Avant la sortie

Avant la sortie : Tribute, jouez avec le Diable de Christian Grussi

Richard avançait dans le corridor blanc, éclairé par des néons agressifs… Nul endroit pour se cacher, et tant mieux, au moins on ne lui tomberait pas dessus sans qu’il ne l’ait vu venir. Cela faisait deux jours qu’il cherchait la sortie de cet hopital avec sa « bande », trois autres patients qui comme lui, s’étaient réveillés dans une chambre délabrée, avec pour seule possession une des fameuses chemises de nuit « fesses à l’air » si chères au milieu médical. Impossible de se rappeler autre chose que son nom, et c’était la même chose pour les autres. Clara, la grande blonde un peu forte, Medhi, l’adulescent dégingandé et Samuel, qui sous son air un peu rustre s’avérait plus cultivé que prévu, l’avaient rejoint petit à petit au fil de ses errances dans les couloirs ravagés de l’énorme bâtiment. Au début, tout allait bien… Enfin, autant que possible lorsque l’on est amnésique et que l’on bénéficie d’une intimité toute relative quant à l’exposition de son fondement. Tout allait bien donc, jusqu’à ce qu’ils croisent les premiers « enfants »…
Saloperie de mioches.
Le premier qu’ils avaient croisé déambulait d’un pas hésitant dans la cafétéria. Instinctivement, Richard su qu’il n’aimait pas les gosses, mais vu qu’il n’était pas seul, il fit l’effort de s’approcher pour voir ce qui se passait. Il perçu l’odeur de charogne alors que sa main allait toucher l’épaule du petit. Retenant un haut le cœur, ainsi que son geste, il ne réagit pas assez vite pour éviter de se faire lacérer par… cette chose…Une gueule toute en crocs s’ouvrant démesurément sur un cri muet, des yeux rouges luisant de malveillance et des mains dont on ne percevait au final que de longues griffes noirâtres… Tu parles d’un gamin ! Serrant sa main blessée, Richard hurla de douleur autant que de peur. Aussitôt pourtant, un élan de haine remplaça l’effroi et, d’un coup de pied sauvage, il envoya valser la créature qui tournoya sur elle même dans les airs, avant d’atterrir souplement à quatre pattes de l’autre côté des tables de cantine, à la manière d’une bête sauvage. Les autres étaient tétanisés par le spectacle se déroulant sous leurs yeux. D’un cri de rage, Richard rompit leur immobilité, les invectivant à se saisir d’une chaise pour l’aider à « défoncer cette saloperie »…

Allé les gens, venez jouer… Contrairement au bonneteau, ici vous avez une chance de gagner… Enfin… Peut-être…

Salut Christian¹. Tu vas nous proposer très très prochainement en financement ton jeu Tribute, qui va parler du Diable et de gens confrontés à ce très respectable individu, ou tout du moins, ses manières de faire. On dit qu’il se cache dans les détails… aussi, tu en aurais quelques-uns à partager avec nous pour préciser un peu tout ça ?

Bien le bonjour ! Et merci de m’accueillir par chez toi. En tant qu’humble émissaire de son Infernale Majesté, je vais essayer de répondre à ton flot de questions bien légitimes. Alors, quel scoop pourrais-je bien dévoiler dans ces lignes ?
Que le financement participatif aura lieu sur Ulule du 13 avril au 5 mai prochain ?
Déjà dit.
Au prix de 38 €, prix spécial Ulule, pour la version livre + jeu de cartes ?
Déjà dit aussi…
Qu’il y aura des paliers qui vont permettre de débloquer des Diableries d’une myriade d’auteurs plus ou moins connus ?
Bon…
Parlons plutôt du jeu en tant que tel, alors.
Tribute, Jouez avec le Diable, est un jeu de rôle à narration partagée, c’est-à-dire où chaque participant va intervenir dans l’histoire même pour l’enrichir.
Qu’il est fait pour 2 à 4 joueurs, et se joue avec un classique jeu de 54 cartes, en utilisant le principe du Blackjack. Le tout permettant de faire des parties courtes d’environ une heure (et plus longues si on le souhaite), avec un temps de préparation d’une dizaine des minutes tout au plus.
Allez, passons à la suite des questions pour un peu plus de scoops, parce que là, c’est pas terrible côté exclusivités !

C’est le premier projet de Rafiot Fringant² (talonné de près par Wushu³ et Arkeos Adventures⁴) qui passe, si je ne m’abuse, le cap de l’édition papier. Pas trop stressé par ce nouveau départ et la confrontation de tes idées avec un public à conquérir (même si l’on ne peut pas vraiment te considérer comme une « jeune première » dans le milieu du jdr) ?

Je pense que je vais augmenter la dose de Tranxène dans mon café, histoire de rester calme, mais vif. Quel beau mélange… Alors oui, je suis à la fois impatient de voir le retour, les premiers résultats, et en même temps, j’ai le trouillomètre à zéro. Normal, quoi. Le trac avant l’entrée en scène. Surtout que je me lance avec un projet sorti de nulle part, hors des sentiers battus, sur lequel on peut difficilement faire des projections. C’est pas comme si c’était une licence de malade avec des ailes de chauve-souris, des tentacules ou des sabres lasers. Mais je ne regrette pas du tout mon choix, car il a pour avantage d’être une création pour le moins originale. Et il affiche clairement mes choix et mes envies : faire des jeux qui sortent des sentiers battus et rebattus, proposer des titres qui ont leur caractère bien à eux. Le choix de Wushu va dans le même sens, et quant à Arkeos Adventures, même si c’est un retour d’un jeu qui a connu ses heures de gloire, cette nouvelle édition sera dans la même veine : une proposition ludique hors des autoroutes mainstream. L’autre point commun, c’est la jouabilité, la facilité de prise en main. Cela fait des années que j’ai envie d’arpenter les voies du clef en main, facile à mettre en place, sans être un exégète de règles à tiroir. Et avec un fort potentiel de fun autour de la table.

J’ajouterais que l’un des feedback qui m’a fait le plus plaisir pour Tribute, c’est dans les retours de playtest à l’aveugle (sans que je sois là, le jeu vivant sa vie tout seul comme un grand), c’est celui d’une tablée avec uniquement des joueurs non-rôlistes, qui ont pris un pied monstrueux, se sont totalement lâchés, sans se poser de questions sur la mécanique, et qui n’ont qu’une envie, c’est de rejouer. Quoi de plus plaisant que d’avoir ce genre de retour quand on écrit un jeu ?

Bon, je fais l’innocent en te posant mes questions ingénues, mais pour être tout à fait transparent, j’avais été bien embêté avant d’attaquer l’entretien, tellement tu donnes de détails à son propos sur ton site. T’as pas un peu honte de couper l’herbe sous le pied des types comme moi qui grattent l’affection de leurs lecteurs en courant après « l’information qui tue » ?

mon crédo : le journalisme total

La honte serait de laisser des zones d’ombres. En plus tu peux comme ça poser tes petits petons sur un gazon fraîchement tondu pour poser tes questions ! Et puis j’ai passé l’âge du « sombre PNJ mystérieux au regard qui laisse entrevoir une vérité encore plus insondable ». Tribute étant à la croisée des chemins (si, j’ai osé) du jdr classique, du jdr narratif, et même du jeu de société dans sa forme. Alors ça valait la peine de prendre le temps d’expliquer les choses. De même pour le financement participatif. En tant qu’acheteur, j’ai envie de savoir pourquoi je délie ma bourse. Alors de fait, en tant qu’éditeur, je donne les informations que je souhaiterais voir en endossant le costume du consommateur. Tu noteras qu’en plus ça te laisse le champ libre pour poser des questions qui vont plus loin que le simple scoop façon « Closer du Polyèdre » (enfin, j’espère).

Alors, l’une des grandes forces du projet (de mon point de vue), sera de proposer plein de matériel jouable, les Diableries. Pour ce faire, tu nous as réuni un casting rôliste digne des meilleurs films choral hollywoodiens… Tu les as sélectionné comment tes petits diablotins ?

Après une série d’épreuves dignes de Squid Games⁵, matinées de Battle Royale⁶ ! La base ! En fait, quand j’ai écrit Tribute, je me suis dit que ce serait vraiment cool de réunir des auteurs sur le projet pour proposer une multitude d’univers, d’envies, de délires. Et que c’était l’occasion parfaite, sans avoir à demander à chacun d’écrire une encyclopédie. J’ai d’abord contacté des amis proches, susceptibles d’être intéressés, puis j’ai élargi ma recherche d’auteurs, avec comme ligne directrice la diversité, d’où des « monstres sacrés » et d’autres moins connus, des hommes de l’ombre qui traduisent, des auteurs de jeux indés, et des romanciers ou personnages publics que l’on ne soupçonne pas d’être accrocs au jdr. Et leur laisser carte blanche. Alors bien sûr, ils sont rémunérés, et leur rémunération augmente avec le nombre d’exemplaires pré-vendus lors de la campagne. Là encore, je trouve que c’est normal de non seulement proposer une rémunération de base décente, mais d’améliorer celle-ci si le succès est au rendez-vous.

Après, je ne cache pas que je me suis également dit que ce serait une superbe opportunité, après des années pas forcément très joyeuses, de remettre à plat pas mal de choses. Un moyen de dire « j’ai pas grand-chose à voir avec ces sales histoires ».

Puisque l’on parle de tes séides, élargissons un peu notre entretien et donnons la parole à quelques-uns d’entre eux pour voir ce qu’ils ont à dire de tout ça (sans bien sûr compromettre leur place aux enfers)…
nb: les diablotins étant par nature des créatures facétieuses et très occupées à « améliorer » le sort de l’humanité (gniark gniark), certains retours seront aujoutés au fil de leur réception par votre serviteur.

Sandy Julien : Je suis simplement le rôliste le plus chanceux du monde. Bon, je foire tous mes jets de dés importants pendant les parties, mais j’ai la chance de croiser des gens formidables par hasard, juste au moment où ils développent des projets de fou ! C’était le cas pour Tribute, dont j’ai suivi le développement avec plaisir. Christian ressemble à un gamin génial qui trouverait sans cesse de nouvelles façons de mieux jouer avec le contenu du coffre à jouets, et là, il en exhume les règles du black jack pour proposer ce genre de « petit jeu » qui t’accroche définitivement et te permet de faire des one-shots tendus, avec une structure en titane et un mécanisme narratif de retournement de situation qui rend toutes les parties intéressantes. C’est un jeu simple, avec cette petite pointe de génie discrète qui lui donne un charme fou ! Ca se voit, que je suis fan ?

Éric Nieudan: Etant un fan du diable depuis un bon moment, j’ai tout de suite été intéressé par le thème du jeu. Mais à la lecture des règles, j’ai été soufflé par la façon dont Christian s’en sert pour créer un jeu d’aventures aussi court qu’épique. Je dis ça, je dis rien, mais le JdR d’apéro-initation motorisé par le black jack est une trop bonne idée pour ne pas devenir un sous-genre à lui tout seul.

Cyril Puig : Moi, les jeux de rôle narrativo cooperatif à base de carte… en principe… ça me parle pas… sauf qu’il y a du génie dans cette petite diablerie. Le black jack comme outil au service de l’histoire fonctionne à merveille. Ma première partie avec des non rôlistes l’a démontré par l’exemple ! C’est immédiatement adopté, c’est fluide, c’est drôle et inattendu! Bref, c’est diaboliquement simple… et donc efficace. 5 minutes pour expliquer les règles, 5 minutes pour définir les avatars et c’est parti pour 1h30 de pure bonheur. Lorsqu’en fin de partie les joueurs novices vous demandent : “à quand la prochaine?”… vous savez que c’est gagné.

Philippe Auribeau¹⁰ : j’ai eu la chance d’assister à la genèse de ce jeu par l’esprit diabolique de Christian, ses évolutions pour arriver au produit final. C’est le fruit d’une longue réflexion sur les domaines ludiques et narratifs qui ont conduit à ce jeu hybridiabolique, où le principal est le plaisir de raconter une belle histoire en se nourrissant de références qui nous sont chères. Ajoutez une mécanique aux petits oignons, et vous obtenez un petit ovni ludique que j’ai hâte de tenir dans mes mains menottées.

