôle, on distingue deux grandes écoles… 
1 : Tu prends Chtulhu et tu adaptes
2 : System does matter
Personnellement, j’appartiens à la deuxième école et trouve important qu’un système, en tant qu’interface principale entre joueurs et univers, vienne soutenir le propos du jeu. 
J’ai bien l’impression que c’est le cas ici, aussi je te pose directement la question.
Qu’est-ce que vous avez tenu à mettre en avant au travers des mécaniques et comment vous vous y êtes pris ?

Tu prends Cthulhu et tu adaptes…? Ouais, mais là non !

Le point le plus important pour nous a été de préserver une certaine fluidité dans les échanges MJ – Joueuses / Joueurs.
Le système est un support pour des interactions entre les PJ et les éléments antagonistes. Mais il a été pensé pour s’effacer autant que possible devant la narration.
Il y a un plaisir dans YBS à manier les dés et à essayer de trouver la meilleure occasion pour utiliser les jetons « Unmei ». Ce couplage dés-jetons offre des possibilités au joueur pour faire levier sur le déroulement du récit et parfois même prendre la parole à la place du MJ.
C’est un système qui peut paraître simpliste au premier regard, mais qui laisse en réalité au joueur la liberté de mettre en place certaines stratégies ; accepter ses ratages de test et conserver ses jetons Unmei pour frapper un grand coup plus tard ou au contraire forcer le destin en puisant dans sa réserve de jetons.
Assister un joueur acteur en acceptant de se délester de sa réserve de jetons ou thésauriser pour venir en aide aux autres à un moment crucial.
Ce type de pari que les Japonais appellent « Kakehiki » n’est pas compliqué à assimiler, car il repose sur des règles simples. Il permet aussi de matérialiser l’entraide entre joueurs.
L’intérêt n’est pas d’amasser le plus de pièces d’or possible pour gagner des niveaux, mais d’utiliser intelligemment les jetons pour parvenir à ses fins.
Pas de comptes d’apothicaire ou de ralentissement subit du temps pour simuler les combats : priorité à la rapidité des résolutions et au plaisir de tisser la trame du récit ensemble.

Énormément de jeux qui sortent (encore actuellement), optent pour un cadre très large dans les possibilités qu’il offre aux joueurs (le fameux « vous pouvez tout jouer »), et bien souvent hélas, une fois qu’on nous as dit ça, c’est « débrouillez-vous, nous on a fait notre boulot ».
Avec YBS, les possibilités sont certes nombreuses (nous y reviendrons), mais néanmoins viennent avec le jeu pas moins de 12 scénarios, étalés sur les 12 mois d’une année. 
Tu nous expliquerais un peu plus avant ton choix de format pour ces scénarios ?

Yuigahama est un cadre pour jeu de rôle, tout ce qu’il y a de plus étroit.
Si l’on ne compte que les quartiers habités, la surface n’atteint même pas le kilomètre carré !
La population est grosso-modo de 5000 personnes (sans doute beaucoup plus l’été) ; c’est un petit village.
Ce qui fait la richesse de ce jeu et son potentiel, c’est l’éventail de possibilités très large de ce qui se produit sur ce petit terrain.
C’est l’endroit idéal pour mettre en scène cette société village qui caractérise si bien le Japon hors mégalopole.

Chacun y est très soucieux de ce que pense le voisin ; on s’épie en se faisant des courbettes, on se jauge. Les gens se connaissent plus ou moins de vue. Les rumeurs circulent (vous n’imaginez pas le nombre de proverbes en japonais concernant le mot « rumeur »).
Le manuel laisse effectivement beaucoup de liberté pour mettre en scène ce qui se déroule en ville, mais est suffisamment documenté pour planter efficacement le décor.
Les joueuses / joueurs ayant lu sérieusement le setting, quel que soit le choix de leur personnage ne seront pas perdus.
Les 12 scénarios sont effectivement en eux-mêmes un guide pour comprendre une certaine « japonité ».
En filigrane se ressent l’esprit japonais, un curieux mélange de résilience et de fatalisme.
L’épopée étalée sur 12 mois permet également de cerner ce qui rythme la vie du peuple japonais, son sens de l’honneur, une certaine propension à réagir de manière extrême sous la pression.
Les Japonais s’émerveillent devant les transformations qu’apportent les changements de saison.
Un récit sur un an montrant ce qui peut arriver quand ce rythme se dérègle me paraît être la meilleure formule pour mettre à profit tout le potentiel de la ville.

Généralement, quand un jeu est livré avec autant de matériel de jeu, on n’est pas loin du burst, c’est à dire plus ou moins une campagne/jeu à usage unique, qui une fois jouée, aura fait le tour des points forts du jeu (et de son intérêt).
Est-ce que c’est ce que vous avez mis en place ici, ou est-ce que c’est un peu plus compliqué que ça ?

Je pense que c’est un peu plus compliqué que ça.
Mais ça dépendra beaucoup de l’inventivité du MJ et des participants.
Si le jeu est joué en campagne, il y a bien une chute lors du dernier opus.
En révéler la nature gâcherait le plaisir de jouer.
Ce que je peux dire, c’est qu’un effort a été fait pour augmenter sensiblement la durée de vie du jeu au-delà des 12 mois de scénarios.
On peut clairement continuer à jouer à YBS une fois la campagne terminée.
Il y a tant à exploiter dans cette ville, sans compter sur ce que chaque table de jeu va inventer !

Quand on lit le jeu, on s’aperçoit qu’au delà d’un cadre de jeu bien défini (pour rappel, une station balnéaire japonaise qui se remet d’une « catastrophe écologique » étrange et vit plus ou moins coupée du reste du monde), une très grande liberté est laissée aux maîtres de jeu quant aux explications derrière la situation, ce qui fait qu’il y a très peu de chances que deux tables de YBS se ressemblent à l’arrivée. 
C’est un choix de game design assez fort et qui pourra laisser certains utilisateurs perplexes (Comment !?! Un jeu à secrets sans les secrets ?!?)…
Vous en êtes venus comment à choisir cette approche ?

Mais puisqu’on te dit que le Japon ne se résume pas à Akira ou One Piece… il y a aussi les stations balnéaires.

Ce point divise pas mal de monde.
Je ne regrette pas ce choix de laisser les coudées franches au MJ pour développer ce qui lui plait à lui et à sa table (je ne nie pas que ça demande un peu plus de travail).
Il est libre de faire des arrangements, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait aucun élément de réponse aux mystères dans le manuel. Les choses y sont suggérées plus qu’imposées.
Il est tout à fait possible de jouer la campagne telle qu’elle est sans opérer de grands changements.
Comment est-il possible de laisser traîner le mystère si longtemps sans en révéler un « gros morceau » ?
Tout est une question de dosage dans la manière de présenter les indices.
Il faut se souvenir que les PJ évoluent dans une ville où tout commence à dysfonctionner.
C’est une petite bourgade sans gros laboratoire d’analyse. Les preuves trouvées sont difficiles à interpréter ; on joue des gens « normaux », pas des scientifiques capables de passer au crible tout ce qui traîne sur le terrain.
Par ailleurs, je trouverais dommage de graver dans le marbre tout ce qui sous-tend les intrigues dans YBS.
Ce serait juguler d’entrée de jeu l’inventivité du MJ ; qui connaissant les tenants et les aboutissants guiderait inconsciemment les participants vers un but trop défini.
Savoir ce qui se passe réellement est-il le seul point important de ce jeu ?
Offrir aux participants quelques éléments de réponse aux mystères est nécessaire pour maintenir leur motivation.
Mais ce n’est pas l’unique centre d’intérêt de YBS.
Comment évoluer dans un tel environnement ?
Comment faire la part des choses avec toutes ces rumeurs ?
Comment défendre ses intérêts quand la tension est à son comble et que chacun tente de tirer la couverture à soi?
Les scénarios offrent bien d’autres plaisirs que la seule élucidation de mystères.
Oui, à chaque table, un déroulé de partie différent !
Vive Raymond Queneau12 et ses Exercices de styles !

ce livre est magique… si vous ne l’avez jamais lu, jetez vous dessus !

Avec LETO, vous avez fait le choix de diffuser le pdf du jeu auprès des souscripteurs durant le financement du jeu, et ce quelque soit le résultat de ce dernier.
À mon sens, c’est très chouette, car ainsi, quoiqu’il advienne, le jeu pourra vivre…
Toutefois, il y a un petit effet de bord à agir ainsi, qui est que « tout le monde » va vouloir y aller de son conseil « bienveillant » par rapport à ce que « pourrait encore devenir le jeu » (non ma bonne dame, les rôlistes ne sont bien sûr ni pointilleux, ni des créatures d’habitudes à la dent dure persuadées d’être individuellement universelles en matière de bon goût 😅).
Par conséquent, vous gérez comment les différents retours que vous avez sur le jeu (autant toi que tes collègues et éditeurs), et (question à tiroirs) comment on s’y prend pour porter sa vision d’auteur envers et contre tous (ou pas) ?

J’avoue que c’est un des aspects de la campagne auquel je ne m’attendais pas.
Qu’il y ait des difficultés à convaincre quand on est inconnu et qu’on propose un jeu au format et au thème inhabituel, ça n’a rien de surprenant.
En revanche, certains retours en pleine campagne de financement ont bien failli me désarçonner.
Quand on a couvé son bébé pendant longtemps, et que quelqu’un dit soudain « Il serait mieux avec les cheveux roses » ou « Je n’aime pas son nom », c’est parfois dur à encaisser.
Mais à présent, je pense que c’est une occasion de tester ses propres convictions.
Est-ce qu’on garde le cap ou est-ce qu’on lâche du lest face à la critique ?
Comme pour le rugby (que j’adore) ; comment savoir ce qu’on vaut si on évite d’aller au contact ?
C’est sans doute ça de plonger dans le grand bain. On prend des coups, c’est formateur.
Par ailleurs, il y a parfois des retours constructifs.
Des choses auxquelles on n’avait pas pensé parce que trop occupé à pédaler la tête dans le guidon.
Par chance, la plupart du temps ce ne sont pas des suggestions qui, si elles étaient intégrées, dénatureraient l’esprit du jeu.
La gestion de ces retours est assez simple.
Spontanément, une liste des doléances a été créée (merci Aurélien).
Tout est stocké et étudié au cas par cas. On en débat quand il s’agit de micro réglages qui n’impliquent pas une refonte totale de l’ouvrage et quand ces suggestions paraissent en accord avec l’esprit du jeu.
Je me permets pour ma part de dire non, quand par exemple quelqu’un demande à ce que le système soit complexifié pour correspondre un peu plus à ce qu’il connaît.
Il n’y a pas d’intérêt à produire le clone de jeux déjà existants. YBS a son propre ADN ; d’après Eldon Tyrell13, reconfigurer brutalement cet ADN pourrait amener la mort du sujet avant même qu’il ne quitte la table d’opération.
Des réglages sur l’ergonomie, oui. Une chirurgie plastique lourde, non 😊

Alors comme ça, tu veux qu’on change les règles ?

