Vous aussi, faites comme François-Regis, Pierre-Henry et Marie-Anselmes, venez tester le SERUM contre les parties de jdr qui tombent à l’eau.
Les règles avancent gentiment. Quelques precisions et ajustements sont à apporter (utilisation specifique de la chance, précision sur les Figures, expérience, …), mais pour l’essentiel, c’est là et praticable.
Richard avançait dans le corridor blanc, éclairé par des néons agressifs… Nul endroit pour se cacher, et tant mieux, au moins on ne lui tomberait pas dessus sans qu’il ne l’ait vu venir. Cela faisait deux jours qu’il cherchait la sortie de cet hopital avec sa « bande », trois autres patients qui comme lui, s’étaient réveillés dans une chambre délabrée, avec pour seule possession une des fameuses chemises de nuit « fesses à l’air » si chères au milieu médical. Impossible de se rappeler autre chose que son nom, et c’était la même chose pour les autres. Clara, la grande blonde un peu forte, Medhi, l’adulescent dégingandé et Samuel, qui sous son air un peu rustre s’avérait plus cultivé que prévu, l’avaient rejoint petit à petit au fil de ses errances dans les couloirs ravagés de l’énorme bâtiment. Au début, tout allait bien… Enfin, autant que possible lorsque l’on est amnésique et que l’on bénéficie d’une intimité toute relative quant à l’exposition de son fondement.Tout allait bien donc, jusqu’à ce qu’ils croisent les premiers « enfants »… Saloperie de mioches. Le premier qu’ils avaient croisé déambulait d’un pas hésitant dans la cafétéria. Instinctivement, Richard su qu’il n’aimait pas les gosses, mais vu qu’il n’était pas seul, il fit l’effort de s’approcher pour voir ce qui se passait. Il perçu l’odeur de charogne alors que sa main allait toucher l’épaule du petit. Retenant un haut le cœur, ainsi que son geste, il ne réagit pas assez vite pour éviter de se faire lacérer par… cette chose…Une gueule toute en crocs s’ouvrant démesurément sur un cri muet, des yeux rouges luisant de malveillance et des mains dont on ne percevait au final que de longues griffes noirâtres… Tu parles d’un gamin ! Serrant sa main blessée, Richard hurla de douleur autant que de peur. Aussitôt pourtant, un élan de haine remplaça l’effroi et, d’un coup de pied sauvage, il envoya valser la créature qui tournoya sur elle même dans les airs, avant d’atterrir souplement à quatre pattes de l’autre côté des tables de cantine, à la manière d’une bête sauvage. Les autres étaient tétanisés par le spectacle se déroulant sous leurs yeux. D’un cri de rage, Richard rompit leur immobilité, les invectivant à se saisir d’une chaise pour l’aider à « défoncer cette saloperie »…
Allé les gens, venez jouer… Contrairement au bonneteau, ici vous avez une chance de gagner… Enfin… Peut-être…
Salut Christian¹. Tu vas nous proposer très très prochainement en financement ton jeu Tribute, qui va parler du Diable et de gens confrontés à ce très respectable individu, ou tout du moins, ses manières de faire. On dit qu’il se cache dans les détails… aussi, tu en aurais quelques-uns à partager avec nous pour préciser un peu tout ça ?
Bien le bonjour ! Et merci de m’accueillir par chez toi. En tant qu’humble émissaire de son Infernale Majesté, je vais essayer de répondre à ton flot de questions bien légitimes. Alors, quel scoop pourrais-je bien dévoiler dans ces lignes ? Que le financement participatif aura lieu sur Ulule du 13 avril au 5 mai prochain ? Déjà dit. Au prix de 38 €, prix spécial Ulule, pour la version livre + jeu de cartes ? Déjà dit aussi… Qu’il y aura des paliers qui vont permettre de débloquer des Diableries d’une myriade d’auteurs plus ou moins connus ? Bon… Parlons plutôt du jeu en tant que tel, alors. Tribute, Jouez avec le Diable, est un jeu de rôle à narration partagée, c’est-à-dire où chaque participant va intervenir dans l’histoire même pour l’enrichir. Qu’il est fait pour 2 à 4 joueurs, et se joue avec un classique jeu de 54 cartes, en utilisant le principe du Blackjack. Le tout permettant de faire des parties courtes d’environ une heure (et plus longues si on le souhaite), avec un temps de préparation d’une dizaine des minutes tout au plus. Allez, passons à la suite des questions pour un peu plus de scoops, parce que là, c’est pas terrible côté exclusivités !
C’est le premier projet de Rafiot Fringant² (talonné de près par Wushu³ et Arkeos Adventures⁴) qui passe, si je ne m’abuse, le cap de l’édition papier. Pas trop stressé par ce nouveau départ et la confrontation de tes idées avec un public à conquérir (même si l’on ne peut pas vraiment te considérer comme une « jeune première » dans le milieu du jdr) ?
Ha ben voilà de fort jolies choses
Je pense que je vais augmenter la dose de Tranxène dans mon café, histoire de rester calme, mais vif. Quel beau mélange… Alors oui, je suis à la fois impatient de voir le retour, les premiers résultats, et en même temps, j’ai le trouillomètre à zéro. Normal, quoi. Le trac avant l’entrée en scène. Surtout que je me lance avec un projet sorti de nulle part, hors des sentiers battus, sur lequel on peut difficilement faire des projections. C’est pas comme si c’était une licence de malade avec des ailes de chauve-souris, des tentacules ou des sabres lasers. Mais je ne regrette pas du tout mon choix, car il a pour avantage d’être une création pour le moins originale. Et il affiche clairement mes choix et mes envies : faire des jeux qui sortent des sentiers battus et rebattus, proposer des titres qui ont leur caractère bien à eux. Le choix de Wushu va dans le même sens, et quant à Arkeos Adventures, même si c’est un retour d’un jeu qui a connu ses heures de gloire, cette nouvelle édition sera dans la même veine : une proposition ludique hors des autoroutes mainstream. L’autre point commun, c’est la jouabilité, la facilité de prise en main. Cela fait des années que j’ai envie d’arpenter les voies du clef en main, facile à mettre en place, sans être un exégète de règles à tiroir. Et avec un fort potentiel de fun autour de la table.
J’ajouterais que l’un des feedback qui m’a fait le plus plaisir pour Tribute, c’est dans les retours de playtest à l’aveugle (sans que je sois là, le jeu vivant sa vie tout seul comme un grand), c’est celui d’une tablée avec uniquement des joueurs non-rôlistes, qui ont pris un pied monstrueux, se sont totalement lâchés, sans se poser de questions sur la mécanique, et qui n’ont qu’une envie, c’est de rejouer. Quoi de plus plaisant que d’avoir ce genre de retour quand on écrit un jeu ?
Bon, je fais l’innocent en te posant mes questions ingénues, mais pour être tout à fait transparent, j’avais été bien embêté avant d’attaquer l’entretien, tellement tu donnes de détails à son propos sur ton site. T’as pas un peu honte de couper l’herbe sous le pied des types comme moi qui grattent l’affection de leurs lecteurs en courant après « l’information qui tue » ?
mon crédo : le journalisme total
La honte serait de laisser des zones d’ombres. En plus tu peux comme ça poser tes petits petons sur un gazon fraîchement tondu pour poser tes questions ! Et puis j’ai passé l’âge du « sombre PNJ mystérieux au regard qui laisse entrevoir une vérité encore plus insondable ». Tribute étant à la croisée des chemins (si, j’ai osé) du jdr classique, du jdr narratif, et même du jeu de société dans sa forme. Alors ça valait la peine de prendre le temps d’expliquer les choses. De même pour le financement participatif. En tant qu’acheteur, j’ai envie de savoir pourquoi je délie ma bourse. Alors de fait, en tant qu’éditeur, je donne les informations que je souhaiterais voir en endossant le costume du consommateur. Tu noteras qu’en plus ça te laisse le champ libre pour poser des questions qui vont plus loin que le simple scoop façon « Closer du Polyèdre » (enfin, j’espère).
Alors, l’une des grandes forces du projet (de mon point de vue), sera de proposer plein de matériel jouable, les Diableries. Pour ce faire, tu nous as réuni un casting rôliste digne des meilleurs films choral hollywoodiens… Tu les as sélectionné comment tes petits diablotins ?
Après une série d’épreuves dignes de Squid Games⁵, matinées de Battle Royale⁶ ! La base ! En fait, quand j’ai écrit Tribute, je me suis dit que ce serait vraiment cool de réunir des auteurs sur le projet pour proposer une multitude d’univers, d’envies, de délires. Et que c’était l’occasion parfaite, sans avoir à demander à chacun d’écrire une encyclopédie. J’ai d’abord contacté des amis proches, susceptibles d’être intéressés, puis j’ai élargi ma recherche d’auteurs, avec comme ligne directrice la diversité, d’où des « monstres sacrés » et d’autres moins connus, des hommes de l’ombre qui traduisent, des auteurs de jeux indés, et des romanciers ou personnages publics que l’on ne soupçonne pas d’être accrocs au jdr. Et leur laisser carte blanche. Alors bien sûr, ils sont rémunérés, et leur rémunération augmente avec le nombre d’exemplaires pré-vendus lors de la campagne. Là encore, je trouve que c’est normal de non seulement proposer une rémunération de base décente, mais d’améliorer celle-ci si le succès est au rendez-vous.
Puisque je vous dis qu’il y en aura pour tous les goûts !
Après, je ne cache pas que je me suis également dit que ce serait une superbe opportunité, après des années pas forcément très joyeuses, de remettre à plat pas mal de choses. Un moyen de dire « j’ai pas grand-chose à voir avec ces sales histoires ».
Puisque l’on parle de tes séides, élargissons un peu notre entretien et donnons la parole à quelques-uns d’entre eux pour voir ce qu’ils ont à dire de tout ça (sans bien sûr compromettre leur place aux enfers)… nb: les diablotins étant par nature des créatures facétieuses et très occupées à « améliorer » le sort de l’humanité (gniark gniark), certains retours seront aujoutés au fil de leur réception par votre serviteur.
Sandy Julien⁷ : Je suis simplement le rôliste le plus chanceux du monde. Bon, je foire tous mes jets de dés importants pendant les parties, mais j’ai la chance de croiser des gens formidables par hasard, juste au moment où ils développent des projets de fou ! C’était le cas pour Tribute, dont j’ai suivi le développement avec plaisir. Christian ressemble à un gamin génial qui trouverait sans cesse de nouvelles façons de mieux jouer avec le contenu du coffre à jouets, et là, il en exhume les règles du black jack pour proposer ce genre de « petit jeu » qui t’accroche définitivement et te permet de faire des one-shots tendus, avec une structure en titane et un mécanisme narratif de retournement de situation qui rend toutes les parties intéressantes. C’est un jeu simple, avec cette petite pointe de génie discrète qui lui donne un charme fou ! Ca se voit, que je suis fan ?