Pierre Pradal¹¹ : Lorsqu’il y a deux ans, Cégé a commencé le développement de Tribute, ses intentions premières étaient de proposer un jeu narratif aux règles simples, funs et accessibles au plus grand nombre permettant de se lancer dans l’aventure avec un minimum de préparation. Il n’a pas hésité à retravailler son concept initial plusieurs fois pour relever ces trois défis. Aujourd’hui, Tribute est un petit bijou de système. Une question subsiste: Cégé a-t-il signé un pacte avec le Diable?

Jérôme Larré¹⁹ et Coralie David²⁰ : Alors nous, à la base, on ne voulait pas être là. Puis, Christian nous a motivé en nous disant qu’on pourrait faire un script juste pour avoir le droit de nous moquer du nom de sa maison d’éditions. Et comme cela fait dix ans que lui ne se prive pas, on s’est dit que ce serait l’occasion rêvée. Alors, oui, bien-sûr, le fait que le jeu soit bon et vienne palier ce qui nous semble être un manque dans l’offre actuelle n’était pas désagréable non plus. Mais soyons clairs : ce n’était qu’un heureux accident !

Bon, parlons peu, parlons bien et attaquons le sujet qui ne fâche pas du tout (pour une fois), le prix… et tes choix vis à vis des soutiens (enfin, de leur bourse… enfiiin… Tu m’as compris quoi) pour ce financement. Tout ça me donne l’impression que tu fais ce qu’il faut pour encourager la confiance des plus réticents à mettre un pied (à défaut d’un rein ou d’un bras) dans le fabuleux (quoique parfois hasardeux) monde du financement participatif. En dépit des (trop nombreuses) parenthèses, j’ai bon ?

38€ M’sieurs Dames… Au Diable l’avarice, investissez pour votre avenir

J’ai connu du financement participatif sous diverses formes, que ce soit en tant que soutien ou en coulisses, en bien comme en mal. Ce que j’ai voulu avec mon approche, c’est de faire un crowdfunding qui met en avant ma philosophie. Proposer un deal honnête, où chacun puisse s’y retrouver, autant que faire se peut. Que ce soit côté « financement » ou côté « participatif ». C’est aussi pour cela que j’ai choisi l’approche « prévente » et non « score financier », avec un délai entre la campagne et la livraison qui soit le plus court possible. De même, le choix de la distribution s’est fait sur le facteur « disponible en boutique ». J’ai été particulièrement séduit par la possibilité d’impliquer les boutiques de jeu, de faire économiser les frais de port aux souscripteurs, le tout en payant en deux fois. J’adore ce principe qui facilite tant les choses, tout en impliquant l’ensemble des acteurs du milieu ludique, de l’auteur, en passant par le distributeur, les boutiques, et le joueur. Tout le monde y gagne.

Dans la culture populaire, il y a plus ou moins deux grandes tendances qui se dégagent autour des rencontres avec le diable.
D’un côté on nous présente le type vraiment trop méchant, qui finit par se faire avoir, à cause de sa cupidité/méchanceté (Crossroads¹², l’Imaginarium du Dr Parnassus¹³…), par des gens sincères et honnêtes parvenant à retourner les situations contre lui… Et de l’autre, celle du mec qu’on ne voit pas venir, aimable et affable, qui mise sur les défauts des gens avec lesquels il interagit, finissant ainsi toujours par obtenir ce qu’il désir (Angel Heart¹⁴, L’Associé du Diable¹⁵…), quitte à leur laisser croire le contraire.
Tu as choisi de te placer comment par rapport à ça, dans la proposition du jeu ?

Sans hésitation… j’hésite ! De prime abord, j’aurais d’abord répondu le tentateur séducteur retors, mais… En fait, je ne me suis jamais posé la question. Je me suis juste laissé porter par le côté « il y a toujours un piège dans les clauses du contrat ». Là, le contrat c’est la partie de Blackjack, et le piège la révélation. Après, comme le Diable ne cherche pas forcément à tout prix à faire ripaille de l’âme des joueurs, mais avant tout à tromper son ennui, il me ferait plus penser au personnage de Crowley¹⁶ dans Supernatural¹⁷ qu’à un Al Pacino¹⁸ dans l’Associé du Diable. Retors, mais facile à piéger, car au final, c’est exactement ce qu’il recherche : se faire avoir, car il sera surpris et aura passé un bon moment : la satisfaction de tomber sur des joueurs qui se montrent plus malins que lui ! Faut avouer que de passer une éternité à se faire réclamer l’immortalité, la richesse, le pouvoir… ça doit lasser.

Pour creuser un peu plus la question du Diable en tant qu’individu, tu t’en sert tel quel (donc associé plus ou moins directement à un contexte religieux impliquant l’existence d’un dieu), dans son costume Armani et son inévitable classe nonchalante, ou comme d’une image d’Épinal servant à cristalliser une tournure d’esprit, des travers et des dilemmes finalement propres à l’être humain ?

D’une image d’Epinal, mais en costume Armani. On va oublier le pendant « je porte ma croix », qui n’a pas grand intérêt ici. Mais on garde le côté « classe », car c’est tellement plus séduisant, surtout pour le vil tentateur. Les Diableries sont toutes articulées autour d’une révélation, qui peut être un dilemme. Sous le couvert d’une petite histoire sans prétention de prime abord se cache un questionnement de fond, un choix à faire. Et c’est là tout l’intérêt, sans pour autant tomber dans du pathos ou du drama. Aborder des sujets et des problématiques « adultes » tout en restant sur de la légèreté ludique. Après, c’est l’intention. Mais un jeu une fois sorti du giron de la création, ne vit qu’à travers la table où il est pratiqué, et chacun y met ce qu’il veut.

Quand je vois Tribute et la description du projet, je me dis qu’il s’agit d’un jeu basé plus sur des situations qu’un univers en particulier et ça m’amène à m’interroger sur un développement éventuel de la gamme… Donc pour toi, il s’agit d’un jeu « concept » destiné à s’autosuffire, ou on peut raisonnablement s’attendre à ce que tu l’étoffes plus largement par la suite (au moins par le biais de nouvelles Diableries) ?

Le jeu peut se suffire à lui-même, surtout que la recette de création de Diableries y est donnée en détail. Techniquement, il n’y aura pas besoin d’étoffer une gamme aux multiples suppléments. Mais comme tu le dis, publier de nouvelles Diableries, pour continuer dans l’esprit du clef en main, oui, carrément ! J’ai même deux-trois idées qui traînent pour étoffer le jeu, lui donner encore plus de profondeur. Si cela est possible – autrement dit, si le succès de la campagne ulule reflète un engouement pour la proposition ludique – je m’attellerai à cela. Si tel est le cas, et ce serait carrément chouette, ce sera un supplément contenant des Diableries et des alternatives de jeu.

Que Diable ! Je m’aperçois que l’on n’a pour ainsi dire pas évoqué le système de jeu… Tu as pris le parti d’une résolution à base de cartes, alors dis-moi, c’est pour faire le malin (huhu), ça sert un propos philosophico-ludique étroitement lié au jeu, c’est « parce qu’il fallait bien trouver quelque chose, alors pourquoi pas » ?

Bah, ça ou autre chose, franchement… qui s’en soucie ? C’est juste fait pour vendre un jeu de cartes personnalisé, voyons !

Bon, ok, j’avoue, c’est étroitement lié au thème. C’est le cœur même du jeu, avant tout le reste. Car le principe du Blackjack, son côté « stop ou encore » avec la limite du 21, ça colle parfaitement avec la thématique « tentation du Diable ». Pour l’auguste lectorat qui se dit « houlà, j’y pige rien au Blackjack », rassurez-vous : la seule chose à connaître, c’est qu’il faut poser des cartes sans jamais dépasser un total de 21, au risque d’échouer sinon. L’autre point fondamental de la mécanique, c’est qu’à chaque carte posée il faut décrire ce que fait son Avatar, ou ajouter un élément à l’histoire ou au décor. Plus la valeur de la carte est forte, plus on peut ajouter un élément important. Plus la carte a une petite valeur, plus ce sera un détail. Et c’est là qu’il faut se montrer malin, car comme tout un chacun sait, un simple détail peut tout changer !

Que je sois damné si avec tout ça vous n’avez pas envie d’aller jeter un œil sur ce qui s’annonce comme une fort belle proposition de jeu. Du beau bouquin rempli de matériel pour jouer de suite, un système simple et malin, un format de parties courtes particulièrement adapté à ma table de quadras débordés par la vie de tous les jours (certes, là je parle pour moi, mais n’empêche, ça joue) et surtout, surtout… un jeu porté avec amour par son créateur et toute une ribambelle de gens qui connaissent quand même « un peu » le milieu du jeu de rôle.
Embarquez donc à bord du Rafiot Fringant pour cette belle traversée.
Ha, et puisque vous m’êtes sympathiques, prenez donc cette irrésistible pomme offerte par le capitaine, vous m’en direz des nouvelles.

Richard ne comprenait toujours pas comment le gamin avait pu tomber sur le râble de Samuel dans ce couloir… Bon sang, il n’y avait pourtant rien d’autre qu’un chariot renversé et son reflet sur le linoleum étrangement brillant malgré le délabrement des locaux… Toujours est-il que c’en était fini pour lui.
Alors que la sortie était devant eux, à seulement quelques mètres, Richard avait entendu son cri. Il n’eut que le temps de se retourner pour voir rouler la tête du jeune infirmier (ne lui demandez pas comment il le savait, mais il en était désormais certain), jusqu’à s’immobiliser pour toujours au pieds d’un Mehdi stupéfait.
Alors que le corps de Samuel commençait à tomber à genoux, l’enfant/chose/monstre toujours accroché à son dos, Richard se fit la reflexion que c’était marrant, la tête du « gosse » donnait l’impression d’avoir remplacé celle de Samuel, dans une parodie d’être humain ayant croisé la route d’un réducteur de tête un peu farceur.
Le hurlement de rage de Clara le tira de ses pensées et il la vit foncer sur la créature après avoir saisi une hache d’incendie accrochée au mur (tient, il aurait pourtant juré qu’elle n’était pas là la seconde d’avant, sinon il l’aurait prise pour lui).
Grand bien lui fasse, si elle souhaitait s’attarder ici pour venger un inconnu, qu’elle se fasse plaisir. Pour sa part, il ne comptait pas perdre une minute de plus en ces lieux.
Il prit son élan et entama un dernier sprint vers la grande double porte.
Mehdi lui emboita le pas, sans non plus se soucier de Clara, mais eut un instant d’hésitation quand un autre enfant apparut entre la liberté et lui.
Une petite voix résonna dans le couloir pour la première fois, répétant inlassablement « Aidez-moi m’sieur, j’ai rien fait… laissez-moi partir… promis, j’dirai rien… » sur un ton plaintif.
Mehdi s’était figé, les yeux envahis de larmes sans bien en comprendre la raison…
Il commençait à tendre la main vers le gamin quand Richard se jeta sur les portes, innondant le couloir d’une lumière vive qui noya la scène dans une clareté salvatrice.
Enfin la liber…
… … …
Richard se redressa en sursaut sur un brancard, retenu par des sangles de contention en cuir.
A ses côté, trois autres brancards et trois autres personnes attachées… penché sur l’une d’elle, un enfant au regard fou finissait de scier les cervicales de Samuel, projetant du sang partout autour de lui tandis que Clara lui hurlait qu’elle allait le tuer, tout en se débattant avec ses liens.
Mehdi pleurait toutes les larmes de son corps en suppliant une petite fille dont le visage affichait de terribles marques de coups et dont le scalpel tenu avec maladresse semblait hésiter entre taillader l’aide soignant ou les liens qui le retenaient.
Devant Richard, Vincent ( le premier orphelin sur qui ils s’étaient livrés à leurs « expériences ») souriait. Son regard étrangement serein plongea dans celui du medecin sensé le « guérir » de ses tendances à l’automutilation, et ce dernier y lut, avec une clareté limpide que tout était perdu pour lui.
Il se laissa retomber sur le brancard, fixant la lampe scialytique suspendue au dessus de lui et lacha un simple « saloperie de gamins, c’était pour la science », avant que la porte du bloc ne se referme sur les hurlements qui se frayaient un chemin au travers de sa gorge, dans un chant du cygne horrifique de toute beauté.
… … …
Dans un autre lieu, un homme entre deux âges, vétu élégamment d’un costume à la coupe parfaite, finissait de retourner une carte sur un tapis de jeu…
« 23… C’est pour la banque… vous auriez dû vous arrèter avant cher docteur. »
Son rire sardonique se mêlant aux échos des hurlements de Richard dans une harmonie malsaine, il se renversa sur son siège, allumant un cigare d’une main pendant que d’un geste, il donnait à son groom le signal de faire entrer le joueur suivant…