Enfin, si tu vois quelque chose à ajouter, fais-toi plaisir, la place est à toi.

C’est probablement un vœu pieux (pieu de bois, dégâts +2), mais j’aimerais que le jeu de rôle se démocratise un peu plus.
Pas pour la gloriole ou l’argent.
Plutôt parce que c’est un média que je trouve passionnant.
Faire travailler l’imaginaire, assouvir des rêves sous la forme du jdr, c’est quelque chose à laquelle chacun devrait pouvoir goûter.
Je pense qu’en temps de crise, c’est à l’industrie du jdr de redéfinir ses propres limites, et pourquoi pas, de partir à l’assaut d’un nouveau public.
YBS est une création hybride conçue pour être abordable par tout type de lecteur (son format, le choix du système basé sur le dé six, son aspect “carnet de voyage”). J’espère que, même à petite échelle, elle permettra de faire découvrir le jeu de rôle à des personnes ignorant tout de ce domaine.
YBS est considéré pour le moment comme un jeu de niche.

Allé, venez les gens, ça va être fun

J’espère qu’il séduira au contraire des joueurs de tout acabit.
Redéfinir les limites…
Pour faire un parallèle avec le domaine du jeu vidéo au Japon : les développeurs ont longtemps misé sur les jeux sur smartphone facilement monétisables pour jouir d’un profit rapide auprès d’un public large.
Mais avec leurs jeux simplistes, ils ont eux-mêmes fait du consommateur un joueur capricieux qui se lasse très vite (je ne dis pas qu’il faille revenir au jeu sans sauvegarde, mais…).
Je pense que le jeu de rôle souffre du phénomène inverse.
Les jeux proposés sont de qualité, mais s’adressent à un public d’initiés. 
Conquérir un nouveau public et proposer de nouvelles formules de jdr est un pari audacieux et risqué.
Pour cette raison, j’ai beaucoup de respect pour Laurent Rambour qui a misé sur le jeu d’un inconnu et tenté de proposer une expérience différente, à 500 coudées du « mainstream ».

Mainstream ou pas, simple ou pas, fictif ou réaliste, le jeu de rôle nous prouve ici une fois de plus qu’il peut revétir énormément d’aspects différents et que de nos jours, absolument tout le monde peut trouver jeu à son pied (enfin…).
Je remercie Frédéric pour le temps qu’il a consacré à répondre à mes questions, entre travail, financement participatif qui bat son plein, re travail et fêtes de fin d’année, ce n’était pas forcément le moment le plus propice à se poser une heure pour satisfaire la curiosité d’un rôliste bavard.
Je ne peux que vous encourager à aller jeter un oeil sur la page du financement de Yuigahama Bad Seeds, si ce n’est déjà fait, afin de vous faire votre propre idée sur le jeu, pour ma part, j’adore ce que j’en ai lu.
Sur ces bonnes paroles, je vais filer finir la lecture des 12 nouvelles qui constituent la campagne du livre de base (et si possible faire tester le jeu à mes cobayes habituels)
afin de vous faire un retour avant la fin de la souscription.
Mata aimashō.

En bonus, le lien vers le fichier pdf présentant 29 pages du jeu

Propos de Frédéric BESSY recueillis par David BARTHELEMY

Notes et Références :

1 LETO Games
2 Cobra
3 Kabbale
4 One %
5 Against the Dark Master
6 Le gourmet solitaire
7 Cthulhu (l’appel de)
8 Julien Dejaeger
9 Laurent rambour
10 Jérôme Isnard
11 Aurélien Trotignon (entretien sur la chaîne Vieux Geeks)
12 Raymond Queneau
13 Eldon Tyrell

Retour de lecture

Ce que j’en pense : Imperium 5 Rebuild 0 chez Obhéa Editions

Ma pauv’ dame, aujourd’hui tout augmente !

Fort de ce triste constat réalisé en cherchant à équilibrer mon budget, entre plein de la voiture, achat de fioul pour l’hiver, maintient de l’accès à l’électricité et préparation de Noël, je suis arrivé à cette triste conclusion :
C’est la fin de l’abondance… et par là, la fin des achats impulsifs/compulsifs de tous les jdr qui sortent, que ce fut par curiosité, réel intérêt ou soutien à l’édition de ce petit milieu fragile (je n’ai pas dit « de fragiles », attention).
Barf, en bon philosophe formé par les Monty Python¹ , mâtiné d’un nihilisme/j’m’enfoutisme de bon aloi, c’est en sifflotant « always look on the bright side of life » que je me suis campé devant mes étagères, me faisant la réflexion que j’avais malgré tout quelques années de lectures en retard devant moi pour tromper ma frustration.
Tout naturellement, mon premier choix s’est porté sur le kit d’introduction d’Imperium 5 (chez Obhéa Editions²), histoire de me changer les idées du marasme actuel en plongeant dans des intrigues cyberpunkesque entre Nobles nantis, Corpos-états toutes puissantes, crises idéologiques et technologiques teintées de survivalisme, dans un monde où tout n’est plus qu’artifices.
Malin le type 😃

Ce retour de lecture sera un peu plus court et moins structuré que les précédents, et ce pour plusieurs raisons. La première, à moins de les tester en jeu (ce qui n’est pas trop possible dans l’immédiat, ayant déjà pas mal de choses sur le feu), je ne suis pas sûr de comprendre tout ce que j’ai lu des règles, donc pour vous les présenter efficacement, ce n’est pas gagné. La deuxième, c’est un jeu qui s’annonce très riche au niveau de sa toile de fond, et surtout, il s’agit de la première pièce d’un multivers promettant de fort belles choses…
J’ai donc récupéré le kit l’année dernière à Octogones³, profitant du début du salon pour discuter avec une partie l’équipe derrière le jeu (Patrick Massaad⁴ l’auteur, ainsi que deux illustratrices bourrées de talent, Naïki et Mélanie Ret) qui m’a convaincu de tout le potentiel de cet univers.

Vive les salons… ce fut pour moi l’occasion de faire son baptême de dédicace à Patrick 😃

Dans Imperium 5, le monde se remet peu à peu d’un cataclysme qui a provoqué l’effacement de la mémoire d’à peu près tout le monde, à une ère où la technologie confinait au divin, permettant entre autre de sauvegarder des individus et les recréer « à l’identique » en cas d’accident tragique, de les « augmenter » au besoin ou encore de parcourir le monde en quelques minutes. Après le Crash Quantique qui a en quelque sorte rebooté l’humanité, quelques grandes organisations ont repris les choses en main. L’ADM, les Imperiums, les Nobilis et quelques autres factions plus confidentielles dirigent le monde au plus proche de leurs intérêts respectifs, nous proposant un joli panier de crabe de puissantes corpos et de riches individus, au sein duquel tous les coups sont permis (en restant discret bien sûr) pour assoir sa supériorité.
Les joueurs devront évoluer au milieu de ce gloubiboulga d’intérêts conflictuels en se serrant les coudes (ou pas) pour faire progresser leur Entente et avoir un impact sur le monde au travers de leurs agissements. Comme les choses sont présentées dans le kit, leurs peaux ne vaudront guère plus pour leurs commanditaires que celle du runner moyen pour son Johnson à Shadowrun⁵, à la différence près qu’ici, la mort n’est pas forcément définitive grâce au Rebuild, la fameuse technologie permettant de recréer les individus.

Niveau paysage, j’espère que vous aimez le béton, car la surface de la terre n’est plus recouverte que de constructions s’empilant les unes sur les autres au fil des âges. La nature a disparu, remplacée par de vastes structures métalliques (souvent pyramidales), certaines abritant des complexes industrielles, d’autres des cités ou des palaces (les capitales des différents Imperium, les états de ce monde) dont quelques-unes totalement closes, protégeant des mystères oubliés qui ne demandent qu’à être re-découverts par cette « nouvelle » humanité.

Vous le sentez le bon air champêtre ?

Vous l’aurez compris, les maîtres mots de cet univers sont donc : bienveillance, espoir, entraide et amour… Non ?
Côté mécaniques, Imperium 5 prend le parti de proposer un jeu encourageant la narration et dispose d’un système qui lui est propre, utilisant des dés 8 que seuls les joueurs seront amenés à manipuler, le MJ se concentrant sur ses propres outils narratifs et l’ambiance autour de la table.
C’est un postulat très louable auquel j’adhère complètement, mais que je trouve (en attendant d’avoir pu tester) en l’état, desservi par le système. Comme je n’aime pas balancer gratuitement des saloperies à la face de celles et ceux qui font vivre le jdr, je vais essayer de m’expliquer, surtout que cela tient sans doute pour beaucoup à ma propre pratique et au niveau d’investissement que je suis prêt à fournir pour un nouveau jeu aujourd’hui.

Premier point à soulever, à l’instar d’un Insectopia⁶ par exemple, il y a ici énormément de vocabulaire spécifique au jeu. Alors niveau immersion, c’est sûr que ça fonctionne. Par contre, il faut l’intégrer, le digérer, puis le transmettre ensuite aux joueurs, ce qui n’est pas forcément mon étape favorite dans la découverte d’un jeu… pour la simple raison évoquée plus haut : je n’en ai plus le temps. Car oui, Imperium 5 nécessite que l’on lui consacre du temps et de l’attention.

Deuxième point, le système à proprement parler.
Donc, encourager la narration dans un jdr, c’est très honorable. Pourtant ici, j’ai le sentiment (très personnel) que cela est desservi par un corpus de règles assez touffu.
Au final, beaucoup de choses sont régies par une gestion de points que les joueurs obtiennent en résultats de leurs lancés de dés.
La dépense de ces points va ensuite conditionner les actions de la scène en cours, englobant ainsi les actions « génériques », les dégâts en cas de combat, l’utilisation de capacités/matériel des personnages etc.
Selon moi, un jeu encourageant la narration devrait idéalement se dégager au maximum de ces différents aspects d’un point de vue mécanique (par exemple, je ne visualise pas en quoi l’utilisation du pistolet que j’ai effectivement dans ma poche, devrait être soumise à une dépense de points quelconque pour être effective…?) et miser autant que faire se peut sur les descriptions des participants.

Troisième point, l’univers est très intriguant (ce qui est une fois de plus, une bonne chose), remplit de factions, de mystères, d’enjeux et de possibilités pour les personnages.
Ceci étant dit, comme il s’agit d’un kit d’introduction, tous ces points ne sont que survolés (voire évoqués) et ne donnent pas les clés permettant à mon sens à un maître de jeu d’en tirer quelque chose à sa table sans prendre le risque de partir complètement à l’opposé de la vision de l’auteur. Je me trouve donc devant un paradoxe consistant à disposer d’une multitude d’éléments… sans pouvoir m’appuyer réellement dessus pour jouer.
C’est à ça que sert le scénario me direz-vous fort à propos.
Hé bien oui et non. Le scénario proposé est (toujours à mon sens) plutôt une grande scène d’action, dont le but serait de tester le système, qu’une réelle porte d’entrée dans l’univers.
J’en reviens au manque d’infos « utiles » dans la présentation du monde, car il me paraît terriblement hasardeux de tenter de développer un avant ou un après sur la base des connaissances à disposition.
Donc, j’ai sous la main une scène… et voilà.
Autant dire que si je me lance comme ça, mes joueurs vont chercher à me trucider, à coup sûr.

