Avant la sortie

Avant la Sortie : Entretien avec Xaviiiier autour de The Caravan

Alors, vous je ne sais pas, mais de mon côté, j’aime bien me mettre un petit disque pour me donner des idées de scénarios… Une ambiance (parfois juste un couplet) peut amener des choses auxquelles on n’aurait pas forcément pensé en réfléchissant juste sur la base d’un jeu. Ce matin, j’ai donc refermé le couvercle de ma platine sur un petit King Crimson¹ et attendu les premières notes de Cirkus (de l’album Lizard sorti en 1970).
Grosse ambiance alternant entre riff apocalyptique et passages folk poussant à l’optimisme, ça sent le scénar bien barré (et je ne parle pas du reste de l’album… Rhaaaa Lovely, Happy Family…).
Donc, ça va décaper un minimum, il me faut un jeu proposant une touche de naïveté ainsi qu’un fond si possible bien glauque pour coller à tout ça.
Hmmmmm, je contemple mes étagères en quête de l’univers qui s’y prêtera le mieux, hésite quelques instants sur Thanatos, mais me dis rapidement que je serais bien en peine d’y insérer la touche de naïveté ou d’optimisme requise par la musique. Damned !
Et là, je repense à un jeu indépendant (tout comme Thanatos d’ailleurs) en développement qui pourrait bien coller, The Caravan.
Une troupe d’enfants, une Matriarche mystérieuse, une terre hostile abritant des communautés à problèmes et des masques magiques transformant les dits enfants en créatures difformes… Parfait.
Seul problème, le jeu n’est pas encore sorti.
Qu’à cela ne tienne ! Je me saisi vaillamment de mon clavier et part débusquer Xaviiiier, l’auteur du jeu pour en savoir un peu plus et voir si effectivement, je pourrai recycler mon King Crimson dans son univers.

Quand même, quel album !!!

Salut Xaviiiier et merci de prendre quelques minutes de ton temps pour m’aider à solutionner mon problème de bande son.
Avec The Caravan, tu nous proposes donc un univers Dark Fantasy Poétique dans lequel vont évoluer des enfants (de 5 à 16 ans), sous l’égide d’une entité nommée la Mama, leur fournissant à la fois un cadre de vie (la caravane), des objectifs (“aider” des gens en échange de faveurs) et des pouvoirs magiques, par le biais de masques… J’ai bon ?

[Une petite musique gitane en arrière-plan, quelques roulottes et un grand feu où des enfants insouciants ne semblent pas prêter attention à quelques loups qui les observent]

Oui tu as bien cerné le décor posé de mon jeu the Caravan.
Pour compléter ton introduction du jeu, j’ajouterai qu’il n’y a que des enfants au sein de la caravane. Le plus grand, Micky fait office de chef.
Les aventures prennent place sur une île nommée l’Ile Crâne.

L’Île Crane

L’île se compose principalement de petits villages qui vivent reclus sur eux même autour d’une croyance ou une peur. Par exemple : un village appelé l’Échelle qui est construit, adossé à de grands arbres. Les habitants les plus importants vivent en hauteur. La nuit des rongeurs, plus grands que natures, plus féroces, viennent voler, attaquer les maisons du bas. Quand la caravane se pose non loin du village, la situation est désespérée. Un vieil homme est prêt à faire la Demande aux Chuchoteurs (la forme monstrueuse des enfants) pour sauver son village. Et il sait qu’en contrepartie il devra offrir un Don à la hauteur de sa Demande.
Mais attention tout n’est pas toujours blanc ou noir dans the Caravan. Le Don ne sera-t-il pas pire que le problème en fin de compte ?

[Zoom arrière du village pour laisser voir l’île dans sa grandeur générale. Quelques villes importantes apparaissent]

Voilà pour les villages, mais il existe aussi quelques villes importantes. Par exemple le Palais qui peut-être considéré comme la capitale. Là-bas un homme, qui se fait appeler le Prince, veut se positionner comme seigneur de l’Île.

Puisque personne n’a rien contre les évidences, je poursuis : Le Palais

Le Palais est une ville qui date de l’avant Grand Chamboulement. A cette époque la magie était maîtrisée (plus maintenant sauf à travers des artefacts). Les habitations sont construites en pierres qui ne subissent pas les affres du temps. La nuit, une lueur bleue émane des pierres pour éclairer les rues. Le Prince a imposé sa légitimité par la force et les savants qu’il embauche pour essayer de comprendre l’ancienne magie. A côté de lui, un Chuchoteur qui le protège…
J’arrête là, car je pourrais en parler des heures……
Voilà un peu l’ambiance générale du monde.

