Avant la sortie

Entretien avec Frédéric BESSY autour de Yuigahama Bad Seeds aux Éditions du Troisième Oeil

C’est toujours avec une certaine émotion que je vois débarquer un nouveau jeu chez LETO1, les propositions étant en général aussi fortes que variées. Que l’on adhère ou non aux jeux en question, on ne pourra certainement pas reprocher à cet éditeur de ne pas prendre de risques en s’aventurant régulièrement là où bien peu osent aller (entre Cobra2, Kabbale3, One %4 ou Against the Dark Master5, mon cœur balance) dans notre petit paysage ludique.

Et ouais, quand on parle de propositions variées, LETO n’est jamais bien loin

Le dernier né, Yuigahama Bad Seeds ne déroge pas à cette règle tacite de surprendre les clients, tant par son univers, que par sa prise en main aux antipodes de AtDM (au hasard), ainsi que par sa méthode de financement.
En effet, le projet est prêt, et alors que la campagne court toujours, les heureux souscripteurs tiennent déjà entre leurs petites mains fébriles (et virtuelles) les pdf du livre de base ainsi que de l’écran de jeu.

Yum yum yum

Après avoir lu la bête (je confesse toutefois n’avoir pas encore finit de lire les scenarios), c’est, comme bien souvent, séduit par ce jeu, que je me suis dit qu’un entretien avec son auteur pourrait être le bienvenu et permettre à celles et ceux dont il serait passé sous le radar, de rejoindre le bateau avant clôture du financement (courant janvier, à priori). Aussi, sans plus attendre et sous vos applaudissements mesdames et messieurs, voici venir Frédéric Bessy, l’heureux papa de YBS.

Bonjour Frédéric, et merci de prendre un peu de ton temps, en dépit du décalage horaire, pour répondre à mes quelques questions.
Décalage horaire me direz-vous ? Hé bien oui, car notre auteur pourrait bien être plus proche du monde qu’il nous dépeint dans son jeu que de la tour Eiffel.
Frédéric, tu pourrais nous en dire un petit peu plus sur toi et la manière dont ton mode de vie a pu influencer ton jeu ?

Merci pour ton invitation !
Je nous imagine dans un petit café, à mi-chemin entre la France et le Japon. Je suis content de pouvoir faire ta rencontre et de parler un peu du jeu.
Ce qui a motivé la création de Yuigahama Bad Seeds dans les premiers temps n’est pas vraiment glamour. C’est un jeu qui est né d’un sentiment de frustration.
Je travaille dans une entreprise de jeux vidéo en tant que graphiste 3D.
Quand j’ai intégré cette entreprise basée à Tsukishima (Tokyo), c’était une boîte faisant de l’originalité de ses concepts de jeu son principal argument de vente.

Tsukishima


Au fil du temps, nous sommes devenus des sous-traitants pour d’autres développeurs. Nous leur apportons notre expertise technique pour mettre en valeur leurs concepts.
C’est une formule qui fonctionne, car l’entreprise perdure, bon an mal an. Mais tout un pan du travail basé sur la créativité est à présent atrophié.
Beaucoup de gens me disent que travailler dans ce type d’entreprise est en soi un accomplissement.
C’est vrai.
Je ne me plains pas ni même regrette les choix qui m’ont conduit à travailler ici.
Par contre, il y a des choses que l’on découvre en interne comme une forme de conformisme, de conservatisme et d’attentisme (les trois « ismes » !) contre lesquels on laisse énormément d’énergie.
En 2020, après avoir proposé une dizaine de projets de jeux (je ne me contente pas du travail de graphiste), je me rends compte que je suis dans une impasse. YBS va naître progressivement de ce sentiment de gâchis.
En dehors du travail, le Japon est une source perpétuelle d’étonnement. J’y retrouve mes yeux d’enfant. Encore aujourd’hui après 15 ans, tout m’y semble étrange ; comme cette structure bétonnée aperçue au loin sur une plage vendéenne qui devenait pour le petit garçon que j’étais un artefact venu d’ailleurs (syndrome de Stendhal, quand tu nous tiens !).

Ton parti pris avec YBS est de nous présenter un Japon moderne réaliste (certes chamboulé par des événements apportant une touche de fantastique), par opposition avec les multiples ambiances que l’on nous vend généralement au travers des mangas et autres animés. Tu en avais marre des images d’Epinal ?

La démarche à ce niveau n’est pas vraiment consciente (du moins au départ).
Le jeu n’est pas bâti contre quelque chose. Disons que je souhaitais baser cette création sur un environnement qui m’est familier.
Les mangas forcent souvent le trait quant aux personnages et aux univers choisis comme matériau de base. Il existe bien sûr une branche de la famille manga qui propose de suivre la vie quotidienne assez banale de l’homme de la rue (je pense à le gourmet solitaire6).
Mais en général les thèmes choisis sont traités avec beaucoup de dynamisme et mettent en scène des personnages très typés (là où le japonais réel est plutôt réservé et silencieux).
Beaucoup de ces mangas et animes se servent de choses qui relèvent du fantasme ; y sont présentés des personnages héroïques incarnant une image flatteuse du Japon.
Le gars qui en prend plein la gueule, et qui est battu à la dernière seconde, mais reste fidèle à ses convictions.
Contrairement aux États-Unis, le Japon n’est pas un bon creuset pour le « happy-end ».
Mais je m’égare.
Ce Japon magnifié des mangas n’est pas celui que je voulais mettre en avant.

Bienvenu au Japon Japon

Le Japon des villes de seconde zone est suffisamment curieux et intriguant pour nous occidentaux, sans qu’il soit nécessaire de recourir à ce que contient la culture anime-manga.
Il suffit de voir les ustensiles de cuisine japonais pour comprendre que l’esprit des habitants est tout différent du nôtre.
L’aventure nous attend là, dans le golfe de Sagami, tel qu’il est en réalité (ou presque).

YBS est donc ton premier jeu publié… pour autant, en qualité d’auteur, tu n’en es pas à tes débuts. Qu’est-ce que tu as dû revoir ou ajuster dans ta manière d’écrire pour opérer la transition entre une écriture romancée et une création interactive destinée à être pratiquée par d’autres ?

Ce travail d’écriture a été un sacré défi.
Oui, c’est un exercice bien différent de ce que j’ai pratiqué jusque-là.
Les trois premiers galops d’essai ont été l’occasion de se rendre compte d’une chose qui tombe sous le sens :
Ce qui est évident pour l’auteur ne l’est pas forcément pour le lecteur.
La réalisation de la bande dessinée est peut-être ce qui a été le plus formateur ; parce que le nombre de pages est limité (il faut jeter pour conserver le meilleur plutôt qu’ajouter) et qu’il faut apprendre à varier angles et points de vue pour aspirer le lecteur dans l’histoire tout en évitant qu’il ne s’y lasse.
Cette BD n’est pas une réussite bien qu’elle se tienne, mais elle m’a permis de toucher du doigt toute l’importance du rythme dans un récit.
Ce que j’ai dû changer dans ma méthode de travail pour YBS ?
Il m’a fallu d’abord freiner mes ardeurs, faire preuve de patience et me méfier de mes propres intuitions.
Pour ça Aurélien m’a bien aidé en m’enjoignant à temporiser et à ne pas me lancer immédiatement dans l’écriture.
Pendant longtemps ça a été une bataille avec des schémas et croquis organisationnels, puis tout a commencé à se décanter.
J’ai malgré tout pris quelques risques en écrivant une partie des scénarios sans être certain de retomber sur mes pattes. Dans le cas d’un roman, l’ossature du récit peut être mise en place assez rapidement et être étoffée ensuite.
Là, il s’agissait quand même d’une saga étalée sur douze mois, censée présenter divers points de vue sur les événements qui perturbent la ville.
Il fallait garder une cohérence au fil des 12 nouvelles tout en variant les points de vue.
Faire écrire chaque nouvelle par une personne différente aurait été l’idéal pour montrer l’action passée au filtre de divers individus ; le ressenti de chaque acteur de cette épopée sous-tend la thématique de « théorie du complot ».
Où se trouve la vérité dans tous ces témoignages ?
Pour que la forme suive le fond, il m’a fallu, autant que faire se peut, varier les styles comme s’il s’agissait d’une compilation de nouvelles rédigées par différentes personnes.
Ensuite, le gros défi a été de dépeindre un univers qui soit intelligible par le lecteur en un nombre limité de pages, en partant du principe qu’il ne connaît pas ou peu le Japon et réussir à maintenir des zones d’ombre pour titiller sa curiosité et le pousser à investir ce qui reste volontairement non défini.

Et au fait, ton rapport au jeu de rôle, il consiste en quoi ?
Vivant au Japon depuis une paires d’années, tu vois de grandes différences entre la pratique que l’on peut en avoir entre « occidentaux » et ce qui se fait là-bas ?

J’ai relativement peu d’éléments pour comparer les deux cultures de jeu.
Mes dernières parties de jeu de rôle en France remontent à la période étudiante. J’en garde malgré tout un souvenir assez précis. C’étaient des parties de Donjons & Dragons.
Ces trois dernières années, je n’ai joué que trois parties de Cthulhu7 menées par ma collègue de travail Tadokoro Mana. Je discute souvent avec elle de la scène rôliste au Japon.
Sa préférence va aux sessions en mode analogue, face à face.
Mais elle joue énormément en ligne (Corona oblige). D’après elle, c’est le jeu par le biais d’interfaces qui a le plus de succès.
Les Japonais remettent tout à leur sauce.
Je pense que les couvertures de manuels ou de recueils de scénarios pour Cthulhu ont de quoi faire sourire. Pas sûr que Lovecraft aurait apprécié !

J’ai l’impression que les joueurs japonais ne rechignent pas à utiliser les termes techniques du système en cours de partie.
Moi, ça me fait sortir de l’histoire… Encore une fois, je n’ai pas assez de bouteille pour dégager une différence évidente entre les deux cultures. Toutefois, le compte-rendu de partie en mode roman (replay) semble avoir beaucoup de succès pour son côté immersif.

Bien, rentrons un peu plus avant dans YBS… Le jeu est donc actuellement en financement sur le site de LETO, mais pour autant, il est prêt. Ça représente quoi en terme de durée la création de cet univers (car, rappelons-le tu es aussi bien aux textes qu’aux illustrations ou encore à la maquette, avec Julien Dejaeger8 à tes côtés) ?

La rédaction de Yuigahama Bad Seeds a débuté après octobre 2020 (date de la première visite à Yuigahama). Pendant un peu plus d’un an, Aurélien m’a épaulé après que je lui ai présenté l’ébauche du projet.
À cette époque, la maquette que j’ai bricolée avec le logiciel gratuit Scribus n’est encore composée que de 150 pages et ne contient que la première nouvelle.
Le tout est encore brouillon, avec certains chapitres pas positionnés de manière très logique.
Aurélien m’a aidé à réorganiser le tout et à remettre d’aplomb pas mal de choses bancales.
On a dû échanger pas moins de 400 mails en un an. Un travail de fou !
Aurélien a fait tout ça totalement bénévolement.
Sans lui, j’aurais jeté l’éponge un bon nombre de fois.
Quand on a obtenu quelque chose de correct, j’ai commencé à démarcher des éditeurs et fini par faire la connaissance de Laurent Rambour9 et Jérôme Isnard10 de chez LETO.
Jérôme a pris le relai d’Aurélien et fait un travail formidable pour que l’on assume plus franchement certains aspects du jeu.
Tout comme avec Aurélien, ça a été une longue partie de ping-pong, un échange très agréable et sans concession sur la qualité, pendant lequel les idées jaillissaient.
Julien Dejaeger a gentiment accepté beaucoup de mes caprices pendant la finalisation de la maquette et trouvé plein de solutions à des problèmes de mise en page.
Pendant plus de deux ans, j’ai mis ma vie privée entre parenthèses pour écrire et illustrer le manuel, le soir après le labeur chez mon employeur.
Je pense qu’Aurélien, Jérôme et Laurent ont également fait de gros sacrifices. Merci à eux !

Pour ce qui est du système de jeu, tu as bossé avec Aurélien Trotignon11, et vous nous avez trouvé une approche assez légère des mécaniques régissant YBS.
En général dans le milieu du jeu de rôle, on distingue deux grandes écoles… 
1 : Tu prends Chtulhu et tu adaptes
2 : System does matter
Personnellement, j’appartiens à la deuxième école et trouve important qu’un système, en tant qu’interface principale entre joueurs et univers, vienne soutenir le propos du jeu. 
J’ai bien l’impression que c’est le cas ici, aussi je te pose directement la question.
Qu’est-ce que vous avez tenu à mettre en avant au travers des mécaniques et comment vous vous y êtes pris ?