Le sommaire du livret scénario

Comme bien souvent (hélas), ma lecture du système fut entrecoupée de multiples interventions auprès de mes enfants, ce qui a certainement joué dans la confusion que j’ai ressenti entre l’intention de l’auteur et la mise en application dans le jeu… d’avance, toutes mes confuses si c’est bien le cas 😅
Il ne faut pas perdre de vue non plus qu’il s’agit d’un kit d’introduction, d’une version beta et non d’un jeu « finit », dont les textes seraient gravés dans le marbre.
En effet, ce kit est destiné à confronter le jeu au public, afin d’en poursuivre le développement suite aux différents retours de celles et ceux qui l’auront pratiqué.
Une fois de plus, une bonne idée (et pour le coup très participative).
Je confesse ne pas avoir fouillé intensivement internet pour dénicher la fameuse section dédiée au retours (que je n’ai hélas pas trouvée sur le site de l’éditeur) et ne saurait, par conséquent, attester de l’efficacité de la démarche.

Maintenant, il faut tout de même souligner (car à me lire jusqu’ici on peut se dire « à quoi bon ? ») que ce qui est proposé dans les pages du kit m’a particulièrement accroché.
Nous avons un univers très typé, possédant une identité forte, qui permet enfin d’aborder le cyberpunk sous un angle différent de ce que l’on trouve sur le marché actuel (et passé) du Jdr.
Les possibilités paraissent assez énormes, tant au niveau action, politique ou mystique que philosophique (je me comprends, vos joueurs ne vous pondront vraisemblablement pas une thèse sur l’existentialisme, mais il y a largement de quoi les faire reflechir). Tout ce qui concerne l’aspect visuel est particulièrement léché, qu’il s’agisse de la maquette ou des illustrations, et fonctionnel… bref, c’est beau et on sent clairement la passion qui est derrière cet univers.

Pour conlure, un financement participatif de la version « finale » d’Imperium 5 est prévu pour mars 2023, aussi je surveillerai attentivement ce qui sera proposé à cette occasion, car je reste intrigué par ce jeu dont l’univers me vend du rêve.
Le kit souffre à mon sens avant tout d’un défaut de positionnement clair quant à ce qu’il propose, naviguant quelque part entre le teaser et le format découverte, sans toutefois pleinement cocher les cases de l’un ou de l’autre, et il n’est pas facile pour moi d’écrire dessus tellement j’ai envie d’aimer ce jeu, mais estime ne pas avoir encore ce qu’il faut à me mettre sous la dent (dure parfois) pour le faire en pleine connaissance de cause.
Enfin, pour clarifier tout ça (tant pour moi que pour vous), je vais solliciter le principal maître d’œuvre derrière Imperium 5 pour qu’il nous expose ses intentions et projets (et me mette bien le nez dedans si j’ai tout compris de travers 😅) dans un très prochain entretien…

Affaire à suivre.

Rédigé par David BARTHÉLÉMY

Notes et Références :

¹ Monthy Python
² Obhéa Editions
³ Octogônes
Patrick Massaad
Shadowrun
Insectopia

Focus

Entretien avec les Éditions Sethmes autour de la sortie de Noc (mais pas que…)

Bonjour à vous gens de Sethmes¹

Ça fait un moment que je prévois de vous faire subir mon insatiable curiosité (mea culpa), passe mon temps à zapper, me faire déborder par d’autres contingences plus terre à terre (« Comment ? Vous me dites que ça fait 5 ans que mes toilettes vidangent joyeusement sous ma maison sans même faire l’effort de passer par la fosse septique ?!?) et de me dire régulièrement au cours de brefs accès de lucidité (bien souvent nuitamment, entre deux « Papaaaaaa… faut que j’aille aux toilettes… » me tirant d’un sommeil que j’ai déjà léger) :

 « Haaaa !!! Mais damned, ce n’est pas sérieux, j’ai encore oublié ! »

La dernière fois que j’ai dû vous dire que l’on se programmait un entretien « pour très vite » doit déjà remonter à Octogones 2021… j’ai honte.
Mais comme il n’est jamais trop tard pour bien faire et que l’alignement des planètes (enfants au centre de loisir pour la semaine et livraison de NOC² aux souscripteurs) concorde avec l’un de mes sursauts nocturne, me revoici, cette fois fermement décidé à vous passer au grill.
Donc après Etherne³, Kemi⁴ et Aventure dans le Monde Intérieur⁵, votre dernier né NOC débarque dans les chaumières, nous promettant de forts beaux moments de jeu.
C’est le signal, j’attaque donc et vous laisse la parole pour nous éclairer sur ce jeu, mais pas que… ce serait trop facile.

NOC m’a tout l’air d’être très bien parti pour devenir le pavé dans la mare du jdr français 2022. On l’avait senti venir avec le kit d’initiation, mais au fur et à mesure que les retours sur les différents livres de la gamme arrivent, cela semble se confirmer. Vous construisez comment un projet de cette envergure ?

MC : Avant toute chose, merci pour ces mots qui nous touchent beaucoup.
En réalité, je n’avais pas l’impression que nous ayons réalisé un projet aussi massif. C’est seulement une fois tous les objets sortis des usines et étalés sur la table que j’ai constaté que ça faisait, effectivement… beaucoup.

Notre méthode a consisté avant tout, à prendre du plaisir à ce qu’on faisait. Ensuite, à ne pas se fixer de limites à priori. Pas mal de personnes nous ont dit que le kit d’introduction était trop gros, le setting trop complexe, le style trop littéraire, le financement participatif trop généreux. Mais, à chaque fois, je ne me voyais pas faire moins. Parce qu’on ne cherchait pas à optimiser ou à “coller au marché”. On cherchait à offrir l’expérience qu’on aurait aimé qu’on nous propose.
Lors de la composition, à chaque étape, il s’est agi de beaucoup brainstormer avant de se lancer (les bonnes idées se précisent rapidement lorsqu’elles sont soumises au groupe), de ne jamais travailler pour rien, de réexploiter au maximum la matière pré-existante, de trouver des techniques réplicables afin de concentrer les efforts sur les aspects particuliers de chaque élément.
Pour finir par le plus important, un projet comme NOC exige d’être bien entouré. Avoir des personnes autonomes, compétentes, investies et ayant parfaitement compris le sens du projet. Cela permet d’avancer de concert en limitant les engorgements, les crises, les retours en arrière. Des illustrateurs au prestataire d’impression, des relectrices aux rédacteurs, de Pierre à la Musique à Cédric à la maquette, chaque Ministère avait un administrateur doué et implacable.

CC : Il me semble qu’un paramètre important est la clarté de la vision initiale du projet, de la proposition et de la trajectoire de la gamme. Cette trajectoire, c’est celle de Mikaël et de Blackened, le projet d’origine. S’il reste beaucoup de latitude et énormément de choses à explorer et détailler, les principes fondamentaux ont dès le départ constitué un socle solide, une grille au sein de laquelle toutes les productions peuvent s’insérer. Le risque aurait été de se perdre en cours de route, de se fasciner ou s’abîmer dans un aspect particulier du contexte ou du jeu. Mais les secrets et directions exposées d’ailleurs dès le livre de base définissent un cadre, entretiennent une tension qui favorise les convergences et la cohérence de l’ensemble.

Et quelles contraintes « fortes » vous êtes vous imposés pour garder à la fois la maîtrise de l’univers et celle du matériel de jeu ?

MC : NOC ne sort pas du néant. Il est une nouvelle édition amplifiée de Blackened, jeu de rôle diffusé gratuitement au début des années 2000. Les textes de ce dernier ont servi de guide et carcan. Ensuite, il y a eu beaucoup de discussions et d’appropriation de la part de tout le monde. Évidemment, malgré toutes ces précautions, il était nécessaire d’avoir un gardien du contexte, quelqu’un doté de la vision d’ensemble. J’étais prêt à assumer ce rôle, mais je n’en ai pas eu besoin. Malgré sa complexité, le background de NOC a quelque chose d’assez “évident”. Les réflexes y sont vite acquis.


(Cadeau bonus, le numero 07 de Jeux d’Ombres de 2008, notamment sur Blackened, avec quelques noms dans l’ours qui devraient vous dire quelque chose si vous êtes accrocs à la chose ludique)

CC : Les contraintes sont celles que j’évoquais plus haut. L’existence de Blackened et la réflexion préalable sur le périmètre du jeu ont guidé le travail. Compte tenu de l’immersion de l’équipe dans l’univers, les contraintes ont à mon sens été perçues comme des garde-fous salutaires puis intégrées.

Pour ma part, je n’ai encore lu que le kit d’introduction (qui mettait salement l’eau à la bouche) et ne peut donc que présumer du contenu des livres sortis. J’ai en effet soigneusement évité les différents feuilletages, présentations et autres analyses dans les médias rôlistes, afin de rester « pur » lors de ma future exploration des bouquins. Ceci dit, devant l’ampleur de la chose, une question me taraude… vous en avez gardé sous le coude pour un développement de gamme, ou nous avons là l’essentiel de ce qui doit être amené à constituer le cœur de NOC ?

MC : Le livre de base contient la réponse à cette question, puisque la trajectoire de la gamme y est tracée. Nous savons depuis le début que l’expérience de NOC sera articulée autour de quatre ouvrages majeurs : le livre de base, la campagne, un supplément de “haut niveau” et un supplément de clôture. Il y aura également d’autres extensions en parallèle, pour étendre certains points du setting ou des règles. Le livre de base de NOC est suffisant pour jouer des citoyens sceptiques dans le cadre d’un Bloc, mais ce n’est que le début du chemin. 

Bon, NOC ça déboite (on l’aura compris), mais dans un autre style, mon premier coup de cœur pour les jeux que vous proposez, ça reste Aventure dans le Monde Intérieur. Je me souviens très bien du premier feuilletage du livre de base et de ce qui m’avait paru alors un grand vent de fraîcheur, tant dans les mécaniques du jeu que dans l’usage du thème de la terre creuse (avec une mention spéciale pour les Ouvrages à gérer entre les parties)… Donc, là où tout le monde vous harcèle avec NOC, je vais plutôt attaquer sur vos plans concernant le futur de A.M.I, maintenant que vous avez en avez récupéré l’exploitation… alors, alors ?

AMI c’est bon, mangez-en !!!