Alors d’un côté nous avons l’univers, et de l’autre le système de jeu. Je fais partie de l’école “qui fuit les systèmes génériques”, notamment quand un univers avec une forte identité doit prendre vie. Tu te positionnes comment par rapport à ça ? Et fatalement, tu es parti sur quel type de système ?

Déjà j’adore les systèmes de jeu. Pour moi un jeu de rôle, c’est :
– un univers
– une ambiance
– un système
– une feuille de perso
Je suis donc d’accord sur l’idée qu’un système générique rend fade les jeux. Après, en fonction de la proposition de jeu, il peut y avoir des systèmes plus ou moins complexes, plus ou moins simulationnistes … etc

Veuillez remplacer la cartouche Y pour pousuivre l’impression

The Caravan est un jeu d’émotions, de ressentis, de réactions d’enfants sous forme de monstres puissants. Je voulais un système plutôt simple, mettant en avant la différence entre enfants, adultes et Chuchoteurs. Pour être complet, la première version avait un système d10 à base de bonus, malus, compétences, pouvoirs… impossible à équilibrer, rendant trop complexe le nombre de compétences. Et je ne parle pas des pouvoirs qui apportaient pleins d’incohérences… brefs pleins de tests nuls et des calculs excels dans tous les sens.
Et je suis tombé sur la traduction du Grümph² de Cthulhu Dark³.

#balancetonpoulpe

J’ai adoré. Simple, rapide et un potentiel de hack assez facile.
Voilà j’avais ma base. Après 5 ou 6 parties playtests et beaucoup de débriefing, le système a été adapté à la version actuelle.
L’idée première est de faire ressentir que sous sa forme de Chuchoteur, l’enfant est très fort. Un monstre de 2m50 avec 6 tentacules peut affronter 4 ou 5 humains sans difficultés. Pas immortel, il peut se faire déborder, mais les Chuchoteurs sont forts et craints. Le cœur du jeu est de jouer des enfants monstres essayant d’aider les villageois contre quelque chose ou… eux-mêmes. La fourberie des adultes ou la fatalité de la vie ne se déjouent pas avec la force brute, mais par les yeux de la naïveté ou la voix d’un enfant qui essaie de se faire entendre.
En playtest j’ai toujours eu des retours sur le besoin de ne pas mécaniser les actions. 
Dixit par exemple : « bah j’ai des ailes pourquoi je dois faire un jet pour voler sur le toit », « j’ai 4 bras et je fais 2m50,  je veux pouvoir tenir 4 villageois en même temps », « je peux parler aux morts, tu m’autorises à transmettre un message au père de la petite fille ? »… Ah voila la poésie qui prend place… et là c’est trop bête de bloquer ça.

Ha oui, effectivement, des enfants monstres

Donc une des spécificités des pouvoirs dans Caravan : c’est qu’ils réussissent toujours. Par contre, pour apporter une tension, un jet Mystique est fait, pour piocher en cas d’échec dans une jauge.
Le risque de perdre du Mystique augmente avec la diminution de la jauge. (bon, c’est plus clair dans le livre).
Pour revenir au sujet. Il y a des règles qui vont mécaniser des éléments de jeu comme : la magie, la cruauté des actions des joueurs, la quantité d’adversaires, tout en laissant les idées des joueurs se réaliser.

Mon premier réflexe quand je lis Dark Fantasy est en général de me dire “Encore…”.
Alors, ce n’est pas que j’aie une dent contre le genre hein, mais le désespoir au bout d’un moment, comment dire… Du coup, j’ai trouvé plutôt malin de ta part de mettre en scène des enfants, ça nous évitera le côté “tout est foutu no futur gothisant”, même si la fatalité n’est jamais bien loin (oui oui je sais, Remi sans famille⁴ met en scène un enfant…). C’était pleinement intentionnel dès le début, cette opposition entre environnement impitoyable et fraîcheur de l’enfance ou c’est venu plus tard dans ton processus de création ?