Tu prends Cthulhu et tu adaptes…? Ouais, mais là non !

Le point le plus important pour nous a été de préserver une certaine fluidité dans les échanges MJ – Joueuses / Joueurs.
Le système est un support pour des interactions entre les PJ et les éléments antagonistes. Mais il a été pensé pour s’effacer autant que possible devant la narration.
Il y a un plaisir dans YBS à manier les dés et à essayer de trouver la meilleure occasion pour utiliser les jetons « Unmei ». Ce couplage dés-jetons offre des possibilités au joueur pour faire levier sur le déroulement du récit et parfois même prendre la parole à la place du MJ.
C’est un système qui peut paraître simpliste au premier regard, mais qui laisse en réalité au joueur la liberté de mettre en place certaines stratégies ; accepter ses ratages de test et conserver ses jetons Unmei pour frapper un grand coup plus tard ou au contraire forcer le destin en puisant dans sa réserve de jetons.
Assister un joueur acteur en acceptant de se délester de sa réserve de jetons ou thésauriser pour venir en aide aux autres à un moment crucial.
Ce type de pari que les Japonais appellent « Kakehiki » n’est pas compliqué à assimiler, car il repose sur des règles simples. Il permet aussi de matérialiser l’entraide entre joueurs.
L’intérêt n’est pas d’amasser le plus de pièces d’or possible pour gagner des niveaux, mais d’utiliser intelligemment les jetons pour parvenir à ses fins.
Pas de comptes d’apothicaire ou de ralentissement subit du temps pour simuler les combats : priorité à la rapidité des résolutions et au plaisir de tisser la trame du récit ensemble.

Énormément de jeux qui sortent (encore actuellement), optent pour un cadre très large dans les possibilités qu’il offre aux joueurs (le fameux « vous pouvez tout jouer »), et bien souvent hélas, une fois qu’on nous as dit ça, c’est « débrouillez-vous, nous on a fait notre boulot ».
Avec YBS, les possibilités sont certes nombreuses (nous y reviendrons), mais néanmoins viennent avec le jeu pas moins de 12 scénarios, étalés sur les 12 mois d’une année. 
Tu nous expliquerais un peu plus avant ton choix de format pour ces scénarios ?

Yuigahama est un cadre pour jeu de rôle, tout ce qu’il y a de plus étroit.
Si l’on ne compte que les quartiers habités, la surface n’atteint même pas le kilomètre carré !
La population est grosso-modo de 5000 personnes (sans doute beaucoup plus l’été) ; c’est un petit village.
Ce qui fait la richesse de ce jeu et son potentiel, c’est l’éventail de possibilités très large de ce qui se produit sur ce petit terrain.
C’est l’endroit idéal pour mettre en scène cette société village qui caractérise si bien le Japon hors mégalopole.

Chacun y est très soucieux de ce que pense le voisin ; on s’épie en se faisant des courbettes, on se jauge. Les gens se connaissent plus ou moins de vue. Les rumeurs circulent (vous n’imaginez pas le nombre de proverbes en japonais concernant le mot « rumeur »).
Le manuel laisse effectivement beaucoup de liberté pour mettre en scène ce qui se déroule en ville, mais est suffisamment documenté pour planter efficacement le décor.
Les joueuses / joueurs ayant lu sérieusement le setting, quel que soit le choix de leur personnage ne seront pas perdus.
Les 12 scénarios sont effectivement en eux-mêmes un guide pour comprendre une certaine « japonité ».
En filigrane se ressent l’esprit japonais, un curieux mélange de résilience et de fatalisme.
L’épopée étalée sur 12 mois permet également de cerner ce qui rythme la vie du peuple japonais, son sens de l’honneur, une certaine propension à réagir de manière extrême sous la pression.
Les Japonais s’émerveillent devant les transformations qu’apportent les changements de saison.
Un récit sur un an montrant ce qui peut arriver quand ce rythme se dérègle me paraît être la meilleure formule pour mettre à profit tout le potentiel de la ville.

Généralement, quand un jeu est livré avec autant de matériel de jeu, on n’est pas loin du burst, c’est à dire plus ou moins une campagne/jeu à usage unique, qui une fois jouée, aura fait le tour des points forts du jeu (et de son intérêt).
Est-ce que c’est ce que vous avez mis en place ici, ou est-ce que c’est un peu plus compliqué que ça ?

Je pense que c’est un peu plus compliqué que ça.
Mais ça dépendra beaucoup de l’inventivité du MJ et des participants.
Si le jeu est joué en campagne, il y a bien une chute lors du dernier opus.
En révéler la nature gâcherait le plaisir de jouer.
Ce que je peux dire, c’est qu’un effort a été fait pour augmenter sensiblement la durée de vie du jeu au-delà des 12 mois de scénarios.
On peut clairement continuer à jouer à YBS une fois la campagne terminée.
Il y a tant à exploiter dans cette ville, sans compter sur ce que chaque table de jeu va inventer !

Quand on lit le jeu, on s’aperçoit qu’au delà d’un cadre de jeu bien défini (pour rappel, une station balnéaire japonaise qui se remet d’une « catastrophe écologique » étrange et vit plus ou moins coupée du reste du monde), une très grande liberté est laissée aux maîtres de jeu quant aux explications derrière la situation, ce qui fait qu’il y a très peu de chances que deux tables de YBS se ressemblent à l’arrivée. 
C’est un choix de game design assez fort et qui pourra laisser certains utilisateurs perplexes (Comment !?! Un jeu à secrets sans les secrets ?!?)…
Vous en êtes venus comment à choisir cette approche ?

Mais puisqu’on te dit que le Japon ne se résume pas à Akira ou One Piece… il y a aussi les stations balnéaires.

Ce point divise pas mal de monde.
Je ne regrette pas ce choix de laisser les coudées franches au MJ pour développer ce qui lui plait à lui et à sa table (je ne nie pas que ça demande un peu plus de travail).
Il est libre de faire des arrangements, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait aucun élément de réponse aux mystères dans le manuel. Les choses y sont suggérées plus qu’imposées.
Il est tout à fait possible de jouer la campagne telle qu’elle est sans opérer de grands changements.
Comment est-il possible de laisser traîner le mystère si longtemps sans en révéler un « gros morceau » ?
Tout est une question de dosage dans la manière de présenter les indices.
Il faut se souvenir que les PJ évoluent dans une ville où tout commence à dysfonctionner.
C’est une petite bourgade sans gros laboratoire d’analyse. Les preuves trouvées sont difficiles à interpréter ; on joue des gens « normaux », pas des scientifiques capables de passer au crible tout ce qui traîne sur le terrain.
Par ailleurs, je trouverais dommage de graver dans le marbre tout ce qui sous-tend les intrigues dans YBS.
Ce serait juguler d’entrée de jeu l’inventivité du MJ ; qui connaissant les tenants et les aboutissants guiderait inconsciemment les participants vers un but trop défini.
Savoir ce qui se passe réellement est-il le seul point important de ce jeu ?
Offrir aux participants quelques éléments de réponse aux mystères est nécessaire pour maintenir leur motivation.
Mais ce n’est pas l’unique centre d’intérêt de YBS.
Comment évoluer dans un tel environnement ?
Comment faire la part des choses avec toutes ces rumeurs ?
Comment défendre ses intérêts quand la tension est à son comble et que chacun tente de tirer la couverture à soi?
Les scénarios offrent bien d’autres plaisirs que la seule élucidation de mystères.
Oui, à chaque table, un déroulé de partie différent !
Vive Raymond Queneau12 et ses Exercices de styles !

ce livre est magique… si vous ne l’avez jamais lu, jetez vous dessus !

Avec LETO, vous avez fait le choix de diffuser le pdf du jeu auprès des souscripteurs durant le financement du jeu, et ce quelque soit le résultat de ce dernier.
À mon sens, c’est très chouette, car ainsi, quoiqu’il advienne, le jeu pourra vivre…
Toutefois, il y a un petit effet de bord à agir ainsi, qui est que « tout le monde » va vouloir y aller de son conseil « bienveillant » par rapport à ce que « pourrait encore devenir le jeu » (non ma bonne dame, les rôlistes ne sont bien sûr ni pointilleux, ni des créatures d’habitudes à la dent dure persuadées d’être individuellement universelles en matière de bon goût 😅).
Par conséquent, vous gérez comment les différents retours que vous avez sur le jeu (autant toi que tes collègues et éditeurs), et (question à tiroirs) comment on s’y prend pour porter sa vision d’auteur envers et contre tous (ou pas) ?

J’avoue que c’est un des aspects de la campagne auquel je ne m’attendais pas.
Qu’il y ait des difficultés à convaincre quand on est inconnu et qu’on propose un jeu au format et au thème inhabituel, ça n’a rien de surprenant.
En revanche, certains retours en pleine campagne de financement ont bien failli me désarçonner.
Quand on a couvé son bébé pendant longtemps, et que quelqu’un dit soudain « Il serait mieux avec les cheveux roses » ou « Je n’aime pas son nom », c’est parfois dur à encaisser.
Mais à présent, je pense que c’est une occasion de tester ses propres convictions.
Est-ce qu’on garde le cap ou est-ce qu’on lâche du lest face à la critique ?
Comme pour le rugby (que j’adore) ; comment savoir ce qu’on vaut si on évite d’aller au contact ?
C’est sans doute ça de plonger dans le grand bain. On prend des coups, c’est formateur.
Par ailleurs, il y a parfois des retours constructifs.
Des choses auxquelles on n’avait pas pensé parce que trop occupé à pédaler la tête dans le guidon.
Par chance, la plupart du temps ce ne sont pas des suggestions qui, si elles étaient intégrées, dénatureraient l’esprit du jeu.
La gestion de ces retours est assez simple.
Spontanément, une liste des doléances a été créée (merci Aurélien).
Tout est stocké et étudié au cas par cas. On en débat quand il s’agit de micro réglages qui n’impliquent pas une refonte totale de l’ouvrage et quand ces suggestions paraissent en accord avec l’esprit du jeu.
Je me permets pour ma part de dire non, quand par exemple quelqu’un demande à ce que le système soit complexifié pour correspondre un peu plus à ce qu’il connaît.
Il n’y a pas d’intérêt à produire le clone de jeux déjà existants. YBS a son propre ADN ; d’après Eldon Tyrell13, reconfigurer brutalement cet ADN pourrait amener la mort du sujet avant même qu’il ne quitte la table d’opération.
Des réglages sur l’ergonomie, oui. Une chirurgie plastique lourde, non 😊

Alors comme ça, tu veux qu’on change les règles ?

Enfin, si tu vois quelque chose à ajouter, fais-toi plaisir, la place est à toi.

C’est probablement un vœu pieux (pieu de bois, dégâts +2), mais j’aimerais que le jeu de rôle se démocratise un peu plus.
Pas pour la gloriole ou l’argent.
Plutôt parce que c’est un média que je trouve passionnant.
Faire travailler l’imaginaire, assouvir des rêves sous la forme du jdr, c’est quelque chose à laquelle chacun devrait pouvoir goûter.
Je pense qu’en temps de crise, c’est à l’industrie du jdr de redéfinir ses propres limites, et pourquoi pas, de partir à l’assaut d’un nouveau public.
YBS est une création hybride conçue pour être abordable par tout type de lecteur (son format, le choix du système basé sur le dé six, son aspect “carnet de voyage”). J’espère que, même à petite échelle, elle permettra de faire découvrir le jeu de rôle à des personnes ignorant tout de ce domaine.
YBS est considéré pour le moment comme un jeu de niche.

Allé, venez les gens, ça va être fun

J’espère qu’il séduira au contraire des joueurs de tout acabit.
Redéfinir les limites…
Pour faire un parallèle avec le domaine du jeu vidéo au Japon : les développeurs ont longtemps misé sur les jeux sur smartphone facilement monétisables pour jouir d’un profit rapide auprès d’un public large.
Mais avec leurs jeux simplistes, ils ont eux-mêmes fait du consommateur un joueur capricieux qui se lasse très vite (je ne dis pas qu’il faille revenir au jeu sans sauvegarde, mais…).
Je pense que le jeu de rôle souffre du phénomène inverse.
Les jeux proposés sont de qualité, mais s’adressent à un public d’initiés. 
Conquérir un nouveau public et proposer de nouvelles formules de jdr est un pari audacieux et risqué.
Pour cette raison, j’ai beaucoup de respect pour Laurent Rambour qui a misé sur le jeu d’un inconnu et tenté de proposer une expérience différente, à 500 coudées du « mainstream ».