MC : Encore une fois : merci. Les derniers mots que j’ai écrits pour AMI datent de plus de 10 ans, et c’est très émouvant pour moi de voir, si longtemps après, que le Ventre-Monde possède ce capital sympathie.
Nous avons effectivement récupéré les droits sur la licence et travaillons à la suite de la gamme pour 2023. Une nouvelle édition n’est PAS prévue car, même si nous pourrions faire mieux et plus joli avec la force de frappe de Sethmes, je considère que le livre de base et les suppléments restent respectables et je ne pense pas que les joueurs d’AMI attendent une refonte (et à devoir repayer pour la même chose…). Ils veulent repasser leur sac d’aventurier sur le dos et reprendre le voyage. La prochaine étape pour AMI sera donc la sorti d’une nouvelle extension dans le style des Almanachs Arcadiens⁶. Le nom changera, pour marquer de début de cette nouvelle ère, mais l’esprit sera le même. Ce supplément tournera autour de la civilisation d’Agartha et contiendra une campagne. Il sera offert à tous les souscripteurs de l’Almanach Arcadien 3, qui se reconnaitront et sauront de quoi je parle.

Pour rappel, vous êtes des bâtisseurs d’univers (pour sûr) et à ce titre, ne vous limitez pas au seul Jeu de Rôle. Kemi a bénéficié de son roman (Sennefer, les larmes de Kemi⁷… on le rappel, portant la mention : tome 1…) et vous évoquez sur le site une volonté d’aller également vers la bd ou encore le jeu de plateau. Ça progresse cette histoire ou c’est plus ou moins en stand by ?

MC : De nombreux projets existent, certains bien antérieurs à Sethmes. Ce sont les jeux de plateaux qui ont occupé la majorité de mon temps depuis le début de l’année (ce qui n’impacte pas le développement de la suite de NOC ou de AMI, je précise). Les retards de livraison de NOC, liés à la conjoncture, ont constitué une opportunité à ce niveau-là. Le projet principal est Diktat, un jeu de conquête et de machinations dans l’univers de NOC. J’estime que les règles sont verrouillées à 99 %, et nous sommes sur une sérieuse phase de playtests. Vous en apprendrez plus sur cette belle boite d’ici la fin de l’année, j’espère.

Le rôliste a beau se vouloir une sorte de couteau Suisse créatif, ce n’est pas toujours effectivement le cas (voire même…). Les compétences relevant de l’écriture, de l’illustration, du game design, du maquettage, puis de toutes les tâches « bassement matérielles » liées à l’édition, la production et la distribution (sans même parler de la communication ou de la gestion administrative et financière) couvrent des domaines d’activités très larges. 
Vous vous organisez comment pour gérer tout ça ? Qui fait quoi/comment chez Sethmes ?

Rien à voir avec la choucroute, mais regardez le flim si ce n’est déjà fait, il est bien

Elwin : nous sommes quatre associés, et au-delà nous possédons une Armée de la Nuit qui nous prête main forte, des amis qui nous éclairent de leurs avis et conseils. Entre nous les disponibilités, les appétences, les enjeux ont fini par établir des tendances, susceptibles d’évoluer avec de nouveaux projets.
La ligne éditoriale initiale était claire, puisque nous sommes un collectif d’auteurs – trois d’entre nous sont venus avec leurs précédents projets, pour constituer la base du catalogue – mais nous essayons de rester ouvert pour la suite.
Nous discutons ensemble des grandes orientations et décisions qui impliquent la société. La laborieuse partie administrative et distribution est assumée par Cédric (qui s’occupe également de la partie graphique et web), et par Mikael. L’autre Mickael est en charge du contact avec les boutiques.
Nous sommes tous capables de mettre la main à la pâte pour l’écriture. Nous désignons par ailleurs des chefs de projets qui constituent leurs équipes, que ce soit avec des associés ou des collaborateurs de Sethmes

Pour en revenir à vos univers, avec Kemi et Etherne, vous aviez bien amorcé l’exploration du jeu dit historique. Vous nous en avez prévu d’autres dans le genre ou c’est un pan des univers ludiques que vous estimez avoir suffisamment défriché ?

Un jeu historique solide s’il en est

Elwin : l’Histoire est à mon sens notre matériau et notre nourriture, et le restera. NOC transpire par tous ses pores cette inspiration. Je ne conçois personnellement pas d’univers crédible sans un ancrage dans les schémas, les anecdotes et les incroyables retournements et subtilités que seules peuvent offrir les tribulations de l’humanité. On peut sans fin parler de ce qu’est un jeu historique – parce que d’une certaine façon ça n’existe pas, mais qu’on désigne par ce biais un palier où le nombre d’éléments qui nous semblent refléter une réalité passée devient suffisant pour créer une forme d’illusion d’historicité. Ce palier apparaît à des moment différents selon les gens et leurs exigences. Je ne sais pas s’il doit être une fin en soi, et selon quels critères il devrait être légitime pour certains et pas pour d’autres. À l’opposé on pourrait dire que rien n’échappe à l’Histoire : tout ce que nous écrivons reste le produit de notre culture et de notre vécu, et nous ne pouvons nous en arracher. Tout est historique, rien ne l’est… autant boire un coup et écrire un truc sympa, on verra après pour les labels.

CC : Peut-être avons-nous un intérêt particulier pour la réinterprétation, le recyclage, le fait de lire dans notre histoire et notre environnement immédiat ce qui se prête au travail de l’imaginaire, de la spéculation. J’ai un attrait spécifique pour les uchronies, peut-être parce qu’elles assument que notre substrat est et restera toujours le réel et qu’elles ouvrent des portes vers des versions exagérées, cinématographiques ou dérangeantes du monde. Être ici sans y être. Pour NOC, l’approche concernant la description de la Terre est très fortement ancrée dans le réel et l’histoire. Et pas uniquement pour la description d’un régime autoritaire et contraint, mais également pour ses aspects technologiques et écologiques qui, malgré les apparences, empruntent à pas mal de notions et découvertes récentes. A défaut d’historicité, évidemment, l’idée est d’entretenir la plausibilité 

C’est l’heure de la question People… Alors Voici :
Dans la dynamique de groupes, on retrouve souvent certains archétypes comme le « chien fou », la « force tranquille », la « rock star »… 
Chez Sethmes, on connaît surtout Mikael et Cédric, pour les croiser en convention… Alors, vous êtes respectivement lequel ? 
Et à l’instar d’un groupe de rock, un collectif d’auteurs peut être « agité » par les tensions entre les différentes personnalités. Quand on travaille au long cours sur un projet commun, comment on reste fonctionnel en dépit des inévitables frictions passagères ?

Mais qu’ils sont beaux et fringants (à gauche, Mikael Cheyrias, à droite, Cédric Chaillol)

MC : je suis le plus intelligent de l’équipe.

Elwin: répondre à cette question à propos des autres implique le déclenchement d’une cascade de duels judiciaires. Je me propose comme “Schtroumpf grognon à lunettes” pour mon rôle critique dans la conception, l’analyse des univers et scénarios; mais aussi sur des sujets éditoriaux. C’est important de pouvoir confronter nos opinions, pour combler nos angles morts réciproques.

MS : Construire un projet professionnel avec des amis sur des sujets passions peut bien entendu être source de difficultés. On reste fonctionnel en diminuant le café et en décrochant son téléphone pour discuter.

(les plus observateurs noteront que Cédric a sournoisement esquivé la question… de là à déduire qu’il ne serait pas entièrement d’accord avec certaines assertions de ses coreligionnaires, il n’y a qu’un pas… que nous ne franchiront certainement pas bien sûr… huhuhu)

J’aimerais revenir sur cette notion de collectif d’auteurs si ça vous convient, et éclaircir un petit peu ce côté « communauté » qu’elle induit, par opposition à la maison d’édition traditionnelle et son fonctionnement plus « vertical ». Vous pouvez nous détailler un peu l’idée derrière tout ça et la manière dont le choix de la structure impacte l’aspect créatif de vos jeux ?

Voilà, rien de tel que la communauté pour avoir des auteurs heureux

CC : Sethmes intègre la filière, de la conception à la diffusion, en passant par la rédaction, le design, la communication… La société constitue un cadre de fonctionnement qui, pour l’instant, porte des projets amenés en interne. Notre spécificité est sans doute d’assurer à la fois les fonctions d’édition et de création.

Forcément, passage obligé de tout entretien qui se respecte (ou pas)… Vous nous préparez quoi en prochaines sorties (parceque j’imagine que vous ne vous tournez pas les pouces en vous reposant sur vos lauriers suite à NOC) ?

MC : Concernant NOC, nous avons donc le livre Visions⁸ et le recueil de Configurations⁹ et de scénarios. Comme c’est souvent le cas chez Sethmes, le Recueil a pris une ampleur et une complexité inattendue au fur et à mesure de son développement. Beaucoup d’amis, d’alliés et de soutiens se sont greffés à l’équipe initiale pour apporter d’excellentes idées, des ambitions et de l’énergie. L’accouchement sera plus long que prévu, mais le produit final sera très costaud. Ces deux bouquins arriveront début 2023. Ensuite, il y aura le tome 2 des Lueurs obsidionales, la campagne officielle, actuellement en cours de test et de rédaction du côté du laboratoire d’Orion¹⁰.
Toujours sous l’Artefact mais dans un autre style, le jeu de plateau Diktat se consolide dans les ateliers de l’Effort. Deux autres jeux de plateau plus légers et familiaux sont à l’étude à la Direction du Progrès.
Dans le Monde Intérieur, l’Almanach Arcadien 3,5 est en rédaction, pour une sortie souhaitée au deuxième semestre 2023.

Ces deux dernières années n’ont pas été tendres avec le petit monde de l’édition (pas que bien sûr, mais c’est ça qui m’intéresse). Entre virus galopant, paralysie de l’industrie qui en découle, baisse de moral, guerre en Ukraine, augmentations diverses et variées d’un peu tout, on est plutôt gâté. 
Si je ne m’abuse, Sethmes à émergé pile poil au bon moment (2020) pour tomber là dedans, et n’a du coup pas connu le luxe d’un démarrage tranquille, le temps de prendre ses marques.
Vous avez réussi à dormir ces deux dernières années, ou c’était crises d’angoisse et ulcères à répétition ?
Ça n’a pas trop impacté la pérennité de la maison ?

Les gars, cette année 2020, je la sens bien, c’est le moment où jamais de lancer notre boîte

MC : Monter une maison d’édition pour éditer ses propres créations n’est pas à faire si l’on est trop sensible à la pression. Nous avons pris les problèmes les uns après les autres, en misant sur la compréhension du public lorsque les contingences extérieures induisaient des retards ou des altérations inévitables. Les événements tragiques dont on parle ont impliqué un retard important dans la sortie des livres et, à la marge, nous ont privé de la capacité de contrôler les objets à la sortie d’usine. Nous avons dû ici ou là accepter de petits éléments qu’en temps normal, nous aurions pu ajuster, mais nous nous estimons chanceux que NOC ait pu voir le jour au milieu de tout ce chaos. Et nous avons tiré une énorme expérience de tout ça.