Oui, c’était présent dès les premières lignes d’écriture et de playtest. Je crée mes jeux, mes campagnes ou mes scenarios toujours autour d’idées de scènes. Mon inspiration débute toujours par l’envie de voir, de faire vivre quelque chose à mes joueurs. Viennent après l’univers, le lore, le pourquoi du comment.
Pour Caravan, ma première idée a été : que feraient des joueurs sous forme de monstres en remontant une rue déserte de nuit dans un petit village. J’imaginais leurs voix stridentes qui chuchoteraient des choses incompréhensibles aux habitants terrés chez eux, terrifiés.
Le nom Chuchoteur est venu tout de suite.
Jouer uniquement un monstre était sans intérêt pour plusieurs scenarios. Il fallait plutôt aider les villageois apeurés.  De même des monstres contre des adultes ne m’emballaient pas.
Et voilà le combo était donc: Chuchoteurs/monstres/enfants contre villageois effrayés/adultes
Au premier playtest, de suite, les joueurs ont apporté de la poésie avec la vision des enfants.
Donc pour revenir à la question initiale. Oui tout de suite il y a eut la poésie et des enfants à travers des monstres.
Le vrai travail de création et d’écriture vient après pour étoffer, créer tous les éléments autour et le lore global.

Puisqu’on est parti sur la création, j’ai parcouru la plaquette de ton jeu  et me suis fait la réflexion suivante : “mais mais mais, il fait tout tout seul ?”
Tu confirmes ?


Oui je suis seul pour tous les postes : écriture,  illustration et mise en page.
J’adore toucher à  tout. J’adore découvrir, apprendre et là je suis servi.


Aujourd’hui, j’ai délégué uniquement la relecture et la correction à une autre personne (@edenroliste).
Par contre, je discute beaucoup, sur tous les aspects du jeu. J’ai énormément de retours, débriefing de parties. Sans ces échanges clés, le lore serait beaucoup moins développé. Merci à eux pour toutes ces heures d’échanges, de tests sur tous les éléments qui structurent le jeu et l’univers.
Par exemple, j’ai eu des échanges de 3 ou 4 heures juste pour définir l’âge des enfants que vont interpréter les joueurs : Pas trop jeune pour pouvoir enquêter, raisonner, mais pas trop vieux pour conserver une vision parfois naïve.

Les visuels de la maquette que tu m’as fourni m’ont tout de suite fait penser à Mork Borg, avec des couleurs flashy et une rencontre improbable (encore que pas tant que ça quand on y réfléchit bien) entre Punk et O.S.R… Tu oserais me dire que “Non Non, pas du tout” ou c’est une influence assumée ?

Euhhhh oui clairement Mork Borg a été la révélation.
Avant, pour moi un jdr devait faire 400 pages et décrire toutes les tavernes, toutes les rues, toutes les villes…. La mise en page était sur 2 ou 3 colonnes, avec une image toutes les 3 pages.


Et il y a eu 2 jeux : Mork Borg et Maze of the Blue Medusa⁵.
Une claque. Voila : poésie, jeu de role A5 sur 96 pages, c’est possible. En plus les univers, quoique non complets sont inspirants, mais tout est là.
Donc oui influence majeure et non pas un Mork Borg like.
J’avoue, le jaune est un peu copié, à moins que ce ne soit le jaune des teletubbies⁶ qui m’ait inspiré ….  je ne sais plus.

De l’idée de départ à la réalisation de la maquette, en passant par les illustrations et le game design, ça n’a pas dû se faire en quinze jours. C’était quoi pour toi le plus compliqué à mettre en œuvre ? Tu as eu des phases où tu t’es dis “pffffff… ça saoul, je plaque tout et je me barre à Plougastel manger des crêpes… heuuu… des galettes” ?

C’est par palier. Avant chaque passage de palier, c’est toujours « pfffff j’arrête, c’est nul ». Et puis, à un moment, il y a un truc, une inspiration, une phrase de quelqu’un qui permet de passer la marche.

Le fameux restaurant « le Tape Cul » à Plougastel, haut lieux de villégiature réputé auprès de tous les auteurs en plein burn out…

J’ai vite lancé des playtests qui étaient supers inspirants.
J’ai eu beaucoup de mal pour trouver mon style de mise en page. Je suis passé par 3 tests de 30 à  40 pages chaque fois pour me dire … « pfff c’est nul, c’est pas ça que je veux ». Et au troisième c’était bon.
Voila le style de palier difficile à franchir.
Là, actuellement, le corebook et le storybook sont écris, illustrés et mis en page a 80%. Le pfff actuel, c’est monter le financement et le marketing… ahhh c’est trop long… mais ça avance.

Mais dîtes voir un peu, ça m’a l’air chouette tout ça

Tu as dû acquérir des compétences particulières au long de ton processus de création, ou tu avais déjà les connaissances nécessaires de par ton parcours (pro ou autre) ?