Hmmm… plutôt cosi tout ça

Propos recueillis par David Barthélémy auprès de Christian Grussi

Notes et Références :

¹ Christian Grussi
² Rafiot Fringant
³ Wushu
Arkeos Adventures
Squid Games
Battle Royal
Sandy Julien
Eric Nieudan
Cyril Puig
¹⁰ Philippe Auribeau
¹¹ Pierre Pradal
¹² Crossroads
¹³ L’imaginarium du Dr. Parnassus
¹⁴ Angel Heart
¹⁵ L’Associé du Diable
¹⁶ Crowley
¹⁷ Supernatural
¹⁸ Al Pacino
¹⁹ Jérôme Brand Larré
²⁰ Coralie David

Avant la sortie

Avant la Sortie : Entretien avec Xaviiiier autour de The Caravan

Alors, vous je ne sais pas, mais de mon côté, j’aime bien me mettre un petit disque pour me donner des idées de scénarios… Une ambiance (parfois juste un couplet) peut amener des choses auxquelles on n’aurait pas forcément pensé en réfléchissant juste sur la base d’un jeu. Ce matin, j’ai donc refermé le couvercle de ma platine sur un petit King Crimson¹ et attendu les premières notes de Cirkus (de l’album Lizard sorti en 1970).
Grosse ambiance alternant entre riff apocalyptique et passages folk poussant à l’optimisme, ça sent le scénar bien barré (et je ne parle pas du reste de l’album… Rhaaaa Lovely, Happy Family…).
Donc, ça va décaper un minimum, il me faut un jeu proposant une touche de naïveté ainsi qu’un fond si possible bien glauque pour coller à tout ça.
Hmmmmm, je contemple mes étagères en quête de l’univers qui s’y prêtera le mieux, hésite quelques instants sur Thanatos, mais me dis rapidement que je serais bien en peine d’y insérer la touche de naïveté ou d’optimisme requise par la musique. Damned !
Et là, je repense à un jeu indépendant (tout comme Thanatos d’ailleurs) en développement qui pourrait bien coller, The Caravan.
Une troupe d’enfants, une Matriarche mystérieuse, une terre hostile abritant des communautés à problèmes et des masques magiques transformant les dits enfants en créatures difformes… Parfait.
Seul problème, le jeu n’est pas encore sorti.
Qu’à cela ne tienne ! Je me saisi vaillamment de mon clavier et part débusquer Xaviiiier, l’auteur du jeu pour en savoir un peu plus et voir si effectivement, je pourrai recycler mon King Crimson dans son univers.

Quand même, quel album !!!

Salut Xaviiiier et merci de prendre quelques minutes de ton temps pour m’aider à solutionner mon problème de bande son.
Avec The Caravan, tu nous proposes donc un univers Dark Fantasy Poétique dans lequel vont évoluer des enfants (de 5 à 16 ans), sous l’égide d’une entité nommée la Mama, leur fournissant à la fois un cadre de vie (la caravane), des objectifs (“aider” des gens en échange de faveurs) et des pouvoirs magiques, par le biais de masques… J’ai bon ?

[Une petite musique gitane en arrière-plan, quelques roulottes et un grand feu où des enfants insouciants ne semblent pas prêter attention à quelques loups qui les observent]

Oui tu as bien cerné le décor posé de mon jeu the Caravan.
Pour compléter ton introduction du jeu, j’ajouterai qu’il n’y a que des enfants au sein de la caravane. Le plus grand, Micky fait office de chef.
Les aventures prennent place sur une île nommée l’Ile Crâne.

L’Île Crane

L’île se compose principalement de petits villages qui vivent reclus sur eux même autour d’une croyance ou une peur. Par exemple : un village appelé l’Échelle qui est construit, adossé à de grands arbres. Les habitants les plus importants vivent en hauteur. La nuit des rongeurs, plus grands que natures, plus féroces, viennent voler, attaquer les maisons du bas. Quand la caravane se pose non loin du village, la situation est désespérée. Un vieil homme est prêt à faire la Demande aux Chuchoteurs (la forme monstrueuse des enfants) pour sauver son village. Et il sait qu’en contrepartie il devra offrir un Don à la hauteur de sa Demande.
Mais attention tout n’est pas toujours blanc ou noir dans the Caravan. Le Don ne sera-t-il pas pire que le problème en fin de compte ?

[Zoom arrière du village pour laisser voir l’île dans sa grandeur générale. Quelques villes importantes apparaissent]

Voilà pour les villages, mais il existe aussi quelques villes importantes. Par exemple le Palais qui peut-être considéré comme la capitale. Là-bas un homme, qui se fait appeler le Prince, veut se positionner comme seigneur de l’Île.

Puisque personne n’a rien contre les évidences, je poursuis : Le Palais

Le Palais est une ville qui date de l’avant Grand Chamboulement. A cette époque la magie était maîtrisée (plus maintenant sauf à travers des artefacts). Les habitations sont construites en pierres qui ne subissent pas les affres du temps. La nuit, une lueur bleue émane des pierres pour éclairer les rues. Le Prince a imposé sa légitimité par la force et les savants qu’il embauche pour essayer de comprendre l’ancienne magie. A côté de lui, un Chuchoteur qui le protège…
J’arrête là, car je pourrais en parler des heures……
Voilà un peu l’ambiance générale du monde.

Alors d’un côté nous avons l’univers, et de l’autre le système de jeu. Je fais partie de l’école “qui fuit les systèmes génériques”, notamment quand un univers avec une forte identité doit prendre vie. Tu te positionnes comment par rapport à ça ? Et fatalement, tu es parti sur quel type de système ?

Déjà j’adore les systèmes de jeu. Pour moi un jeu de rôle, c’est :
– un univers
– une ambiance
– un système
– une feuille de perso
Je suis donc d’accord sur l’idée qu’un système générique rend fade les jeux. Après, en fonction de la proposition de jeu, il peut y avoir des systèmes plus ou moins complexes, plus ou moins simulationnistes … etc

Veuillez remplacer la cartouche Y pour pousuivre l’impression

The Caravan est un jeu d’émotions, de ressentis, de réactions d’enfants sous forme de monstres puissants. Je voulais un système plutôt simple, mettant en avant la différence entre enfants, adultes et Chuchoteurs. Pour être complet, la première version avait un système d10 à base de bonus, malus, compétences, pouvoirs… impossible à équilibrer, rendant trop complexe le nombre de compétences. Et je ne parle pas des pouvoirs qui apportaient pleins d’incohérences… brefs pleins de tests nuls et des calculs excels dans tous les sens.
Et je suis tombé sur la traduction du Grümph² de Cthulhu Dark³.

#balancetonpoulpe

J’ai adoré. Simple, rapide et un potentiel de hack assez facile.
Voilà j’avais ma base. Après 5 ou 6 parties playtests et beaucoup de débriefing, le système a été adapté à la version actuelle.
L’idée première est de faire ressentir que sous sa forme de Chuchoteur, l’enfant est très fort. Un monstre de 2m50 avec 6 tentacules peut affronter 4 ou 5 humains sans difficultés. Pas immortel, il peut se faire déborder, mais les Chuchoteurs sont forts et craints. Le cœur du jeu est de jouer des enfants monstres essayant d’aider les villageois contre quelque chose ou… eux-mêmes. La fourberie des adultes ou la fatalité de la vie ne se déjouent pas avec la force brute, mais par les yeux de la naïveté ou la voix d’un enfant qui essaie de se faire entendre.
En playtest j’ai toujours eu des retours sur le besoin de ne pas mécaniser les actions. 
Dixit par exemple : « bah j’ai des ailes pourquoi je dois faire un jet pour voler sur le toit », « j’ai 4 bras et je fais 2m50,  je veux pouvoir tenir 4 villageois en même temps », « je peux parler aux morts, tu m’autorises à transmettre un message au père de la petite fille ? »… Ah voila la poésie qui prend place… et là c’est trop bête de bloquer ça.

Ha oui, effectivement, des enfants monstres

Donc une des spécificités des pouvoirs dans Caravan : c’est qu’ils réussissent toujours. Par contre, pour apporter une tension, un jet Mystique est fait, pour piocher en cas d’échec dans une jauge.
Le risque de perdre du Mystique augmente avec la diminution de la jauge. (bon, c’est plus clair dans le livre).
Pour revenir au sujet. Il y a des règles qui vont mécaniser des éléments de jeu comme : la magie, la cruauté des actions des joueurs, la quantité d’adversaires, tout en laissant les idées des joueurs se réaliser.

Mon premier réflexe quand je lis Dark Fantasy est en général de me dire “Encore…”.
Alors, ce n’est pas que j’aie une dent contre le genre hein, mais le désespoir au bout d’un moment, comment dire… Du coup, j’ai trouvé plutôt malin de ta part de mettre en scène des enfants, ça nous évitera le côté “tout est foutu no futur gothisant”, même si la fatalité n’est jamais bien loin (oui oui je sais, Remi sans famille⁴ met en scène un enfant…). C’était pleinement intentionnel dès le début, cette opposition entre environnement impitoyable et fraîcheur de l’enfance ou c’est venu plus tard dans ton processus de création ?

Oui, c’était présent dès les premières lignes d’écriture et de playtest. Je crée mes jeux, mes campagnes ou mes scenarios toujours autour d’idées de scènes. Mon inspiration débute toujours par l’envie de voir, de faire vivre quelque chose à mes joueurs. Viennent après l’univers, le lore, le pourquoi du comment.
Pour Caravan, ma première idée a été : que feraient des joueurs sous forme de monstres en remontant une rue déserte de nuit dans un petit village. J’imaginais leurs voix stridentes qui chuchoteraient des choses incompréhensibles aux habitants terrés chez eux, terrifiés.
Le nom Chuchoteur est venu tout de suite.
Jouer uniquement un monstre était sans intérêt pour plusieurs scenarios. Il fallait plutôt aider les villageois apeurés.  De même des monstres contre des adultes ne m’emballaient pas.
Et voilà le combo était donc: Chuchoteurs/monstres/enfants contre villageois effrayés/adultes
Au premier playtest, de suite, les joueurs ont apporté de la poésie avec la vision des enfants.
Donc pour revenir à la question initiale. Oui tout de suite il y a eut la poésie et des enfants à travers des monstres.
Le vrai travail de création et d’écriture vient après pour étoffer, créer tous les éléments autour et le lore global.

Puisqu’on est parti sur la création, j’ai parcouru la plaquette de ton jeu  et me suis fait la réflexion suivante : “mais mais mais, il fait tout tout seul ?”
Tu confirmes ?


Oui je suis seul pour tous les postes : écriture,  illustration et mise en page.
J’adore toucher à  tout. J’adore découvrir, apprendre et là je suis servi.


Aujourd’hui, j’ai délégué uniquement la relecture et la correction à une autre personne (@edenroliste).
Par contre, je discute beaucoup, sur tous les aspects du jeu. J’ai énormément de retours, débriefing de parties. Sans ces échanges clés, le lore serait beaucoup moins développé. Merci à eux pour toutes ces heures d’échanges, de tests sur tous les éléments qui structurent le jeu et l’univers.
Par exemple, j’ai eu des échanges de 3 ou 4 heures juste pour définir l’âge des enfants que vont interpréter les joueurs : Pas trop jeune pour pouvoir enquêter, raisonner, mais pas trop vieux pour conserver une vision parfois naïve.

Les visuels de la maquette que tu m’as fourni m’ont tout de suite fait penser à Mork Borg, avec des couleurs flashy et une rencontre improbable (encore que pas tant que ça quand on y réfléchit bien) entre Punk et O.S.R… Tu oserais me dire que “Non Non, pas du tout” ou c’est une influence assumée ?