CC : les confinements successifs ont modifié les habitudes de jeu et de consommation. La ruée sur les tables virtuelles a permis à NOC, via son kit d’introduction, de vivre en ligne et d’être montré dans plusieurs actual plays sur Twitch et Youtube. Sur ce point précis, le projet a sans doute bénéficié d’une visibilité accrue du fait des circonstances. Mais il est des événements, tels que la guerre en Ukraine, qui ont évidemment constitué un choc et un obstacle. La bonne volonté et la compréhension de toutes et tous, partenaires et public, nous ont permis de mener ce projet à bien.

Bon, je pourrais continuer longtemps à vous harceler de mes questions, mais n’abusons pas des bonnes choses (et ne lassons pas nos interlocuteurs), il faut savoir quand se retirer (hmmmm).
Cependant que je m’éclipse, vous avez quelque chose à ajouter ?

MS : Merci à toi, et merci à la communauté qui grandit chaque semaine autour de NOC. Nous sommes galvanisés par l’ensemble des commentaires bienveillants que nous recevons.

Merci à Mikael Cheyrias, Cédric Chaillol, Elwin Charpentier et Mickaël Sibeud pour cet entretien et plus globalement, pour le travail des Editions Sethmes.
Il ne me reste plus qu’à chopper NOC pour creuser la question de cet univers (qui dès le kit d’intro nous promet un cadre d’une richesse rare, à la puissance évocatrice certaine, je le rappel) et vous faire un retour rapidement, tout en trépignant d’impatience après ce fameux Almanach Arcadien 3.5 (AMI forever)…
Vous aurez sans doute compris (sinon il faut sérieusement que je révise ma grandiloquence) que je suis conquis par les jeux estampillés Sethmes, du coup ne cherchez pas une once d’objectivité de ma part dans cet entretien, ce serait peine perdue…
Si vous aimez la rigueur créative, les univers foisonnant et l’histoire, foncez, vous ne serez pas déçus (en tout cas, moi je ne l’ai pas été).
Longue vie aux éditions Sethmes et re vivement la suite de AMI.

Propos de Mikael Cheyrias, Cedric Chaillol, Elwin Charpentier et Michaël Sibeud recueillis par David Barthélémy

Notes & Références :

¹ Sethmes
² NOC
³ Etherne
Kemi
Aventures dans le monde intérieur
Almanach Arcadien
Sennefer
Visions
Recueil de configurations
¹⁰ Laboratoire d’Orion

Focus

Entretien avec Florent Moragas pour les Éditions Odonata

Samedi matin, j’ai eu la grande joie de recevoir Oméga¹, un jeu des éditions Odonata² dans lequel vous êtes des Machines. C’est donc avec bonheur que je me suis plongé dans la lecture de cet univers de S.F qui pousse le transhumanisme dans ses derniers retranchements en abordant la question du transmachinisme (WHATTTT !?!)
Hé oui, fini la découverte du cyberunivers par des sens humains, ici les machines s’ouvrent non pas à la conscience, mais à la morale, l’humour, la peur, bref tout ce qui peut caractériser les « organiques » que nous sommes.
Avant de poursuivre ma lecture des deux (très) imposants ouvrages qui constituent l’entrée de la gamme, je me suis dit « mais au fait, j’ai interviewé Florent³ (Moragas, le papa de Odonata) à l’occasion du financement des campagnes pour Insectopia⁴, en Octobre de l’année dernière… révisons un peu ce qu’il m’avait confié alors, histoire de ne rien rater et ne pas enfoncer de portes ouvertes dans mon retour de lecture » (malin le type). J’ouvre donc la page du site, remonte mes quelques entretiens et là, stupeur absolue (et tremblements)… pas d’entretien en vue.
Damned, que passa ?
Je retourne vérifier mes brouillons (cette fois) et constate avec un certain effarement qu’il est confortablement niché entre une amorce d’article sur les jeux pour les plus jeunes et un entretien avec Sebastien Grenier⁵ (re damned, encore un oubli de publication… vilain garçon) le talentueux dessinateur de Arawn⁶, La Cathédrale des Abymes⁷ ou encore dernièrement Orcs & Gobelins⁸.
Après cinq minutes d’autoflagellation, je me dis que nous allons corriger cette affreuse négligence et éditer l’entretien avec Florent pour vous préparer au prochain retour de lecture (promis, ensuite j’attaque celui de Seb) de Oméga.
C’est donc avec neuf bons mois de retard (Arghlllll) que je vous propose de lire cet entretien, au travers duquel nous parlons de création, de bugs et de machines (entre autre)… My Bad.



Salut Florent. Pour celles et ceux qui ne te connaitraient pas encore, tu es le fondateur des Editions Odonata, créateur des jeux Insectopia et Oméga, mais également Blatteman, figure bien connue des salons et conventions de Jdr.

je vous laisse deviner lequel des trois est Florent

De l’eau a coulé sous les ponts depuis la sortie de Insectopia, dont la gamme s’est bien étoffée et continue de le faire à ce jour avec le lancement d’un financement visant à produire trois nouveaux ouvrages ainsi qu’une édition révisée du livre de base. Dis-moi, ça en fait des bouquins en six ans, c’est pas un peu chronophage tout ça ?

Effectivement, assez chronophage ! Mais depuis les débuts d’Insectopia je me suis entourés d’auteurs, de testeurs, de correcteurs et de passionnés. Odonata éditions suit actuellement de nombreux projets en gestation, dont vous avez pu voir certaines annonces. Sapa Inca⁹, écrit par Eric Dubourg¹⁰ et Nurthor le Noir¹¹, où l’on incarne des agents de l’empire Inca chargé d’enquêter sur les manifestaions occultes, des civilisations perdues et de défendre l’empire contre les assaillants espagnols. (Actuellement en cours de financement et ce jusqu’au 05/07/22 par ici)
Les Chroniques de Vaelran¹², écrit par Téo Chailloux¹³, où il s’agit d’interpréter des influenceurs, des illuminatis dans un univers d’époque moderne fantasy.
Ou Résilience, le retour des saisons¹⁴ écrit par Jean-Khalil Attalah¹⁵, où là il faut jouer en coopération pour rééquilibrer un monde où la nature subit la rupture.

Ca déconne moins que dans le Aztec Dansant de Donald Westlake¹⁶

De nombreux univers sont également à venir. 


Alors, mettons un peu les mains dans le cambouis.
Les jeux que tu proposes, Insectopia et Oméga en tête, sont des propositions ludiques qui s’éloignent fortement de ce à quoi l’on est habitué… Point d’anthropocentrisme ici, tu nous fais incarner des insectes (pardon, des Întres) et des I.A (sous de multiples formes). C’est très chouette comme idée, mais c’est également un pari risqué. Comment tu procèdes pour aider les gens à s’approprier des modes de pensée ou des perceptions aux antipodes des nôtres ?

L’idée est de sortir des sentiers battus en ne jouant plus des humains, mais en gardant des sujets et des modes de jeux qui intéressent les joueurs. Insectopia et Oméga jouent également avec les particularités de ces univers pour donner du gameplay.
Ces expériences reviennent à jouer des super héros ou des extra terrestres avec des super pouvoirs, mais en traitant des sujets de conflits idéologiques, d’occultisme, ou qui touchent à la personnalité humaine. Insectopia se rapproche assez du seigneur des anneaux dans son traitement des conflits inter races et territoires par exemple.

Rhaaaaa les lézards !!!



Idem en terme d’univers. Pour Insectopia, le continent d’Entoma nous plonge dans un monde du très petit au sein duquel le dépaysement est au rendez-vous. 
En bon quadra débordé par sa vie de tous les jours et l’éducation des enfants j’ai eu, je le confesse, un mouvement instinctif de recul à la première lecture du livre de base tant il me semblait vaste à assimiler (genre les cinq pages de glossaire consacrées au vocabulaire spécifique) en vue de le faire jouer… 
Quels conseils donnerais-tu aux futurs Deus pour le prendre en main, le faire leur et expliquer que “Non non, n’ayez pas peur, c’est tout à fait faisable” ?

Il faut prendre des scénarios édités et se plonger dedans, se limiter aux règles de bases qui sont assez simples et suivre le scénario proposé. 
Insectopia propose de jouer des super héros, foncez à fond dedans, on vole, on pique on mord, on a des ravisseuses ou des antennes ramifiées. Les parties sont épiques. Jouer aussi les particularités des phéromones et les conflits entre espèces.
Après, c’est un medfan classique. Voilà les conseils simples que je peux donner.


Je n’ai hélas pas encore eu l’opportunité de me pencher sérieusement sur Oméga (il y a vraiment trop de jeux à lire et découvrir aujourd’hui pour ma petite capacité de traitement), mais spontanément, je ne peux m’empêcher de le placer dans la continuité d’Insectopia
Tous deux partagent le même système de jeu (avec des aménagements bien sûr), mais également cette volonté de jouer différemment.
Avec Insectopia tu as poussé le concept de Post-Apo à son paroxysme en évacuant les humains au profit de ceux qui leur ont survécu… Avec Oméga, tu évoques carrément l’annihilation de la Terre par les Synthétiques.
En bon rôliste, je m’interroge… Oméga signe t-il la fin de son aîné dans un univers commun ou en est-il au contraire complètement dégagé pour proposer une lecture différente de ce que pourrait être l’avenir de l’humanité ?

Oméga vs Insectopia ?

Oméga est une autre façon de traiter la science fiction, l’avenir de l’humanité. Clairement ce n’est pas une version différente d’Insectopia. Il s’agit d’un jeu ou les personnages ont des missions de conflits et de découverte dans l’espace avec pour toile de fond l’asservissement des organiques, dont les humains. On incarne des synthétiques doués d’humanité au milieu d’autres machines qui n’en ont pas. Ce sont des intermédiaires entre les deux mondes. Les scénarios sont construit pour traiter les sujets d’asservissement des organiques, de la supériorité des synthétiques, de la collaboration de ces derniers et pour tenter les joueurs à pirater son prochain. Oméga questionne l’identité des Intelligences Artificielles, mais on joue des super machines avec des gros flingues !



En 2013 fut fondé Somni Semen¹, collectif d’auteurs dont le but premier était de consolider Insectopia en vue de la production du livret de découverte ainsi que d’une édition future du jeu. En 2015 apparaissent les éditions Odonata, ta boîte dédiée à Insectopia.
Aujourd’hui, Odonata nous présente donc un nouveau financement pour Insectopia, mais va grandissant en éditant aussi cette fois des jeux d’auteurs tiers tels que Sapa Inca (Eric Dubourg et Nurthor le Noir), les Chroniques de Vaelran (Teo Chailloux) ou encore Micro Méga (Stéphan Van Herpen¹⁸ et Genseric Alexandre Delpâture¹⁹).
Ça y est, tu as pris goût au métier d’éditeur et ne peux plus t’arrêter ?

Ho les belles bannières !!!