Oui je connaissais un peu la création d’ebook, la mise en page et le dessin sur ordinateur. Mais par contre jamais aussi loin. Dans mes créations précédentes, il y avait 20% écrit et 80% dans ma tête. 
Là, il faut 100% écrit pour un lecteur qu’on ne verra jamais.

Bon, pis le choix de l’indépendance, tu y es venu comment ? Parce qu’il y a tout de même un certain confort à bénéficier des conseils et du soutien d’un éditeur…

Haaaa l’indépendance…

Je suis de nature à faire les choses seul. J’aime être entouré de conseils, mais avec une finalisation plutôt personnelle.
Je reconnais qu’un éditeur apporte 1000 conseils que je n’aurai jamais en travaillant seul. Mais aujourd’hui pour mon premier financement participatif, je préfère partir presque seul.
De nos jours avec internet, tout est possible seul. Les outils sont disponibles, l’impression à la demande accessible… etc…

Tu vas donc passer par un Financement participatif pour financer ton projet d’ici quelques mois. Tu nous détaillerais un petit peu en quoi va consister la gamme ?

Oui, d’ici à 3 à 6 mois, je lance le financement participatif sur Game On Tabletop⁷. Aujourd’hui, je suis prêt, mais l’installation du financement consomme beaucoup temps, beaucoup plus que je ne le pensais.
En termes de contenus, il y aura principalement 5 contreparties, en pdf et/ou en physique :
– un Corebook avec l’univers, les règles et 1 scénario.
– un Storybook de 8 scénarios avec toutes sortes d’approches possibles du jeu.
– Ecran A5 en 4 volets
– Des fiches A6 avec les différents masques pour la cérémonie.

De quoi s’équiper sous tous les formats

Pour la surprise, il y aura aussi ​quelques packs premiums avec un vrai masque de plus de 50​ ​cm​ ​….
Un vrai boulot que je n’imaginais pas. Mais ça avance​ peu à peu…..​

Tu as fais le choix de te lancer dans l’édition avec ce premier jeu. Ce n’est pas rien en plein Covid/pénurie de papier/crise des transports. Ça m’amène à m’interroger… C’est du one shot ou tu as d’autres projets que tu aimerais porter par la suite (qu’il s’agisse des tiens ou de ceux d’autres créatifs) ? 

– Dis Maurice, y’a plus d’papier… Elles sont où les ramettes ?
– Ch’ai pas… t’as regardé derrière les cartouches d’encre ?
– Ha… Ben y’en n’a plus non plus !!!

Oui toujours beaucoup de projets. Autour de Caravan il y aura une campagne et les explications de certains mystères des corebook et storybook.
Pour les autres jeux, j’ai constamment pleins d’idées, mais rien de fixe. Aujourd’hui, je mets toute mon énergie dans ce projet.
Mais c’est vrai qu’en découvrant et jouant à Maze of the Blue Medusa, j’ai découvert une vraie poésie créatrice dans un méga donjon.
Peut-être une idée pour un futur projet, pourquoi pas 🙂
Pour suivre l’avancé du projet une seule adresse : https://twitter.com/thecaravan8 

​​Un grand merci à toi pour ce zoom sur the Caravan et n’hésitez pas à me contacter sur twitter pour plus d’infos ou participer à des playtests.

Et voilà pour ce qui concerne The Cravan.
Xaviiiier me signale fort à propos que le jeu sera en financement sur Game On Tabletop du 2 au 30 avril, donc si comme moi vous avez des morceaux à utiliser en partie qui peinent à trouver un jeu dont l’ambiance colle, n’hésitez pas. Vous noterez également que Xaviiiier a fort habilement évité de me dire si mon King Crimson pouvait faire l’affaire… soit il est trop gentil pour me dire franco que je suis à côté de la plaque avec ma musique de vieux, soit c’est tellement une évidence que ça ne vaut pas vraiment le coup d’y prèter attention. Dans tous les cas, j’ai décidé en mon âme et conscience que j’ouvrirais ma première partie de The Caravan avec (et toc).
Rendez-vous est pris donc pour le 02 avril pour découvrir tout cela plus avant.