Mainstream ou pas, simple ou pas, fictif ou réaliste, le jeu de rôle nous prouve ici une fois de plus qu’il peut revétir énormément d’aspects différents et que de nos jours, absolument tout le monde peut trouver jeu à son pied (enfin…).
Je remercie Frédéric pour le temps qu’il a consacré à répondre à mes questions, entre travail, financement participatif qui bat son plein, re travail et fêtes de fin d’année, ce n’était pas forcément le moment le plus propice à se poser une heure pour satisfaire la curiosité d’un rôliste bavard.
Je ne peux que vous encourager à aller jeter un oeil sur la page du financement de Yuigahama Bad Seeds, si ce n’est déjà fait, afin de vous faire votre propre idée sur le jeu, pour ma part, j’adore ce que j’en ai lu.
Sur ces bonnes paroles, je vais filer finir la lecture des 12 nouvelles qui constituent la campagne du livre de base (et si possible faire tester le jeu à mes cobayes habituels)
afin de vous faire un retour avant la fin de la souscription.
Mata aimashō.

En bonus, le lien vers le fichier pdf présentant 29 pages du jeu

Propos de Frédéric BESSY recueillis par David BARTHELEMY

Notes et Références :

1 LETO Games
2 Cobra
3 Kabbale
4 One %
5 Against the Dark Master
6 Le gourmet solitaire
7 Cthulhu (l’appel de)
8 Julien Dejaeger
9 Laurent rambour
10 Jérôme Isnard
11 Aurélien Trotignon (entretien sur la chaîne Vieux Geeks)
12 Raymond Queneau
13 Eldon Tyrell

Focus

Entretien avec Florent Moragas pour les Éditions Odonata

Samedi matin, j’ai eu la grande joie de recevoir Oméga¹, un jeu des éditions Odonata² dans lequel vous êtes des Machines. C’est donc avec bonheur que je me suis plongé dans la lecture de cet univers de S.F qui pousse le transhumanisme dans ses derniers retranchements en abordant la question du transmachinisme (WHATTTT !?!)
Hé oui, fini la découverte du cyberunivers par des sens humains, ici les machines s’ouvrent non pas à la conscience, mais à la morale, l’humour, la peur, bref tout ce qui peut caractériser les « organiques » que nous sommes.
Avant de poursuivre ma lecture des deux (très) imposants ouvrages qui constituent l’entrée de la gamme, je me suis dit « mais au fait, j’ai interviewé Florent³ (Moragas, le papa de Odonata) à l’occasion du financement des campagnes pour Insectopia⁴, en Octobre de l’année dernière… révisons un peu ce qu’il m’avait confié alors, histoire de ne rien rater et ne pas enfoncer de portes ouvertes dans mon retour de lecture » (malin le type). J’ouvre donc la page du site, remonte mes quelques entretiens et là, stupeur absolue (et tremblements)… pas d’entretien en vue.
Damned, que passa ?
Je retourne vérifier mes brouillons (cette fois) et constate avec un certain effarement qu’il est confortablement niché entre une amorce d’article sur les jeux pour les plus jeunes et un entretien avec Sebastien Grenier⁵ (re damned, encore un oubli de publication… vilain garçon) le talentueux dessinateur de Arawn⁶, La Cathédrale des Abymes⁷ ou encore dernièrement Orcs & Gobelins⁸.
Après cinq minutes d’autoflagellation, je me dis que nous allons corriger cette affreuse négligence et éditer l’entretien avec Florent pour vous préparer au prochain retour de lecture (promis, ensuite j’attaque celui de Seb) de Oméga.
C’est donc avec neuf bons mois de retard (Arghlllll) que je vous propose de lire cet entretien, au travers duquel nous parlons de création, de bugs et de machines (entre autre)… My Bad.



Salut Florent. Pour celles et ceux qui ne te connaitraient pas encore, tu es le fondateur des Editions Odonata, créateur des jeux Insectopia et Oméga, mais également Blatteman, figure bien connue des salons et conventions de Jdr.

je vous laisse deviner lequel des trois est Florent

De l’eau a coulé sous les ponts depuis la sortie de Insectopia, dont la gamme s’est bien étoffée et continue de le faire à ce jour avec le lancement d’un financement visant à produire trois nouveaux ouvrages ainsi qu’une édition révisée du livre de base. Dis-moi, ça en fait des bouquins en six ans, c’est pas un peu chronophage tout ça ?

Effectivement, assez chronophage ! Mais depuis les débuts d’Insectopia je me suis entourés d’auteurs, de testeurs, de correcteurs et de passionnés. Odonata éditions suit actuellement de nombreux projets en gestation, dont vous avez pu voir certaines annonces. Sapa Inca⁹, écrit par Eric Dubourg¹⁰ et Nurthor le Noir¹¹, où l’on incarne des agents de l’empire Inca chargé d’enquêter sur les manifestaions occultes, des civilisations perdues et de défendre l’empire contre les assaillants espagnols. (Actuellement en cours de financement et ce jusqu’au 05/07/22 par ici)
Les Chroniques de Vaelran¹², écrit par Téo Chailloux¹³, où il s’agit d’interpréter des influenceurs, des illuminatis dans un univers d’époque moderne fantasy.
Ou Résilience, le retour des saisons¹⁴ écrit par Jean-Khalil Attalah¹⁵, où là il faut jouer en coopération pour rééquilibrer un monde où la nature subit la rupture.

Ca déconne moins que dans le Aztec Dansant de Donald Westlake¹⁶

De nombreux univers sont également à venir. 


Alors, mettons un peu les mains dans le cambouis.
Les jeux que tu proposes, Insectopia et Oméga en tête, sont des propositions ludiques qui s’éloignent fortement de ce à quoi l’on est habitué… Point d’anthropocentrisme ici, tu nous fais incarner des insectes (pardon, des Întres) et des I.A (sous de multiples formes). C’est très chouette comme idée, mais c’est également un pari risqué. Comment tu procèdes pour aider les gens à s’approprier des modes de pensée ou des perceptions aux antipodes des nôtres ?

L’idée est de sortir des sentiers battus en ne jouant plus des humains, mais en gardant des sujets et des modes de jeux qui intéressent les joueurs. Insectopia et Oméga jouent également avec les particularités de ces univers pour donner du gameplay.
Ces expériences reviennent à jouer des super héros ou des extra terrestres avec des super pouvoirs, mais en traitant des sujets de conflits idéologiques, d’occultisme, ou qui touchent à la personnalité humaine. Insectopia se rapproche assez du seigneur des anneaux dans son traitement des conflits inter races et territoires par exemple.

Rhaaaaa les lézards !!!



Idem en terme d’univers. Pour Insectopia, le continent d’Entoma nous plonge dans un monde du très petit au sein duquel le dépaysement est au rendez-vous. 
En bon quadra débordé par sa vie de tous les jours et l’éducation des enfants j’ai eu, je le confesse, un mouvement instinctif de recul à la première lecture du livre de base tant il me semblait vaste à assimiler (genre les cinq pages de glossaire consacrées au vocabulaire spécifique) en vue de le faire jouer… 
Quels conseils donnerais-tu aux futurs Deus pour le prendre en main, le faire leur et expliquer que “Non non, n’ayez pas peur, c’est tout à fait faisable” ?

Il faut prendre des scénarios édités et se plonger dedans, se limiter aux règles de bases qui sont assez simples et suivre le scénario proposé. 
Insectopia propose de jouer des super héros, foncez à fond dedans, on vole, on pique on mord, on a des ravisseuses ou des antennes ramifiées. Les parties sont épiques. Jouer aussi les particularités des phéromones et les conflits entre espèces.
Après, c’est un medfan classique. Voilà les conseils simples que je peux donner.


Je n’ai hélas pas encore eu l’opportunité de me pencher sérieusement sur Oméga (il y a vraiment trop de jeux à lire et découvrir aujourd’hui pour ma petite capacité de traitement), mais spontanément, je ne peux m’empêcher de le placer dans la continuité d’Insectopia
Tous deux partagent le même système de jeu (avec des aménagements bien sûr), mais également cette volonté de jouer différemment.
Avec Insectopia tu as poussé le concept de Post-Apo à son paroxysme en évacuant les humains au profit de ceux qui leur ont survécu… Avec Oméga, tu évoques carrément l’annihilation de la Terre par les Synthétiques.
En bon rôliste, je m’interroge… Oméga signe t-il la fin de son aîné dans un univers commun ou en est-il au contraire complètement dégagé pour proposer une lecture différente de ce que pourrait être l’avenir de l’humanité ?

Oméga vs Insectopia ?

Oméga est une autre façon de traiter la science fiction, l’avenir de l’humanité. Clairement ce n’est pas une version différente d’Insectopia. Il s’agit d’un jeu ou les personnages ont des missions de conflits et de découverte dans l’espace avec pour toile de fond l’asservissement des organiques, dont les humains. On incarne des synthétiques doués d’humanité au milieu d’autres machines qui n’en ont pas. Ce sont des intermédiaires entre les deux mondes. Les scénarios sont construit pour traiter les sujets d’asservissement des organiques, de la supériorité des synthétiques, de la collaboration de ces derniers et pour tenter les joueurs à pirater son prochain. Oméga questionne l’identité des Intelligences Artificielles, mais on joue des super machines avec des gros flingues !



En 2013 fut fondé Somni Semen¹, collectif d’auteurs dont le but premier était de consolider Insectopia en vue de la production du livret de découverte ainsi que d’une édition future du jeu. En 2015 apparaissent les éditions Odonata, ta boîte dédiée à Insectopia.
Aujourd’hui, Odonata nous présente donc un nouveau financement pour Insectopia, mais va grandissant en éditant aussi cette fois des jeux d’auteurs tiers tels que Sapa Inca (Eric Dubourg et Nurthor le Noir), les Chroniques de Vaelran (Teo Chailloux) ou encore Micro Méga (Stéphan Van Herpen¹⁸ et Genseric Alexandre Delpâture¹⁹).
Ça y est, tu as pris goût au métier d’éditeur et ne peux plus t’arrêter ?

Ho les belles bannières !!!


Comment on bascule d’auteur à “mais en fait c’est bien sûr, je vais aussi publier les jeux des autres” ?
Une boîte d’édition ne fonctionne pas avec quelques titres, il faut proposer différents univers et différents jeux. C’est l’élément déclencheur de cette reconversion. 
Mais ce qui motive l’éditeur que je suis devenu c’est aujourd’hui le travail éditorial que j’accomplis. A mon sens, ce travail est un suivi des auteurs pour les amener à magnifier leur travail. Je travaille avec eux en amont sur les fondements de l’univers, les règles, le contexte et beaucoup d’autres éléments. C’est vraiment très enrichissant et captivant d’être baigné dans cette création. Puis, il y a aussi le travail graphique qui est vraiment captivant : concevoir et amener un univers avec des illustrateurs, c’est réelle passionnant.


Du coup pour Odonata en deux mots, c’est quoi la ligne éditoriale ?

Créativité ludique,

Les jeux proposés ont un propos fort et un système qui le porte.


Pour en revenir à Insectopia, ça te fais quoi de voir ton bébé grandir et s’envoler de ses propres ailes (huhuhu) ? 
Parce qu’au fil des années, l’équipe s’est tout de même bien agrandie, tant au niveau rédactionnel que pour les illustrations… T’arrive t-il d’avoir la sensation que tout ça t’échappe un peu ou pas du tout ?

Je suis très heureux de partager cela. Le partage de ces travaux de création est vraiment enrichissant pour moi. Nous sommes nombreux désormais autour des projets et je crois que c’est la force d’Odonata. Les auteurs apprennent, partagent, moi je coordonne, je lie des gens dans la création, je reçois de la créativité et des échanges humains. Quoi de mieux ?


Fatalement, sur les deux années passées, cette histoire de Covid a bouleversé pas mal de choses dans notre quotidien. Concrètement, en tant qu’éditeur ça a eu quel impact sur ton travail, et comment as-tu ajusté les choses (si besoin il y avait) pour que la vie poursuive son chemin sans trop menacer les projets en cours ?

Oui, ça a été un peu dur, mais personnellement, je l’ai assez bien vécu. Sur le plan éditorial paradoxalement ce fut assez riche puisque j’ai pris en charge de nombreux projets avec de nombreux auteurs. Si en terme d’édition il y a eu une baisse, en terme de construction de projet ça m’a été bénéfique. Donc, je dirais que le bilan est bon.