Comment on bascule d’auteur à “mais en fait c’est bien sûr, je vais aussi publier les jeux des autres” ?
Une boîte d’édition ne fonctionne pas avec quelques titres, il faut proposer différents univers et différents jeux. C’est l’élément déclencheur de cette reconversion. 
Mais ce qui motive l’éditeur que je suis devenu c’est aujourd’hui le travail éditorial que j’accomplis. A mon sens, ce travail est un suivi des auteurs pour les amener à magnifier leur travail. Je travaille avec eux en amont sur les fondements de l’univers, les règles, le contexte et beaucoup d’autres éléments. C’est vraiment très enrichissant et captivant d’être baigné dans cette création. Puis, il y a aussi le travail graphique qui est vraiment captivant : concevoir et amener un univers avec des illustrateurs, c’est réelle passionnant.


Du coup pour Odonata en deux mots, c’est quoi la ligne éditoriale ?

Créativité ludique,

Les jeux proposés ont un propos fort et un système qui le porte.


Pour en revenir à Insectopia, ça te fais quoi de voir ton bébé grandir et s’envoler de ses propres ailes (huhuhu) ? 
Parce qu’au fil des années, l’équipe s’est tout de même bien agrandie, tant au niveau rédactionnel que pour les illustrations… T’arrive t-il d’avoir la sensation que tout ça t’échappe un peu ou pas du tout ?

Je suis très heureux de partager cela. Le partage de ces travaux de création est vraiment enrichissant pour moi. Nous sommes nombreux désormais autour des projets et je crois que c’est la force d’Odonata. Les auteurs apprennent, partagent, moi je coordonne, je lie des gens dans la création, je reçois de la créativité et des échanges humains. Quoi de mieux ?


Fatalement, sur les deux années passées, cette histoire de Covid a bouleversé pas mal de choses dans notre quotidien. Concrètement, en tant qu’éditeur ça a eu quel impact sur ton travail, et comment as-tu ajusté les choses (si besoin il y avait) pour que la vie poursuive son chemin sans trop menacer les projets en cours ?

Oui, ça a été un peu dur, mais personnellement, je l’ai assez bien vécu. Sur le plan éditorial paradoxalement ce fut assez riche puisque j’ai pris en charge de nombreux projets avec de nombreux auteurs. Si en terme d’édition il y a eu une baisse, en terme de construction de projet ça m’a été bénéfique. Donc, je dirais que le bilan est bon.


Je suis assez curieux (comme beaucoup) des rouages derrière la production d’un jeu et du coup m’interroge fréquemment sur l’aspect organisationnel ou la somme de travail que cela représente en termes de temps de rédaction, illustration, mise en page… Vous fonctionnez comment chez Odonata quand vous menez un projet d’édition concernant un nouveau jeu ?

Il y a d’abord le suivi du projet, son concept profond et ses règles. Il faut caler cela avec des échanges. Parfois il faut agrandir le cercle des auteurs pour donner du corps à une idée. Un long travail d’organisation et de rédaction se met en place. Je peux être chef de projet, comme pour Oméga, ou dans le suivi des idées et des textes comme sur Sapa Inca. La période de test des règles et du gameplay est importante. Le jeu doit être testé et retesté, par le cercle restreint des auteurs, mais surtout par des personnes lambda que nous rencontrons en convention. Il faut comprendre les envies des joueurs pour y répondre. Puis nous décidons avec les auteurs de formaliser leur travail en faisant un livre missions initiales qui va dire l’essentiel du jeu, donner envie aux joueurs de venir à ce jeu. Sur Sapa Inca, le directeur artistique, Gabriel Pardon²⁰, se charge de donner une patte graphique à l’univers avec les illustrations et la mise en page. Puis vient le temps de la correction, moment important qui est réalisé par une ou des personnes extérieures au projet, donc critique. Et finalement la mise en page et la production qui vient derrière et la communication. Un long processus semé d’embûches et de passion !


Quand on voit les postulats de Insectopia et Oméga par rapport à l’humanité, on ne peut manquer de se faire la réflexion (ou alors c’est juste moi qui ai l’esprit mal tourné) qu’il y a comme un “très léger” fond de misanthropie (peut-être de pessimisme à la rigueur) chez l’auteur… 
Alors, simple posture intellectuelle/ludique de créateur ou il y a effectivement quelque chose d’un peu plus profond derrière tout ça ?

Ca revient souvent quand même non ?

Sur Insectopia et Oméga, je me sens humblement un auteur de science fiction. Cette science qui est utilisée pour prévenir nos contemporains des travers de notre société. C’est vraiment dans cette optique là que j’ai fait ces jeux. Je ne suis pas misanthrope, mais plutôt philanthrope. Il y a des sujets qui me heurtent dans notre société qu’il me semble pertinent d’évoquer de manière légère, comme beaucoup d’auteurs de SF l’ont fait avant moi.

Enfin, si tu as quelque chose à ajouter, fais-toi plaisir on t’écoute (enfin… on te lis…)

Actuellement, il y a la souscription pour Insectopia les deux mondes. Comme la précédente souscription, c’est un projet ambitieux qui va apporter trois nouveaux ouvrages à la gamme ; un recueil de scénarios, une extension sur les Lézards et la fin de la campagne. Nous avons aussi décidé de remanier le livre de base, sur l’aspect magie et compétences de caste notamment, pour les rendre plus équilibrés et plus clairs. Le jeu reste le même, avec les mêmes magies et compétences, mais c’est plus clair. Vous pourrez donc jouer à Insectopia avec les anciens et nouveaux suppléments avec des règles affinées. Et puis, il y aura sans doute une nouvelle couverture à cet ouvrage réalisée par un grand nom du jdr français.

Et voilà pour cet entretien (qui finalement reste d’actualité) tardif.
Encore une fois, je suis désolé du délai entre sa réalisation et sa publication, mais vous promets de faire un effort afin que cela ne se reproduise plus à l’avenir (honte sur moi).
Un grand merci à Florent pour ses réponses et les jeux qu’il nous propose et à très bientôt pour le retour de lecture d’Oméga (et l’entretien avec Sebastien, non je n’ai pas déjà oublié).

P.S. Pensez à aller jeter un œil sur Sapa Inca, ça va être chouette…

Propos de Florent MORAGAS recueillis par David BARTHELEMY

Notes et Références :

¹ Oméga
² Odonata Editions
³ Florent MORAGAS
Insectopia
Sebastien GRENIER
Arawn
La Cathédrale des Abymes
Orcs & Gobelins
Sapa Inca
¹⁰ Eric DUBOURG
¹¹ Nurthor le Noir
¹² Les Chroniques de Vaelran
¹³ Théo CHAILLOUX (scrollez jusqu’aux Chroniques du Steam)
¹⁴ Résilience le retour des saisons
¹⁵ Jean-Khalil ATTALAH
¹⁶ Donald WESTLAKE
¹⁷ Somni Semen
¹⁸ Stéphan Van HERPEN (aka Kerlaft le Rôliste)
¹⁹ Genseric Alexandre DELPATURE
²⁰ Gabriel PARDON

Avant la sortie

Avant la sortie : Tribute, jouez avec le Diable de Christian Grussi

Richard avançait dans le corridor blanc, éclairé par des néons agressifs… Nul endroit pour se cacher, et tant mieux, au moins on ne lui tomberait pas dessus sans qu’il ne l’ait vu venir. Cela faisait deux jours qu’il cherchait la sortie de cet hopital avec sa « bande », trois autres patients qui comme lui, s’étaient réveillés dans une chambre délabrée, avec pour seule possession une des fameuses chemises de nuit « fesses à l’air » si chères au milieu médical. Impossible de se rappeler autre chose que son nom, et c’était la même chose pour les autres. Clara, la grande blonde un peu forte, Medhi, l’adulescent dégingandé et Samuel, qui sous son air un peu rustre s’avérait plus cultivé que prévu, l’avaient rejoint petit à petit au fil de ses errances dans les couloirs ravagés de l’énorme bâtiment. Au début, tout allait bien… Enfin, autant que possible lorsque l’on est amnésique et que l’on bénéficie d’une intimité toute relative quant à l’exposition de son fondement. Tout allait bien donc, jusqu’à ce qu’ils croisent les premiers « enfants »…
Saloperie de mioches.
Le premier qu’ils avaient croisé déambulait d’un pas hésitant dans la cafétéria. Instinctivement, Richard su qu’il n’aimait pas les gosses, mais vu qu’il n’était pas seul, il fit l’effort de s’approcher pour voir ce qui se passait. Il perçu l’odeur de charogne alors que sa main allait toucher l’épaule du petit. Retenant un haut le cœur, ainsi que son geste, il ne réagit pas assez vite pour éviter de se faire lacérer par… cette chose…Une gueule toute en crocs s’ouvrant démesurément sur un cri muet, des yeux rouges luisant de malveillance et des mains dont on ne percevait au final que de longues griffes noirâtres… Tu parles d’un gamin ! Serrant sa main blessée, Richard hurla de douleur autant que de peur. Aussitôt pourtant, un élan de haine remplaça l’effroi et, d’un coup de pied sauvage, il envoya valser la créature qui tournoya sur elle même dans les airs, avant d’atterrir souplement à quatre pattes de l’autre côté des tables de cantine, à la manière d’une bête sauvage. Les autres étaient tétanisés par le spectacle se déroulant sous leurs yeux. D’un cri de rage, Richard rompit leur immobilité, les invectivant à se saisir d’une chaise pour l’aider à « défoncer cette saloperie »…

Allé les gens, venez jouer… Contrairement au bonneteau, ici vous avez une chance de gagner… Enfin… Peut-être…

Salut Christian¹. Tu vas nous proposer très très prochainement en financement ton jeu Tribute, qui va parler du Diable et de gens confrontés à ce très respectable individu, ou tout du moins, ses manières de faire. On dit qu’il se cache dans les détails… aussi, tu en aurais quelques-uns à partager avec nous pour préciser un peu tout ça ?

Bien le bonjour ! Et merci de m’accueillir par chez toi. En tant qu’humble émissaire de son Infernale Majesté, je vais essayer de répondre à ton flot de questions bien légitimes. Alors, quel scoop pourrais-je bien dévoiler dans ces lignes ?
Que le financement participatif aura lieu sur Ulule du 13 avril au 5 mai prochain ?
Déjà dit.
Au prix de 38 €, prix spécial Ulule, pour la version livre + jeu de cartes ?
Déjà dit aussi…
Qu’il y aura des paliers qui vont permettre de débloquer des Diableries d’une myriade d’auteurs plus ou moins connus ?
Bon…
Parlons plutôt du jeu en tant que tel, alors.
Tribute, Jouez avec le Diable, est un jeu de rôle à narration partagée, c’est-à-dire où chaque participant va intervenir dans l’histoire même pour l’enrichir.
Qu’il est fait pour 2 à 4 joueurs, et se joue avec un classique jeu de 54 cartes, en utilisant le principe du Blackjack. Le tout permettant de faire des parties courtes d’environ une heure (et plus longues si on le souhaite), avec un temps de préparation d’une dizaine des minutes tout au plus.
Allez, passons à la suite des questions pour un peu plus de scoops, parce que là, c’est pas terrible côté exclusivités !