Et comme nous avons commencé en musique, il parait juste de terminer à l’avenant. Par conséquent, le dernier mot sera pour Freddy dans sa complainte à Mama

Is this the real life?
Is this just fantasy?
Caught in a landside,
No escape from reality
Open your eyes,
Look up to the skies and see,
I’m just a poor boy, I need no sympathy,
Because I’m easy come, easy go,
Little high, little low,
Any way the wind blows doesn’t really matter to me, to me

Propos de Xaviiiier recueillis par David Barthélémy

Notes et références :

¹ King Crimson
² John Grümph
³ Cthulhu Dark
Rémi sans famille
Maze of the Blue Medusa
Teletubbies
Game On Tabletop

Avant la sortie

Entretien avec Xavier “Tikokh” Brault autour de Okimba : Le Jeu de Rôle

Qu’on se le dise, le monde du jeu de rôle français est assez petit, en dépit d’un essor certain ces dernières années. Comme dans tout bon microcosme, tout se sait, tout se discute et quand les informations ne filtrent pas sur les différents réseaux (sociaux, amis, collègues ou connaissances), on peut toujours compter sur la rumeur pour apprendre l’existence de projets insoupçonnés… Sauf que dès fois, on arrive quand même à avoir des surprises. L’une des dernières remonte à quelques mois avec Ocelo1 (l’horreur mythologique) qui a poppé du jour au lendemain, comme ça, sans prévenir… et aujourd’hui (enfin… hier), ce fut au tour de Okimba. Alors Okimba, qu’est-ce que c’est, et comment se fait-il que l’on n’en n’ait jamais entendu parler avant ?

1 : Bon, déjà Bonjour Xavier. Dis-moi, tu es un petit cachottier pour avoir réussi à garder secret ton jeu tout ce temps (on me chuchote que tu as tout de même planché quatre ans dessus avant de nous présenter ton projet), du coup je m’interroge… Tu l’as développé dans une grotte isolée au fin fond du Vercors où tu as menacé des pires sévices tout ton entourage en cas de divulgation ?

Bonjour David ! Alors déjà, tu es un putain de voyant lvl 20 parce que je me suis en effet isolé plusieurs fois à la campagne ou à la montagne pour me focus en mode moine sur les illustrations. Des fois, je donnais tellement plus de nouvelles que les copains croyaient qu’il m’était arrivé quelque chose. La seconde raison, c’est que je suis une brêle des réseaux sociaux et du marketing. Un putain d’ermite, j’te dis ! Du coup, je n’ai pas communiqué et je n’ai pas créé de communauté en amont. Et quand y’a des gars ultra gentils comme vous qui m’aident à diffuser le crowdfunding, ça me touche énormément parce que c’est vraiment mon talon d’Achille.

2 : Du peu que j’ai vu sur ta page Ulule, ça m’a tout l’air d’être un chouette projet, étroitement lié à tes illustrations. Tu pourrais nous en dire un peu plus sur le pitch du jeu (même si ta vidéo de présentation fournit pas mal d’infos) ainsi que sur l’ambiance que tu souhaitais faire passer ?

Paie ton Shaman !

« Dans un monde fait de survie, de shamans et de voyages, vous jouerez des bêtes ayant acquis la conscience et qui vivent en craignant le réveil du grand cornu, de l’aplatisseur de montagne, du père des géants…OKIMBA« 

On peut vraiment résumer ce jeu de rôle en 3 mots. La survie, la tribu et le mystère.
Survie, parce que c’est un monde sans pitié et épique qu’il faudra affronter avec nos crocs et nos griffes.
Tribu, parce qu’ensemble, il est plus facile de survivre et la tribu devient tout pour l’individu même si tout semble vouloir séparer les gens entre eux, différentes races, différentes religions, différents modes de vie, etc… Il faudra donc apprendre à vivre ensemble.
Enfin, les secrets, le manque d’information dû à une tradition orale et surtout le monde des esprits apportent cette brume qui noie le tout dans le mystère !

3 : Les illustrations, parlons-en. En me promenant sur ton profil instagram (haaaan quel vilain curieux), je me suis plusieurs fois surpris à penser à Caza2… Si je te dis ça, tu penses en premier à une chaîne de magasins de décoration d’intérieur ou ça ne te surprend pas et tu vois où je veux en venir ? 