Éric Nieudan⁸ :Etant un fan du diable depuis un bon moment, j’ai tout de suite été intéressé par le thème du jeu. Mais à la lecture des règles, j’ai été soufflé par la façon dont Christian s’en sert pour créer un jeu d’aventures aussi court qu’épique. Je dis ça, je dis rien, mais le JdR d’apéro-initation motorisé par le black jack est une trop bonne idée pour ne pas devenir un sous-genre à lui tout seul.
Cyril Puig⁹ :Moi, les jeux de rôle narrativo cooperatif à base de carte… en principe… ça me parle pas… sauf qu’il y a du génie dans cette petite diablerie. Le black jack comme outil au service de l’histoire fonctionne à merveille. Ma première partie avec des non rôlistes l’a démontré par l’exemple ! C’est immédiatement adopté, c’est fluide, c’est drôle et inattendu! Bref, c’est diaboliquement simple… et donc efficace. 5 minutes pour expliquer les règles, 5 minutes pour définir les avatars et c’est parti pour 1h30 de pure bonheur. Lorsqu’en fin de partie les joueurs novices vous demandent : “à quand la prochaine?”… vous savez que c’est gagné.
PhilippeAuribeau¹⁰ :j’ai eu la chance d’assister à la genèse de ce jeu par l’esprit diabolique de Christian, ses évolutions pour arriver au produit final. C’est le fruit d’une longue réflexion sur les domaines ludiques et narratifs qui ont conduit à ce jeu hybridiabolique, où le principal est le plaisir de raconter une belle histoire en se nourrissant de références qui nous sont chères. Ajoutez une mécanique aux petits oignons, et vous obtenez un petit ovni ludique que j’ai hâte de tenir dans mes mains menottées.
Pierre Pradal¹¹ : Lorsqu’il y a deux ans, Cégé a commencé le développement de Tribute, ses intentions premières étaient de proposer un jeu narratif aux règles simples, funs et accessibles au plus grand nombre permettant de se lancer dans l’aventure avec un minimum de préparation. Il n’a pas hésité à retravailler son concept initial plusieurs fois pour relever ces trois défis. Aujourd’hui, Tribute est un petit bijou de système. Une question subsiste: Cégé a-t-il signé un pacte avec le Diable?
Jérôme Larré¹⁹ et Coralie David²⁰ :Alors nous, à la base, on ne voulait pas être là. Puis, Christian nous a motivé en nous disant qu’on pourrait faire un script juste pour avoir le droit de nous moquer du nom de sa maison d’éditions. Et comme cela fait dix ans que lui ne se prive pas, on s’est dit que ce serait l’occasion rêvée. Alors, oui, bien-sûr, le fait que le jeu soit bon et vienne palier ce qui nous semble être un manque dans l’offre actuelle n’était pas désagréable non plus. Mais soyons clairs : ce n’était qu’un heureux accident !
Bon, parlons peu, parlons bien et attaquons le sujet qui ne fâche pas du tout (pour une fois), le prix… et tes choix vis à vis des soutiens (enfin, de leur bourse… enfiiin… Tu m’as compris quoi) pour ce financement. Tout ça me donne l’impression que tu fais ce qu’il faut pour encourager la confiance des plus réticents à mettre un pied (à défaut d’un rein ou d’un bras) dans le fabuleux (quoique parfois hasardeux) monde du financement participatif. En dépit des (trop nombreuses) parenthèses, j’ai bon ?
38€ M’sieurs Dames… Au Diable l’avarice, investissez pour votre avenir
J’ai connu du financement participatif sous diverses formes, que ce soit en tant que soutien ou en coulisses, en bien comme en mal. Ce que j’ai voulu avec mon approche, c’est de faire un crowdfunding qui met en avant ma philosophie. Proposer un deal honnête, où chacun puisse s’y retrouver, autant que faire se peut. Que ce soit côté « financement » ou côté « participatif ». C’est aussi pour cela que j’ai choisi l’approche « prévente » et non « score financier », avec un délai entre la campagne et la livraison qui soit le plus court possible. De même, le choix de la distribution s’est fait sur le facteur « disponible en boutique ». J’ai été particulièrement séduit par la possibilité d’impliquer les boutiques de jeu, de faire économiser les frais de port aux souscripteurs, le tout en payant en deux fois. J’adore ce principe qui facilite tant les choses, tout en impliquant l’ensemble des acteurs du milieu ludique, de l’auteur, en passant par le distributeur, les boutiques, et le joueur. Tout le monde y gagne.
Dans la culture populaire, il y a plus ou moins deux grandes tendances qui se dégagent autour des rencontres avec le diable. D’un côté on nous présente le type vraiment trop méchant, qui finit par se faire avoir, à cause de sa cupidité/méchanceté (Crossroads¹², l’Imaginarium du Dr Parnassus¹³…), par des gens sincères et honnêtes parvenant à retourner les situations contre lui… Et de l’autre, celle du mec qu’on ne voit pas venir, aimable et affable, qui mise sur les défauts des gens avec lesquels il interagit, finissant ainsi toujours par obtenir ce qu’il désir (Angel Heart¹⁴, L’Associé du Diable¹⁵…), quitte à leur laisser croire le contraire. Tu as choisi de te placer comment par rapport à ça, dans la proposition du jeu ?
Sans hésitation… j’hésite ! De prime abord, j’aurais d’abord répondu le tentateur séducteur retors, mais… En fait, je ne me suis jamais posé la question. Je me suis juste laissé porter par le côté « il y a toujours un piège dans les clauses du contrat ». Là, le contrat c’est la partie de Blackjack, et le piège la révélation. Après, comme le Diable ne cherche pas forcément à tout prix à faire ripaille de l’âme des joueurs, mais avant tout à tromper son ennui, il me ferait plus penser au personnage de Crowley¹⁶ dans Supernatural¹⁷qu’à un Al Pacino¹⁸ dans l’Associé du Diable. Retors, mais facile à piéger, car au final, c’est exactement ce qu’il recherche : se faire avoir, car il sera surpris et aura passé un bon moment : la satisfaction de tomber sur des joueurs qui se montrent plus malins que lui ! Faut avouer que de passer une éternité à se faire réclamer l’immortalité, la richesse, le pouvoir… ça doit lasser.
Pour creuser un peu plus la question du Diable en tant qu’individu, tu t’en sert tel quel (donc associé plus ou moins directement à un contexte religieux impliquant l’existence d’un dieu), dans son costume Armani et son inévitable classe nonchalante, ou comme d’une image d’Épinal servant à cristalliser une tournure d’esprit, des travers et des dilemmes finalement propres à l’être humain ?
Pick your poison…
D’une image d’Epinal, mais en costume Armani. On va oublier le pendant « je porte ma croix », qui n’a pas grand intérêt ici. Mais on garde le côté « classe », car c’est tellement plus séduisant, surtout pour le vil tentateur. Les Diableries sont toutes articulées autour d’une révélation, qui peut être un dilemme. Sous le couvert d’une petite histoire sans prétention de prime abord se cache un questionnement de fond, un choix à faire. Et c’est là tout l’intérêt, sans pour autant tomber dans du pathos ou du drama. Aborder des sujets et des problématiques « adultes » tout en restant sur de la légèreté ludique. Après, c’est l’intention. Mais un jeu une fois sorti du giron de la création, ne vit qu’à travers la table où il est pratiqué, et chacun y met ce qu’il veut.
Quand je vois Tribute et la description du projet, je me dis qu’il s’agit d’un jeu basé plus sur des situations qu’un univers en particulier et ça m’amène à m’interroger sur un développement éventuel de la gamme… Donc pour toi, il s’agit d’un jeu « concept » destiné à s’autosuffire, ou on peut raisonnablement s’attendre à ce que tu l’étoffes plus largement par la suite (au moins par le biais de nouvelles Diableries) ?
Le jeu peut se suffire à lui-même, surtout que la recette de création de Diableries y est donnée en détail. Techniquement, il n’y aura pas besoin d’étoffer une gamme aux multiples suppléments. Mais comme tu le dis, publier de nouvelles Diableries, pour continuer dans l’esprit du clef en main, oui, carrément ! J’ai même deux-trois idées qui traînent pour étoffer le jeu, lui donner encore plus de profondeur. Si cela est possible – autrement dit, si le succès de la campagne ulule reflète un engouement pour la proposition ludique – je m’attellerai à cela. Si tel est le cas, et ce serait carrément chouette, ce sera un supplément contenant des Diableries et des alternatives de jeu.
Que Diable ! Je m’aperçois que l’on n’a pour ainsi dire pas évoqué le système de jeu… Tu as pris le parti d’une résolution à base de cartes, alors dis-moi, c’est pour faire le malin (huhu), ça sert un propos philosophico-ludique étroitement lié au jeu, c’est « parce qu’il fallait bien trouver quelque chose, alors pourquoi pas » ?
Bah, ça ou autre chose, franchement… qui s’en soucie ? C’est juste fait pour vendre un jeu de cartes personnalisé, voyons !
C’est beauuuuuu
Bon, ok, j’avoue, c’est étroitement lié au thème. C’est le cœur même du jeu, avant tout le reste. Car le principe du Blackjack, son côté « stop ou encore » avec la limite du 21, ça colle parfaitement avec la thématique « tentation du Diable ». Pour l’auguste lectorat qui se dit « houlà, j’y pige rien au Blackjack », rassurez-vous : la seule chose à connaître, c’est qu’il faut poser des cartes sans jamais dépasser un total de 21, au risque d’échouer sinon. L’autre point fondamental de la mécanique, c’est qu’à chaque carte posée il faut décrire ce que fait son Avatar, ou ajouter un élément à l’histoire ou au décor. Plus la valeur de la carte est forte, plus on peut ajouter un élément important. Plus la carte a une petite valeur, plus ce sera un détail. Et c’est là qu’il faut se montrer malin, car comme tout un chacun sait, un simple détail peut tout changer !
Que je sois damné si avec tout ça vous n’avez pas envie d’aller jeter un œil sur ce qui s’annonce comme une fort belle proposition de jeu. Du beau bouquin rempli de matériel pour jouer de suite, un système simple et malin, un format de parties courtes particulièrement adapté à ma table de quadras débordés par la vie de tous les jours (certes, là je parle pour moi, mais n’empêche, ça joue) et surtout, surtout… un jeu porté avec amour par son créateur et toute une ribambelle de gens qui connaissent quand même « un peu » le milieu du jeu de rôle. Embarquez donc à bord du Rafiot Fringant pour cette belle traversée. Ha, et puisque vous m’êtes sympathiques, prenez donc cette irrésistible pomme offerte par le capitaine, vous m’en direz des nouvelles.