Euhhhh oui clairement Mork Borg a été la révélation.
Avant, pour moi un jdr devait faire 400 pages et décrire toutes les tavernes, toutes les rues, toutes les villes…. La mise en page était sur 2 ou 3 colonnes, avec une image toutes les 3 pages.


Et il y a eu 2 jeux : Mork Borg et Maze of the Blue Medusa⁵.
Une claque. Voila : poésie, jeu de role A5 sur 96 pages, c’est possible. En plus les univers, quoique non complets sont inspirants, mais tout est là.
Donc oui influence majeure et non pas un Mork Borg like.
J’avoue, le jaune est un peu copié, à moins que ce ne soit le jaune des teletubbies⁶ qui m’ait inspiré ….  je ne sais plus.

De l’idée de départ à la réalisation de la maquette, en passant par les illustrations et le game design, ça n’a pas dû se faire en quinze jours. C’était quoi pour toi le plus compliqué à mettre en œuvre ? Tu as eu des phases où tu t’es dis “pffffff… ça saoul, je plaque tout et je me barre à Plougastel manger des crêpes… heuuu… des galettes” ?

C’est par palier. Avant chaque passage de palier, c’est toujours « pfffff j’arrête, c’est nul ». Et puis, à un moment, il y a un truc, une inspiration, une phrase de quelqu’un qui permet de passer la marche.

Le fameux restaurant « le Tape Cul » à Plougastel, haut lieux de villégiature réputé auprès de tous les auteurs en plein burn out…

J’ai vite lancé des playtests qui étaient supers inspirants.
J’ai eu beaucoup de mal pour trouver mon style de mise en page. Je suis passé par 3 tests de 30 à  40 pages chaque fois pour me dire … « pfff c’est nul, c’est pas ça que je veux ». Et au troisième c’était bon.
Voila le style de palier difficile à franchir.
Là, actuellement, le corebook et le storybook sont écris, illustrés et mis en page a 80%. Le pfff actuel, c’est monter le financement et le marketing… ahhh c’est trop long… mais ça avance.

Mais dîtes voir un peu, ça m’a l’air chouette tout ça

Tu as dû acquérir des compétences particulières au long de ton processus de création, ou tu avais déjà les connaissances nécessaires de par ton parcours (pro ou autre) ?

Oui je connaissais un peu la création d’ebook, la mise en page et le dessin sur ordinateur. Mais par contre jamais aussi loin. Dans mes créations précédentes, il y avait 20% écrit et 80% dans ma tête. 
Là, il faut 100% écrit pour un lecteur qu’on ne verra jamais.

Bon, pis le choix de l’indépendance, tu y es venu comment ? Parce qu’il y a tout de même un certain confort à bénéficier des conseils et du soutien d’un éditeur…

Haaaa l’indépendance…

Je suis de nature à faire les choses seul. J’aime être entouré de conseils, mais avec une finalisation plutôt personnelle.
Je reconnais qu’un éditeur apporte 1000 conseils que je n’aurai jamais en travaillant seul. Mais aujourd’hui pour mon premier financement participatif, je préfère partir presque seul.
De nos jours avec internet, tout est possible seul. Les outils sont disponibles, l’impression à la demande accessible… etc…

Tu vas donc passer par un Financement participatif pour financer ton projet d’ici quelques mois. Tu nous détaillerais un petit peu en quoi va consister la gamme ?

Oui, d’ici à 3 à 6 mois, je lance le financement participatif sur Game On Tabletop⁷. Aujourd’hui, je suis prêt, mais l’installation du financement consomme beaucoup temps, beaucoup plus que je ne le pensais.
En termes de contenus, il y aura principalement 5 contreparties, en pdf et/ou en physique :
– un Corebook avec l’univers, les règles et 1 scénario.
– un Storybook de 8 scénarios avec toutes sortes d’approches possibles du jeu.
– Ecran A5 en 4 volets
– Des fiches A6 avec les différents masques pour la cérémonie.

De quoi s’équiper sous tous les formats

Pour la surprise, il y aura aussi ​quelques packs premiums avec un vrai masque de plus de 50​ ​cm​ ​….
Un vrai boulot que je n’imaginais pas. Mais ça avance​ peu à peu…..​

Tu as fais le choix de te lancer dans l’édition avec ce premier jeu. Ce n’est pas rien en plein Covid/pénurie de papier/crise des transports. Ça m’amène à m’interroger… C’est du one shot ou tu as d’autres projets que tu aimerais porter par la suite (qu’il s’agisse des tiens ou de ceux d’autres créatifs) ? 

– Dis Maurice, y’a plus d’papier… Elles sont où les ramettes ?
– Ch’ai pas… t’as regardé derrière les cartouches d’encre ?
– Ha… Ben y’en n’a plus non plus !!!

Oui toujours beaucoup de projets. Autour de Caravan il y aura une campagne et les explications de certains mystères des corebook et storybook.
Pour les autres jeux, j’ai constamment pleins d’idées, mais rien de fixe. Aujourd’hui, je mets toute mon énergie dans ce projet.
Mais c’est vrai qu’en découvrant et jouant à Maze of the Blue Medusa, j’ai découvert une vraie poésie créatrice dans un méga donjon.
Peut-être une idée pour un futur projet, pourquoi pas 🙂
Pour suivre l’avancé du projet une seule adresse : https://twitter.com/thecaravan8 

​​Un grand merci à toi pour ce zoom sur the Caravan et n’hésitez pas à me contacter sur twitter pour plus d’infos ou participer à des playtests.

Et voilà pour ce qui concerne The Cravan.
Xaviiiier me signale fort à propos que le jeu sera en financement sur Game On Tabletop du 2 au 30 avril, donc si comme moi vous avez des morceaux à utiliser en partie qui peinent à trouver un jeu dont l’ambiance colle, n’hésitez pas. Vous noterez également que Xaviiiier a fort habilement évité de me dire si mon King Crimson pouvait faire l’affaire… soit il est trop gentil pour me dire franco que je suis à côté de la plaque avec ma musique de vieux, soit c’est tellement une évidence que ça ne vaut pas vraiment le coup d’y prèter attention. Dans tous les cas, j’ai décidé en mon âme et conscience que j’ouvrirais ma première partie de The Caravan avec (et toc).
Rendez-vous est pris donc pour le 02 avril pour découvrir tout cela plus avant.

Et comme nous avons commencé en musique, il parait juste de terminer à l’avenant. Par conséquent, le dernier mot sera pour Freddy dans sa complainte à Mama

Is this the real life?
Is this just fantasy?
Caught in a landside,
No escape from reality
Open your eyes,
Look up to the skies and see,
I’m just a poor boy, I need no sympathy,
Because I’m easy come, easy go,
Little high, little low,
Any way the wind blows doesn’t really matter to me, to me

Propos de Xaviiiier recueillis par David Barthélémy

Notes et références :

¹ King Crimson
² John Grümph
³ Cthulhu Dark
Rémi sans famille
Maze of the Blue Medusa
Teletubbies
Game On Tabletop

Non classé

2021

Salut tout le monde… l’heure du bilan pour cette année est arrivé. Dans cinq jours, Culture Jdr soufflera sa premiere bougie 🥳

Youhouhou !!!

Alors, en un an, il s’est passé quoi ?

Des interviews, des retours de lectures, beaucoup de discussions et énormément de projets encore non concrétisés.

Pour rappel, mon plan initial était bien sûr de parler Jdr, mais également de proposer un espace de rencontre et d’échange entre amateurs, professionnels et passionnés de création ludique… bon, l’intention est là, mais pas encore son développement.

2021 m’aura permis de constater que gérer seul ma petite barque est tout à fait faisable (et surtout que ça colle bien à mon caractère), mais que forcément j’avançais moins vite qu’un gros galion aux bancs de nage bien garnis. Dois-je pour autant y changer quelque chose ? Hé bien je n’en suis pas sûr… Après tout, l’important c’est le voyage n’est-ce pas ?

Allé, rame moussaillon !

Et pour ce qui est de voyager, je suis servi.

Nombre d’habitués des sept mers ont réagi positivement à mes sollicitations et je leur en suis reconnaissant… tellement positivement qu’en un an j’ai déjà accumulé deux ans de retard dans mes entretiens. En effet, toutes les bouteilles que j’ai envoyées à la mer ont obtenues des réponses favorables, ce qui ne manque pas de me surprendre et en dit finalement long sur la volonté de communication qui anime le milieu de la création.

Je tiens donc ici à remercier toutes celles et ceux qui avec qui j’ai déjà eu le loisir d’échanger, et à présenter mes plus humbles excuses à toutes celles et ceux que je dois encore contacter suite à nos discussions.

Pardon… … …

2022 sera donc une année consacrée à essayer de rattraper mon retard, tout en essayant de m’investir plus dans l’aspect « annuaire communautaire » du site, qui jusqu’ici a fait les frais de mon manque de temps chronique. J’aimerais également proposer plus de retours de lecture, car il pleut littéralement des jeux et qu’il n’est pas toujours évident de s’y retrouver, mais là, ça se complique car une fois de plus, mon temps quotidien à consacrer à la lecture n’est hélas pas extensible 😭😭😭 (et il me faut un vrai temps de digestion/reflexion histoire d’avoir un tant soit peu de choses « interessantes » à dire ensuite). Pour l’instant, la parade est de mettre mes étagères à la disposition du Vieux Geeks, qui enchaîne pour sa part à un rythme effréné (fort heureusement). Cela a certes un petit côté frustrant pour moi, mais les jeux sont présentés et c’est bien là l’essentiel.

Blurp !!!

Voilà pour les objectifs de l’année (somme toute modestes) à venir. Maintenant, revenons un peu sur l’année écoulée et ce qu’elle m’aura permis de vous proposer.

Ce que j’en pense :

Avant la sortie :

Dossiers :

Au chapitre des petites hontes que je traîne derrière moi… Le dossier Grümph part 3 (qui est en cours de rédaction depuis un trop long moment) et Octogônes part 3, que j’aurais dû rédiger dans la foulée des deux précédents (il faut battre le fer… tout ça).

Dans les à côtés, la page Facebook du site en est à 521 abonné(e)s et je ne comprends toujours rien à Twitter (on est vieux ou on ne l’est pas hein).

Pour une première année d’existence, je me permettrai donc d’être plutôt satisfait du résultat et envoie des remerciements particuliers à Madame (ma relectrice attitrée, malgré son peu d’intérêt pour le jdr et des semaines trop chargées), Florent Menot et Cédric Ougier (pour avoir palié à mes énormes lacunes informatiques, quand je me suis mis en tête du jour au lendemain de me lancer dans l’administration d’un site internet)… et bien sûr à toutes celles et ceux qui lisent ces pages ou me permettent de les remplir.

N’annéeeee !!!

Une très bonne année à tout le monde et rendez-vous en 2022 pour de nouvelles aventures.

BarthusVulgaris

Retour de lecture

Ce que j’en pense : Dungeon Crawl Classics

Fulbert avançait dans le couloir sombre avec une torche en main et une pique de rôtissoire dans l’autre… Les sept autres villageois coincés ici avec lui le suivaient et l’encourageaient à continuer en dépit des toiles d’araignées et des bruits inquiétants qui se répercutaient dans la galerie, lui glaçant les sangs.