Je suis assez curieux (comme beaucoup) des rouages derrière la production d’un jeu et du coup m’interroge fréquemment sur l’aspect organisationnel ou la somme de travail que cela représente en termes de temps de rédaction, illustration, mise en page… Vous fonctionnez comment chez Odonata quand vous menez un projet d’édition concernant un nouveau jeu ?

Il y a d’abord le suivi du projet, son concept profond et ses règles. Il faut caler cela avec des échanges. Parfois il faut agrandir le cercle des auteurs pour donner du corps à une idée. Un long travail d’organisation et de rédaction se met en place. Je peux être chef de projet, comme pour Oméga, ou dans le suivi des idées et des textes comme sur Sapa Inca. La période de test des règles et du gameplay est importante. Le jeu doit être testé et retesté, par le cercle restreint des auteurs, mais surtout par des personnes lambda que nous rencontrons en convention. Il faut comprendre les envies des joueurs pour y répondre. Puis nous décidons avec les auteurs de formaliser leur travail en faisant un livre missions initiales qui va dire l’essentiel du jeu, donner envie aux joueurs de venir à ce jeu. Sur Sapa Inca, le directeur artistique, Gabriel Pardon²⁰, se charge de donner une patte graphique à l’univers avec les illustrations et la mise en page. Puis vient le temps de la correction, moment important qui est réalisé par une ou des personnes extérieures au projet, donc critique. Et finalement la mise en page et la production qui vient derrière et la communication. Un long processus semé d’embûches et de passion !


Quand on voit les postulats de Insectopia et Oméga par rapport à l’humanité, on ne peut manquer de se faire la réflexion (ou alors c’est juste moi qui ai l’esprit mal tourné) qu’il y a comme un “très léger” fond de misanthropie (peut-être de pessimisme à la rigueur) chez l’auteur… 
Alors, simple posture intellectuelle/ludique de créateur ou il y a effectivement quelque chose d’un peu plus profond derrière tout ça ?

Ca revient souvent quand même non ?

Sur Insectopia et Oméga, je me sens humblement un auteur de science fiction. Cette science qui est utilisée pour prévenir nos contemporains des travers de notre société. C’est vraiment dans cette optique là que j’ai fait ces jeux. Je ne suis pas misanthrope, mais plutôt philanthrope. Il y a des sujets qui me heurtent dans notre société qu’il me semble pertinent d’évoquer de manière légère, comme beaucoup d’auteurs de SF l’ont fait avant moi.

Enfin, si tu as quelque chose à ajouter, fais-toi plaisir on t’écoute (enfin… on te lis…)

Actuellement, il y a la souscription pour Insectopia les deux mondes. Comme la précédente souscription, c’est un projet ambitieux qui va apporter trois nouveaux ouvrages à la gamme ; un recueil de scénarios, une extension sur les Lézards et la fin de la campagne. Nous avons aussi décidé de remanier le livre de base, sur l’aspect magie et compétences de caste notamment, pour les rendre plus équilibrés et plus clairs. Le jeu reste le même, avec les mêmes magies et compétences, mais c’est plus clair. Vous pourrez donc jouer à Insectopia avec les anciens et nouveaux suppléments avec des règles affinées. Et puis, il y aura sans doute une nouvelle couverture à cet ouvrage réalisée par un grand nom du jdr français.

Et voilà pour cet entretien (qui finalement reste d’actualité) tardif.
Encore une fois, je suis désolé du délai entre sa réalisation et sa publication, mais vous promets de faire un effort afin que cela ne se reproduise plus à l’avenir (honte sur moi).
Un grand merci à Florent pour ses réponses et les jeux qu’il nous propose et à très bientôt pour le retour de lecture d’Oméga (et l’entretien avec Sebastien, non je n’ai pas déjà oublié).

P.S. Pensez à aller jeter un œil sur Sapa Inca, ça va être chouette…

Propos de Florent MORAGAS recueillis par David BARTHELEMY

Notes et Références :

¹ Oméga
² Odonata Editions
³ Florent MORAGAS
Insectopia
Sebastien GRENIER
Arawn
La Cathédrale des Abymes
Orcs & Gobelins
Sapa Inca
¹⁰ Eric DUBOURG
¹¹ Nurthor le Noir
¹² Les Chroniques de Vaelran
¹³ Théo CHAILLOUX (scrollez jusqu’aux Chroniques du Steam)
¹⁴ Résilience le retour des saisons
¹⁵ Jean-Khalil ATTALAH
¹⁶ Donald WESTLAKE
¹⁷ Somni Semen
¹⁸ Stéphan Van HERPEN (aka Kerlaft le Rôliste)
¹⁹ Genseric Alexandre DELPATURE
²⁰ Gabriel PARDON

Avant la sortie

Avant la sortie : Tribute, jouez avec le Diable de Christian Grussi

Richard avançait dans le corridor blanc, éclairé par des néons agressifs… Nul endroit pour se cacher, et tant mieux, au moins on ne lui tomberait pas dessus sans qu’il ne l’ait vu venir. Cela faisait deux jours qu’il cherchait la sortie de cet hopital avec sa « bande », trois autres patients qui comme lui, s’étaient réveillés dans une chambre délabrée, avec pour seule possession une des fameuses chemises de nuit « fesses à l’air » si chères au milieu médical. Impossible de se rappeler autre chose que son nom, et c’était la même chose pour les autres. Clara, la grande blonde un peu forte, Medhi, l’adulescent dégingandé et Samuel, qui sous son air un peu rustre s’avérait plus cultivé que prévu, l’avaient rejoint petit à petit au fil de ses errances dans les couloirs ravagés de l’énorme bâtiment. Au début, tout allait bien… Enfin, autant que possible lorsque l’on est amnésique et que l’on bénéficie d’une intimité toute relative quant à l’exposition de son fondement. Tout allait bien donc, jusqu’à ce qu’ils croisent les premiers « enfants »…
Saloperie de mioches.
Le premier qu’ils avaient croisé déambulait d’un pas hésitant dans la cafétéria. Instinctivement, Richard su qu’il n’aimait pas les gosses, mais vu qu’il n’était pas seul, il fit l’effort de s’approcher pour voir ce qui se passait. Il perçu l’odeur de charogne alors que sa main allait toucher l’épaule du petit. Retenant un haut le cœur, ainsi que son geste, il ne réagit pas assez vite pour éviter de se faire lacérer par… cette chose…Une gueule toute en crocs s’ouvrant démesurément sur un cri muet, des yeux rouges luisant de malveillance et des mains dont on ne percevait au final que de longues griffes noirâtres… Tu parles d’un gamin ! Serrant sa main blessée, Richard hurla de douleur autant que de peur. Aussitôt pourtant, un élan de haine remplaça l’effroi et, d’un coup de pied sauvage, il envoya valser la créature qui tournoya sur elle même dans les airs, avant d’atterrir souplement à quatre pattes de l’autre côté des tables de cantine, à la manière d’une bête sauvage. Les autres étaient tétanisés par le spectacle se déroulant sous leurs yeux. D’un cri de rage, Richard rompit leur immobilité, les invectivant à se saisir d’une chaise pour l’aider à « défoncer cette saloperie »…

Allé les gens, venez jouer… Contrairement au bonneteau, ici vous avez une chance de gagner… Enfin… Peut-être…

Salut Christian¹. Tu vas nous proposer très très prochainement en financement ton jeu Tribute, qui va parler du Diable et de gens confrontés à ce très respectable individu, ou tout du moins, ses manières de faire. On dit qu’il se cache dans les détails… aussi, tu en aurais quelques-uns à partager avec nous pour préciser un peu tout ça ?

Bien le bonjour ! Et merci de m’accueillir par chez toi. En tant qu’humble émissaire de son Infernale Majesté, je vais essayer de répondre à ton flot de questions bien légitimes. Alors, quel scoop pourrais-je bien dévoiler dans ces lignes ?
Que le financement participatif aura lieu sur Ulule du 13 avril au 5 mai prochain ?
Déjà dit.
Au prix de 38 €, prix spécial Ulule, pour la version livre + jeu de cartes ?
Déjà dit aussi…
Qu’il y aura des paliers qui vont permettre de débloquer des Diableries d’une myriade d’auteurs plus ou moins connus ?
Bon…
Parlons plutôt du jeu en tant que tel, alors.
Tribute, Jouez avec le Diable, est un jeu de rôle à narration partagée, c’est-à-dire où chaque participant va intervenir dans l’histoire même pour l’enrichir.
Qu’il est fait pour 2 à 4 joueurs, et se joue avec un classique jeu de 54 cartes, en utilisant le principe du Blackjack. Le tout permettant de faire des parties courtes d’environ une heure (et plus longues si on le souhaite), avec un temps de préparation d’une dizaine des minutes tout au plus.
Allez, passons à la suite des questions pour un peu plus de scoops, parce que là, c’est pas terrible côté exclusivités !

C’est le premier projet de Rafiot Fringant² (talonné de près par Wushu³ et Arkeos Adventures⁴) qui passe, si je ne m’abuse, le cap de l’édition papier. Pas trop stressé par ce nouveau départ et la confrontation de tes idées avec un public à conquérir (même si l’on ne peut pas vraiment te considérer comme une « jeune première » dans le milieu du jdr) ?

Je pense que je vais augmenter la dose de Tranxène dans mon café, histoire de rester calme, mais vif. Quel beau mélange… Alors oui, je suis à la fois impatient de voir le retour, les premiers résultats, et en même temps, j’ai le trouillomètre à zéro. Normal, quoi. Le trac avant l’entrée en scène. Surtout que je me lance avec un projet sorti de nulle part, hors des sentiers battus, sur lequel on peut difficilement faire des projections. C’est pas comme si c’était une licence de malade avec des ailes de chauve-souris, des tentacules ou des sabres lasers. Mais je ne regrette pas du tout mon choix, car il a pour avantage d’être une création pour le moins originale. Et il affiche clairement mes choix et mes envies : faire des jeux qui sortent des sentiers battus et rebattus, proposer des titres qui ont leur caractère bien à eux. Le choix de Wushu va dans le même sens, et quant à Arkeos Adventures, même si c’est un retour d’un jeu qui a connu ses heures de gloire, cette nouvelle édition sera dans la même veine : une proposition ludique hors des autoroutes mainstream. L’autre point commun, c’est la jouabilité, la facilité de prise en main. Cela fait des années que j’ai envie d’arpenter les voies du clef en main, facile à mettre en place, sans être un exégète de règles à tiroir. Et avec un fort potentiel de fun autour de la table.

J’ajouterais que l’un des feedback qui m’a fait le plus plaisir pour Tribute, c’est dans les retours de playtest à l’aveugle (sans que je sois là, le jeu vivant sa vie tout seul comme un grand), c’est celui d’une tablée avec uniquement des joueurs non-rôlistes, qui ont pris un pied monstrueux, se sont totalement lâchés, sans se poser de questions sur la mécanique, et qui n’ont qu’une envie, c’est de rejouer. Quoi de plus plaisant que d’avoir ce genre de retour quand on écrit un jeu ?

Bon, je fais l’innocent en te posant mes questions ingénues, mais pour être tout à fait transparent, j’avais été bien embêté avant d’attaquer l’entretien, tellement tu donnes de détails à son propos sur ton site. T’as pas un peu honte de couper l’herbe sous le pied des types comme moi qui grattent l’affection de leurs lecteurs en courant après « l’information qui tue » ?

mon crédo : le journalisme total

La honte serait de laisser des zones d’ombres. En plus tu peux comme ça poser tes petits petons sur un gazon fraîchement tondu pour poser tes questions ! Et puis j’ai passé l’âge du « sombre PNJ mystérieux au regard qui laisse entrevoir une vérité encore plus insondable ». Tribute étant à la croisée des chemins (si, j’ai osé) du jdr classique, du jdr narratif, et même du jeu de société dans sa forme. Alors ça valait la peine de prendre le temps d’expliquer les choses. De même pour le financement participatif. En tant qu’acheteur, j’ai envie de savoir pourquoi je délie ma bourse. Alors de fait, en tant qu’éditeur, je donne les informations que je souhaiterais voir en endossant le costume du consommateur. Tu noteras qu’en plus ça te laisse le champ libre pour poser des questions qui vont plus loin que le simple scoop façon « Closer du Polyèdre » (enfin, j’espère).

Alors, l’une des grandes forces du projet (de mon point de vue), sera de proposer plein de matériel jouable, les Diableries. Pour ce faire, tu nous as réuni un casting rôliste digne des meilleurs films choral hollywoodiens… Tu les as sélectionné comment tes petits diablotins ?