Richard ne comprenait toujours pas comment le gamin avait pu tomber sur le râble de Samuel dans ce couloir… Bon sang, il n’y avait pourtant rien d’autre qu’un chariot renversé et son reflet sur le linoleum étrangement brillant malgré le délabrement des locaux… Toujours est-il que c’en était fini pour lui. Alors que la sortie était devant eux, à seulement quelques mètres, Richard avait entendu son cri. Il n’eut que le temps de se retourner pour voir rouler la tête du jeune infirmier (ne lui demandez pas comment il le savait, mais il en était désormais certain), jusqu’à s’immobiliser pour toujours au pieds d’un Mehdi stupéfait. Alors que le corps de Samuel commençait à tomber à genoux, l’enfant/chose/monstre toujours accroché à son dos, Richard se fit la reflexion que c’était marrant, la tête du « gosse » donnait l’impression d’avoir remplacé celle de Samuel, dans une parodie d’être humain ayant croisé la route d’un réducteur de tête un peu farceur. Le hurlement de rage de Clara le tira de ses pensées et il la vit foncer sur la créature après avoir saisi une hache d’incendie accrochée au mur (tient, il aurait pourtant juré qu’elle n’était pas là la seconde d’avant, sinon il l’aurait prise pour lui). Grand bien lui fasse, si elle souhaitait s’attarder ici pour venger un inconnu, qu’elle se fasse plaisir. Pour sa part, il ne comptait pas perdre une minute de plus en ces lieux. Il prit son élan et entama un dernier sprint vers la grande double porte. Mehdi lui emboita le pas, sans non plus se soucier de Clara, mais eut un instant d’hésitation quand un autre enfant apparut entre la liberté et lui. Une petite voix résonna dans le couloir pour la première fois, répétant inlassablement « Aidez-moi m’sieur, j’ai rien fait… laissez-moi partir… promis, j’dirai rien… » sur un ton plaintif. Mehdi s’était figé, les yeux envahis de larmes sans bien en comprendre la raison… Il commençait à tendre la main vers le gamin quand Richard se jeta sur les portes, innondant le couloir d’une lumière vive qui noya la scène dans une clareté salvatrice. Enfin la liber… … … … Richard se redressa en sursaut sur un brancard, retenu par des sangles de contention en cuir. A ses côté, trois autres brancards et trois autres personnes attachées… penché sur l’une d’elle, un enfant au regard fou finissait de scier les cervicales de Samuel, projetant du sang partout autour de lui tandis que Clara lui hurlait qu’elle allait le tuer, tout en se débattant avec ses liens. Mehdi pleurait toutes les larmes de son corps en suppliant une petite fille dont le visage affichait de terribles marques de coups et dont le scalpel tenu avec maladresse semblait hésiter entre taillader l’aide soignant ou les liens qui le retenaient. Devant Richard, Vincent ( le premier orphelin sur qui ils s’étaient livrés à leurs « expériences ») souriait. Son regard étrangement serein plongea dans celui du medecin sensé le « guérir » de ses tendances à l’automutilation, et ce dernier y lut, avec une clareté limpide que tout était perdu pour lui. Il se laissa retomber sur le brancard, fixant la lampe scialytique suspendue au dessus de lui et lacha un simple « saloperie de gamins, c’était pour la science », avant que la porte du bloc ne se referme sur les hurlements qui se frayaient un chemin au travers de sa gorge, dans un chant du cygne horrifique de toute beauté. … … … Dans un autre lieu, un homme entre deux âges, vétu élégamment d’un costume à la coupe parfaite, finissait de retourner une carte sur un tapis de jeu… « 23… C’est pour la banque… vous auriez dû vous arrèter avant cher docteur. » Son rire sardonique se mêlant aux échos des hurlements de Richard dans une harmonie malsaine, il se renversa sur son siège, allumant un cigare d’une main pendant que d’un geste, il donnait à son groom le signal de faire entrer le joueur suivant…
Hmmm… plutôt cosi tout ça
Propos recueillis par David Barthélémy auprès de Christian Grussi
Cette ruelle était vraiment crasseuse… Pas le genre d’endroit où j’aurais souhaité finir par bouffer les pissenlits par la racine. En plus, j’avais oublié de nourrir le chat en partant… quelle chiasse ! Voilà ce qui me passait dans la tête pendant que les pruneaux sifflaient autour de moi, pire qu’un essaim d’abeilles auquel j’aurais voulu piquer son miel. Tiens, parlons-en de mes oreilles… courtes et pointues (du plus bel effet d’après les quelques minets du quartier qui passaient outre ma « différence » pour prendre du bon temps en ma compagnie contre un peu de flouze), ce sont elles qui m’avaient valu d’être embauchée pour enquêter sur les coucheries d’une Dahue du coin qui avait eu la mauvaise idée de faire des cornes à son Jules (ouais ouais, elle est facile je sais, mais on s’amuse comme on peut dans mon métier), un membre bien placé du réseau Milord, dans ma belle ville de Paris. Bon, belle pour certains, crasseuse et meurtrière pour d’autres… Les Rejetons font ce qu’ils peuvent pour survivre dans ce monde qui n’est pas fait pour eux et beaucoup virent au mariole après un ou deux revers face à la « justice » humaine. Pour ma part, j’essayais de maintenir un semblant d’honnêteté, mais vous savez ce que c’est, même droite dans ses bottes, quand on bosse principalement pour des Truands… ça finit par déteindre. Je savais que j’aurais dû rebrousser chemin quand j’ai vu que la mistinguette venait lécher la poire de l’autre cornu Radagast, un irlandais trafiquant de Horse qui monte en puissance sur Saint Denis depuis quelques mois… Mais qu’est-ce que vous voulez, faut bien vivre ! Allez ma poulette, on se secoue et on défouraille ces tocards avant de filer faire un rapport au patron… Après, il sera bien temps de nourrir ce con de chat en sirotant une petite fée verte… Métier de con.
Les Rejetons dans toute leur splendeur
Salut Fred¹, alors comme ça, sans prévenir, tu nous sors un jeu complet, même pas en foulancement du jour au lendemain… Qu’est-ce que c’est que ces manières ?
Je sais, j’ai merdé. Je me suis dit fin mai « Allez mon Fredo, faut faire kekchose de ta vie ! » et je me suis lancé dans la création d’un jeu de rôle au lieu de devenir consultant chez LVMH. Résultat : au lieu de rigoler fort quelque part à Dubai entre deux rails de coke, je suis là en train de répondre à une interview pour Culturejdr.
Donc, quand tu ne croques pas un Ben Felten² en quarantaine, la fine équipe de Rôle’n Play³ ou encore tes divers projet bd, tu ourdis des jdr mêlant polar noir et féérie avec ton collègue Johann Krebs⁴… À mi-chemin de Garrett Détective privé⁵ et des Tontons Flingueurs⁶, vous nous pondez Faerie Noire⁷, un jeu qui sent bon le tripot mal famé. Ça vous est venu comment cette idée ?
Polar noir et Fantasy, une belle histoire d’amour
Au départ je voulais faire Ben Felten the RPG mais il avait déjà vendu les droits. Alors je me suis rabattu sur mon plan B, une vieille idée un peu idiote d’il y a quelques années : et si, au lieu de faire parler des persos d’un univers de fantasy comme le quidam de tous les jours, on mettait de la fantasy dans notre culture populaire argotique. J’avais l’intention d’en faire une BD mais ça ne collait pas. En mai j’ai commencé à m’apercevoir qu’en fait il me fallait faire un univers et le faire vivre autrement que par une BD. Et je me suis dit que ce serait marrant de jouer des orcs avec des flingues qui parlent comme Audiard⁸. J’ai commencé à gratter des trucs dessus, puis en discutant de la chose avec l’ami Johann Krebs je lui ai demandé si ça le brancherait de tenter le challenge de faire un jdr complet en 3 mois. Et zoum.
La première fois que j’ai vu tes dessins, c’était dans Mousquetaires de l’ombre⁹, qui était déjà un mix assez étrange d’Alexandre Dumas¹⁰ avec Men in Black¹¹. C’est assez marrant cette concordance qui fait que au moment où le retour de Château Falkenstein¹² est annoncé par Lapin Marteau¹³, Faerie Noire arrive… Vous avez un lien karmique Brand¹⁴ et toi où c’est un complet hasard de calendrier qui nous vaut deux jeux mettant en scène la féérie dans un contexte « inhabituel » et utilisant des cartes à jouer pour résoudre les actions des personnages ?
Vous aimez les mélanges louches… ces jeux sont faits pour vous !
Pour comprendre il faut connaître la mère Morel, du Café de Cayeux de Dieppe, qui est aussi voyante. Elle lit le passé et l’avenir dans les écailles des harengs. C’est une longue histoire mais je vais faire court : elle m’a appris que Brand et moi sommes jumeaux cosmiques. Je sais, c’est vache d’apprendre ça alors qu’on en est qu’au quatrième calva de la matinée. Mais hors de question de lui filer mes droits d’auteur sur Faerie Noire. Je tiens à pouvoir au moins m’offrir une Valstar, la bière des stars.
Bon, je n’irai pas par quatre chemins, j’ai adoré la lecture de Faerie Noire, que je trouve à la fois concis et suffisant pour jouer. On sent toutefois que vous en avez gardé sous le pied et que l’univers mis en place ne demande qu’à s’étoffer (je pense notamment à la Horse, cette drogue pas banale qui circule chez les malfrats ou les relations entre organisations), que ce soit par des suppléments de contexte où une belle campagne, d’autant que vous concluez le bouquin par cette magnifique phrase : Ce livre n’est qu’un début Une chance que les développements aient droit également à leurs versions papier ou vous misez tout sur le site du jeu pour le suivi ?
Pour ne garder que la subsant… la subtans… la substantifique moelle du monde de Faerie Noire, il a en effet fallu écrire bien plus en amont sur tous les domaines sociaux, artistiques et politiques. Mais surtout sans tomber dans le côté jeu à mystères. Il n’y aura pas de grands secrets à découvrir dans des suppléments. Disons que nous avons assez de choses dans notre chapeau pour créer des histoires. C’est d’ailleurs l’esprit du jeu : développer cette France qui mélange fantasy et films noirs au travers des scénarios à jouer et des fictions. On préfère cette approche aux trucs encyclopédiques ou aux “secrets”. Je crois savoir que ce n’est pas trop la mode en ce moment de faire découvrir un monde via des scénarios, mais tant pis. On est des rebelz’.