Tout avait commencé en rentrant de la foire du bourg voisin, par une belle nuit de printemps, aussi incroyable que cela puisse paraître, il y avait seulement quelques heures de cela.
Maître Fulbert y avait tenu son comptoir de rôtisserie comme chaque année, fier de vendre ses poulets comme des petits pains. Il faut dire qu’il en prenait soin de ses bestioles… Point d’élevage en batteries comme pouvait le pratiquer son principal concurrent dans la région, l’odieux père Rodel vers qui il avait pourtant fait son apprentissage étant jeune.
Ses poulets étaient des poulets heureux, oui monsieur… Ils vivaient au grand air, étaient nourris avec les meilleures graines de la région et il prenait le temps chaque jour de les visiter personnellement afin de s’assurer de leur bonne santé.
S’il portait autant d’attention à son élevage, c’est aussi parce qu’il fallait bien l’avouer, Fulbert avait toujours préféré la compagnie des bêtes à celle de ses congénères, qu’il trouvait bien souvent prétentieux et méprisants à son égard. Il ne brillait peut-être pas par son intelligence, mais il avait finit par trouver sa place dans le village et avait su mettre à profit son talent pour se faire apprécier des animaux, à défauts des villageois.
C’est avec une certaine satisfaction qu’il réfléchissait à cela tout en menant son char à bœufs sur le chemin du retour vers sa petite ferme, accompagné par Pezzo, son jeune apprenti à la carrure impressionnante malgré ses quatorze ans, ainsi que Mirabelle, la cousine de ce dernier qui avait aidé à la vente de volailles en échange du trajet à la foire.
Les deux adolescents discutaient paisiblement des merveilles qu’ils avaient vu ce soir, comme le troubadour un brin sorcier qui faisait apparaître et disparaître des pièces d’un sou des oreilles des badauds ou encore la première épée forgée par Rimuld l’apprenti du forgeron, dont il avait démontré le tranchant en pourfendant tout de même deux des trois épouvantails apprêtés pour l’occasion (le troisième ayant fini par avoir le dessus en mettant traitreusement à profit l’allergie aux foins de Rimuld, ainsi que son inaptitude flagrante au maniement de l’épée qu’il avait forgée).
Troubadour comme apprenti forgeron cheminaient à dos de mule juste derrière le char de Fulbert, qui les avait invité à souper et dormir chez lui ce soir en remerciement de la foule qu’ils avaient attiré autour de son étal durant la soirée.
Tout était donc pour le mieux… Jusqu’à ce qu’ils traversent la nappe de brouillard aux abords de la mare aux Salamandres.
Déjà, du brouillard en cette saison ce n’était pas banal, mais ce qui  fit courir un frisson le long de l’échine de Fulbert, ce fut l’absence totale de bruit pendant qu’il suivait la route au sein de la brume. La température avait bien chuté de dix degrés et il n’entendait plus claquer les sabots de son bœuf, pourtant à moins de deux mètres de lui.
Quand la brume se dissipa, il ouvrit grand les yeux de stupéfaction à la vue de l’allée pavée qui s’étendait devant lui, en lieu et place du chemin de terre conduisant au village.
Une neige à moitié fondue tombait en gros rideaux derrière lesquels on pouvait deviner la silhouette d’un imposant château qui bouchait l’horizon. Stupéfait, Fulbert mit quelques secondes à réaliser que ses compagnons s’adressaient à lui, tantôt depuis l’arrière du char, tantôt depuis leurs mules…
« Boudiou mais c’est quoi qu’c’t’histoire ? » Lâcha t’il en guise de réponse aux interrogations qu’il n’avait pas saisi.
Des hurlements de loups (ainsi que les exhortations de ses compagnons) le poussèrent à faire avancer la cariole dans la cour du château, où il remarqua bien vite la présence de trois autres personnes, l’air tout aussi déboussolés que lui.
Ferlis le boulanger, Marinette son épouse, ainsi que Martel leur fils aîné. Tous trois avaient quitté la foire une bonne heure avant lui, ayant vendu tout leur stock de pain au maïs, grande spécialité de la famille.
Tout naturellement, chacun s’était tourné vers Fulbert (celui-ci étant le plus âgé d’une bonne dizaine d’années) afin de savoir quoi faire, et c’est avec une certaine angoisse qu’il avait pris sur lui de faire rentrer tout ce petit monde dans le château mystérieux, après un long moment d’hésitation à laisser son pauvre boeuf seul dehors dans le froid.
S’étant équipés de bric et de brocs avant de partir affronter l’inconnu, ils cheminaient depuis dans les couloirs abandonnés de l’inquiétante demeure, en quête d’un endroit sûr où passer la nuit et faire le point sur leur situation…

La Forme

Dungeon Crawl Classics (DCC pour les intimes) se présente sous la forme d’un bon gros pavé format A4 de plus de 480 pages à couverture rigide, reliure cousue, agrémenté de trois signets en tissu respectivement couleur crème, bleu azur et parme (oui oui je sais… mais j’ai bossé dans le tissu, alors autant utiliser les bons coloris). Faisant partie de ceux qui ont craqué pour l’édition collector, je ne saurais me prononcer quant à la qualité du livre « standard », mais en tout cas ici, c’est du beau et du solide (vu le poids du bouzin, il valait mieux assurer le coup de ce côté, c’est chose faite), qui devrait encaisser sans broncher les nombreuses manipulations qu’il sera amené à subir au fil des années.
Vu l’épaisseur de la bête, je ne vous ferai pas la présentation chapitre par chapitre (j’en aurais pour six mois), mais vous parlerai plus de la forme générale de la gamme après un « bref » survol du livre de base.
Car oui, sitôt livré, DCC a déjà tout d’une véritable gamme en vf.
Nous avons donc un très épais livre de base, un écran, un petit livret de référence contenant tous les tableaux du jeu, un portefolio des illustrations (magnifiques) de Peter Mullen¹, des pochettes de rangement pour les feuilles de perso, des feuilles de perso, des stickers à coller au dos des pochettes pour indiquer les modules joués, un décapsuleur aimanté (présentement collé sur mon frigo), un tampon destiné à stigmatiser les feuilles de personnages décédés (que je n’ai hélas pas pris pendant la souscription… mouhouhou), des set de dés, et non pas un, ni deux, ni trois, ni… Mais treize modules de scénarios… Oui Madame, vous m’avez bien entendu, TREIZE MODULES !!!

Autant vous dire que le facteur était plutôt soulagé lorsqu’il a enfin pu déposer tout ça sur le pas de ma porte

Toute cette masse de matériel correspond donc au premier financement de la gamme, conduit par les éditions Akileos² qui déboulent en force sur le marché du Jdr avec ce projet pharaonique.
Le jeu est à l’origine édité par la maison américaine Goodman Games³ et aura donc été excellemment traduit chez nous par Emmanuel Bouteille⁴ (gérant et fondateur d’Akileos), Guillaume Meistermann⁵ (également co-auteur du jeu Terres de Matnak) et Sandy Julien⁶ (ou l’un de ses clones, chef de fil du S.S.L.I.P). J’insiste sur la qualité de la traduction tant la lecture s’est avérée fluide et cohérente (entre les 480 pages et les treize modules, il y avait pourtant matière à écueils), ce qui est pour le moins rafraichissant quand on sort d’une gamme comme celle de Symbaroum⁷, par exemple…
La maquette est sobre et efficace (sur deux colonnes pour la majeure partie du texte et une seule pour les présentations de sortilèges) et parsemée d’illustrations toutes plus redoutables et old school les unes que les autres (même si j’apprécie beaucoup moins les petites scénettes de Chuck Whelon⁸ que, au hasard, les pleines pages de Jeff Easley⁹, Jim Holloway¹⁰, Doug Kovacs¹¹, Peter Mullen… et j’en passe).
Pour le contenu du livre, on notera que sur les 480 et quelques pages, environ 280 sont consacrées à la Magie, les règles en elles-mêmes occupant environ 90 pages, création de perso, combat, classes de personnages et compétences comprises. Le bestiaire tient en 86 pages et vous donne largement de quoi inquiéter vos « héros en devenir » sur de longues sessions de jeu. Viendront ensuite une douzaine de pages d’annexes fournissant des détails supplémentaires sur diverses sujets tels que les malédictions, les langues, les inspirations, les poisons, les sobriquets et les titres pour les différentes classe de perso.
Avant de conclure sur un récapitulatif de certains tableaux et la présentation de la gamme (présente et à venir), deux scénarios vous permettront de mettre le pied à l’étrier, et ce même si vous avez décidé de vous contenter du livre de base.

L’écran est un trois volet classique au format portrait présentant côté joueurs trois illustrations qui jouent bien leur rôle de mise en ambiance… On aime ou pas le côté old school (moi j’adore), mais on ne pourra en tout cas pas leur reprocher de ne pas coller au thème du jeu. Côté MJ, les principaux tableaux utiles en cours de partie sont présent.
Seul bémol à mon avis, l’absence des procédures impliquant les jets de base pour ceux d’entre nous qui auraient une mémoire de poisson rouge… (mais qui dit old school dit post-it, donc ça passe). C’est du gros carton bien épais et devrait encaisser les multiples projectiles que vos joueurs tenteront sans nul doute de vous envoyer passé leur quatrième personnage coupé en deux par inadvertance au détour d’une ruelle mal famée.

Le livret de référence est un petit bouquin au format A5, d’une soixantaine de page qui a la bonne idée de reprendre absolument tous les tableaux éparpillés dans le livre de base de DCC. Donc si vous n’êtes pas branché écrans de jeu, vous pouvez très bien faire le choix de vous en passer et opter à la place pour ce fascicule. Pas grand chose à en dire de plus, si ce n’est qu’il est vraiment fort pratique.

Vient ensuite le porte-folio de Peter Mullen qui est vraiment très chouette. Si vous aimez son style, vous serez gâté avec la sélection d’illustrations proposée. Après cela, nous avons trois blocs de feuilles de personnages, un pour les persos niveau zéro et deux pour les persos de niveaux supérieurs. L’une des particularité de DCC est son taux de mortalité très élevé. Ici, point de complaisance envers vos joueurs afin de ménager leurs sensibilité. Il est recommandé de réaliser vos jets de dés à la vue de tous, non seulement pour assurer votre probité à la table, mais également pour amener de la tension dans l’aventure. Pour coller à cette ambiance, DCC part du principe que chaque joueur créé quatre personnages de niveau zéro pour la première partie et qu’au terme de celle-ci, le ou les éventuel(s) survivant(s) pourra(ront…) passer niveau 1. Attendez-vous donc à voir les persos débutants tomber comme des mouches (lors de ma partie d’intro, sur 16 personnages, seuls 8 ont survécu… et j’étais pourtant bien pourri sur mes jets de dés 😅).

Avant d’attaquer les modules, nous passerons rapidement sur les goodies restant, à savoir marques pages, posters, crayons de papier DCC, calepin, le fameux décapsuleur ou encore la pochette en tissu pour ranger les dés. Ça, c’est fait… Maintenant les modules.

Histoire de bien installer une gamme, rien de tel que de la doter de scénarios. Ça c’est un truc que Goodman Games (et incidemment Akileos) a bien compris. Pour cette vf sont donc disponibles en même temps que le livre de base treize modules de scénarios courant du niveau 0 au niveau 8 (avec une majorité de niveaux 0, 1 et 2), histoire d’être sûr. Je n’en ferai pas le détail (sinon une fois de plus nous y sommes encore dans deux semaines), mais sachez qu’ils proposent toute une variété d’aventures qui sous couvert de poncifs du genre, vous promettent de belles parties de rigolade (et de morts atroces). Pour ma part, je n’ai encore fait jouer que Le rouge vous va si bien Brandonlyne¹² qui a rencontré un beau succès auprès de mes joueurs. C’est fun, ça se met très vite en place et les situations proposées sont propices à de beaux moments d’interprétation. Pour info, nous avons dû jouer le module en deux séances d’approximativement quatre heures (hé oui, on vieillit… Elles sont loin les folles parties de 8/10 heures d’affilée), incluant explication du système et création de 16 personnages. Si en dépit de tout cela vous avez peur de manquer de matière, sachez qu’Akileos a proposé en début d’année une formule d’abonnement pour de futurs modules (six, dont la traduction est en court, voir bouclée pour certains). Il est possible de s’abonner pour des pdf ou des ouvrages physiques qui seront envoyés une fois tous les pdf mis à disposition. Chaque module contient une aventure complète, avec cartes, aides de jeu éventuelles, PNJ… Tout ça en une trentaine de pages en moyenne et toujours dans cette esthétique old school de bon aloi.

Et si vraiment vous êtes en demande de plus ou avez peur des étagères vides, Akileos va proposer très prochainement la version DCC de Lankhmar¹³ ou encore Péril sur la planète violette¹⁴ (évidemment tous deux présentés au format boîte 🤩), ce qui positionne clairement ce jeu dans les gammes extrêmement vivantes et fournies.