C’est le premier projet de Rafiot Fringant² (talonné de près par Wushu³ et Arkeos Adventures⁴) qui passe, si je ne m’abuse, le cap de l’édition papier. Pas trop stressé par ce nouveau départ et la confrontation de tes idées avec un public à conquérir (même si l’on ne peut pas vraiment te considérer comme une « jeune première » dans le milieu du jdr) ?

Je pense que je vais augmenter la dose de Tranxène dans mon café, histoire de rester calme, mais vif. Quel beau mélange… Alors oui, je suis à la fois impatient de voir le retour, les premiers résultats, et en même temps, j’ai le trouillomètre à zéro. Normal, quoi. Le trac avant l’entrée en scène. Surtout que je me lance avec un projet sorti de nulle part, hors des sentiers battus, sur lequel on peut difficilement faire des projections. C’est pas comme si c’était une licence de malade avec des ailes de chauve-souris, des tentacules ou des sabres lasers. Mais je ne regrette pas du tout mon choix, car il a pour avantage d’être une création pour le moins originale. Et il affiche clairement mes choix et mes envies : faire des jeux qui sortent des sentiers battus et rebattus, proposer des titres qui ont leur caractère bien à eux. Le choix de Wushu va dans le même sens, et quant à Arkeos Adventures, même si c’est un retour d’un jeu qui a connu ses heures de gloire, cette nouvelle édition sera dans la même veine : une proposition ludique hors des autoroutes mainstream. L’autre point commun, c’est la jouabilité, la facilité de prise en main. Cela fait des années que j’ai envie d’arpenter les voies du clef en main, facile à mettre en place, sans être un exégète de règles à tiroir. Et avec un fort potentiel de fun autour de la table.

J’ajouterais que l’un des feedback qui m’a fait le plus plaisir pour Tribute, c’est dans les retours de playtest à l’aveugle (sans que je sois là, le jeu vivant sa vie tout seul comme un grand), c’est celui d’une tablée avec uniquement des joueurs non-rôlistes, qui ont pris un pied monstrueux, se sont totalement lâchés, sans se poser de questions sur la mécanique, et qui n’ont qu’une envie, c’est de rejouer. Quoi de plus plaisant que d’avoir ce genre de retour quand on écrit un jeu ?

Bon, je fais l’innocent en te posant mes questions ingénues, mais pour être tout à fait transparent, j’avais été bien embêté avant d’attaquer l’entretien, tellement tu donnes de détails à son propos sur ton site. T’as pas un peu honte de couper l’herbe sous le pied des types comme moi qui grattent l’affection de leurs lecteurs en courant après « l’information qui tue » ?

mon crédo : le journalisme total

La honte serait de laisser des zones d’ombres. En plus tu peux comme ça poser tes petits petons sur un gazon fraîchement tondu pour poser tes questions ! Et puis j’ai passé l’âge du « sombre PNJ mystérieux au regard qui laisse entrevoir une vérité encore plus insondable ». Tribute étant à la croisée des chemins (si, j’ai osé) du jdr classique, du jdr narratif, et même du jeu de société dans sa forme. Alors ça valait la peine de prendre le temps d’expliquer les choses. De même pour le financement participatif. En tant qu’acheteur, j’ai envie de savoir pourquoi je délie ma bourse. Alors de fait, en tant qu’éditeur, je donne les informations que je souhaiterais voir en endossant le costume du consommateur. Tu noteras qu’en plus ça te laisse le champ libre pour poser des questions qui vont plus loin que le simple scoop façon « Closer du Polyèdre » (enfin, j’espère).

Alors, l’une des grandes forces du projet (de mon point de vue), sera de proposer plein de matériel jouable, les Diableries. Pour ce faire, tu nous as réuni un casting rôliste digne des meilleurs films choral hollywoodiens… Tu les as sélectionné comment tes petits diablotins ?

Après une série d’épreuves dignes de Squid Games⁵, matinées de Battle Royale⁶ ! La base ! En fait, quand j’ai écrit Tribute, je me suis dit que ce serait vraiment cool de réunir des auteurs sur le projet pour proposer une multitude d’univers, d’envies, de délires. Et que c’était l’occasion parfaite, sans avoir à demander à chacun d’écrire une encyclopédie. J’ai d’abord contacté des amis proches, susceptibles d’être intéressés, puis j’ai élargi ma recherche d’auteurs, avec comme ligne directrice la diversité, d’où des « monstres sacrés » et d’autres moins connus, des hommes de l’ombre qui traduisent, des auteurs de jeux indés, et des romanciers ou personnages publics que l’on ne soupçonne pas d’être accrocs au jdr. Et leur laisser carte blanche. Alors bien sûr, ils sont rémunérés, et leur rémunération augmente avec le nombre d’exemplaires pré-vendus lors de la campagne. Là encore, je trouve que c’est normal de non seulement proposer une rémunération de base décente, mais d’améliorer celle-ci si le succès est au rendez-vous.

Après, je ne cache pas que je me suis également dit que ce serait une superbe opportunité, après des années pas forcément très joyeuses, de remettre à plat pas mal de choses. Un moyen de dire « j’ai pas grand-chose à voir avec ces sales histoires ».

Puisque l’on parle de tes séides, élargissons un peu notre entretien et donnons la parole à quelques-uns d’entre eux pour voir ce qu’ils ont à dire de tout ça (sans bien sûr compromettre leur place aux enfers)…
nb: les diablotins étant par nature des créatures facétieuses et très occupées à « améliorer » le sort de l’humanité (gniark gniark), certains retours seront aujoutés au fil de leur réception par votre serviteur.

Sandy Julien : Je suis simplement le rôliste le plus chanceux du monde. Bon, je foire tous mes jets de dés importants pendant les parties, mais j’ai la chance de croiser des gens formidables par hasard, juste au moment où ils développent des projets de fou ! C’était le cas pour Tribute, dont j’ai suivi le développement avec plaisir. Christian ressemble à un gamin génial qui trouverait sans cesse de nouvelles façons de mieux jouer avec le contenu du coffre à jouets, et là, il en exhume les règles du black jack pour proposer ce genre de « petit jeu » qui t’accroche définitivement et te permet de faire des one-shots tendus, avec une structure en titane et un mécanisme narratif de retournement de situation qui rend toutes les parties intéressantes. C’est un jeu simple, avec cette petite pointe de génie discrète qui lui donne un charme fou ! Ca se voit, que je suis fan ?

Éric Nieudan: Etant un fan du diable depuis un bon moment, j’ai tout de suite été intéressé par le thème du jeu. Mais à la lecture des règles, j’ai été soufflé par la façon dont Christian s’en sert pour créer un jeu d’aventures aussi court qu’épique. Je dis ça, je dis rien, mais le JdR d’apéro-initation motorisé par le black jack est une trop bonne idée pour ne pas devenir un sous-genre à lui tout seul.

Cyril Puig : Moi, les jeux de rôle narrativo cooperatif à base de carte… en principe… ça me parle pas… sauf qu’il y a du génie dans cette petite diablerie. Le black jack comme outil au service de l’histoire fonctionne à merveille. Ma première partie avec des non rôlistes l’a démontré par l’exemple ! C’est immédiatement adopté, c’est fluide, c’est drôle et inattendu! Bref, c’est diaboliquement simple… et donc efficace. 5 minutes pour expliquer les règles, 5 minutes pour définir les avatars et c’est parti pour 1h30 de pure bonheur. Lorsqu’en fin de partie les joueurs novices vous demandent : “à quand la prochaine?”… vous savez que c’est gagné.

Philippe Auribeau¹⁰ : j’ai eu la chance d’assister à la genèse de ce jeu par l’esprit diabolique de Christian, ses évolutions pour arriver au produit final. C’est le fruit d’une longue réflexion sur les domaines ludiques et narratifs qui ont conduit à ce jeu hybridiabolique, où le principal est le plaisir de raconter une belle histoire en se nourrissant de références qui nous sont chères. Ajoutez une mécanique aux petits oignons, et vous obtenez un petit ovni ludique que j’ai hâte de tenir dans mes mains menottées.

Pierre Pradal¹¹ : Lorsqu’il y a deux ans, Cégé a commencé le développement de Tribute, ses intentions premières étaient de proposer un jeu narratif aux règles simples, funs et accessibles au plus grand nombre permettant de se lancer dans l’aventure avec un minimum de préparation. Il n’a pas hésité à retravailler son concept initial plusieurs fois pour relever ces trois défis. Aujourd’hui, Tribute est un petit bijou de système. Une question subsiste: Cégé a-t-il signé un pacte avec le Diable?

Jérôme Larré¹⁹ et Coralie David²⁰ : Alors nous, à la base, on ne voulait pas être là. Puis, Christian nous a motivé en nous disant qu’on pourrait faire un script juste pour avoir le droit de nous moquer du nom de sa maison d’éditions. Et comme cela fait dix ans que lui ne se prive pas, on s’est dit que ce serait l’occasion rêvée. Alors, oui, bien-sûr, le fait que le jeu soit bon et vienne palier ce qui nous semble être un manque dans l’offre actuelle n’était pas désagréable non plus. Mais soyons clairs : ce n’était qu’un heureux accident !

Bon, parlons peu, parlons bien et attaquons le sujet qui ne fâche pas du tout (pour une fois), le prix… et tes choix vis à vis des soutiens (enfin, de leur bourse… enfiiin… Tu m’as compris quoi) pour ce financement. Tout ça me donne l’impression que tu fais ce qu’il faut pour encourager la confiance des plus réticents à mettre un pied (à défaut d’un rein ou d’un bras) dans le fabuleux (quoique parfois hasardeux) monde du financement participatif. En dépit des (trop nombreuses) parenthèses, j’ai bon ?

38€ M’sieurs Dames… Au Diable l’avarice, investissez pour votre avenir

J’ai connu du financement participatif sous diverses formes, que ce soit en tant que soutien ou en coulisses, en bien comme en mal. Ce que j’ai voulu avec mon approche, c’est de faire un crowdfunding qui met en avant ma philosophie. Proposer un deal honnête, où chacun puisse s’y retrouver, autant que faire se peut. Que ce soit côté « financement » ou côté « participatif ». C’est aussi pour cela que j’ai choisi l’approche « prévente » et non « score financier », avec un délai entre la campagne et la livraison qui soit le plus court possible. De même, le choix de la distribution s’est fait sur le facteur « disponible en boutique ». J’ai été particulièrement séduit par la possibilité d’impliquer les boutiques de jeu, de faire économiser les frais de port aux souscripteurs, le tout en payant en deux fois. J’adore ce principe qui facilite tant les choses, tout en impliquant l’ensemble des acteurs du milieu ludique, de l’auteur, en passant par le distributeur, les boutiques, et le joueur. Tout le monde y gagne.