Je ne connaissais pas Caza, du coup j’ai regardé et certaines illustrations me font un peu penser à Moebius, dont j’adore le travail. Mais si tu veux avoir mes influences, c’est extrêmement simple. J’ai appris à dessiner sur le tas, en regardant des vidéos YouTube ou des BDs. Etant un gigaaaaaa fan de la quête de l’oiseau du temps3, j’ai cherché comment Lencot4 à la couleur et Loisel5 au dessin avaient fait, quels pinceaux ils avaient utilisés et tout ! Je l’ai longtemps imité, mais jamais égalé… ahaha… Après, j’ai pris d’autres codes graphiques, j’ai trouvé un peu le style propre d’Okimba, mais il y a une grosse base qui vient de l’imitation de Loisel

Quand j’ai commencé Okimba, le style BD traditionnel est devenu vite une évidence parce qu’il y avait deux choses qui m’intéressaient. Déjà l’efficacité. En BD Tu as 4 à 7 cases par page, tu ne peux pas passer une semaine sur une case, il faut aller vite, trouver des codes efficaces, jouer sur la mise en scène et les effets graphiques. Mon deuxième intérêt, était l’âme qu’il y avait dans les dessins. C’est dur à expliquer comme concept, mais j’en avais marre des peintures digitales dans les bouquins de jeu de rôle. Plus rapides à faire, plus facilement impressionnantes, mais pour ma part, souvent froides. Je pense que c’est dû à la perfection de ces dessins, qui en vient à faire oublier qu’il y a un humain, un artisan derrière, qui les a fabriqués avec ses mains et son cœur !

4 : J’ai de plus en plus au fil des années, un goût prononcé pour les jeux indépendants ou les maisons d’éditions qui prennent des risques (même si en soi, se lancer dans l’édition est à la base une entreprise des plus hasardeuses). Dans le cas présent, tu as monté ta propre structure (Galion Sauvage6) pour t’éditer. C’est le résultat d’une volonté affirmée de garder le contrôle sur ton bouquin ou c’est parce que tu vois plus loin une fois Okimba paru ?

Okimba, le jeu de rôle, est le 4ème projet que je fais sur le même univers. J’en ai raté trois avant. Projets trop gros, éditeurs qui veulent rajouter des elfes, des zombies et des nanas à poils dans le projet (j’exagère à peine), équipe qui perd en motivation et m’abandonne… Je me suis dit pour celui-là, je le finis et je le sors ! Personne ne veut m’aider, je me démerde. Personne ne veut m’éditer, je vais créer ma boite ! Ça donne un projet hautement perfectible mais au moins, il existe !

Galion Sauvage est une boîte crossmédia. En gros, on prend un univers et on le développe sur plusieurs supports. Un jeu de rôle, un roman, une série audio, un jeu vidéo… Les projets sont complémentaires entre eux et révèlent chacun des clés de l’intrigue global de l’univers. C’est là où le crowdfunding est important, car s’il cartonne, ça va motiver les investisseurs pour les projets futurs dans le même univers !

5 : Quatre ans dans une vie, ce n’est pas rien. Est-ce que tu as eu des coups de mou, des élans d’enthousiasme à propos de ton projet ? Et si oui, qu’est-ce qui t’as motivé à continuer jusqu’au bout là où au final, beaucoup finissent par baisser les bras et passer à autre chose ?

Je vais pas te mentir, à la fin, j’en venais à détester mon projet, je me trainais pour travailler dessus. Les illustrations qui n’en finissent plus. Tu as une nouvelle idée de gameplay, il faut refaire toute une partie du livre. Les relectures qu’on sous-estime tous ! Et la fatigue physique et mentale. Le livre que vous voyez en crowdfunding est la version 7 du jeu. J’ai recommencé énoooormément de fois. Ça a été particulièrement dur parce que c’était 4 ans de mon temps libre. Donc, Déjà fatigué d’un 40h / semaine sous pression, je devais aller sur ma table à dessin pour faire les 60 illustrations qu’il y a dans le livre. Et je suis un connard de perfectionniste, donc quand je ne suis pas satisfait, je refais encore et encore les dessins. Je venais plus au fête avec les copains, parce que j’aurais perdu une soirée de dessins et que le lendemain j’aurais été fatigué. Ça a aussi été dur parce que je ne savais pas dessiner quand j’ai commencé, j’ai donc dû apprendre en même temps que produire, ce qui est extrêmement compliqué ! 

Voyons, faut pas déprimer, une vue comme ça, ça remonte le moral

J’avais beau être un battant, j’ai eu de sacrés moments de déprime. Ce qui revenait comme pensée le plus souvent c’était “mais pourquoi je me fais autant chier, tout le monde s’en fout de mon projet”. Mais heureusement, heureusement, qu’il y a eu les parties de tests. A chaque version du jeu, on testait avec des nouveaux joueurs qui ne connaissaient pas le projet, voir même le jeu de rôle et les retours étaient très encourageants. Les rôlistes y jouaient comme si c’était un “vrai” jeu de rôle. En plus de ça, il y a eu les copains. Prenez soin de vos amis, parce que franchement sans eux, je n’aurais ni poussé autant le projet, ni fini tout simplement.