Les règles

Alors, nous ne nous éterniserons pas des heures sur les règles de DCC.

Nous sommes sur une base extrêmement simple et efficace, à base de grand ancêtre… Six caractéristiques, trois sauvegardes, une CA (classe d’armure) et tout se règle par défaut au D20 contre une difficulté. Là où les choses vont différer de l’habitude, c’est sur la gestion des bonus/malus. Effectivement, vous aurez vos classiques +-1/2/3 résultants des caractéristiques, mais également des changements de classe de dés pour le moins exotiques, à base de D14, D16, D24… Ça paraît tordu énoncé comme ça, mais à l’usage c’est très fluide, à condition toutefois de posséder un set de dés adéquat (les fameux dés Zocchi ou une application dédiée).

Dîtes donc, ils sont quand même chelous vos dés non ?

Pour ce qui relève de l’utilisation de compétences, basez-vous sur la cohérence avec la profession de votre personnage. S’il paraît justifié qu’il ait une quelconque expertise en matière de cuisine par exemple, oui vous pourrez lancer un D20 (test qualifié) pour essayer de reconnaître une odeur suspecte émanant du breuvage que l’on vient de vous servir. Sinon, lancez un D10 (test non qualifié). Simple, efficace. Seuls les voleurs bénéficieront d’une liste plus spécifique de compétences, toutes affiliées à leur classe de personnage (déplacement silencieux, déguisement, crochetage…). Les guerriers disposeront quant à eux de hauts faits d’armes, des manœuvres de combat du type désarmement, immobilisation, posture défensive… En bref, chaque classe de personnages aura ses particularités la rendant attrayante.

Là où les choses vont se corser un peu, c’est avec la magie.

Il existe en tout et pour tout 716 sorts dans le monde (rassurez vous, ils ne seront pas tous présentés dans le livre), ni plus, ni moins. Comme un article entier pourrait être consacré à la magie de DCC, on va faire au plus court.
Le livre de base en propose une bonne centaine sur l’ensemble, en incluant les sorts de Mages, les sorts de Patrons (j’y viendrai) et les sorts de Clercs. Avec les sorts présentés, on reste sur du classique (comme l’indique si bien le nom du jeu), mais… car oui, il y a un mais… avec des twists rigolos. Déjà, ce n’est pas parce que le nombre de sorts disponibles est fini que ce seront tous les mêmes. Je m’explique.
Les Projectiles Magiques de Bernart l’Inconsistant (avec un t, c’est de la Fantasy) le sorcier du village de Permut les Ouilles se manifesteront différemment de ceux de Falzar le Terrible, sorcier Elfe connu et reconnu, car dans DCC, la magie est bordéli… pardon, Chaotique. Ce sera traduit en jeu par ce que l’on appelle la magie Mercuriale, un joli tableau qui vous permettra, à l’acquisition de chaque sort d’un magicien, de déterminer une conséquence au lancé du dit sort (je vous mets une photo du tableau, sinon mon rôle va se résumer à celui de bête moine copiste et j’ai d’autres chats à fouetter… Enfin… notez que je n’ai rien contre les chats), mais également par une Manifestation (qui sera elle aussi permanente et déterminée à l’obtention du sort) spécifique à chaque sort.


Autre truc à noter, comme tout le reste dans le jeu (hormis le choix de la classe de personnage  au passage du niveau 1), les sorts de votre Mage seront déterminés aléatoirement à chaque niveau (ben ouais)… et que si vous voulez obtenir quelque chose de vraiment spécifique, ben il faudra le faire en jeu, avec probablement une longue quête périlleuse à mener pour ce faire.
Une autre forme de Magie est celle liée aux Patrons (je vous avais bien dis que j’en reparlerais). Toutes celles et ceux qui ont lu le cycle d’Elric¹⁵ verront où ça nous mène.
Or donc, Il existe deux sortilèges nécessaires à la pratique de cette forme de Magie : Invoquer un Patron et Lier un Patron.
Par l’usage de ces sorts, vous permettrez donc à votre magicien de faire appel à une entité supérieure, qu’il s’agisse d’élémentaires, de démons, d’anges ou quoique ce soit d’autre qui traverse votre esprit tordu de MJ ou de Joueur (mais ceci dit, pas un Dieu ou une Déesse, ça c’est pour les Clercs) avec laquelle vous essaierai d’établir une relation de confiance en vue de vous faire prêter une fraction de ses pouvoirs contre menus services (gniark gniark gniark).
Les Clercs eux, ont à disposition un catalogue spécifique de sorts (36 répartis sur cinq niveaux), au fonctionnement légèrement différent des Mages concernant les échecs critiques notamment.


Avant de parler concrètement des choses qui fâchent, il me faut évoquer le principe d’un lancé de sort à DCC.
Pour incanter, vous lancerez un D20 auquel vous ajoutez votre niveau d’incantateur ainsi que votre modificateur de Présence (si vous êtes un Clerc) ou votre modificateur d’Intelligence (si vous êtes un Mage) contre une difficulté généralement de 10 + deux fois le niveau du sort incanté.
Exemple pour un sort de niveau 2 :  difficulté = 10 + 2×2 = 14
Vous comparez ensuite le résultat du jet à la table d’incantation du sort concerné et hop, vous avez votre effet… Car oui, un même sortilège n’aura pas les mêmes effets suivant si vous réussissez de beaucoup ou pas (cf photos).

Un grand classique dont les effets pourront en surprendre plus d’un


Les Magiciens (et dans une moindre mesure les Clercs) disposent d’une ressource supplémentaire pour modifier leur résultat d’incantation… Le Brûlesort.
Il s’agit ni plus ni moins d’une forme de sacrifice au moment de l’incantation, afin de limiter les chances d’échec, voir d’assurer la réussite du sort.
Ce sacrifice consiste en la perte de points de caractéristiques (1 point pour un bonus de 1) qui pourront fort heureusement être régénérés par la suite (un point par jour passé sans utiliser de Brûlesort) et une manifestation concrète du dit sacrifice (voir tableau en photo).

Les effets du Brûlesort

Alors oui, ça fait chier de perdre (même temporairement) des points de caractéristique, mais si ça vous permet d’éviter la Corruption ou les Revers Arcaniques, voir d’arriver à lancer un sort très puissant dans ses effets, ben c’est pas si mal.
Corruption… Revers Arcaniques… mais qu’est-ce que c’est encore que ça me direz-vous à raison ?
Comme vous m’êtes sympathiques, je vous explique.
La Corruption est un truc très cool qui pend au nez de chaque Magicien… Naaaaaan, je déconne, c’est tout pourri.
La magie étant quelque chose de très instable dirons-nous, si vous vous vautrez à un test d’incantation et faites 1 sur le dé, vous risquez d’être corrompu et de subir diverses mutations ou autres désagréments bien bien handicapants dans la vie de tous les jours de votre personnage. Il existe des formes de Corruption directement liées aux sorts, mais également des tables de Corruption Mineures, Majeures et Supérieures génériques. L’utilisation de l’une ou l’autre forme dépendra des sorts utilisés.
Il sera toutefois toujours possible pour un personnage magicien victime de Corruption d’en ignorer les conséquences en brulant un point de chance permanent (on est dur dans DCC, mais on n’est quand même pas des chiens… Enfin… notez que je n’ai rien contre les chiens).
Si la Corruption ne vous suffisait pas, vilains MJ sadiques que vous êtes, sur le même 1 au test d’incantation, il y a possibilité de générer un Revers Arcanique, sur le même principe, à savoir des revers spécifiques aux sorts, ou parfois sur une table d’effets génériques (pour les monstres, les objets magiques ou circonstances particulières).
Si avec ça vous voulez devenir Magicien malgré tout, ne venez pas vous plaindre qu’on ne vous aura pas prévenu (mais en vrai c’est super fun).
Les Clercs quant à eux ne souffrent pas de Corruption ou de Revers Arcaniques, mais de Défaveurs Divines et je vous rassure tout de suite, ce n’est pas cool non plus.
Voilà voilà pour ce qui relève de la Magie à DCC.
Il reste après cela quelques menus points de règles, mais quand vous avez ça, vous avez l’essentiel pour jouer (et il faut bien que je vous laisse quelques trucs à découvrir en lisant le bouquin hein).

Mon avis

Je ne vous jouerai pas la carte du suspens insoutenable, j’ai beaucoup aimé. DCC fait indiscutablement partie de ces jeux faciles à prendre en main (surtout si vous avez un tant soit peu pratiqué Donjon & Dragons¹⁶), tout en ayant un fort caractère. Vous avez dix minutes pour lire les règles, un module de scénario sous la main, hé bien roulez jeunesse, vous pouvez jouer en moins d’une heure, création de persos niveau zéro comprise. C’en est presque magique.
Les règles sont simples et cohérentes et le départ niveau zéro des personnages vous permet de commencer à jouer de suite, même si vous n’avez pas lu les règles sur la magie. C’est là le seul point qui pourrait paraître compliqué dans DCC… Et je dis bien « pourrait ».
En effet, même si ça paraît velu à la première lecture, il n’y a au final rien de bien méchant. Mécaniquement, pour lancer un sort on jette un dé plus le modificateur après avoir décidé si on payait de sa personne pour augmenter ses chances. Le reste étant prédéfini à la création des sorts, on évacue une bonne partie de ce qui parait compliqué et c’est seulement sur un 1 naturel que les choses pourront à nouveau se gâter vraiment.
J’apprécie tout particulièrement la création de plusieurs personnages de niveau zéro par joueur pour la première partie et son scénario « Funnel ». Le fait de vraiment avoir des personnages niveau « paysans » apporte beaucoup de fraicheur à la table et de grands moments d’interprétation pour les joueurs, le moindre obstacle prenant tout à coup des proportions démesurées par rapport au traditionnel Dungeon & Dragons. Un Loup de base ou une serrure piégée se transforment soudain en armes de destruction massive pour des persos qui navigueront bien souvent entre 1 et 5 points de vie et n’auront d’autre équipement qu’un chausse pied et un sac d’excréments (véridique) pour y faire face.
J’ai été formé au jdr (en tant que maître de jeu) à l’école Rêve de Dragon¹⁷, du coup j’ai développé un goût prononcé pour les jeux dont l’univers transparait au travers des mécaniques ou par petites touches au gré des chapitres, plutôt que par une masse d’informations géopolitiques, historiques ou mythologiques balancées au gré de 120 pages de contexte… DCC adhère à ce principe également et se contente de plaquer son propre verni sur un univers Fantasy « générique » par le biais de noms de divinités, de principes de magie, de créatures du bestiaire ou d’une quantité déjà impressionnante de modules de scénarios.
Ceux-ci, sous leurs dehors très « classiques » (une fois de plus), permettent de revisiter les grands clichés du genre, avec cette magie propre à DCC qui veut que à la lecture on se dise « ouais…rien de neuf sous le soleil », mais qu’une fois en jeu, les situations s’enchainent de manière toujours surprenante en dépit de se classicisme apparent.
La meilleur image qui me vient à l’esprit pour illustrer ce sentiment serait d’appliquer une sorte de filtre « films des frères Cohen¹⁸ » avec leurs « épopées ordinaires » à une partie de Dungeon & Dragons.

Va falloir être tenace pour se farcir celui-là


Voici donc une gamme de jeu qui à mon avis va frapper un grand coup dans le « petit » monde du Med Fan en en décrassant les poncifs avec son approche décomplexée et exubérante. Bravo Goodman Games pour cette création et bravo Akileos pour avoir choisi DCC comme premier jeu au catalogue, c’était osé mais pose tout de suite une belle crédibilité tant par la qualité du jeu que par le matériel mis à disposition (fraichement sortie, la gamme fait déjà peur par son ampleur et vous n’êtes pas près de tomber en panne de matériel jouable).
DCC est donc selon moi la grosse bonne surprise de l’été 2021 et mérite amplement que l’on jette un œil dessus si l’on est un tant soi peu amateur de Donjoneries.