Après une série d’épreuves dignes de Squid Games⁵, matinées de Battle Royale⁶ ! La base ! En fait, quand j’ai écrit Tribute, je me suis dit que ce serait vraiment cool de réunir des auteurs sur le projet pour proposer une multitude d’univers, d’envies, de délires. Et que c’était l’occasion parfaite, sans avoir à demander à chacun d’écrire une encyclopédie. J’ai d’abord contacté des amis proches, susceptibles d’être intéressés, puis j’ai élargi ma recherche d’auteurs, avec comme ligne directrice la diversité, d’où des « monstres sacrés » et d’autres moins connus, des hommes de l’ombre qui traduisent, des auteurs de jeux indés, et des romanciers ou personnages publics que l’on ne soupçonne pas d’être accrocs au jdr. Et leur laisser carte blanche. Alors bien sûr, ils sont rémunérés, et leur rémunération augmente avec le nombre d’exemplaires pré-vendus lors de la campagne. Là encore, je trouve que c’est normal de non seulement proposer une rémunération de base décente, mais d’améliorer celle-ci si le succès est au rendez-vous.

Après, je ne cache pas que je me suis également dit que ce serait une superbe opportunité, après des années pas forcément très joyeuses, de remettre à plat pas mal de choses. Un moyen de dire « j’ai pas grand-chose à voir avec ces sales histoires ».

Puisque l’on parle de tes séides, élargissons un peu notre entretien et donnons la parole à quelques-uns d’entre eux pour voir ce qu’ils ont à dire de tout ça (sans bien sûr compromettre leur place aux enfers)…
nb: les diablotins étant par nature des créatures facétieuses et très occupées à « améliorer » le sort de l’humanité (gniark gniark), certains retours seront aujoutés au fil de leur réception par votre serviteur.

Sandy Julien : Je suis simplement le rôliste le plus chanceux du monde. Bon, je foire tous mes jets de dés importants pendant les parties, mais j’ai la chance de croiser des gens formidables par hasard, juste au moment où ils développent des projets de fou ! C’était le cas pour Tribute, dont j’ai suivi le développement avec plaisir. Christian ressemble à un gamin génial qui trouverait sans cesse de nouvelles façons de mieux jouer avec le contenu du coffre à jouets, et là, il en exhume les règles du black jack pour proposer ce genre de « petit jeu » qui t’accroche définitivement et te permet de faire des one-shots tendus, avec une structure en titane et un mécanisme narratif de retournement de situation qui rend toutes les parties intéressantes. C’est un jeu simple, avec cette petite pointe de génie discrète qui lui donne un charme fou ! Ca se voit, que je suis fan ?

Éric Nieudan: Etant un fan du diable depuis un bon moment, j’ai tout de suite été intéressé par le thème du jeu. Mais à la lecture des règles, j’ai été soufflé par la façon dont Christian s’en sert pour créer un jeu d’aventures aussi court qu’épique. Je dis ça, je dis rien, mais le JdR d’apéro-initation motorisé par le black jack est une trop bonne idée pour ne pas devenir un sous-genre à lui tout seul.

Cyril Puig : Moi, les jeux de rôle narrativo cooperatif à base de carte… en principe… ça me parle pas… sauf qu’il y a du génie dans cette petite diablerie. Le black jack comme outil au service de l’histoire fonctionne à merveille. Ma première partie avec des non rôlistes l’a démontré par l’exemple ! C’est immédiatement adopté, c’est fluide, c’est drôle et inattendu! Bref, c’est diaboliquement simple… et donc efficace. 5 minutes pour expliquer les règles, 5 minutes pour définir les avatars et c’est parti pour 1h30 de pure bonheur. Lorsqu’en fin de partie les joueurs novices vous demandent : “à quand la prochaine?”… vous savez que c’est gagné.

Philippe Auribeau¹⁰ : j’ai eu la chance d’assister à la genèse de ce jeu par l’esprit diabolique de Christian, ses évolutions pour arriver au produit final. C’est le fruit d’une longue réflexion sur les domaines ludiques et narratifs qui ont conduit à ce jeu hybridiabolique, où le principal est le plaisir de raconter une belle histoire en se nourrissant de références qui nous sont chères. Ajoutez une mécanique aux petits oignons, et vous obtenez un petit ovni ludique que j’ai hâte de tenir dans mes mains menottées.

Pierre Pradal¹¹ : Lorsqu’il y a deux ans, Cégé a commencé le développement de Tribute, ses intentions premières étaient de proposer un jeu narratif aux règles simples, funs et accessibles au plus grand nombre permettant de se lancer dans l’aventure avec un minimum de préparation. Il n’a pas hésité à retravailler son concept initial plusieurs fois pour relever ces trois défis. Aujourd’hui, Tribute est un petit bijou de système. Une question subsiste: Cégé a-t-il signé un pacte avec le Diable?

Jérôme Larré¹⁹ et Coralie David²⁰ : Alors nous, à la base, on ne voulait pas être là. Puis, Christian nous a motivé en nous disant qu’on pourrait faire un script juste pour avoir le droit de nous moquer du nom de sa maison d’éditions. Et comme cela fait dix ans que lui ne se prive pas, on s’est dit que ce serait l’occasion rêvée. Alors, oui, bien-sûr, le fait que le jeu soit bon et vienne palier ce qui nous semble être un manque dans l’offre actuelle n’était pas désagréable non plus. Mais soyons clairs : ce n’était qu’un heureux accident !

Bon, parlons peu, parlons bien et attaquons le sujet qui ne fâche pas du tout (pour une fois), le prix… et tes choix vis à vis des soutiens (enfin, de leur bourse… enfiiin… Tu m’as compris quoi) pour ce financement. Tout ça me donne l’impression que tu fais ce qu’il faut pour encourager la confiance des plus réticents à mettre un pied (à défaut d’un rein ou d’un bras) dans le fabuleux (quoique parfois hasardeux) monde du financement participatif. En dépit des (trop nombreuses) parenthèses, j’ai bon ?

38€ M’sieurs Dames… Au Diable l’avarice, investissez pour votre avenir

J’ai connu du financement participatif sous diverses formes, que ce soit en tant que soutien ou en coulisses, en bien comme en mal. Ce que j’ai voulu avec mon approche, c’est de faire un crowdfunding qui met en avant ma philosophie. Proposer un deal honnête, où chacun puisse s’y retrouver, autant que faire se peut. Que ce soit côté « financement » ou côté « participatif ». C’est aussi pour cela que j’ai choisi l’approche « prévente » et non « score financier », avec un délai entre la campagne et la livraison qui soit le plus court possible. De même, le choix de la distribution s’est fait sur le facteur « disponible en boutique ». J’ai été particulièrement séduit par la possibilité d’impliquer les boutiques de jeu, de faire économiser les frais de port aux souscripteurs, le tout en payant en deux fois. J’adore ce principe qui facilite tant les choses, tout en impliquant l’ensemble des acteurs du milieu ludique, de l’auteur, en passant par le distributeur, les boutiques, et le joueur. Tout le monde y gagne.

Dans la culture populaire, il y a plus ou moins deux grandes tendances qui se dégagent autour des rencontres avec le diable.
D’un côté on nous présente le type vraiment trop méchant, qui finit par se faire avoir, à cause de sa cupidité/méchanceté (Crossroads¹², l’Imaginarium du Dr Parnassus¹³…), par des gens sincères et honnêtes parvenant à retourner les situations contre lui… Et de l’autre, celle du mec qu’on ne voit pas venir, aimable et affable, qui mise sur les défauts des gens avec lesquels il interagit, finissant ainsi toujours par obtenir ce qu’il désir (Angel Heart¹⁴, L’Associé du Diable¹⁵…), quitte à leur laisser croire le contraire.
Tu as choisi de te placer comment par rapport à ça, dans la proposition du jeu ?

Sans hésitation… j’hésite ! De prime abord, j’aurais d’abord répondu le tentateur séducteur retors, mais… En fait, je ne me suis jamais posé la question. Je me suis juste laissé porter par le côté « il y a toujours un piège dans les clauses du contrat ». Là, le contrat c’est la partie de Blackjack, et le piège la révélation. Après, comme le Diable ne cherche pas forcément à tout prix à faire ripaille de l’âme des joueurs, mais avant tout à tromper son ennui, il me ferait plus penser au personnage de Crowley¹⁶ dans Supernatural¹⁷ qu’à un Al Pacino¹⁸ dans l’Associé du Diable. Retors, mais facile à piéger, car au final, c’est exactement ce qu’il recherche : se faire avoir, car il sera surpris et aura passé un bon moment : la satisfaction de tomber sur des joueurs qui se montrent plus malins que lui ! Faut avouer que de passer une éternité à se faire réclamer l’immortalité, la richesse, le pouvoir… ça doit lasser.

Pour creuser un peu plus la question du Diable en tant qu’individu, tu t’en sert tel quel (donc associé plus ou moins directement à un contexte religieux impliquant l’existence d’un dieu), dans son costume Armani et son inévitable classe nonchalante, ou comme d’une image d’Épinal servant à cristalliser une tournure d’esprit, des travers et des dilemmes finalement propres à l’être humain ?

D’une image d’Epinal, mais en costume Armani. On va oublier le pendant « je porte ma croix », qui n’a pas grand intérêt ici. Mais on garde le côté « classe », car c’est tellement plus séduisant, surtout pour le vil tentateur. Les Diableries sont toutes articulées autour d’une révélation, qui peut être un dilemme. Sous le couvert d’une petite histoire sans prétention de prime abord se cache un questionnement de fond, un choix à faire. Et c’est là tout l’intérêt, sans pour autant tomber dans du pathos ou du drama. Aborder des sujets et des problématiques « adultes » tout en restant sur de la légèreté ludique. Après, c’est l’intention. Mais un jeu une fois sorti du giron de la création, ne vit qu’à travers la table où il est pratiqué, et chacun y met ce qu’il veut.

Quand je vois Tribute et la description du projet, je me dis qu’il s’agit d’un jeu basé plus sur des situations qu’un univers en particulier et ça m’amène à m’interroger sur un développement éventuel de la gamme… Donc pour toi, il s’agit d’un jeu « concept » destiné à s’autosuffire, ou on peut raisonnablement s’attendre à ce que tu l’étoffes plus largement par la suite (au moins par le biais de nouvelles Diableries) ?

Le jeu peut se suffire à lui-même, surtout que la recette de création de Diableries y est donnée en détail. Techniquement, il n’y aura pas besoin d’étoffer une gamme aux multiples suppléments. Mais comme tu le dis, publier de nouvelles Diableries, pour continuer dans l’esprit du clef en main, oui, carrément ! J’ai même deux-trois idées qui traînent pour étoffer le jeu, lui donner encore plus de profondeur. Si cela est possible – autrement dit, si le succès de la campagne ulule reflète un engouement pour la proposition ludique – je m’attellerai à cela. Si tel est le cas, et ce serait carrément chouette, ce sera un supplément contenant des Diableries et des alternatives de jeu.

Que Diable ! Je m’aperçois que l’on n’a pour ainsi dire pas évoqué le système de jeu… Tu as pris le parti d’une résolution à base de cartes, alors dis-moi, c’est pour faire le malin (huhu), ça sert un propos philosophico-ludique étroitement lié au jeu, c’est « parce qu’il fallait bien trouver quelque chose, alors pourquoi pas » ?

Bah, ça ou autre chose, franchement… qui s’en soucie ? C’est juste fait pour vendre un jeu de cartes personnalisé, voyons !

Bon, ok, j’avoue, c’est étroitement lié au thème. C’est le cœur même du jeu, avant tout le reste. Car le principe du Blackjack, son côté « stop ou encore » avec la limite du 21, ça colle parfaitement avec la thématique « tentation du Diable ». Pour l’auguste lectorat qui se dit « houlà, j’y pige rien au Blackjack », rassurez-vous : la seule chose à connaître, c’est qu’il faut poser des cartes sans jamais dépasser un total de 21, au risque d’échouer sinon. L’autre point fondamental de la mécanique, c’est qu’à chaque carte posée il faut décrire ce que fait son Avatar, ou ajouter un élément à l’histoire ou au décor. Plus la valeur de la carte est forte, plus on peut ajouter un élément important. Plus la carte a une petite valeur, plus ce sera un détail. Et c’est là qu’il faut se montrer malin, car comme tout un chacun sait, un simple détail peut tout changer !