Alors, mettons un peu les mains dans le cambouis. Déjà, niveau ergonomie il y a visiblement eu un gros boulot de fait pour rendre les persos lisibles au maximum, avec l’utilisation de cartes présentant les différents Rejetons ainsi que celles pour les Gagne-Pain (les deux éléments constituant un personnage). C’était une volonté présente dès le début du projet ou vous êtes partis d’un truc à la Rolemaster¹⁵ que vous avez dégraissé, poncé et usiné jusqu’à l’os ?
Alors, c’est-y pas bien pensé ça Madame ?
Avant que Johann ne se joigne à moi, je me disais « Bon alors, je vais prendre quoi comme système ? OSR¹⁶ ? Le vieux truc Chaosium¹⁷ ? ». Tu vois déjà le niveau du mec. Et puis Johann m’a dit « Il faut un système qui colle à cet univers, il doit être aussi parlant que le pitch et le background, indissociable ». Enfin, il ne l’a pas dit aussi bien. Bref. Il continue : « Faudrait… je sais pas… un truc inspiré des dés aux casino… ». Je lui ai dit « Le poker, coco. Le poker ! ». Je me voyais déjà jouer avec le chapeau mou, la cigarette en chocolat au coin du bec, et les cartes en pognes. Johann a bossé sur le système à partir de ça. Il a pondu un bidule élégant, léger, fun, et parfaitement dans l’esprit de l’univers. On l’a testé avec les copains, on a corrigé. Ça s’est très bien passé car lui et moi étions clairs sur ce que nous voulions. Il connaît bien mieux que moi tous les systèmes de jdr, mais nous partageons un même esprit de synthèse. Il fallait un truc qui va tout de suite au fait sans que ce soit froid. Un système « claque dans la gueule », mais avec le sourire. Johann a eu la Grâce.
Ensuite, il y a la magie (ou plutôt, la Sauce) qui bien que présente, me paraît potentiellement mortelle dans son utilisation par (et pour) les joueurs… tu pourrais développer l’intention derrière cet usage « à risque » ?
Oui, la magie dans Faerie Noire est lourde en perte d’énergie vitale. Il fallait là aussi que ça colle à l’univers noir des romans et films qu’on avait en tête. Il y a certes des paliers qui peuvent être très puissants, mais il faut une bonne dose de chance et un max de “points de vie” pour les accomplir.
Voilà ce qui se passe à trop faire le mariole en envoyant la Sauce
En parlant de magie, on se doute (doute confirmé à la lecture du scénario en fin d’ouvrage) qu’il sera possible de tomber sur des objets Enchantés, qu’il s’agisse de reliques ou de créations de certains Rejetons (au pif, des Nabots)… Vous avez prévu des règles supplémentaires pour gérer ça ?
En effet, il existe des artefacts. Nous n’avons pas prévu de règles à ce sujet pour l’heure, mais tout est ouvert. Je peux juste dire que pour nous les auteurs, les Rejetons n’ont pas les compétences pour créer des objets magiques, disons que ce n’est pas du tout leur fixette. Mais si un ou une fan en décide autrement, pourquoi pas ? Avec Johann on est très curieux de voir comment les joueurs et les joueuses vont s’approprier notre jeu. Notre plaisir dans le jeu de rôle c’est l’inattendu. On a conçu Faerie Noire dans ce sens : éclatez-vous avec, faîtes-en ce que vous voulez avec vos envies et vos vécus, vraiment.
Vous avez fait le choix de l’indépendance pour sortir Faerie Noire, comme de plus en plus d’auteurs tendent à le faire. Bon déjà, quand un illustrateur fait partie intégrante du projet, c’est tout de suite plus simple, mais au-delà de cette question d’ordre pratico pratique, qu’est-ce qui vous à motivé à tenter l’aventure en solo ?
Je ne vois sincèrement plus trop l’intérêt aujourd’hui de ne pas être indépendants vu les enjeux d’un jeu de rôle. Comme il n’y a pas de retour sur investissement à par le plaisir de le faire et de le voir jouer, et sachant qu’aujourd’hui tous les outils existent pour créer un jeu de A à Z, et bien pourquoi se priver ? Bon, après j’aime bien avoir le contrôle des choses et je travaille mieux et beaucoup plus vite seul ou comme ici en binôme. On a eu la chance d’avoir un petit groupe de joueurs et de relecteurs au poil de martre, vraiment. Et comme tu l’as rappelé, je peux à la fois rédiger, mettre en page et illustrer, donc… Pourquoi serais-je passé par la recherche d’une structure ? En même temps que la création du jeu, je zieutais les options d’impression, les coûts etc. Je savais mon capital en temps et en argent, j’ai fait en sorte que ce jeu entre dedans tout en ayant un maximum de qualité.
Auteur multitâche cherche clé de douze pour resserrer les rotatives
Quand je regarde les crédits du bouquin, je ne vois que les noms des deux auteurs, aucune mention d’une éventuelle structure destinée à soutenir vos productions… Ça voudrait dire que Faerie Noire s’apparente à un coup d’un soir ou vous avez d’autres idées en tête, d’autres thèmes à aborder ?
Perso je suis partant pour rebosser sur un autre jdr avec Johann si un jour les astres se mettent dans la bonne position. Là on va développer des trucs pour le site web de Faerie Noire et le faire vivre au sein de la communauté Discord que nous commençons à réunir. Mais lui et moi sommes un peu anars sur les bords, je pense qu’on aime par-dessus tout se marrer en toute liberté mais sans mal torcher les choses. Faire une structure éditoriale, à part foutre une crotte de logo sur la couv, je ne vois pas ce que ça apporterait.
Pour ce qui est de l’impression des bouquins, je vois que vous avez prévu trois types de formats : pdf, livre à couverture souple dos carré collé et livre version luxe avec couverture dure dos carré cousu… déjà, merci pour le choix, c’est toujours cool, et ensuite j’ai cru comprendre que vous n’envisagiez pas spécialement une présence en boutiques. C’est un choix que vous avez fait purement pour limiter les risques financiers ou ça relève d’une réflexion plus vaste autour de la consommation du jdr aujourd’hui ?
Nous n’avons pas la logistique pour être distribué en boutique, ni le temps d’ailleurs, et on préfère se concentrer sur la vente à distance et le faire bien. Il ne s’agit pas d’un positionnement politique ou militant, pour cette partie nous faisons avec ce que l’on a. Mais encore une fois, à notre petit niveau les enjeux sont faibles, on ne joue pas nos vies. On peut se permettre de vendre tranquillement en ligne, de redonner un peu de boost à certains moments, de ne pas laisser dormir le bouzin. On n’a pas de chiffre d’affaires ni de salariés à payer. On n’a pas misé sur le jeu de rôle pour gagner des pépettes, donc pas de stress.
D’ailleurs, ce marché du jdr, parlons-en… Vous en pensez quoi de cette déferlante qui semble parti pour se maintenir ? Les projets s’enchaînent à une vitesse folle et jamais autant de jeux n’ont vu le jour que ces dernières années. À votre avis, il y a de la place pour tout le monde ou ça va se régler à coup de surin dans les allées sombres au cours des annéesà venir ?
Alors, les sorties de mars à août c’est fait… Septembre, me voilà !
La surproduction est la question qui se pose aussi dans le domaine de la BD. Perso, j’aime mon époque pour une chose : on peut aujourd’hui sortir un livre, pdf ou papier, très facilement. On se balade avec des terminaux dans nos poches. L’impression numérique a cassé les prix. La création est possible partout, accessible tout le temps. Notre période n’est pas rigolote, mais on vit aussi quasiment toutes et tous avec le potentiel de créer et diffuser des œuvres, du rêve et j’en passe, à chaque instant, 24/7. Donc je trouve ça bien cette profusion de jeux. Je trouve bien de dénicher un petit jeu de John Grümph¹⁸ et de voir un peu plus loin une super couverture de telle donjon et dragonerie en crowdfunding. Je ne me pose pas la question en termes de marché, ce n’est pas ma place. Je ne connais rien au business du jdr, à part les pourcentages d’auteur et les prix pratiqués pour les illustrations. Ce qui m’intéresse c’est la création. La mienne et celle des rôlistes. 🙂
Plutôt satisfaite, la vieille Galibote retourna derrière son rade… Le dernier pochtron venait de partir et il était temps de se remettre au boulot. Les Irlandais et Milord devenaient vraiment trop entreprenants ces derniers temps et comme ça ne pouvait plus durer, elle avait décidé de prendre les choses en main. Se saisissant d’un harengs crevé dans le seau rouillé dissimulé sous le comptoir (qui, il faut bien l’admettre, participait beaucoup à l’ambiance rance se dégageant de son établissement), elle prit le temps d’échanger un regard torve avec la bestiole avant de la claquer sur son billot. D’un geste sûr hérité d’une longue pratique, elle trancha la tête et retira les boyaux de la poissecaille avant d’en gratter les écailles, dont elle observa attentivement la disposition à la lumière poussive d’une lampe à pétrole issue d’un autre âge. Parfait. La gamine Gravos allait rapporter les coucheries de l’autre traînée au Dahu et déclencherait une magnifique petite guerre de gangs pas piquée des vers. Elle était bien cette petiote. En plus elle aimait les chats. La Mère Morel se frotta les mains de contentement et se fit la promesse de faire livrer un seau de harengs devant la porte de la gamine… C’était bien la moindre des choses vu le service qu’elle venait de lui rendre sans le savoir, parce-que quand même… on a beau être des Truands, on est pas des bêtes.