6 : Pour en revenir au monde d’Okimba, tu as choisi de faire jouer des animains plutôt que des nains ou des elfes (déjà rien que pour ça, bravo)… Comment tu as prévu de transmettre le caractère spécifique de tes personnages aux futurs joueurs et MJ, parce que, soyons francs, tout le monde ne maîtrise pas forcément la psychologie du furet, de la mante religieuse ou du scarabée ?

Okimba s’inspire beaucoup de l’Afrique. Les noms sonnent africains, les inspirations d’animaux qu’on joue viennent souvent d’afrique (hyène, lion, etc…), il y a des masques, des shamans, etc…Si L’Afrique est à la mode aujourd’hui après Black Panther7 ou Spider Man into the Spider Verse8, à l’époque ça ne l’était pas. Quand je voulais trouver des financeurs ou éditeurs, on voulait toujours me changer des trucs pour le mettre plus “vibe” mythologie nordique ou celtique. On aime tous Tolkien mais arrêtons de l’essorer le pauvre xD. J’ai vu des projets de jdr super intéressants avec des univers arabes ou asiatiques et arrivé à la création de perso je voyais les éternelles humains, elfes, nains, guerriers, rôdeur, magicien…
Je comprends la démarche. C’est rassurant et économiquement plus intelligent de rester dans ce que les joueurs connaissent déjà pour récupérer une partie de la communauté déjà créé par les jeux de rôle connus, pour ne citer que D&D par exemple. Alors je me suis dit : “Tant pis, tu ne feras pas d’argent avec Okimba mais au moins portes tes couilles jusqu’au bout, Tikokh !”
Pour ce qui est des personnages jouables. On joue des animaux ayant acquis la conscience d’eux-mêmes, la parole et l’organisation en tribu. On peut vraiment faire le rapprochement avec l’odyssée humaine et les hommes de cro magnon qui deviennent de plus en plus intelligents et empathiques, mais aussi plus rusés et manipulateurs.
Dans le jeu, un des thèmes est le progrès qui développe le confort des animains mais déséquilibre la nature. Ce conflit est dans chaque animain, certaines races sont plus évoluées que d’autres mais toutes ont ces deux facettes en elles. Les joueurs pourront donc choisir s’ils parlent correctement, comme un gankou (des genres de troqueurs / baratineurs) ou avec des cliquetis comme les kizaalis (des insectes fraîchement arrivés dans la liste des animains).

7 : Tu nous parles d’une technologie du niveau de l’âge de pierre (Pierre ? … non non, Guy… bon, je sors !) et d’un monde hostile dans lequel la tribu est un gage de survie pour les personnages. Du coup, tu as prévu des mécaniques dédiées autour de ce thème de la cohabitation ?

Oui, tout tourne autour du “apprendre à vivre ensemble”, ce qui est intéressant métaphoriquement parce que, dans une partie de jeu de rôle, on est aussi un groupe de joueurs qui doivent apprendre à jouer ensemble. Même si tu as un pote qui ne veut que de la castagne, l’autre qui ne veut que roleplay, un qui veut respecter à la lettre les règles du jeu et enfin un dernier qui est sur son téléphone, tu dois trouver le moyen de fédérer tout le monde autour d’une quête. Dans Okimba, ta quête, c’est de survivre.

Ca va être tout noir ! Ta gueule !!!


En termes de système, le jeu prévoit mécaniquement les principes de survie. On tombe malade quand on ne mange pas assez ou qu’on ne soigne pas une plaie. Un accent particulier a aussi été mit sur les besoins physiologiques ; carnivore, herbivore, sang froid ayant besoin de chaleur, nyctalopie, méthode de reproduction, etc…
Concernant la cohabitation, tu trouveras avec chaque lignée (les races) une description précise de son système hiérarchique : patriarcale ? matriarcale ? Individualiste ? Communautaire ?
Il n’y a pas de mécanique à proprement dite pour gérer cet aspect là, hormis la caractéristique de Coeur qui est un mélange entre le courage et l’empathie, mais l’univers fournit au MJ un max de leviers moraux (préparez vous aux dilemmes ! ahahaha ) qui vont booster son scénario et ces interactions entre personnages.

8 : Maintenant que la boîte de Pandore des systèmes de jeu est ouverte (Hahaha !), tu ne vas pas y couper… des dés à douze faces… Mais dis moi qu’est-ce qui t’as pris ? Tu as des stocks à écouler ? Et au-delà de ça, tu peux développer un peu à l’intention des passionnés de belles mécaniques ? 