Que je sois damné si avec tout ça vous n’avez pas envie d’aller jeter un œil sur ce qui s’annonce comme une fort belle proposition de jeu. Du beau bouquin rempli de matériel pour jouer de suite, un système simple et malin, un format de parties courtes particulièrement adapté à ma table de quadras débordés par la vie de tous les jours (certes, là je parle pour moi, mais n’empêche, ça joue) et surtout, surtout… un jeu porté avec amour par son créateur et toute une ribambelle de gens qui connaissent quand même « un peu » le milieu du jeu de rôle.
Embarquez donc à bord du Rafiot Fringant pour cette belle traversée.
Ha, et puisque vous m’êtes sympathiques, prenez donc cette irrésistible pomme offerte par le capitaine, vous m’en direz des nouvelles.

Richard ne comprenait toujours pas comment le gamin avait pu tomber sur le râble de Samuel dans ce couloir… Bon sang, il n’y avait pourtant rien d’autre qu’un chariot renversé et son reflet sur le linoleum étrangement brillant malgré le délabrement des locaux… Toujours est-il que c’en était fini pour lui.
Alors que la sortie était devant eux, à seulement quelques mètres, Richard avait entendu son cri. Il n’eut que le temps de se retourner pour voir rouler la tête du jeune infirmier (ne lui demandez pas comment il le savait, mais il en était désormais certain), jusqu’à s’immobiliser pour toujours au pieds d’un Mehdi stupéfait.
Alors que le corps de Samuel commençait à tomber à genoux, l’enfant/chose/monstre toujours accroché à son dos, Richard se fit la reflexion que c’était marrant, la tête du « gosse » donnait l’impression d’avoir remplacé celle de Samuel, dans une parodie d’être humain ayant croisé la route d’un réducteur de tête un peu farceur.
Le hurlement de rage de Clara le tira de ses pensées et il la vit foncer sur la créature après avoir saisi une hache d’incendie accrochée au mur (tient, il aurait pourtant juré qu’elle n’était pas là la seconde d’avant, sinon il l’aurait prise pour lui).
Grand bien lui fasse, si elle souhaitait s’attarder ici pour venger un inconnu, qu’elle se fasse plaisir. Pour sa part, il ne comptait pas perdre une minute de plus en ces lieux.
Il prit son élan et entama un dernier sprint vers la grande double porte.
Mehdi lui emboita le pas, sans non plus se soucier de Clara, mais eut un instant d’hésitation quand un autre enfant apparut entre la liberté et lui.
Une petite voix résonna dans le couloir pour la première fois, répétant inlassablement « Aidez-moi m’sieur, j’ai rien fait… laissez-moi partir… promis, j’dirai rien… » sur un ton plaintif.
Mehdi s’était figé, les yeux envahis de larmes sans bien en comprendre la raison…
Il commençait à tendre la main vers le gamin quand Richard se jeta sur les portes, innondant le couloir d’une lumière vive qui noya la scène dans une clareté salvatrice.
Enfin la liber…
… … …
Richard se redressa en sursaut sur un brancard, retenu par des sangles de contention en cuir.
A ses côté, trois autres brancards et trois autres personnes attachées… penché sur l’une d’elle, un enfant au regard fou finissait de scier les cervicales de Samuel, projetant du sang partout autour de lui tandis que Clara lui hurlait qu’elle allait le tuer, tout en se débattant avec ses liens.
Mehdi pleurait toutes les larmes de son corps en suppliant une petite fille dont le visage affichait de terribles marques de coups et dont le scalpel tenu avec maladresse semblait hésiter entre taillader l’aide soignant ou les liens qui le retenaient.
Devant Richard, Vincent ( le premier orphelin sur qui ils s’étaient livrés à leurs « expériences ») souriait. Son regard étrangement serein plongea dans celui du medecin sensé le « guérir » de ses tendances à l’automutilation, et ce dernier y lut, avec une clareté limpide que tout était perdu pour lui.
Il se laissa retomber sur le brancard, fixant la lampe scialytique suspendue au dessus de lui et lacha un simple « saloperie de gamins, c’était pour la science », avant que la porte du bloc ne se referme sur les hurlements qui se frayaient un chemin au travers de sa gorge, dans un chant du cygne horrifique de toute beauté.
… … …
Dans un autre lieu, un homme entre deux âges, vétu élégamment d’un costume à la coupe parfaite, finissait de retourner une carte sur un tapis de jeu…
« 23… C’est pour la banque… vous auriez dû vous arrèter avant cher docteur. »
Son rire sardonique se mêlant aux échos des hurlements de Richard dans une harmonie malsaine, il se renversa sur son siège, allumant un cigare d’une main pendant que d’un geste, il donnait à son groom le signal de faire entrer le joueur suivant…

Hmmm… plutôt cosi tout ça

Propos recueillis par David Barthélémy auprès de Christian Grussi

Notes et Références :

¹ Christian Grussi
² Rafiot Fringant
³ Wushu
Arkeos Adventures
Squid Games
Battle Royal
Sandy Julien
Eric Nieudan
Cyril Puig
¹⁰ Philippe Auribeau
¹¹ Pierre Pradal
¹² Crossroads
¹³ L’imaginarium du Dr. Parnassus
¹⁴ Angel Heart
¹⁵ L’Associé du Diable
¹⁶ Crowley
¹⁷ Supernatural
¹⁸ Al Pacino
¹⁹ Jérôme Brand Larré
²⁰ Coralie David

Avant la sortie

Avant la Sortie : Entretien avec Xaviiiier autour de The Caravan

Alors, vous je ne sais pas, mais de mon côté, j’aime bien me mettre un petit disque pour me donner des idées de scénarios… Une ambiance (parfois juste un couplet) peut amener des choses auxquelles on n’aurait pas forcément pensé en réfléchissant juste sur la base d’un jeu. Ce matin, j’ai donc refermé le couvercle de ma platine sur un petit King Crimson¹ et attendu les premières notes de Cirkus (de l’album Lizard sorti en 1970).
Grosse ambiance alternant entre riff apocalyptique et passages folk poussant à l’optimisme, ça sent le scénar bien barré (et je ne parle pas du reste de l’album… Rhaaaa Lovely, Happy Family…).
Donc, ça va décaper un minimum, il me faut un jeu proposant une touche de naïveté ainsi qu’un fond si possible bien glauque pour coller à tout ça.
Hmmmmm, je contemple mes étagères en quête de l’univers qui s’y prêtera le mieux, hésite quelques instants sur Thanatos, mais me dis rapidement que je serais bien en peine d’y insérer la touche de naïveté ou d’optimisme requise par la musique. Damned !
Et là, je repense à un jeu indépendant (tout comme Thanatos d’ailleurs) en développement qui pourrait bien coller, The Caravan.
Une troupe d’enfants, une Matriarche mystérieuse, une terre hostile abritant des communautés à problèmes et des masques magiques transformant les dits enfants en créatures difformes… Parfait.
Seul problème, le jeu n’est pas encore sorti.
Qu’à cela ne tienne ! Je me saisi vaillamment de mon clavier et part débusquer Xaviiiier, l’auteur du jeu pour en savoir un peu plus et voir si effectivement, je pourrai recycler mon King Crimson dans son univers.

Quand même, quel album !!!

Salut Xaviiiier et merci de prendre quelques minutes de ton temps pour m’aider à solutionner mon problème de bande son.
Avec The Caravan, tu nous proposes donc un univers Dark Fantasy Poétique dans lequel vont évoluer des enfants (de 5 à 16 ans), sous l’égide d’une entité nommée la Mama, leur fournissant à la fois un cadre de vie (la caravane), des objectifs (“aider” des gens en échange de faveurs) et des pouvoirs magiques, par le biais de masques… J’ai bon ?

[Une petite musique gitane en arrière-plan, quelques roulottes et un grand feu où des enfants insouciants ne semblent pas prêter attention à quelques loups qui les observent]

Oui tu as bien cerné le décor posé de mon jeu the Caravan.
Pour compléter ton introduction du jeu, j’ajouterai qu’il n’y a que des enfants au sein de la caravane. Le plus grand, Micky fait office de chef.
Les aventures prennent place sur une île nommée l’Ile Crâne.

L’Île Crane

L’île se compose principalement de petits villages qui vivent reclus sur eux même autour d’une croyance ou une peur. Par exemple : un village appelé l’Échelle qui est construit, adossé à de grands arbres. Les habitants les plus importants vivent en hauteur. La nuit des rongeurs, plus grands que natures, plus féroces, viennent voler, attaquer les maisons du bas. Quand la caravane se pose non loin du village, la situation est désespérée. Un vieil homme est prêt à faire la Demande aux Chuchoteurs (la forme monstrueuse des enfants) pour sauver son village. Et il sait qu’en contrepartie il devra offrir un Don à la hauteur de sa Demande.
Mais attention tout n’est pas toujours blanc ou noir dans the Caravan. Le Don ne sera-t-il pas pire que le problème en fin de compte ?

[Zoom arrière du village pour laisser voir l’île dans sa grandeur générale. Quelques villes importantes apparaissent]

Voilà pour les villages, mais il existe aussi quelques villes importantes. Par exemple le Palais qui peut-être considéré comme la capitale. Là-bas un homme, qui se fait appeler le Prince, veut se positionner comme seigneur de l’Île.

Puisque personne n’a rien contre les évidences, je poursuis : Le Palais

Le Palais est une ville qui date de l’avant Grand Chamboulement. A cette époque la magie était maîtrisée (plus maintenant sauf à travers des artefacts). Les habitations sont construites en pierres qui ne subissent pas les affres du temps. La nuit, une lueur bleue émane des pierres pour éclairer les rues. Le Prince a imposé sa légitimité par la force et les savants qu’il embauche pour essayer de comprendre l’ancienne magie. A côté de lui, un Chuchoteur qui le protège…
J’arrête là, car je pourrais en parler des heures……
Voilà un peu l’ambiance générale du monde.

Alors d’un côté nous avons l’univers, et de l’autre le système de jeu. Je fais partie de l’école “qui fuit les systèmes génériques”, notamment quand un univers avec une forte identité doit prendre vie. Tu te positionnes comment par rapport à ça ? Et fatalement, tu es parti sur quel type de système ?

Déjà j’adore les systèmes de jeu. Pour moi un jeu de rôle, c’est :
– un univers
– une ambiance
– un système
– une feuille de perso
Je suis donc d’accord sur l’idée qu’un système générique rend fade les jeux. Après, en fonction de la proposition de jeu, il peut y avoir des systèmes plus ou moins complexes, plus ou moins simulationnistes … etc

Veuillez remplacer la cartouche Y pour pousuivre l’impression

The Caravan est un jeu d’émotions, de ressentis, de réactions d’enfants sous forme de monstres puissants. Je voulais un système plutôt simple, mettant en avant la différence entre enfants, adultes et Chuchoteurs. Pour être complet, la première version avait un système d10 à base de bonus, malus, compétences, pouvoirs… impossible à équilibrer, rendant trop complexe le nombre de compétences. Et je ne parle pas des pouvoirs qui apportaient pleins d’incohérences… brefs pleins de tests nuls et des calculs excels dans tous les sens.
Et je suis tombé sur la traduction du Grümph² de Cthulhu Dark³.

#balancetonpoulpe

J’ai adoré. Simple, rapide et un potentiel de hack assez facile.
Voilà j’avais ma base. Après 5 ou 6 parties playtests et beaucoup de débriefing, le système a été adapté à la version actuelle.
L’idée première est de faire ressentir que sous sa forme de Chuchoteur, l’enfant est très fort. Un monstre de 2m50 avec 6 tentacules peut affronter 4 ou 5 humains sans difficultés. Pas immortel, il peut se faire déborder, mais les Chuchoteurs sont forts et craints. Le cœur du jeu est de jouer des enfants monstres essayant d’aider les villageois contre quelque chose ou… eux-mêmes. La fourberie des adultes ou la fatalité de la vie ne se déjouent pas avec la force brute, mais par les yeux de la naïveté ou la voix d’un enfant qui essaie de se faire entendre.
En playtest j’ai toujours eu des retours sur le besoin de ne pas mécaniser les actions. 
Dixit par exemple : « bah j’ai des ailes pourquoi je dois faire un jet pour voler sur le toit », « j’ai 4 bras et je fais 2m50,  je veux pouvoir tenir 4 villageois en même temps », « je peux parler aux morts, tu m’autorises à transmettre un message au père de la petite fille ? »… Ah voila la poésie qui prend place… et là c’est trop bête de bloquer ça.