Un grand merci à Fred Boot pour ses aimables réponses et ce jeu qu’il est bien 😀
Propos recueillis auprès de Fred Boot par David Barthélémy
John Grümph en 2017 lors des journées d’étude Jeu de Rôle à la Sorbonne
Le petit monde du jeu de rôle français s’élargit de plus en plus depuis quelques années et c’est très positif comme témoignage de la relance de ce loisir. Nous avons d’un côté les « survivants » de la grande époque et de l’autre les « petits » nouveaux qui investissent la place avec de nouvelles créations … comme bien souvent, ce qui m’intéresse le plus est l’entre-deux, à savoir ceux qui en pleine déconfiture n’ont rien lâché et participé contre vents et marées au renouveau que nous connaissons aujourd’hui. Lorsqu’au tout début des années 2000, Magic1 décimait les rangs des rôlistes aussi bien que la dysenterie le fit des philistins en leur temps, certains irréductibles se dressèrent pour faire face à l’ennemi et affirmer qu’il y avait encore de la vie dans ce petit bout de culture à l’agonie qu’était le jeu de rôle. Parmi eux, l’homme qui nous intéresse aujourd’hui, à savoir : John Grümph2 Que ce fut avec le collectif Ballon Taxi3, les éditions John Doe4 ou encore la collection Chibi5, le personnage n’a eu de cesse que de fournir des heures et des heures d’évasion à des individus somme toute assez louches : les rôlistes. Pourtant, en dépit de tout cela et malgré un rythme de production à faire pâlir Henry Ford6, je ne peux que faire le triste constat que justice n’est pas rendue à ce travail de Titan (& fils … joke inside) dans les colonnes des différents organes de presse privilégiant bien souvent les mastodontes anglo-saxons, plus porteurs commercialement parlant. Hé bien Mesdames et Messieurs, je ne suis pas d’accord et vous propose, afin de corriger ceci à la hauteur de mes petits moyens, un entretien avec cet auteur au cours duquel nous évoquerons son travail, sa conception du jdr, la vie, l’univers et le reste.
Bonjour à toi John Grümph (mes petits doigts tremblotent sur le clavier … non non je ne suis pas fan du tout) et merci d’avoir accepté de répondre à mes quelques questions. Comme je le disais plus haut, ça commence à faire un petit moment que tu es dans le paysage rôliste français… qu’est-ce qui t’as décidé à t’y investir, au-delà du simple loisir, de surcroît à un moment où ça ne paraissait pas forcément très porteur ?
Bonjour m’sieur. Pour commencer, le plus simple c’est juste de dire que j’ai commencé à jouer en 1983, grâce au grand-frère d’un copain. J’avais d’autres envies de carrière – musicien, animateur de l’éducation populaire – mais aussi bien le caractère du bonhomme que ses capacités réelles ou l’état du marché de l’emploi l’en ont détourné. Du coup, pour ne pas rester à rien faire et avec une illusion de soi-même qui aurait pu être dramatique, je me suis mis dans l’idée de dessiner et de proposer mes créations à des éditeurs. Forcément, ça ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais grâce à la triple circonstance de bénéficier d’un RMI pour vivre, d’être en couple avec une femme compréhensive et encourageante et d’avoir fait la rencontre de quelques belles personnes, j’ai fini par décrocher un premier contrat (Chamourai, avec Tarek et Darwin7). En vérité, ça m’a pris trois ans à apprendre sur le tas en bossant tous les jours (en grande partie pour ne pas décevoir ma moitié en me transformant en couch potatoe et puis aussi parce que c’est devenu de plus en plus facile de se mettre au boulot le matin).
Chamouraï tome 2
Le métier d’auteur de bandes-dessinées étant ce qu’il est et les éditeurs étant, en majorité, des crevards, c’était assez compliqué d’en vivre malgré tout – ou comment produire deux albums complets sans jamais être parvenu à se faire payer. Dans le même temps, je jouais beaucoup – genre cinq ou six parties par semaine (en présentiel bien sûr) – et je produisais du texte et des univers-maison pour ma consommation personnelle. Fin 2003, l’arrivée de l’ADSL (et de l’internet 24/7) dans mon coin paumé m’a permis de rencontrer Emmanuel Gharbi8 via les mails et les forums. Il bossait sur Exil9 et le proposait en libre téléchargement. Une équipe s’est constituée autour de lui pour essayer de transformer son jeu amateur (on est en pleine période CDJRA10) en quelque chose de professionnel. On fonde Ballon-Taxi (avec Antoine Bauza11 et Pierrick May12, qu’on retrouvera plus tard, et d’autres personnes) et un an et demi plus tard, on sort Exil chez Edge13. C’est à peu près à ce moment-là que j’ai décidé que les éditeurs de BD étaient définitivement des crétins et que je n’avais pas spécialement besoin d’eux. Avec Manu, on se lance dans la création de John Doe avec l’idée de sortir les bouquins qui nous plaisent sans devoir attendre le bon vouloir de quiconque. Proposer un bouquin à un éditeur, c’est trois mois de taf minimum juste pour lui présenter le projet. Quelques semaines à quelques mois d’attente. Et une réponse négative neuf fois sur dix, au mieux. Quand c’est positif, c’est juste décrocher un rendez-vous, pas un contrat. En faisant les choses soi-même, on se décide très vite si un bouquin va sortir ou pas. Et on le sort. Sans perdre de temps. Et on se paye dessus si tout va bien. C’est ce qu’on a cherché à faire avec John Doe, avec des succès variés. Mais la motivation, c’était vraiment de faire (enfin) le boulot que je m’étais choisi (auteur-illustrateur), dans un domaine qui me plaisait infiniment (le jeu de rôle) et avec des conditions correctes (en indépendant). Une fois lancé, le principe c’est seulement de mettre un pas devant l’autre et de recommencer, bouquin après bouquin.
Bon, faire vivre le jdr n’est pas chose aisée, s’en nourrir encore moins. Comment as-tu géré les choses au fil du temps, de Ballon Taxi à nos jours ?
Le collectif Ballon Taxi
Clairement, les revenus ont été longs à se mettre en place. Mais je le savais en commençant. Il faut dix ans après son premier contrat pour plus ou moins vivre de ce boulot – j’avais été prévenu par des professionnels. Il y a eu plusieurs phases. D’abord, tant que mes gamins étaient petits, on considérait à la maison que j’étais seulement auteur à mi-temps. J’ai fait la nounou et l’homme au foyer pendant une dizaine d’années tout en produisant des bouquins pour JD ou en bossant comme traducteur pour d’autres éditeurs (Sans-Détour14, Edge, la Bibliothèque interdite15). Les rentrées étaient irrégulières, mais ma femme est professeur en lycée et donc elle a toujours assuré la chasse au mamouth pendant que je m’occupais de la grotte et des lémuriens qui l’habitaient. Les choses ont changé quand les petits sont devenus plus grands et qu’ils n’avaient plus besoin d’une nounou, mais de tas de trucs utiles pour des primates en phase de prise d’indépendance. C’est à ce moment-là que j’ai créé Chibi en 2015, dans l’espoir d’assurer des revenus plus importants et plus réguliers. Et j’ai eu la chance que ça marche. Du coup, je ne me plains pas. Partant du RMI (genre 300 balles par mois), j’ai toujours augmenté mon salaire jusqu’à atteindre les 1000 balles aujourd’hui. C’est sans doute pas bézef, mais 1/ je n’ai pas besoin de vider des poulets pour ça et 2/ j’ai un métier que j’adore et qui me comble et tout le temps dont j’ai besoin pour faire les choses comme je veux. Et, franchement, vu mon niveau graphique, je ne pourrais pas espérer travailler comme art designer pour une grosse boite avec un gros salaire, donc ça me convient parfaitement.
Tu es auteur, illustrateur, traducteur, maquettiste, éditeur avec John Doe et indépendant avec ta collection Chibi. Un véritable Swiss Army Man16 (mais bien vivant) de l’édition … Tu t’es formé sur le tas ? Et ça c’est fait comme ça ou c’est issu d’une réelle volonté d’indépendance de ta part ?
Je suis entièrement autodidacte – avec l’aide précieuse de plein de gens qui m’ont conseillé, montré des trucs, donné ma chance et ainsi de suite… Tout s’est fait selon les opportunités et les nécessités. Quand j’ai besoin d’apprendre un truc, j’essaie de trouver le temps pour ça. Ensuite, c’est des heures et des heures à pratiquer jusqu’à trouver des méthodes qui fonctionnent. J’ai appris le dessin comme ça (et je continue à l’apprendre en regardant des profs sur youtube), j’ai appris à écrire en soumettant mes textes à la critique et en discutant avec d’autres auteurs. La traduction, au début, c’était seulement pour mon usage personnel, jusqu’à atteindre une certaine fluidité (mais, là encore, je ne suis pas au niveau d’un vrai pro qui a fait des études dans le domaine et qui maîtrise infiniment mieux toutes les subtilités du travail). Je présume que tout provient des besoins. Je n’ai pas les moyens de faire faire les choses par d’autres. Donc j’apprends à faire moi-même. Au début, c’est pas terrible. Et puis on se met à tricher et à simplifier. Je ne peux prétendre à la maîtrise dans aucun des domaines nécessaires au métier que j’exerce – je fais au mieux, mais je profite surtout de pouvoir intégrer tout ça dans une même chaîne de production, en réfléchissant à toutes les étapes à la fois tout au long du processus de création et de développement. Et puis, surtout, ça me donne la possibilité de lancer n’importe quel projet perso en sachant ce que je peux espérer atteindre comme résultat et ce que je ne saurai pas faire.
Quand j’étais en formation de musicien professionnel, l’ un de mes profs un jour, nous a dit que tout artiste renfermait en lui une part de mégalomanie, ne serait-ce que par le fait d’estimer que sa vision méritait d’être exprimée devant le plus grand nombre … c’est certes un peu réducteur, mais l’image m’a marquée durablement. Les rôlistes sont (d’expérience) souvent bien pourvus en la matière, mais de ton travail se dégage, à mon sens, une forme de modestie que j’ai bien du mal à m’expliquer. Comment tu fais ça ? Et surtout, suis-je totalement à côté de la plaque dans mon ressenti ?
Par principe, je fais les choses d’abord pour moi. Je ne cherche à prouver à personne que je suis le meilleur ou que mes idées sont les seules qui vaillent. J’ai un gros ego, je pense, mais je ne ressens pas le besoin d’aboyer pour le prouver au monde. Fac et Spera : fais et espère. J’en ai fait ma devise. Je fais les choses d’abord pour moi et j’ai la chance immense de trouver un accueil et un écho chez plein de gens qui suivent mon boulot. J’essaie aujourd’hui d’être au service de la clientèle et de leur proposer le meilleur possible, mais je continue quand même à bosser d’abord pour mon plaisir, les besoins de ma table, mes envies de jeu et ainsi de suite. C’est aussi pour ça que je produis peu de suite à mes bouquins – je vais au bout de ce que j’ai à dire et de ce dont j’ai besoin, puis je passe à autre chose qui me fait envie. Je ne sais pas si c’est tellement modeste comme approche, en fait. C’est juste que je ne m’embête pas tellement avec ce qu’on peut penser de moi – sauf des rares personnes qui comptent vraiment. Je suis plus intéressé par ce qu’on peut dire de mon boulot. Quand j’ai commencé de manière professionnelle dans le JdR, j’avais déjà fait toutes mes expériences de désillusion et d’échec – et de leur non-importance pour continuer à avancer. J’imagine qu’en vieillissant, on s’attache de moins en moins à ces choses. D’un autre côté, intérieurement, ce qui m’intéresse, c’est de faire “oeuvre” – de produire plein de bouquins, de développer des trucs, de laisser quelque chose. J’espère que quelques-uns passeront à la postérité, mais ce n’est pas à moi de dire – je peux très bien être le Sainte-Beuve de ma génération. Pas grave – je ne serai plus là pour m’en désoler. Et en attendant, j’ai juste à faire du mieux que je peux (et surtout du bon boulot – merci Laurent). Fac et Spera.