Enfin, les premiers rayons du soleil pointaient au travers des vitres brisées de la pièce dans laquelle s’étaient barricadés les survivants. Des traces de sang maculaient le sol autrement recouvert de poussière et seules les respirations chuintantes des trois personnes présentent venaient perturber le silence.
Soudainement, un choc violent fit vibrer l’assemblage  de meubles entassés contre la porte de la pièce. Fulbert se jeta contre l’empilement pour éviter qu’il ne s’écroule, signant ainsi leur arrêt de mort à tous. La chose qui encore quelques heures auparavant répondait au nom de Martel, poussa un hurlement de frustration. Mirabelle, pâle et tremblante tentait d’endiguer le flot de sang qui s’écoulait de la blessure de Filos, le troubadour. La morsure cruelle que lui avait infligé celui qui avait été le fils du boulanger l’empêcherait certainement de jouer du luth à nouveau un jour… Enfin… Dans l’hypothèse où ils réussiraient à s’échapper de ce lieux maudit. Fulbert ramassa l’épée souillée de feu Rimuld et avec un regard vide d’émotions, expliqua à ses compagnons qu’il allait tenter de distraire la bête pendant qu’ils prendraient la fuite. La porte fut à nouveau mise à rude épreuve tandis que la créature, rendue folle par l’odeur du sang projetait sa masse déchaînée dans une nouvelle tentative pour défoncer l’ultime obstacle la séparant encore de son repas.
Fulbert n’avait jamais été quelqu’un de courageux, aussi était-il le premier surpris de sa décision. Toutefois au cours de la nuit passée, quelque chose avait changé en lui. Peut-être était-ce dû aux morts violentes dont il avait été témoin, au fait que la petite troupe s’en était remis à lui pour les sortir de cet endroit ou simplement au choc d’être tiré si brutalement de sa petite vie tranquille. Toujours est-il qu’il avait changé.
Se rapprochant de la fenêtre qui donnait sur la cour, deux étages plus bas, il constata avec une certaine satisfaction qu’il avait au moins réussi à trouver la pièce qu’il cherchait depuis qu’ils étaient poursuivi par la créature de cauchemar.
Quelques mètres en contrebas, juste à l’aplomb de leur position, était parquée sa cariole, à laquelle était miraculeusement toujours attelé Otto, son bœuf favori. Celui-ci au moins avait été épargné par les évènements et broutait placidement la paille que Fulbert lui avait trouvé juste avant de pénétrer dans le château.
« Bon, vous allez sauter par la fenêtre pendant que je bloque la bête ici et filer le plus loin possible sans vous retourner ».
Mirabelle, en larmes, lui lança un dernier regard chargé de gratitude après avoir aidé Filos à enjamber la traverse. L’hésitation à abandonner Fulbert la mettait au supplice.
Elle était toujours à cheval sur le rebord lorsque la porte explosa soudain.
Fulbert se précipita vers elle pour la pousser.
La dernière chose qu’elle vit avant de tomber fut la masse de poils, de crocs et de griffes sanguinolentes qui se jetait dans la petite chambre, une lueur sauvage éclairant son regard de braise, puis la main de Fulbert disparaissant de l’embrasure de la fenêtre, comme happée par le château lui-même.
..

Lorsque Mirabelle ouvrit les yeux, elle fut ébloui par un grand soleil qui brillait haut dans le ciel. Une horreur glaçante la saisi tandis que les souvenirs de la nuit l’assaillaient soudain. Elle se redressa vivement et un éclair de douleur lui traversa la jambe droite.
Elle était dans la cariole de maître Fulbert, au même endroit où elle devisait tranquillement avec Pezzo il y avait seulement quelques heures de cela.
Comme la douleur refluait, elle vit le dos de Filos à l’avant, tenant les rennes du bœuf et dodelinant du chef au gré des cahots de la route.
Alors qu’elle allait lui adresser la parole, il se retourna dans sa direction.
Deux yeux rouges et brillant de folie, surplombant une mâchoire déformée d’où jaillissaient des crocs menaçants se posèrent sur elle tandis qu’un cri déchirant d’angoisse s’échappait de sa gorge.
Cependant qu’elle se rejetait en arrière, tâtonnant instinctivement à la recherche d’une arme, la chose qui n’était plus tout à fait le troubadour se dressa dans une posture menaçante, prête à bondir sur elle.
Sa main saisit un objet dur et pesant qu’elle réussit à interposer entre elle et son assaillant in extremis.
Filos lui tomba dessus de tout son poids et la pique de rôtissoire qu’elle brandissait désespérément lui transperça la poitrine.
Le sang gicla et Mirabelle fut aspergée de l’épais liquide sombre rendant glissante sa prise sur la pique.
Le monstre continuait à griffer l’air dans sa direction, s’embrochant plus avant pour l’atteindre et son hurlement sauvage perça les oreilles de la jeune fille, se mêlant dans une harmonie lugubre à celui de la future victime.
A bout de forces, Mirabelle ferma les yeux et de toute son âme, implora Ildavir, la déesse de la Nature, de lui venir en aide.
Attendant la mort, elle se sentait étrangement sereine et une chaleur différente de celle procurée par le sang brulant de la chose l’envahit peu à peu.
Quand ses paupières acceptèrent enfin de se soulever, après de longues secondes, elle eut un moment d’incompréhension devant le spectacle qui s’offrait à elle.
La pointe d’une lame dépassait de la gueule de Filos penché sur elle, et celui-ci n’était désormais plus agité que de spasmes d’agonie.
Derrière lui, Fulbert comme entouré d’une sorte de halo de lumière verte, souriait à la jeune fille tout en tirant sur le cadavre pour la dégager de son emprise.
« Par les couilles de Gorhan, comment qu’c’est donc que ch’uis arrivé là ? »
Le temps suspendit son court pendant un moment.

Leurs rires sonores (un tantinet hystériques il faut bien l’avouer) firent soudain éclater la bulle de silence qui semblait les englober et le monde se mit à revivre autour d’eux. Leurs oreilles perçurent à nouveau les chants des oiseaux et celui, moins gracieux de Otto qui meuglait bruyamment, comme pour saluer le retour de son maître.

Plus tard, Fulbert expliqua à Mirabelle qu’il avait combattu le monstre du château de toutes ses forces déclinantes et avait finit par le tuer sur un coup de chance.
Alors qu’il errait dans les couloirs en quête d’une sortie, il avait perçu une étrange mélodie évoquant en lui le bruissement du vent dans les arbres et le renouveau de la nature. La seconde suivante, il était debout dans la carriole et contemplait la lutte opposant Mirabelle à la créature qu’était devenu Filos…

Les années passèrent et jamais ils ne retrouvèrent le chemin de leur village natal, mais c’est ainsi que débutèrent les carrières de Mirabelle de la Dague, Clerc de Ildavir et du grand guerrier Fulbert le Tenace, qui forment l’un des plus grand duo de chasseurs d’abominations arpentant encore à ce jour les chemins de l’aventure en compagnie de leur fidèle Otto.

Rédigé par David Barthélémy

Notes et Références :

¹ Peter Mullen
² Editions Akileos
³ Goodman Games
Emmanuel Bouteille
Guillaume Meistermann
Sandy Julien
Symbaroum
Chuck Whelon
Jeff Easley
¹⁰ Jim Holloway
¹¹ Doug Kovacs
¹² Le rouge vous va si bien Brandolyne
¹³ Lankhmar
¹⁴ Péril sur la Planète Violette
¹⁵ Cycle d’Elric
¹⁶ Dungeons & Dragons
¹⁷ Rêve de Dragon
¹⁸ Les Frères Cohen

Paroles d'Experts, Paroles d'Experts

Paroles d’experts S01E02 : Emmanuel Gharbi

Toujours Paris… Toujours 2021…

Suite à la montée en puissance des agissements du C.A.L.E.C.O.N.S (voir premier épisode), le gouvernement a décrété un état d’urgence afin de limiter l’exposition de la population au S.Y.Q.S (pour rappel, le Syndrôme des Yeux Qui Saignent), restreignant l’accès aux lieux publics tels que les terrasses, musées, galeries d’expositions, magasins de piles… tous participant activement à la propagation de la maladie.
Le S.S.L.I.P poursuit donc son action plus que jamais et ses membres sont mis à rude épreuve dans leurs tâches quotidiennes. Entre deux opérations coup de poings, nous avons pu nous entretenir avec l’un des éminents représentants de la brigade, responsable de la branche éditoriale/médecine légale et c’est entre deux identifications de corps, au milieu des bodybags qu’il a aimablement pris le temps de nous répondre… behold : Emmanuel Gharbi.

L’uniforme reste à revoir afin que les membres du S.S.L.I.P ne participent pas à la propagation du S.Y.Q.S…

Salut Emmanuel. Déjà, merci de m’accorder un peu de ton temps, comme a pu le faire ton comparse LG¹ il y a quelques semaines. J’ai cru comprendre que vous aviez des comptes à régler niveau temps de parole, ce qui me sert à point nommé pour te tirer de la morgue au sein de laquelle tu officies quand tu te livres à tes œuvres. Alors, parlons trop, parlons bien...
Les œuvres en question, en ce moment c’est quoi ?

Pas de règlement de comptes, rassure-toi 🙂 
C’est bien normal que LG soit plus exposé que moi au vu de son excellente production. Quand tu bosses avec lui, tu te rends compte à quel point il est toujours en pleine réflexion, en pleine ébullition. L’étendue de ses talents est assez flippante, il est une des rares personnes que je connaisse (avec Yno²) à pouvoir gérer un bouquin de A à Z, des textes à la maquette en passant par les illustrations… 
Et puis, quand j’ai accepté de gérer John Doe³, je savais aussi que c’était par définition un rôle moins exposé, un truc qui se déroule pas mal dans l’ombre puisque certaines des tâches que je réalise ne se “voient pas” directement dans les bouquins. Aucun souci avec ça. 
Ce qui est vrai, toutefois, c’est qu’en ce moment, j’ai plus envie d’écrire que de produire. J’ai envie de concrétiser certains de mes projets personnels, et passer moins de temps à aider des auteurs à concrétiser les leurs. Du coup, on refuse pas mal de choses ces derniers temps chez JD pour libérer notre emploi du temps.
Parmi ces projets, il y a bien sûr la seconde édition d’Exil⁴. C’est un énorme chantier sur lequel il reste encore beaucoup à faire. J’aimerais également ressortir Final Frontier⁵. Le jeu est épuisé depuis très longtemps et il nous est souvent réclamé en format papier, même si la version PDF est gratuite sur mon blog. Mais pour ce faire, il faut des modifications substantielles pour qu’une v2 se justifie pleinement. Je développe aussi un jeu à destination du jeune public avec mon compère Antoine Bauza⁶
Côté JD, c’est la finalisation de Donjon & Cie⁷, et celle du supplément pour Meute⁸, “Errances”…

Le travail d’un éditeur et celui d’un auteur n’ont à priori rien à voir… d’un côté, il faut peser des intérêts économiques, structurels, gérer des temps de travail, des délais, des fournisseurs, alors que de l’autre, bien souvent cela relève de l’immersion dans un univers particulier, de la capacité à se couper du monde pour construire quelque chose, ainsi que d’une certaine forme d’oubli de soi au profit d’une création qui peut vite s’avérer envahissante.
Comment, au départ auteur, as-tu évolué vers cet autre aspect de la création d’un livre, et pour toi, c’était quoi le plus dur à changer (si tant est que tu aies dû changer quelque chose à ta manière de voir les choses) ?

L’évolution s’est faite naturellement. Après la sortie d’Exil en 2005, on voulait continuer à faire des bouquins ensemble, décider par nous-même de ce qu’on sortirait et comment. Pas que les choses se soient mal passées avec Ubik⁹, à l’époque. Bien au contraire. Mais on avait des envies de gamme, de projets qui n’auraient pas forcément trouvé leur place chez un éditeur. Le choix du format A5 par exemple, n’était pas si populaire. On nous a souvent répété que Final Frontier serait un four… Donc l’évolution s’est faite toute seule : si on voulait produire nos livres, il fallait apprendre comment se passait la chaîne graphique, trouver un imprimeur, un distributeur, penser à la comm… Et miser un peu de sous, aussi. Le crowdfunding n’existait pas encore… Au départ, c’était vraiment pour nous, nos jeux à John et moi. Et puis on s’est dit qu’une fois la structure lancée, on pouvait y accueillir d’autres auteurs, et le premier fut Yno pour Patient 13¹⁰
Donc, tout ça s’est fait au fur et à mesure.
Ce qui n’a pas changé, et ne changera jamais sinon ça ne vaut plus le coup, c’est l’idée qu’on ne fonctionne qu’au coup de cœur. On ne prend un projet que si nous sommes tous (c’est à dire LG, Pierrick May¹¹, Antoine et moi) emballés. On va forcément beaucoup s’investir dessus et on doit tous être convaincus. 
Ce qui a changé dans ma façon d’aborder un jeu, grâce à l’expérience d’éditeur, c’est que je structure mieux mon travail d’auteur qu’avant. J’ai une tendance naturelle à être bordélique dans l’écriture, à partir bille en tête sans plan et à passer ensuite un temps fou à structurer un bazar touffu. J’ai appris à mieux planifier les choses, à soigner la note d’intention pour ne pas partir dans tous les sens. 