Ha oui, effectivement, des enfants monstres

Donc une des spécificités des pouvoirs dans Caravan : c’est qu’ils réussissent toujours. Par contre, pour apporter une tension, un jet Mystique est fait, pour piocher en cas d’échec dans une jauge.
Le risque de perdre du Mystique augmente avec la diminution de la jauge. (bon, c’est plus clair dans le livre).
Pour revenir au sujet. Il y a des règles qui vont mécaniser des éléments de jeu comme : la magie, la cruauté des actions des joueurs, la quantité d’adversaires, tout en laissant les idées des joueurs se réaliser.

Mon premier réflexe quand je lis Dark Fantasy est en général de me dire “Encore…”.
Alors, ce n’est pas que j’aie une dent contre le genre hein, mais le désespoir au bout d’un moment, comment dire… Du coup, j’ai trouvé plutôt malin de ta part de mettre en scène des enfants, ça nous évitera le côté “tout est foutu no futur gothisant”, même si la fatalité n’est jamais bien loin (oui oui je sais, Remi sans famille⁴ met en scène un enfant…). C’était pleinement intentionnel dès le début, cette opposition entre environnement impitoyable et fraîcheur de l’enfance ou c’est venu plus tard dans ton processus de création ?

Oui, c’était présent dès les premières lignes d’écriture et de playtest. Je crée mes jeux, mes campagnes ou mes scenarios toujours autour d’idées de scènes. Mon inspiration débute toujours par l’envie de voir, de faire vivre quelque chose à mes joueurs. Viennent après l’univers, le lore, le pourquoi du comment.
Pour Caravan, ma première idée a été : que feraient des joueurs sous forme de monstres en remontant une rue déserte de nuit dans un petit village. J’imaginais leurs voix stridentes qui chuchoteraient des choses incompréhensibles aux habitants terrés chez eux, terrifiés.
Le nom Chuchoteur est venu tout de suite.
Jouer uniquement un monstre était sans intérêt pour plusieurs scenarios. Il fallait plutôt aider les villageois apeurés.  De même des monstres contre des adultes ne m’emballaient pas.
Et voilà le combo était donc: Chuchoteurs/monstres/enfants contre villageois effrayés/adultes
Au premier playtest, de suite, les joueurs ont apporté de la poésie avec la vision des enfants.
Donc pour revenir à la question initiale. Oui tout de suite il y a eut la poésie et des enfants à travers des monstres.
Le vrai travail de création et d’écriture vient après pour étoffer, créer tous les éléments autour et le lore global.

Puisqu’on est parti sur la création, j’ai parcouru la plaquette de ton jeu  et me suis fait la réflexion suivante : “mais mais mais, il fait tout tout seul ?”
Tu confirmes ?


Oui je suis seul pour tous les postes : écriture,  illustration et mise en page.
J’adore toucher à  tout. J’adore découvrir, apprendre et là je suis servi.


Aujourd’hui, j’ai délégué uniquement la relecture et la correction à une autre personne (@edenroliste).
Par contre, je discute beaucoup, sur tous les aspects du jeu. J’ai énormément de retours, débriefing de parties. Sans ces échanges clés, le lore serait beaucoup moins développé. Merci à eux pour toutes ces heures d’échanges, de tests sur tous les éléments qui structurent le jeu et l’univers.
Par exemple, j’ai eu des échanges de 3 ou 4 heures juste pour définir l’âge des enfants que vont interpréter les joueurs : Pas trop jeune pour pouvoir enquêter, raisonner, mais pas trop vieux pour conserver une vision parfois naïve.

Les visuels de la maquette que tu m’as fourni m’ont tout de suite fait penser à Mork Borg, avec des couleurs flashy et une rencontre improbable (encore que pas tant que ça quand on y réfléchit bien) entre Punk et O.S.R… Tu oserais me dire que “Non Non, pas du tout” ou c’est une influence assumée ?

Euhhhh oui clairement Mork Borg a été la révélation.
Avant, pour moi un jdr devait faire 400 pages et décrire toutes les tavernes, toutes les rues, toutes les villes…. La mise en page était sur 2 ou 3 colonnes, avec une image toutes les 3 pages.


Et il y a eu 2 jeux : Mork Borg et Maze of the Blue Medusa⁵.
Une claque. Voila : poésie, jeu de role A5 sur 96 pages, c’est possible. En plus les univers, quoique non complets sont inspirants, mais tout est là.
Donc oui influence majeure et non pas un Mork Borg like.
J’avoue, le jaune est un peu copié, à moins que ce ne soit le jaune des teletubbies⁶ qui m’ait inspiré ….  je ne sais plus.

De l’idée de départ à la réalisation de la maquette, en passant par les illustrations et le game design, ça n’a pas dû se faire en quinze jours. C’était quoi pour toi le plus compliqué à mettre en œuvre ? Tu as eu des phases où tu t’es dis “pffffff… ça saoul, je plaque tout et je me barre à Plougastel manger des crêpes… heuuu… des galettes” ?

C’est par palier. Avant chaque passage de palier, c’est toujours « pfffff j’arrête, c’est nul ». Et puis, à un moment, il y a un truc, une inspiration, une phrase de quelqu’un qui permet de passer la marche.

Le fameux restaurant « le Tape Cul » à Plougastel, haut lieux de villégiature réputé auprès de tous les auteurs en plein burn out…

J’ai vite lancé des playtests qui étaient supers inspirants.
J’ai eu beaucoup de mal pour trouver mon style de mise en page. Je suis passé par 3 tests de 30 à  40 pages chaque fois pour me dire … « pfff c’est nul, c’est pas ça que je veux ». Et au troisième c’était bon.
Voila le style de palier difficile à franchir.
Là, actuellement, le corebook et le storybook sont écris, illustrés et mis en page a 80%. Le pfff actuel, c’est monter le financement et le marketing… ahhh c’est trop long… mais ça avance.

Mais dîtes voir un peu, ça m’a l’air chouette tout ça

Tu as dû acquérir des compétences particulières au long de ton processus de création, ou tu avais déjà les connaissances nécessaires de par ton parcours (pro ou autre) ?

Oui je connaissais un peu la création d’ebook, la mise en page et le dessin sur ordinateur. Mais par contre jamais aussi loin. Dans mes créations précédentes, il y avait 20% écrit et 80% dans ma tête. 
Là, il faut 100% écrit pour un lecteur qu’on ne verra jamais.

Bon, pis le choix de l’indépendance, tu y es venu comment ? Parce qu’il y a tout de même un certain confort à bénéficier des conseils et du soutien d’un éditeur…

Haaaa l’indépendance…

Je suis de nature à faire les choses seul. J’aime être entouré de conseils, mais avec une finalisation plutôt personnelle.
Je reconnais qu’un éditeur apporte 1000 conseils que je n’aurai jamais en travaillant seul. Mais aujourd’hui pour mon premier financement participatif, je préfère partir presque seul.
De nos jours avec internet, tout est possible seul. Les outils sont disponibles, l’impression à la demande accessible… etc…

Tu vas donc passer par un Financement participatif pour financer ton projet d’ici quelques mois. Tu nous détaillerais un petit peu en quoi va consister la gamme ?

Oui, d’ici à 3 à 6 mois, je lance le financement participatif sur Game On Tabletop⁷. Aujourd’hui, je suis prêt, mais l’installation du financement consomme beaucoup temps, beaucoup plus que je ne le pensais.
En termes de contenus, il y aura principalement 5 contreparties, en pdf et/ou en physique :
– un Corebook avec l’univers, les règles et 1 scénario.
– un Storybook de 8 scénarios avec toutes sortes d’approches possibles du jeu.
– Ecran A5 en 4 volets
– Des fiches A6 avec les différents masques pour la cérémonie.

De quoi s’équiper sous tous les formats

Pour la surprise, il y aura aussi ​quelques packs premiums avec un vrai masque de plus de 50​ ​cm​ ​….
Un vrai boulot que je n’imaginais pas. Mais ça avance​ peu à peu…..​

Tu as fais le choix de te lancer dans l’édition avec ce premier jeu. Ce n’est pas rien en plein Covid/pénurie de papier/crise des transports. Ça m’amène à m’interroger… C’est du one shot ou tu as d’autres projets que tu aimerais porter par la suite (qu’il s’agisse des tiens ou de ceux d’autres créatifs) ? 

– Dis Maurice, y’a plus d’papier… Elles sont où les ramettes ?
– Ch’ai pas… t’as regardé derrière les cartouches d’encre ?
– Ha… Ben y’en n’a plus non plus !!!

Oui toujours beaucoup de projets. Autour de Caravan il y aura une campagne et les explications de certains mystères des corebook et storybook.
Pour les autres jeux, j’ai constamment pleins d’idées, mais rien de fixe. Aujourd’hui, je mets toute mon énergie dans ce projet.
Mais c’est vrai qu’en découvrant et jouant à Maze of the Blue Medusa, j’ai découvert une vraie poésie créatrice dans un méga donjon.
Peut-être une idée pour un futur projet, pourquoi pas 🙂
Pour suivre l’avancé du projet une seule adresse : https://twitter.com/thecaravan8 

​​Un grand merci à toi pour ce zoom sur the Caravan et n’hésitez pas à me contacter sur twitter pour plus d’infos ou participer à des playtests.

Et voilà pour ce qui concerne The Cravan.
Xaviiiier me signale fort à propos que le jeu sera en financement sur Game On Tabletop du 2 au 30 avril, donc si comme moi vous avez des morceaux à utiliser en partie qui peinent à trouver un jeu dont l’ambiance colle, n’hésitez pas. Vous noterez également que Xaviiiier a fort habilement évité de me dire si mon King Crimson pouvait faire l’affaire… soit il est trop gentil pour me dire franco que je suis à côté de la plaque avec ma musique de vieux, soit c’est tellement une évidence que ça ne vaut pas vraiment le coup d’y prèter attention. Dans tous les cas, j’ai décidé en mon âme et conscience que j’ouvrirais ma première partie de The Caravan avec (et toc).
Rendez-vous est pris donc pour le 02 avril pour découvrir tout cela plus avant.

Et comme nous avons commencé en musique, il parait juste de terminer à l’avenant. Par conséquent, le dernier mot sera pour Freddy dans sa complainte à Mama

Is this the real life?
Is this just fantasy?
Caught in a landside,
No escape from reality
Open your eyes,
Look up to the skies and see,
I’m just a poor boy, I need no sympathy,
Because I’m easy come, easy go,
Little high, little low,
Any way the wind blows doesn’t really matter to me, to me

Propos de Xaviiiier recueillis par David Barthélémy

Notes et références :

¹ King Crimson
² John Grümph
³ Cthulhu Dark
Rémi sans famille
Maze of the Blue Medusa
Teletubbies
Game On Tabletop

Avant la sortie

Avant la Sortie : Saga Explorer par le Studio Elixeer

Amis rôlistes, bonjour.
Aujourd’hui, nous allons parler d’ un sujet concernant (pour des raisons mécaniques évidentes) une part significative de la population rôliste gentiment vieillissante : le jeu avec des enfants.
En effet, de plus en plus fleurissent les jeux destinés à un jeune public (voir très jeune), car à un moment donné, le rôliste quadra se fait la réflexion que jouer, c’est cool… que jouer quand on a des enfants, ça devient compliqué… que ça finit par manquer… et que, “mais bon sang de bonsoir, les enfants sont des joueurs tout indiqués et on les a tout le temps sous la main !” (contrairement aux joueurs habituels du groupe, luttant eux aussi pour se dégager de rares moments de liberté entre travail, vie quotidienne, vie de famille et gestion de la marmaille).
Alors certes, les propositions ne datent pas d’hier (Le Magicien d’Oz¹ par Julien Blondel² date de 2006, Les contes ensorcelés³ d’Antoine Bauza⁴ de 2007) et sont nombreuses, toutefois on assiste à une montée certaine de l’offre sur ce créneau, avec par exemple des titres comme :
Petits Détectives de Monstres
Sorcières et Sortilèges
Tails of Equestria
No Thank You Evil
Petits Pirates⁹ (dont le retour de lecture/jeu ne saurait tarder)
Cos’île Été¹⁰

Hé oui, il existe déjà de quoi mettre les microbes à la fête

Pour autant, on ne sait pas toujours par quel bout prendre tout ça (même si les enfants semblent avoir un penchant somme toute assez naturel au jeu et à la mise en situation) et des intermédiaires permettant d’aborder tranquillement le Jdr sont les bienvenus (après tout, beaucoup de rôlistes ont commencé par les livres dont vous êtes le héros) pour les parents (souvent débordés) que (pour certains) nous sommes devenus.
C’est en cherchant ce type de produit que j’ai découvert le projet Dreamquest¹¹ sur Ulule en 2018 et ai immédiatement été séduit par l’univers qu’il proposait.
Dreamquest 1.L’épée des Rêveurs consistait en une aventure conçue expressément pour être jouée par un enfant, accompagné d’un parent, sur le principe du livre dont vous êtes le héros, mais introduisant déjà quelques mécaniques ludiques propres (entre autre) au Jdr (pouvoirs spécifiques, points de Rêve, Carte de personnages et suivi de quête).
Pour l’avoir testé (de trèèèèèèès nombreuses fois) avec mon aîné à partir de ses quatre ans, ça fonctionne du tonnerre. Aussi c’est avec une grande joie que j’ai découvert récemment l’arrivée prochaine du nouveau projet du Studio Elixeer : Saga Explorer¹²
C’est donc en compagnie de Fabien VINCOURT¹³, l’un des parents du projet, que nous allons tenter d’en savoir un peu plus…
Ici les studios, à vous Cognacq-Jay….