En parcourant tes jeux, notamment depuis Les Mille Marches17, j’ai l’impression que tu t’es lancé dans une sorte de quête du système de jeu « ultime », ou du moins de ton système de jeu « ultime », remettant sur l’ouvrage des mécaniques d’un jeu à l’autre et les affinant ou les poussant de côté au fil du temps. En ce sens, Oltree !18 (que j’apprécie tout particulièrement) m’a toujours semblé faire office de phylactère contenant une grande part de tes réflexions ludico-narratives (bouhou, nan mais sortez-le avec ses grands mots) … il y a de ça ou bien ?
Oltree ! un jeu qu’il est bien, un jeu qu’il est beau !
J’écris les jeux et je développe les mécaniques dont j’ai besoin pour ma table. C’est moins vrai pour les traductions, qui sont toujours des coups de cœur mais qui ne proviennent que rarement d’une nécessité. L’essentiel des jeux que j’ai écrits l’ont été pour ma table de jeu, selon mes besoins ou les envies de mes joueuses. Généralement, je me pose des questions sur la manière dont je mène, sur les outils dont j’ai besoin, sur les mécaniques de gamedesign qui seraient utiles pour améliorer l’expérience ou pour amener les joueuses à jouer de telle ou telle manière. Toutefois, j’essaie de ne pas passer mon temps à réinventer l’eau froide. Quand un outil semble fonctionner, je l’utilise et je le réemploie à chaque fois que j’ai besoin, ajoutant de nouveaux outils à ma panoplie, les affinant aussi. Parfois, il y a des outils mécaniques qui finissent par ne plus être que des conseils – des principes de jeu à garder dans un coin de l’esprit mais qu’on peut gérer de manière plus informelle. Là, j’ai passé pas mal de temps à réfléchir aux mécaniques de l’improvisation, au player’s skill, à la manière dont l’esprit de la maîtresse de jeu fonctionne quand elle invente ou rebondit sur les inventions des joueuses. Je commence à avoir quelques pistes que je transforme en principes ou en mécaniques. Plus tard, quand ça sera digéré, je passerai sans doute à autre chose, mais ça sera toujours là quelque part. Je présume que c’est ça qui donne une impression de continuité dans mon travail. Il n’est jamais détaché de ma pratique, y compris quand je me foire. Ensuite, et c’est peut-être un souci, j’ai aussi toujours peur de me répéter et de remplir mes bouquins avec des évidences déjà rabachées. Il y a des choses qu’on va trouver dans d’anciens bouquins mais pas dans les nouveaux alors que ce sont des choses que j’emploie en permanence à ma table, quel que soit le jeu. Je dois penser que c’est intégré par mes lecteurs et qu’il n’y a pas forcément besoin d’y revenir…
Au moment de se lancer sur un nouveau jeu, tu pars le plus souvent sur un concept bien particulier, des illustrations évocatrices ou des points de règles que tu souhaiterais mettre en situation ? Et sinon, tu es plutôt du genre à avoir besoin d’une vision globale des choses avant de te lancer, ou risque-tout fonçant au gré des idées pour voir où ça le porte ?
Il n’y a pas de méthode particulière. Certains jeux naissent en quelques heures ou jours – le matin pour le soir presque si j’ai une ouverture pour faire jouer ; d’autres ont nécessité des mois de boulot et de tests. Les idées peuvent provenir de plein de choses – en fait, la plupart du temps, je ne sais même pas trop comment ça peut naître : après une sieste, en montant l’escalier pour aller me coucher, en voiture, en discutant avec les potes, en reposant un bouquin… Des fois c’est un thème, d’autres fois une mécanique – presque jamais des images ou des illustrations, sauf peut-être des plans et des cartes. Ensuite, j’ai un processus d’élaboration et de maturation assez particulier : je bosse sur un projet donné pendant quelques jours parce que ça m’amuse ; parfois il avance bien, des fois non ; et puis je passe à autre chose, qui avance à son tour, avant de laisser sa place à un autre projet – j’en ai toujours une quinzaine d’ouverts sur mon bureau. De temps en temps, un projet arrive suffisamment à maturation pour que je sente qu’un dernier coup de rein peut le faire aboutir. Là, je vise la parution et je boucle aussi vite que possible, en rentrant dans une sorte de zone exclusive assez intense. C’est, en fait, ce qui explique la productivité. Je ne bosse pas sur un truc mais sur dix et je laisse l’inspiration faire son boulot. C’est seulement que je bosse tous les jours et que je peux passer d’un truc à un autre, des fois dans la même journée. C’est parfois compliqué quand je bosse en collaboration, pour le coup, parce qu’il m’est difficile de livrer quand je suis sur autre chose, que je n’ai pas d’inspiration ou d’idées pour le projet en collab, que mon cycle de travail m’a emmené vers d’autres projets, que j’ai l’esprit ailleurs ou que je suis à fond sur une finition de bouquin. Alors bon, maintenant j’essaie de ne plus faire faux bond en ne disant plus oui aux projets extérieurs (ou le moins possible), histoire de ne plus me fâcher avec personne. Dernièrement, avec la nécessité du gratuit mensuel pour le patreon, j’ai commencé à aborder les choses avec un peu plus de discipline qu’avant. Il y a désormais au moins un truc que je dois absolument boucler chaque mois.
Ça ressemble à quoi une journée de travail du Grümph ?
Levé entre 6h et 9h la plupart du temps, selon l’état du sommeil ou l’heure du réveil de ma femme. Un peu de glandouillage devant les mails, les forums, discord, youtube, en prenant le tidéj et puis boulot jusqu’à l’heure de se mettre au lit entre minuit et deux heures du mat. Entre les deux, j’ai du temps pour les courses, ma part des tâches ménagères, la cuisine quand c’est mon tour, une petite sieste (toujours), pour jouer de la musique, faire des trucs avec la famille et jouer avec les copains.
Hé bien oui, tout le monde doit faire le ménage !
C’est un peu fonction des jours. Mais dans l’ensemble, j’ai entre 6 et 12 heures de bon boulot tous les jours, sept jours sur sept, sans vraiment de vacances (les gens autour de moi ont des vacances, mais je continue toujours à passer du temps à écrire, à concevoir, etc. ne serait-ce qu’avec un carnet ou un cahier – ou alors serait-ce que je suis toujours en vacances ?). Tout ça, ça occupe une vie, tranquillement et sans stress.
Et d’ailleurs, en toute indiscrétion, tu bosses sur quoi en ce moment ?
Plein de choses. Le temps que l’article paraisse, je serais sur d’autres trucs encore et une partie de ce sur quoi je bosse aujourd’hui sera peut-être sortie. Mais j’ai largement de quoi m’occuper.
Quelques bruits de couloir trainent concernant une V2 de Oltree, ainsi qu’un jeu de plateau du même nom. A moins qu’une certaine top secrétitude ne soit de rigueur, mon petit doigt m’a dit qu’une V2 du Exil d’Emmanuel Gharbi reposant sur certaines mécaniques abordées dans N.YX19 pourrait bien être sur le feu du côté de John Doe … Tu en es ?
Le magnifique écran de la V1 de Exil
Oltréé² est dans les tuyaux depuis plus d’un an. Les divers confinements ont arrêté les tests en plein vol et il est très difficile de jouer en distanciel, avec les cartes et les accessoires. Mais c’est très avancé. Je reprendrai quand j’aurai l’envie et la possibilité de jouer. Antoine Bauza sort effectivement un jeu de plateau Oltréé, chez Studio H20, illustré par Vincent Dutrait21. ça envoie du bois grave ! Le jeu est magnifique, les mécaniques au top. C’est du coopératif, avec plein d’histoires à jouer et une ambiance fidèle au JdR. Pour Exil2, je ne sais pas ce qu’il en est du secret autour du projet. On vient juste de lancer des tests de trucs avec la Dream Team et effectivement, le système de N.Y.X a l’air de trouver un écho favorable autour de la table. Dans tous les cas, ça va être très bien…
Et puisqu’on est sur les V2, c’est quoi l’intérêt et les difficultés quand on reprend un jeu qu’on connaît bien pour en proposer une relecture ?
Une V2 c’est l’occasion d’affiner des points, de virer des scories, de lisser l’écriture en profitant d’années d’expérience en tant qu’auteur – et de relire un jeu comme si on ne l’avait jamais écrit soi-même. On ne fait plus les choses de la même manière. On n’attache plus la même importance aux mêmes choses. Certaines deviennent secondaires, d’autres gagnent en force. On ne tient plus le même discours non plus. C’est assez intéressant de se relire (avec horreur) et de tenter d’être plus fin, plus subtil.
Si tu avais un conseil à donner à un jeune auteur qui veut se lancer, le genre de truc que tu aurais aimé qu’on te donne à tes débuts, ça serait quoi ?
Alors, attention aux TMS. Une bonne position de travail, c’est juste le truc le plus important qui soit. Sinon, c’est lumbago, sciatiques, tendinites, et tout ce qu’on veut comme douleurs dans tous les sens. Et pourtant, si on a le bon poste de travail, on peut s’éviter tout ça. Donc surtout, surtout, ne bossez pas sur une table à la con avec la première chaise venue. Travaillez l’ergonomie de votre espace et réévaluez-le aussi souvent que nécessaire. Et épousez un.e fonctionnaire.
Je le disais dans l’introduction, mais tu es plus que discret dans les différents médias rôlistes, c’est un choix, une malédiction ?