Dans la culture populaire, il y a plus ou moins deux grandes tendances qui se dégagent autour des rencontres avec le diable.
D’un côté on nous présente le type vraiment trop méchant, qui finit par se faire avoir, à cause de sa cupidité/méchanceté (Crossroads¹², l’Imaginarium du Dr Parnassus¹³…), par des gens sincères et honnêtes parvenant à retourner les situations contre lui… Et de l’autre, celle du mec qu’on ne voit pas venir, aimable et affable, qui mise sur les défauts des gens avec lesquels il interagit, finissant ainsi toujours par obtenir ce qu’il désir (Angel Heart¹⁴, L’Associé du Diable¹⁵…), quitte à leur laisser croire le contraire.
Tu as choisi de te placer comment par rapport à ça, dans la proposition du jeu ?

Sans hésitation… j’hésite ! De prime abord, j’aurais d’abord répondu le tentateur séducteur retors, mais… En fait, je ne me suis jamais posé la question. Je me suis juste laissé porter par le côté « il y a toujours un piège dans les clauses du contrat ». Là, le contrat c’est la partie de Blackjack, et le piège la révélation. Après, comme le Diable ne cherche pas forcément à tout prix à faire ripaille de l’âme des joueurs, mais avant tout à tromper son ennui, il me ferait plus penser au personnage de Crowley¹⁶ dans Supernatural¹⁷ qu’à un Al Pacino¹⁸ dans l’Associé du Diable. Retors, mais facile à piéger, car au final, c’est exactement ce qu’il recherche : se faire avoir, car il sera surpris et aura passé un bon moment : la satisfaction de tomber sur des joueurs qui se montrent plus malins que lui ! Faut avouer que de passer une éternité à se faire réclamer l’immortalité, la richesse, le pouvoir… ça doit lasser.

Pour creuser un peu plus la question du Diable en tant qu’individu, tu t’en sert tel quel (donc associé plus ou moins directement à un contexte religieux impliquant l’existence d’un dieu), dans son costume Armani et son inévitable classe nonchalante, ou comme d’une image d’Épinal servant à cristalliser une tournure d’esprit, des travers et des dilemmes finalement propres à l’être humain ?

D’une image d’Epinal, mais en costume Armani. On va oublier le pendant « je porte ma croix », qui n’a pas grand intérêt ici. Mais on garde le côté « classe », car c’est tellement plus séduisant, surtout pour le vil tentateur. Les Diableries sont toutes articulées autour d’une révélation, qui peut être un dilemme. Sous le couvert d’une petite histoire sans prétention de prime abord se cache un questionnement de fond, un choix à faire. Et c’est là tout l’intérêt, sans pour autant tomber dans du pathos ou du drama. Aborder des sujets et des problématiques « adultes » tout en restant sur de la légèreté ludique. Après, c’est l’intention. Mais un jeu une fois sorti du giron de la création, ne vit qu’à travers la table où il est pratiqué, et chacun y met ce qu’il veut.

Quand je vois Tribute et la description du projet, je me dis qu’il s’agit d’un jeu basé plus sur des situations qu’un univers en particulier et ça m’amène à m’interroger sur un développement éventuel de la gamme… Donc pour toi, il s’agit d’un jeu « concept » destiné à s’autosuffire, ou on peut raisonnablement s’attendre à ce que tu l’étoffes plus largement par la suite (au moins par le biais de nouvelles Diableries) ?

Le jeu peut se suffire à lui-même, surtout que la recette de création de Diableries y est donnée en détail. Techniquement, il n’y aura pas besoin d’étoffer une gamme aux multiples suppléments. Mais comme tu le dis, publier de nouvelles Diableries, pour continuer dans l’esprit du clef en main, oui, carrément ! J’ai même deux-trois idées qui traînent pour étoffer le jeu, lui donner encore plus de profondeur. Si cela est possible – autrement dit, si le succès de la campagne ulule reflète un engouement pour la proposition ludique – je m’attellerai à cela. Si tel est le cas, et ce serait carrément chouette, ce sera un supplément contenant des Diableries et des alternatives de jeu.

Que Diable ! Je m’aperçois que l’on n’a pour ainsi dire pas évoqué le système de jeu… Tu as pris le parti d’une résolution à base de cartes, alors dis-moi, c’est pour faire le malin (huhu), ça sert un propos philosophico-ludique étroitement lié au jeu, c’est « parce qu’il fallait bien trouver quelque chose, alors pourquoi pas » ?

Bah, ça ou autre chose, franchement… qui s’en soucie ? C’est juste fait pour vendre un jeu de cartes personnalisé, voyons !

Bon, ok, j’avoue, c’est étroitement lié au thème. C’est le cœur même du jeu, avant tout le reste. Car le principe du Blackjack, son côté « stop ou encore » avec la limite du 21, ça colle parfaitement avec la thématique « tentation du Diable ». Pour l’auguste lectorat qui se dit « houlà, j’y pige rien au Blackjack », rassurez-vous : la seule chose à connaître, c’est qu’il faut poser des cartes sans jamais dépasser un total de 21, au risque d’échouer sinon. L’autre point fondamental de la mécanique, c’est qu’à chaque carte posée il faut décrire ce que fait son Avatar, ou ajouter un élément à l’histoire ou au décor. Plus la valeur de la carte est forte, plus on peut ajouter un élément important. Plus la carte a une petite valeur, plus ce sera un détail. Et c’est là qu’il faut se montrer malin, car comme tout un chacun sait, un simple détail peut tout changer !

Que je sois damné si avec tout ça vous n’avez pas envie d’aller jeter un œil sur ce qui s’annonce comme une fort belle proposition de jeu. Du beau bouquin rempli de matériel pour jouer de suite, un système simple et malin, un format de parties courtes particulièrement adapté à ma table de quadras débordés par la vie de tous les jours (certes, là je parle pour moi, mais n’empêche, ça joue) et surtout, surtout… un jeu porté avec amour par son créateur et toute une ribambelle de gens qui connaissent quand même « un peu » le milieu du jeu de rôle.
Embarquez donc à bord du Rafiot Fringant pour cette belle traversée.
Ha, et puisque vous m’êtes sympathiques, prenez donc cette irrésistible pomme offerte par le capitaine, vous m’en direz des nouvelles.

Richard ne comprenait toujours pas comment le gamin avait pu tomber sur le râble de Samuel dans ce couloir… Bon sang, il n’y avait pourtant rien d’autre qu’un chariot renversé et son reflet sur le linoleum étrangement brillant malgré le délabrement des locaux… Toujours est-il que c’en était fini pour lui.
Alors que la sortie était devant eux, à seulement quelques mètres, Richard avait entendu son cri. Il n’eut que le temps de se retourner pour voir rouler la tête du jeune infirmier (ne lui demandez pas comment il le savait, mais il en était désormais certain), jusqu’à s’immobiliser pour toujours au pieds d’un Mehdi stupéfait.
Alors que le corps de Samuel commençait à tomber à genoux, l’enfant/chose/monstre toujours accroché à son dos, Richard se fit la reflexion que c’était marrant, la tête du « gosse » donnait l’impression d’avoir remplacé celle de Samuel, dans une parodie d’être humain ayant croisé la route d’un réducteur de tête un peu farceur.
Le hurlement de rage de Clara le tira de ses pensées et il la vit foncer sur la créature après avoir saisi une hache d’incendie accrochée au mur (tient, il aurait pourtant juré qu’elle n’était pas là la seconde d’avant, sinon il l’aurait prise pour lui).
Grand bien lui fasse, si elle souhaitait s’attarder ici pour venger un inconnu, qu’elle se fasse plaisir. Pour sa part, il ne comptait pas perdre une minute de plus en ces lieux.
Il prit son élan et entama un dernier sprint vers la grande double porte.
Mehdi lui emboita le pas, sans non plus se soucier de Clara, mais eut un instant d’hésitation quand un autre enfant apparut entre la liberté et lui.
Une petite voix résonna dans le couloir pour la première fois, répétant inlassablement « Aidez-moi m’sieur, j’ai rien fait… laissez-moi partir… promis, j’dirai rien… » sur un ton plaintif.
Mehdi s’était figé, les yeux envahis de larmes sans bien en comprendre la raison…
Il commençait à tendre la main vers le gamin quand Richard se jeta sur les portes, innondant le couloir d’une lumière vive qui noya la scène dans une clareté salvatrice.
Enfin la liber…
… … …
Richard se redressa en sursaut sur un brancard, retenu par des sangles de contention en cuir.
A ses côté, trois autres brancards et trois autres personnes attachées… penché sur l’une d’elle, un enfant au regard fou finissait de scier les cervicales de Samuel, projetant du sang partout autour de lui tandis que Clara lui hurlait qu’elle allait le tuer, tout en se débattant avec ses liens.
Mehdi pleurait toutes les larmes de son corps en suppliant une petite fille dont le visage affichait de terribles marques de coups et dont le scalpel tenu avec maladresse semblait hésiter entre taillader l’aide soignant ou les liens qui le retenaient.
Devant Richard, Vincent ( le premier orphelin sur qui ils s’étaient livrés à leurs « expériences ») souriait. Son regard étrangement serein plongea dans celui du medecin sensé le « guérir » de ses tendances à l’automutilation, et ce dernier y lut, avec une clareté limpide que tout était perdu pour lui.
Il se laissa retomber sur le brancard, fixant la lampe scialytique suspendue au dessus de lui et lacha un simple « saloperie de gamins, c’était pour la science », avant que la porte du bloc ne se referme sur les hurlements qui se frayaient un chemin au travers de sa gorge, dans un chant du cygne horrifique de toute beauté.
… … …
Dans un autre lieu, un homme entre deux âges, vétu élégamment d’un costume à la coupe parfaite, finissait de retourner une carte sur un tapis de jeu…
« 23… C’est pour la banque… vous auriez dû vous arrèter avant cher docteur. »
Son rire sardonique se mêlant aux échos des hurlements de Richard dans une harmonie malsaine, il se renversa sur son siège, allumant un cigare d’une main pendant que d’un geste, il donnait à son groom le signal de faire entrer le joueur suivant…

Hmmm… plutôt cosi tout ça

Propos recueillis par David Barthélémy auprès de Christian Grussi

Notes et Références :

¹ Christian Grussi
² Rafiot Fringant
³ Wushu
Arkeos Adventures
Squid Games
Battle Royal
Sandy Julien
Eric Nieudan
Cyril Puig
¹⁰ Philippe Auribeau
¹¹ Pierre Pradal
¹² Crossroads
¹³ L’imaginarium du Dr. Parnassus
¹⁴ Angel Heart
¹⁵ L’Associé du Diable
¹⁶ Crowley
¹⁷ Supernatural
¹⁸ Al Pacino
¹⁹ Jérôme Brand Larré
²⁰ Coralie David