Bonjour Fabien et merci de prendre un peu de ton temps pour venir discuter du nouveau projet du studio. Alors, Saga Explorer, c’est quoi ?

Bonjour David et merci de t’intéresser à notre nouveau projet. Saga Explorer s’inspire d’un dessin animé qui a marqué mon enfance  Les mystérieuses cités d’or¹⁴. en reprenant sa particularité de proposer une histoire suivie d’une petite partie culturelle. Avec Saga on veut aussi donner aux plus jeunes les moyens de vaincre leur timidité en développant leur expression en public et leur permettre de découvrir le monde de manière ludique. Nous reviendrons dessus un peu plus tard.

Avant de poursuivre sur les nouveautés, j’aimerais bien que tu nous fasses un petit retour sur le premier projet du studio, à savoir DreamQuest (parce que zut, c’était une super proposition que j’ai vraiment beaucoup aimé). J’ai longtemps attendu le tome 2, mais en 2019, une bien triste nouvelle a semble-t-il porté un coup d’arrêt à l’aventure…

Grâce au soutien de la communauté, nous nous sommes fait repérer par un petit éditeur 🙂 Space Cowboys¹⁵ qui était alors en train de monter la branche kids SpaceCow dirigée par Benoit Forget¹⁶. Nous avons saisi l’opportunité de retravailler le produit et lui donner une plus grande visibilité. Comme tu l’as dit, nous avons été lourdement touchés par la perte de notre illustrateur Yann Thomas. Après quoi il nous a fallu un peu de temps pour nous remettre en selle. Aujourd’hui le Tome 2 est finalisé de notre côté et se trouve entre les mains de notre éditeur qui essaie de trouver le meilleur moyen pour le publier avec toutes les problématiques de production et de logistique que nous connaissons depuis 2 ans.
Nous sommes impatients que vous l’ayez entre les mains tant l’aventure diffère du premier opus.

Vous revoilà donc aujourd’hui avec une nouvelle proposition… on s’éloigne de l’objet livre à proprement parler et on pousse un peu plus avant les supports ludiques pour explorer le monde. Qu’est-ce qui vous a poussé à changer votre formule d’origine dans cette direction ?

Notre formule d’origine existe toujours au travers Dreamquest à savoir donner envie de lire aux enfants. Cette fois-ci, nous voulons faciliter la prise de parole chez l’enfant et aussi l’accompagner dans la découverte et la mémorisation des pays par la manipulation d’objets.
Avec Saga Explorer, que ce soit en famille, en fratrie ou entres amis, les enfants vont d’abord vivre une aventure extraordinaire qui les mettra dans la peau d’aventurier. Ils prendront part à des scènes d’action et comme dans les jeux de rôle, ils devront expliquer comment ils se sortent de chaque situation. Pendant l’aventure, ils vont également manipuler la carte du pays pour découvrir les différents lieux et en fin de partie, ils viendront accrocher une ficelle entre les différents pays traversés, afin de suivre leur parcours tel de vrais aventuriers.

En parcourant la plaquette du projet, j’ai remarqué que vous allez décliner Saga Explorer principalement sous trois formules :
– L’accès au “prologue”, contenant le matériel nécessaire à l’ensemble des aventures ainsi que la première mission.
– L’abonnement pour 3 mois, proposant donc le prologue ainsi que deux nouvelles destinations.
– L’abonnement pour 6 mois, proposant toujours le prologue, ainsi que cinq nouvelles destinations.
Ça m’a l’air très chouette comme principe, mais dis-moi, ce n’est pas un peu vil (mouahahahaha !!!) de proposer une demi campagne à des parents qui vont devoir expliquer à leurs enfants pourquoi ils ne reçoivent plus leurs stickers au bout de deux mois (dans le cas d’un abonnement intermédiaire) ?

En effet David, il y aura bien plusieurs formules pour s’adapter au budget de chacun. Mais pas de craintes pour nos bambins si l’abonnement s’arrête au milieu de la campagne, il n’y aura pas de frustration. A chaque fin d’aventure, les enfants reçoivent une gazette numérique personnalisée reprenant les moments forts de l’histoire enrichie d’éléments nouveaux sur les personnages et l’univers. Si l’abonnement n’est pas reconduit, une fin sera également intégrée dans cette gazette.

Pour ce qui est de la rejouabilité (qui était à mon sens un des points forts de DreamQuest), à la maison, j’ai deux lutins qui ne sont bien évidemment pas jaloux l’un de l’autre pour un sou (comme tous les frères et soeurs) et ont un sens aigu du partage (comme tous les frères et sœurs).
D’après toi, je peux raisonnablement miser sur un seul abonnement pour le foyer ou je vais devoir hypothéquer ma maison pour éviter une guerre fratricide ?

C’est MOI qui mettrai le trait sur la carte… NAN MAIS !!!

Nous devrions pouvoir éviter les lancés de playmobils car en effet, un seul abonnement suffira pour la famille. C’est une aventure collaborative et les enfants vont donc réfléchir ensemble à la manière de se sortir de situations périlleuses en prenant chacun la parole l’un après l’autre. Un passeport pour le groupe sera rempli avec divers stickers à la fin de l’aventure en fonction du niveau de succès de la mission. Après si chacun veut posséder sa propre carte et son passeport, nous proposerons aussi une offre duo.

Sur la plaquette toujours, vous mettez en avant une approche tout en douceur du jeu de rôle (ce qui est très cool)… C’est une vraie volonté d’accompagner des parents et des enfants vers le loisir ou c’est plus un effet secondaire lié au format narratif que vous avez choisi d’utiliser ?

Alors c’est une véritable volonté d’accompagner le grand public vers les jeux de rôle. C’est un médium exceptionnel pour développer la confiance en soi et favoriser la prise de parole même pour les plus timides. Ce sont des histoires que l’on partage et que l’on vit qui restent gravés dans les mémoires. Saga Explorer a pour ambition de rendre accessible les jeux de rôle en limitant au maximum les règles qui restent un frein aux non-initiés.

Pour l’accès au jeu, vous indiquez : de 7 à 11 ans. C’est chouette, mais c’est une tranche d’âge qui commence à être bien fournie en propositions de jeux… à ce jour, le seul jdr que je trouve vraiment (mais vraiment hein, pas en adaptant sauvagement) adapté à des plus jeunes (disons 4/6ans) serait No Thank You Evil… Vous auriez des plans concernant cette tranche d’âge dans un futur plus ou moins proche ?

No thank you evil s’adresse déjà à des parents qui ont un pied dans les jeux de rôle pour qui lire des règles, utiliser des fiches de personnages, utiliser des compétences ne rebutent pas… Les textes dans Saga Explorer nous impose de donner cette tranche d’âge mais comme tu nous titilles là-dessus, nous avons bien pour objectif d’adapter nos aventures pour pouvoir les jouer avec des plus petits. 

Forcément, maintenant qu’on a parlé jeu de rôle, je vais vouloir en savoir plus sur le parcours de l’équipe concernant ce domaine… Vous pratiquez, avez pratiqué… ?
Et qu’est-ce qui vous a donné le déclic de dire « tiens, on va proposer à des parents et des enfants de vivre des aventures ensemble autrement qu’avec une manette dans les mains ou un abonnement à Netflix” ?

Nicolas a pratiqué les Jdr dans sa jeunesse et aujourd’hui il fait rêver les grands et les petits dans ses univers. J’ai pu faire découvrir à Frédérique et Victor le plaisir des jeux de rôle. Pour ma part, j’ai beaucoup pratiqué plus jeune et après une trêve boulot/parent, j’ai repris depuis quelques années avec un groupe d’amis et aussi avec ma fille (pour le moment principalement du medfan).
Quand on se fait des parties de jeux de rôle, on s’en souvient toute sa vie. On en reparle, on se refait l’aventure. J’aimerais que tout le monde ait la possibilité d’essayer au moins une fois. Après … on aime ou pas.

Alors, quand on s’attaque à un projet comme celui-là, le cahier des charges en termes de mécaniques ludiques, d’immersion et d’illustrations, ça ressemble à quoi ? Il y a eu des pièges à éviter ? Et comment, entre l’idée de départ et l’arrivée, tout cela a évolué ?

C’est un énorme travail de recherche et de test. Mettre des illustrations mais pas trop, pour qu’elles facilitent l’immersion, mais ne brident pas l’imagination. Ne pas être juste dans la proposition narrative comme la série For the Story¹⁸, qui  a l’avantage d’être simple mais reste compliquée pour des personnes ne pratiquant pas les jeux de rôle, car il faut imaginer toute la scène. Éviter l’écueil des Jdr plus classiques amenant son lot de compétences, statistiques et toutes les règles qui vont avec.

Des jeux For the story


Dans Saga Explorer, les joueurs prennent la parole à des moments clés de l’aventure. Une situation est décrite avec un objectif à atteindre. Un système de jetons et de prise de risque indique si les joueurs rencontrent des complications ou non. Enfin une liste de mots, certains proposés et d’autres imposés, leur est fournie pour décrire la scène et faciliter la prise de parole ainsi que l’imagination.

Vous avez des idées de développement pour cet univers de jeu ou c’est une campagne complète et bouclée, avant d’explorer un autre format ?

Saga Explorer est le concept qui englobe aventure et découverte culturelle.
Notre premier univers se nomme les Gardiens d’Atlantis. Au cours de la première saison, composée de six épisodes, les enfants vont vivre des aventures palpitantes dans six pays. Autant te dire que nous fourmillons d’idées pour faire découvrir bien d’autres pays et faire vivre de nouvelles aventures à nos minis Lara Croft¹⁹ et Nathan Drake²⁰ (regardez le teaser Uncharted le film pour avoir une idée de ce que vont vivre nos kids).

La crise du papier, des transports, etc commence gentiment à faire sentir ses effets… du coup, entre la naissance du projet, son développement et aujourd’hui, vous n’avez pas eu trop de sueurs froides quant à l’aboutissement ?

Comme beaucoup, cette problématique nous touche également. Nous avons dû revoir à plusieurs reprises nos contenus afin de maintenir un prix cohérent et accessible sans perdre sur la qualité du produit.

Quelque chose à ajouter pour le mot de la fin ?

Un gros merci à nos soutiens qui étaient là pour Dreamquest, qui nous permettent aujourd’hui de vous présenter Saga Explorer.

Hé bien voilà une fort jolie proposition pour celles et ceux qui voudraient sortir un peu leur gobelins des écrans (chose qui relève souvent du pari impossible pour pas mal de parents déjà bien occupés). Système simple, support visuel, goût de l’aventure, tout est là pour que vous puissiez les y mettre, sans pour autant avaler 200 pages de rêgles ou traduire à la volée un scénar après une rude journée de travail.
Le projet est donc en cours de financement sur Ulule et n’attends plus que de hardis aventuriers pour prendre son envol.
Pour ma part, je signe et attends désormais avec impatience le deuxième tome de DreamQuest… Allé hop, on y va ! En route pour l’aventure ta tatata (sur un air bien connu).

Propos de Fabien Vincourt recueillis par David Barthélémy.

Notes et références :

¹ Le Magicien d’Oz
² Julien Blondel
³ Contes Ensorcelés
Antoine Bauza
Petits détectives de monstres
Sorcières et Sortilèges
Tails of Equestria
No Thank You Evil !
Petits Pirates
¹⁰ Cos’Île été
¹¹ DreamQuest
¹² Saga Explorer
¹³ Fabien Vincourt
¹⁴ Les Mystérieuses Cités d’Or
¹⁵ Space Cowboys
¹⁶ Benoit Forget
¹⁷ For the story
¹⁸ Lara Croft
¹⁹ Nathan Drake