Je ne sais pas. Je ne suis pas un communicant. D’une part, je n’ai pas le temps et le goût pour ça. ça m’emmerde de devoir me vendre. Je trouve ça limite indigne. Mon boulot c’est de créer et d’inventer, pas de convaincre le monde que je suis un génie. D’autre part, j’estime, à tort sans doute, que c’est le boulot des journalistes que d’aller chercher les infos, pas juste d’attendre des communiqués de presse. D’un autre côté, c’est pas comme si la presse rôliste existait pour de vrai. Il y a des revues et des sites, mais les gens qui y écrivent n’ont pas le temps pour tout lire, tout critiquer, tout citer – c’est bien normal. Et qu’ils lisent et critiquent en priorité les trucs qui leur plaisent, c’est normal aussi. Du coup, je suis assez détaché de ça. Je suis content des articles et des critiques sur mes jeux, je réponds aux questions qu’on me pose, j’aime bien participer aux tables rondes et aux conférences, mais je ne cours pas après. Je préfère prouver mon existence par mes jeux que par ma gueule sur Youtube… De toute manière, c’est la malédiction des auteurs. On a entre 1 et 3% de retours sur ce qu’on publie, gratuitement ou non. Les gens suivent, lisent, s’intéressent, mais c’est pas non plus leur boulot que de faire des retours ou de pondre des critiques. Du coup, moi je regarde seulement les chiffres de vente. C’est un bon indicateur. Et puis, pour le reste, il y a quand même les discussions sur Discord ou les forums.
D’un jeu à l’autre, tu peux totalement changer d’approche dans tes illustrations. Si l’on compare Les Cahiers du Vastemonde22 à Aux seuil d’Abysses très anciens23 ou Technoir24, on se rend bien compte des différences. Je ne suis pas illustrateur (en fait, je suis à peu près incapable de reproduire Peppa Pig sans papier calque), mais en tant que musicien, je vois bien l’effort que ça demande de passer mettons du blues au métal ou au funk, tout en restant convaincant. Tu opères comment tes transitions d’un style à un autre ?
Ouiiii, alors je ne dessine pas très bien… Nan mais ho… il suffit hein !
En fait, je suis terriblement limité techniquement. Je fais bien comme je peux. J’essaie seulement de coller à l’esprit du jeu en essayant de trouver des solutions graphiques que je peux tenir. Un vrai musicien, c’est quelqu’un qui peut tout jouer – pour ça, il faut à la fois des compétences techniques monstrueuses et d’autre part un feeling et une ouverture d’esprit incroyable (genre Thomas Gansch25, le trompettiste). Un vrai illustrateur, c’est pareil, il peut tout faire – genre Moebius26 ou Uderzo27. Moi je fais ce que je peux. Je cherche beaucoup pour trouver les approches intéressantes. J’ai juste quelques tours dans mon sac – savoir bien composer une image, un encrage pas trop foireux et puis remplacer le talent par le remplissage avec des tas de détails qui font trop genre. C’est le principe d’un bon prestidigitateur : regardez ici et vous ne verrez pas l’illusion.
Une petite dernière pour la route ? Qu’est-ce que tu penses du marché du JDR en France ? Il y a plein de « nouveaux » auteurs qui arrivent, dont pas mal qui s’inscrivent dans une démarche similaire à la tienne en terme d’indépendance (je pense à des gens comme James Tornade28, Anthony Combrexelle29, Vivien Féasson30 ou encore Romaric Briand31)… Tu suis un peu le travail de certains ou pas le temps ? Tu penses que c’est ça l’avenir du Jdr (au moins chez nous) ?
Non, l’indépendance n’est pas sale… Vous pourriez même y trouver quelques jolies pépites
Même à l’époque où le JdR était mort, personne n’avait réclamé le corps et tout le monde continuait comme si de rien n’était. C’était l’époque bénie de la CDJRA ou de la Cour d’Obéron32. Mine de rien, pas mal d’auteurs (ou même d’éditeurs actuels) viennent de cette scène-là – y compris des “nouveaux” que tu cites et qui sont quand même dans le coin depuis longtemps, comme Yno ou Romaric. Dans tous les cas, la scène française a toujours été bouillonnante. Ce n’est pas récent. Dans les années 90, j’appartenais à un club où chacun avait son ou ses petits mondes maison, avec un système commun au club, etc. Et pas loin, on avait Finrod33 qui éditait son fanzine Arkenstone. C’était déjà bouillonnant, mais dans notre coin, parce que les canaux de diffusion n’existaient pas tellement. Avec la CDJRA, ça partait dans tous les sens. Ensuite, pas mal de gens ont maintenu cette activité – en écrivant des jeux, en podcastant, en bossant pour des éditeurs installés – tout le monde n’a pas le goût de l’indépendance et c’est très bien aussi. Et des nouveaux n’ont jamais arrêté de se mêler de ça non plus, en amenant de nouvelles choses. Moi je suis juste content de durer un peu au sein de cette scène, de ne pas devenir trop vite dépassé et vieux-jeu. D’une manière générale, j’essaie de rester au taquet avec les sorties et la production. Je ne lis pas tout, mais je reste informé et puis pas mal d’auteurs sont des potes ou au moins des relations – Johan Scipion34, Romaric, Melville35, Thomas Munier36, Koba37, les Lapins Marteaux38, Mangelune39, etc. Il y a toute une partie de cette production avec laquelle je suis moins en phase – les storygames, les PbtA, les jeux à drama, et ainsi de suite – parce que c’est pas mon kif de joueuse, mais je les lis et je trouve ça très intéressant, a minima pour évaluer ce que j’aime et ce que je n’aime pas, ce à quoi j’ai envie de jouer ou les domaines dans lesquels j’ai encore des trucs à dire. Je dois certainement rater plein de monde, forcément, notamment plein de trucs qui sortent sur itchio40. Ceci étant, je teste réellement très peu de choses en dehors de mes productions, sauf les créations des joueuses à ma table (qui vont bientôt arriver) ou quand on organise un one-shot de quelque chose. Mais je suis super content de cette variété, de ces recherches, de toute l’énergie qui existe.
Et voilà qui conclura notre entretien. Vous l’aurez compris, être auteur de jdr n’est pas simple et demande de nombreuses concessions en plus d’une passion certaine, mais quand on s’en donne les moyens … quel bonheur. On notera également qu’une vie existe en dehors des maisons d’édition (c’est d’ailleurs à mon sens là qu’il se passe le plus de choses) et qu’il est important de donner plus de visibilité à celles et ceux qui font le pari de mener leur barque en dehors de ces grands canaux, ne serait-ce que pour qu’ils aient un retour sur leur travail (et parce qu’ avouons-le, un minimum de reconnaissance fait toujours du bien quand on doit se lever le matin pour aller ramer à contre-courant). Un très grand merci à John Grümph pour ses réponses à mes questions, en dépit d’un emploi du temps bien rempli et pour tous les jeux qu’il continue inlassablement de mettre à la disposition de ce public turbulent (ayant de surcroit souvent la dent dure) que constituent les rôlistesde France et de Navarre.
… Et pour toujours plus de Grümphitude, revenez vite nous voir pour le très imminent « Dossier Grümph part Two » … TATATAAAAA !!!
Propos de John Grümph recueillis par David Barthélémy
Il faut savoir une chose… les monstres existent… Pas forcément ceux qui font peur, avec des cornes, des crocs, des yeux rouges ou tout autre attribut destiné à faire comprendre que l’on va passer un sale moment en leur compagnie, mais ceux qui interpellent. À l’instar d’un abominable homme des neiges, que l’on désigne parfois sous le sobriquet affectueux de Yéti, nous avons nous aussi dans le jeu de rôle un abominable homme des textes, terreur des portefeuilles de fans et des inconditionnels ne jurant que par le même système de jeu depuis quarante ans (mais pas pour les mêmes raisons)… Le Grümph.
Au-delà d’une pilosité fournie, le Grümph partage avec son collègue tibétain une autre caractéristique : il ne s’expose pas facilement, préférant son terrier d’auteur aux flash des photographes. Conséquence de tout cela, il (ainsi que son travail) n’est à mon sens pas assez mis en avant dans les différents média rôlistes, qui lui préfèrent les grosses machines (Kraken et autres Dragons) n’ayant pourtant plus besoin d’assoir leur légende.
Hé bien il suffit… À défaut de coincer l’animal en personne pour vous prouver qu’il existe bel et bien, nous ferons comme tout cryptozoologue digne de ce nom et examinerons les traces qu’il laisse derrière lui (hé non, il n’y aura rien de sale, promis) Je ne vous ferai pas l’affront de vous ressortir le wiki du monsieur, vous n’avez pas besoin de moi pour cliquer sur sa biographie, par contre je vais faire quelques arrêts sur certains de ses jeux (je ne serai pas exhaustif dans le sens où je ne parlerai que de ceux que je possède, ai lus et pour la plupart, fait jouer) afin de dire ce que j’en pense (méthode au combien scientifique s’il en est).
John Grümph au saut du lit… haaa non! Pardon
Comme nous l’avons établi précédemment, ma démarche sera des plus approximative et fortement guidée par mes propres affinités avec les jeux traités. C’est pourquoi nous allons commencer avec non pas un jeu à proprement parler, mais un système générique, bien connu des afficionados de John Doe1 ou des intégrales des XII Singes2. Ben oui hein, quitte à faire, autant quasi démarrer avec un truc qui va gentiment s’imposer un peu partout. Donc le Dk System3 c’est quoi ? Il s’agit d’un système de jeu fortement hérité de Donjons et Dragons4, dont il reprend l’essentiel des mécaniques tout en le simplifiant d’une manière ma foi fort bienvenue. La première version est détaillée dans le livre de base (et seul livre d’ailleurs, bien qu’un écran soit disponible) de Lanfeust de Troy5, par Eric Nieudan6.
Dk² chez John Doe avec une illustration de devinez qui … ?
En 2006, c’est donc en collaboration avec le dit Eric Nieudan que sortira chez John Doe ce petit bouquin qui mine de rien va s’imposer au travers de toute une succession d’univers comme Mahamoth7 (réédition d’un jeu du Grümph chez les XII Singes, la première version pdf tournant sous un dérivé de Barbarians of Lemuria8), Mantel d’Acier9, Plagues10, Mississippi11, B.I.A12, Necropolice13 … On prend D&D, on vire tout ce qui est trop tactique/pénible, on ajoute une petite mécanique maison autour des dés Krâsses (des dés bonus qui fournissent des billes aux meneurs pour qu’il puissent ensuite s’en servir contre les PJs), et roule ma poule on arrive sur un truc facilement adaptable, que l’on customisera à grand renfort d’avantages dédiés aux univers abordés. C’est malin, simple et pratique à défaut d’être vraiment en capacité de coller étroitement à un univers de jeu très spécifique. On notera qu’une foultitude d’adaptations d’univers connus ont été faites pour le Dk (Cadwallon14, ArKipels15, Tsuvadra16 …) et qu’une deuxième version est disponible (sobrement baptisée Dk²).
Faisons ensuite un saut jusqu’à 2011, avec l’arrivée de mon premier chouchou, à savoir Les Mille Marches17. Là, on attaque les choses sérieuses (je vous avais prévenu, je parle en toute subjectivité).