Ahahahah, tu vas rire, mais j’ai fait beaucoup de tests de labo, genre ultra sérieusement avec du code et tout, ahahah ! Et les D12, en termes de probabilités et d’équilibrage, étaient nettement supérieurs. Cumulé au fait que dans mon univers le chiffre 12 est lié au lore, c’était tout trouvé. Mais je sais que beaucoup d’entre vous vont me détester parce qu’ils vont devoir se reprendre tout un set de dés ahahaha. Désolé les gars ! Sinon, prenez le pack “SHAMAN”, il y a des dés avec ! (#vendeurDeTapis)

9 : En l’état, le financement concerne un livre que tu nous dis être complet, ainsi qu’un carnet de voyage présentant la conception de cinq illustrations. Pas d’écran ? Pas de campagne prête à jouer ou de scénarios dans le livre de base afin d’aider les gens à prendre ton univers en main ? Tu ne nous préparerais pas un second financement qui débarque du jour au lendemain par hasard ?

Alors, c’est très simple, j’ai dû faire un choix. à un moment, le livre faisait 300 pages, il y avait un bestiaire, une campagne, etc…Si je voulais tout faire avec mon exigence de psychopathe, ça m’aurait pris 2 ans de plus. AU MOINS !

Miam… vivement que tout ça arrive !

Je voulais pas faire un crowdfunding où les gens payent et attendent l’infini pour avoir leur livre. J’ai donc décidé de sortir d’abord le bouquin de base, avec univers, création de perso et règles du jeu. Commencer à me connecter avec des gens comme toi, avoir des retours des joueurs, créer une communauté Okimbesque. Et de prendre mon temps pour faire ces livres complémentaires, afin de les sortir plus tard. Bien sûr, en crowdfunding !

10 : De ce que j’ai cru comprendre, c’est un petit tirage qui est envisagé pour Okimba et en conséquence tu as fait des choix très tranchés en terme de qualité du livre. Alors, c’est très bien pour celles et ceux qui vont te suivre pour le financement, mais comment tu comptes gérer la demande une fois le ulule terminé (je trouve dommage, même si je comprends tout à fait les raisons économiques d’un petit tirage, de ne pas être présent activement dans les boutiques pour toucher un plus grand nombre de personnes) ?

Le tirage, je peux en sortir autant que je veux, donc si demain, le crowdfunding explose, il n’y aura aucun souci pour sortir une masse de bouquins. En vrai, les prix des impressions étant dégressifs par rapport à la quantité, plus j’ai une grosse demande, mieux c’est pour moi. D’où le fait de faire d’abord un crowdfunding, au lieu de juste ouvrir une boutique en ligne, j’ai l’argent en avance. 

C’est vraiment juste une question de rein. M’éditant moi-même, je ne peux pas sortir 25000€ pour imprimer 1500 bouquins en avance.

Voilà voilà… Si comme moi vous êtes sous le charme de ce jeu aux délicats parfums d’exotisme, de mystère et de promesses d’aventure, n’hésitez pas à soutenir le projet sur la page Ulule.
Nous avons ici à peu près tout ce qui me plait en terme de création : un auteur sympa et disponible, vraiment passionné par son propos, un réel talent d’illustrateur et un engagement personnel fort pour concrétiser sa vision de ce que doit être son jeu…
Môssieur Tikokh, je vous dis bravo et espère sincèrement que ces quelques lignes pourront aider Okimba à se concrétiser.
Mes petites mains de rôliste sont toutes fébriles à l’idée de parcourir le livre de base ainsi que le carnet de voyage dans un futur très proche (car oui, on ne vous l’a pas dit, mais si tout va bien, le jeu devrait être disponible dès cette année… à priori sous 1d3 mois + malus structurel de Covid).
Donc, foncez et soutenez la création indépendante (sans vouloir vous commander hein, mais SHAME !!!! si ça ne vous parle pas un minimum)

Hop hop hop ! On donne des sioux au monsieur qui fait des beaux dessins

Le lien vers la page Ulule :

https://www.ulule.com/okimba-le-jeu-de-role/

Propos recueillis auprès de Xavier « Tikokh » Brault par David Barthélémy

Notes et Références :

1 Ocelo
2 Caza
3 La Quête de l’Oiseau du Temps
4 Yves Lencot
5 Régis Loisel
6 Galion Sauvage
7 Black Panther
8 Spider Man into the Spider Verse