Si c’est pas beau ça monsieur
Ce jeu est une création 100% Grümph et va nous proposer d’évoluer dans un multivers très chouette, en partant d’Oröpa, une énorme mégalopole ayant pour centre Bruxelles, englobant une bonne partie de la Belgique et courant jusqu’à Dunkerque. La « cité » comprend des agglomérations, des forêts et toutes sortes de paysages aptes à servir vos aventures. Il existe un nombre infini de versions d’Oröpa, autant que de Marches, les différents pans de ce multivers. Si vous avez lu le cycle d’Ambre de Roger Zelazny18, vous ne serez pas perdus ici. Pour moi, cet univers dégage une réelle poésie (même s’il peut s’avérer cruel), avec sa cité tentaculaire utopique où toutes les histoires se racontent et se percutent. La magie est bien présente, mais n’exclue pas la technologie (voir l’inclue fortement avec la Mage-Tech), faisant se côtoyer féérie et criminalité, bosquets enchantés et zone d’ombres pour croquemitaines en goguette. Je ne déflorerai pas plus la cosmogonie du jeu, vous en laissant (ainsi qu’à vos PJs) la surprise, sachez juste que telle une choucroute aux fruits de mer, c’est riche sans être bourratif et que si vous cherchez du dépaysement, vous serez servis. C’est aussi avec ce jeu que débarquent les MUSAR, pour Mécaniques Universelles de Simulation d’Aventures Romanesques, toute une liste d’outils pour vous aider à gérer simplement certaines situations incontournables des parties de jdr (combats, poursuites, inventions diaboliques, planification d’opérations …). Ce sont à chaque fois des aménagements légers qui permettront de privilégier la narration aux mathématiques durant vos parties, et pour la plupart fort bien vus. Je suis particulièrement fan de la manière de traiter la planification … avant une scène d’infiltration par exemple, vos PJs feront quelques jets de dés en vue d’activer leurs contacts, chopper du matériel, se renseigner sur l’endroit où ils vont mettre les pieds … le tout sans détailler les infos en questions. Les jets de dés vont permettre de quantifier un pool de points qui seront utilisés au fur et à mesure de la résolution des situations pour surmonter les différents obstacles que le MJ aura mis en place.
Ex : le groupe se retrouve face à une serrure à code électronique pour pénétrer dans le hangar au sein duquel sont entreposées les marchandises qui les intéressent. Les joueurs prélèvent 2 points dans leur réserve et expliquent que 2 semaines avant l’opération, ils ont soudoyé un homme d’entretien travaillant sur place, obtenant le dit code. C’est simple, élégant et permet de monter des plans à la Ocean’s Eleven19sans pour autant y passer des heures.
C’est à mon sens à partir de ce jeu que la démarche d’ergonomie dans le Game-design Grümphien devient flagrante, et nous retrouverons plusieurs des mécaniques amenées dans les 1000 Marches au cœur des productions ultérieures, toujours affinées et de plus en plus pertinentes. Le jeu s’enrichit également d’un supplément (Stormchasers20), proposant un écran de jeu et un livre de 64 pages détaillant de nouveaux éléments de magie, apportant des précisions sur quelques points de règles, ainsi qu’une nouvelle Marche orientée Pulp années 30. Un recueil de nouvelles intitulé Trois Contes Oropaens21 est aussi disponible dans la collection Chibistouri, écrit par Ireann Delaunay et illustré par le Grümph, vous permettant de vous plonger plus avant dans cette ambiance si particulière.
Mon second jeu fétiche arrive en 2013 avec Oltréé !22 C’est celui-ci qui a finit de me convaincre que quelque chose se tramait véritablement au niveau du Game-design afin de proposer une manière de jouer décomplexée, basée sur l’improvisation et résolument moderne, tout en s’inscrivant pleinement dans la mouvance OSR.
Une magnifique version collector était disponible lors du financement du jeu … Rhaaaa Lovely !
Je vais essayer de faire court, mais ne m’en voulez pas si je digresse, Oltréé ! étant pour moi un véritable jeu de cœur (si je devais n’en conserver que deux sur ma ludothèque, je pense qu’il trônerait fièrement à côté de Rêve de dragons23, au grand dam de tous les autres). Donc, avec Oltréé ! , LG (diminutif de l’auteur) nous propose sa version d’un jeu d’exploration med-fan d’apparence traditionnel, avec carte à hexagones, anciennes colonies d’un empire renaissant (les satrapies) et bestiaire classique revisité à sa sauce. Vos joueurs incarneront donc des patrouilleurs au service d’un Empire en pleine reconstruction suite à une terrible guerre contre des forces obscures, patrouilleurs dont la mission sera de renouer le contact avec les anciennes colonies ayant pris leur indépendance (souvent forcée) durant les siècles passés. Pour la plupart, l’Empire n’est plus qu’un souvenir se manifestant au travers des ruines d’anciens fortins ou la persistance de certaines traditions tombant petit à petit en désuétude. Là où ce jeu se démarque des autres, c’est par la multitude de mécanismes visant à émuler l’exploration d’une terre redevenue barbare (au sens grec ou romain du terme), qui mettront véritablement l’accent sur l’improvisation et l’aspect Bac-à-sable en fournissant des outils et une approche dynamique du jeu, ne nécessitant pas de poncer son scénario pendant des heures avant chaque partie. Merci pour tous les MJs débordés par la vie de tous les jours, dont je fais partie. Le principe est donc de fournir un travail en amont du jeu par la création d’une carte à hexagones sur laquelle figureront diverses cités, factions, menaces, ruines … et l’agenda des différentes forces en présence à plus ou moins long terme (à la manière des Fronts de Dungeon World24). Le livre fournit quantité de tables aléatoires (ou non, c’est selon) pour aider à la construction de ce squelette sur lequel viendront se greffer vos patrouilleurs et qui fournira les aventures tant recherchées.
Carte d’Elysia basée sur la satrapie proposée dans le livre de base
Une fois votre travail préparatoire effectué, amis MJs, faites bosser vos joueurs et mettez les pieds sous la table pour découvrir ce qu’ils vont bien pouvoir vous pondre. En effet, Oltréé ! fonctionne avec un système très malin de cartes d’exploration. Chaque fois que votre patrouille va explorer (ou simplement traverser) un nouvel hexagone, l’un des joueurs va tirer une carte dite de Patrouille, sur laquelle figureront certaines données. Il peut s’agir d’une menace, d’une opportunité, d’une complication ou pour certaines cartes, d’un laconique « rien à signaler ». En fonction des événements, une liste de mots clés est donnée sur la carte, à partir de laquelle le joueur ayant effectué le tirage lancera un début de scène, posant les bases de l’action à venir … et le MJ reprend la main ensuite pour animer la scène à sa sauce. C’est très chouette dans l’idée (même si ça ne conviendra pas à toutes les tables de part les aspects participation des joueurs et lâché prise du MJ) et permet aux joueurs de s’approprier le jeu au delà de la simple réaction à une situation donnée, puisqu’ils en seront bien souvent eux-mêmes les instigateurs. Pour résoudre les actions, vos PJs lanceront trois dés à 8 faces de couleurs différentes afin d’identifier : un dé de maîtrise, un dé de prouesse et un dé d’exaltation, contre un seuil de difficulté. Seuls deux de ces trois dés seront conservés au final : le dé de prouesse et celui de maîtrise, le dé d’exaltation étant éventuellement destiné à remplacer le score affiché par l’un ou l’autre de ses confrères. Petit twist intéressant sur les jets de dés, le résultat du dé de prouesse permettra de déclencher des effets (mécaniques ou narratifs) parmi une liste, au choix des PJs. C’est un coup à prendre, mais une fois habitué, cela permet de fort jolies choses quant à l’interprétation des jets. Le livre comprend également tout l’attirail nécessaire pour faire vivre le fortin des patrouilleurs et le transformer en véritable générateur d’évènements dans vos parties. Le livre de base est rempli de trouvailles mécaniques visant à fournir une expérience différente de ce que l’on pratique habituellement en jdr et souffre, par là même d’être parfois « trop » riche, chaque aspect traité amenant sa « petite règle ». C’est un travers qui fait que Oltréé ! a du mal à trouver son public en dépit de la souplesse de jeu qu’il accorde. Sachez toutefois que si vous consentez à faire l’effort de le faire votre (en triant notamment les points de règles que vous souhaitez conserver), je pense qu’il saura satisfaire à peu près toutes vos envies ludiques en leur apportant un petit vent de fraicheur non négligeable. Dernier point et non des moindres. Devant la quantité de « petites règles » présentes dans le jeu, l’ergonomie devient ici un point important dans la présentation du matériel qui ne quittera plus les productions de LG. Pour preuve, la fiche de patrouilleur de Oltréé ! qui a le bon goût de rappeler le fonctionnement des différents détails du personnage (en gris sous chaque entrée) :
Si c’est pas merveilleux ça comme idée !
Enfin, on notera qu’un supplément, sobrement baptisé Le Compagnon25 est également disponible et qu’il vous fournira à peu près tous les outils qu’il pouvait manquer (et bien d’autres encore) au livre de base, ainsi que de nouvelles cartes adaptées cette fois à l’exploration de cités médiévales. L’animal fait bien une fois et demi la taille du livre de base et dorénavant si un outil particulier venait à vous faire défaut, c’est vraiment que vous le faites exprès.
Les plus observateurs d’entre vous aurons probablement remarqué de gros trous dans ma chronologie … Je précise, à toutes fins utiles, que je n’évoque ici que les productions 100% Grümphiennes (ou presque) et pas les collaborations, illustrations, mises en page et compagnie, car si je devais me lancer là-dedans, c’est un blog entier qu’il me faudrait consacrer à l’auteur, au risque de passer pour un dangereux maniaque encourant une ordonnance restrictive pour harcèlement. Oltréé ! sort en juillet 2013 et le tournant dans la carrière de l’auteur arrive en décembre de la même année avec … Chibi26. Chibi qu’est-ce que c’est ?
Le catalogue Chibi/Chibig chez Lulu
C’est sur cet intolérable suspens que se clôturera la première partie de notre dossier, la collection Chibi méritant à elle seule pleinement un article dédié. Pour me faire pardonner de vous laisser tout pantelant devant tant de Grümphitude, vous pourrez retrouver ce week-end une interro surprise de notre aimable sujet, dont j’ai fini par remonter la piste et qui, en contrepartie de ma persévérance a consenti à répondre à quelques questions indiscrètes. Mais quel odieux procédé que le cliffhanger… MOUAHAHAHAHAHAHAHA !!!
Et enfin, l’adresse direct vers Le Terrier du Grümph, où vous pourrez poursuivre l’exploration de son travail (tout en attendant impatiemment la suite du présent dossier)