Avec Exil, tu as livré un premier univers à l’identité très forte et sans doute très personnel, en dépit des collaborations. Tu nous as présenté un monde à la fois sombre et poétique, très riche et cohérent, destiné à être joué par d’autres. Tu t’y es pris comment pour coordonner tout ce petit monde et malgré tout respecter ta vision des choses ?

Il existait une bonne base, une version déjà détaillée de l’univers. Ce fut un long travail solitaire, avant d’être d’abord rejoint par Antoine qui m’a aidé à finaliser cette première version. C’est ce gros document qui a servi de base au travail collaboratif qui a été lancé ensuite avec la création du studio Ballon-Taxi¹². On a repris chaque sujet, en fonction des affinités de chacun, et on a tout creusé. Il y avait de nombreuses réunions de travail où on pesait les idées de chacun pour décider si cela rejoignait le bouquin ou pas. Et j’avais le “director’s cut” pour départager en fin de course. Chacun avait forcément sa vision d’Exil, et j’ai essayé de conserver la mienne au fur et à mesure que l’univers était densifié. Dans l’écrasante majorité des cas, ça s’est passé idéalement. Les idées fusaient, se complétaient, étaient adoptées ou écartées assez naturellement, organiquement. Bon, il y a bien eu quelques frictions, comme lorsque l’un des membres de l’équipe a voulu ajouter des êtres fées à Exil. Là ce fut juste non 🙂 Mais on a bien rigolé. Ça reste une magnifique expérience, beaucoup de bons souvenirs.
Après, ce premier jeu édité a été fait dans l’improvisation. Nous n’avions pas vraiment de méthode et, au départ, nous n’avions même pas d’éditeur. L’implication d’Ubik s’est faite en cours de route. Durant la conception, l’idée était vraiment de faire le truc le plus abouti possible, d’y mettre tout ce qu’on imaginait. D’où, sans doute, l’aspect un peu mastoc du résultat final. Nous n’avons pas pensé en terme de gamme, on voulait tout mettre parce que nous ne savions même pas si nous pourrions avoir une gamme !

Et au fait, ta conception du boulot d’un éditeur, c’est quoi ?

D’être un facilitateur au service de l’auteur. On l’aide à aboutir à la version la plus complète possible de son jeu, dont il – et nous – puissions être fiers. L’aider à peaufiner ses textes, à faire des choix s’il a des doutes, lui adjoindre l’artiste qui va bien, réfléchir ensemble à la forme finale du bouquin, définir la forme du suivi s’il y en a. Ce sont des sujets sur lesquels John Doe a évolué, puisqu’au début, on faisait des bouquins courts et tout-en-un, sans suivi, avant de s’écarter de ce dogme. 
On a aussi la responsabilité de pousser la reconnaissance du jeu (et c’est un domaine sur lequel, la communication, nous ne sommes pas bons, je le crains) et d’assurer qu’il soit bien distribué. Pour cela, nous avons un distributeur professionnel car nous n’avons pas les épaules pour faire ça nous-même. 

Je lisais récemment Julien Heylbroek¹³ à propos de WarsaW¹⁴ qui racontait avoir été reçu comme un prince chez John Doe (plutôt cool hein). Souvent les retours des auteurs sur les maisons d’édition sont plus mitigés (surtout quand les manuscrits ne sont pas retenus et je généralise hein, entendons nous bien), du coup, vous faites ça avec tout le monde ou c’est parce qu’il est particulièrement charmant comme garçon ?

Julien est effectivement un garçon charmant, mais on essaie d’avoir le même accueil avec tous les auteurs. On essaie de les traiter comme nous aimerions l’être nous-même. Sans auteurs, pas de jdr. Et c’est ingrat, auteur : on ne gagne pas grand chose et on est en bout de chaîne. La reconnaissance est parfois moindre que pour les illustrateurs par exemple. Il y a encore beaucoup de jeux dont le nom de l’auteur n’apparaît pas sur la couverture. Même nous, on ne l’a fait que récemment.  En 15 années de John Doe, tout s’est je crois bien passé. Il y a bien eu des erreurs ou des frictions, naturellement ! Mais pas, je crois, de grosses fâcheries. 
Concernant les manuscrits, c’est un peu différent. On reçoit des choses très disparates. Des fois, c’est immédiatement clair que ce n’est pas au niveau d’une publication. Parfois, ça demande de creuser un peu plus pour se faire une idée claire du projet. Nous essayons de répondre à chacun, mais il nous arrive de nous louper et de répondre très tardivement. Il suffit que le jeu arrive à un moment tendu, comme un bouclage ou une préco, ou bien qu’il ne provoque pas un intérêt immédiat… J’en suis désolé parce que je sais à quel point c’est frustrant de ne pas avoir de réponses quand on croit à son jeu. Nous faisons au mieux mais nous sommes loin d’être irréprochables sur ce point. 

Ce que j’aime beaucoup dans tes jeux, c’est qu’à chaque fois, ils ont  un caractère unique, que ce soit Exil, Eleusis¹⁵, Final Frontier ou Hellywood¹⁶, et refusent de succomber à l’appât du gain en proposant une resucée des classiques commerciaux à la D&D¹⁷, Cthulhu¹⁸ ou Star Wars¹⁹, tout en restant accessibles. C’est quelque chose que l’on retrouve dans les choix éditoriaux de John Doe et dont à mon sens, vous pouvez être fiers. Comment vous procédez à la sélection de tel ou tel jeu (Meute, Patient 13, Tenga²⁰, Notre Tombeau²¹…) et est-ce qu’il vous est déjà arrivé de passer à côté d’une licence, disons juteuse, sous prétexte qu’elle ne correspondait pas à votre ligne éditoriale ?

On a loupé des licences qui nous plaisaient, parce qu’on a pas été assez réactifs et que nous ne sommes pas très bien organisés pour ça… Des jeux que nous aurions adoré traduire, mais qui nous sont passés sous le nez, parfois de justesse. Il y en a eu plusieurs mais ils ont tous trouvé preneurs donc le public les a eu, c’est ce qui compte. 
Pour le choix des jeux, c’est encore une fois au feeling. Est-ce que c’est bien ? Est-ce que nous avons envie d’y jouer ? Est-ce que la note d’intention du jeu est claire, originale, prenante ? Est-ce que ça n’existe pas déjà et en mieux ? C’est la seule question que nous nous posons, jamais celle de la rentabilité. Avec le crowdfunding, je pense que même la proposition la plus originale trouvera son public si elle est bien calibrée. Donc, ça se résume vraiment à : est-ce qu’on aime le jeu ? Et aussi l’auteur. On va travailler longtemps ensemble et on aime bien se dire qu’on a des atomes crochus avec l’auteur. 
Tout ça pour dire que nous n’avons pas une réflexion du style : refusons ce qui est commercial ou visons forcément un truc cryptique. Moi je suis ravi quand un jeu se vend très bien, parce qu’il entraîne les autres projets, il vit sur les tables et tout ça. Et je joue moi-même à des choses que tu dis commerciales comme D&D ou Cthulhu. Donc, il n’y a aucune volonté d’élitisme dans nos choix. Moi, demain, tu me confies Star Wars ou l’Appel, je suis ravi ! Mais nous n’avons pas forcément les épaules pour, nous ne sommes pas sur les rangs. Certains projets ne passeront jamais par nous. 

Tu fais également de la traduction (avec Icons²² notamment), en plus de tes rôles de directeur de publication et d’auteur (hein, parce que quand même, ce serait dommage de s’ennuyer), donc même question qu’à ton collègue Le Grümph… Tu es hyperactif ou c’est juste pour faire bisquer des gens qui comme moi peinent à faire leur courses et écrire trois questions sur le jdr dans leur journée ? 
Et au fait, le directeur de publication, c’est le type qui casse ton rêve en refusant les manuscrits ou celui qui paie les cake à l’épeautre ?

Le cake à l’épeautre… une recette indémodable au succès garanti

Pour nous, le directeur de publication, c’est justement le “facilitateur” dont je parlais plus haut. Celui qui aide l’auteur à accoucher de son jeu. 
Au niveau charge de travail, comparé à LG, je suis un fainéant 🙂
Mais oui, c’est beaucoup de boulot car j’ai gardé mon job, je ne vis pas de l’édition. Comme toute passion, tu prends sur ton temps perso. Certains font de la pêche à la ligne, moi j’écris du jdr. Comme je te le disais plus haut, j’ai envie en ce moment de passer plus de temps à écrire et moins à gérer. C’est pour cela que nous nous sommes rapprochés de nos amis de BBE²³ qui ont géré la précommande de Donjon & Cie. Ils ont proposé de nous aider, pour nous libérer du temps de créa. Et c’est formidable car ces dernières années, j’avais ressenti un manque. Après, l’écriture reste une maîtresse difficile et changeante. Des fois tu es sec. Je peux rester des semaines sans produire une ligne utile et puis, soudain, sortir un scénario complet en une soirée. Personnellement, je me trouve peu productif. J’ai genre 15 projets esquissés, qui seraient tous, je le pense, des jeux sympas que j’aimerais essayer avec mes potes. Et je sais que faute de temps, certains ne seront jamais aboutis. 

Le paysage français du Jdr commence à être bien chargé niveau maisons d’édition. Du coup je suis curieux (surprenant n’est-ce pas ?), et m’interroge sur les rapports entre professionnels… Il y a de la communication entre vous, c’est une grande et belle famille, une famille normale (avec l’oncle un peu con, la cousine bavarde et le papy pontifiant qu’on écoute par politesse), ça se règle à coup de couteaux dans les allées sombres une fois la nuit venue ?

Avec LG, on a toujours eu une réputation de Bisounours, on se bagarre avec personne. C’est un peu vrai (même si on sait défendre notre pré carré, hein). Donc, comme avec nos auteurs, on n’a jamais eu de gros clash. A vrai dire, lorsque nous avons commencé, nous avons eu un bon accueil, certains éditeurs nous ont aidé, sans contrepartie, et nous leur en sommes extrêmement reconnaissants. Après, en ce qui me concerne, je connais assez peu le milieu, je suis plutôt discret. Donc pas de réunions secrètes de domination mondiale ! Je connais très bien certains éditeurs avec qui le contact est récurrent, et pas du tout certains autres. Idem avec les auteurs. Au fil du temps, on croise quand même plein de gens, notamment sur les grosses conventions, et des liens se nouent. Il y a des auteurs avec qui j’aimerais vraiment bosser, des éditeurs dont j’admire le boulot. Tu vois Pavillon Noir²⁴, tu te dis “mais quel boulot de dingue !”. Tu vois L’empire des Cerisiers²⁵ et tu te dis, wouha, qu’est-ce que c’est bien ! 

Un p’tit dernier avant qu’on ne discute de qui va localiser Deadland²⁶ ?

Si tu avais une recommandation (ou trente) à faire à quelqu’un qui veut éditer son jeu ou au moins essayer de s’insérer dans ce milieu, ça serait quoi ?

Surtout de ne pas rester dans son microcosme, de sortir du cercle d’amis pour faire goûter son univers, son jeu à d’autres. En convention, en club… Voir si le truc prend. Présenter son jeu à de nouveaux joueurs, c’est un exercice en soi, et il est très utile : qu’est-ce que je mets en avant ? Qu’est-ce qui compte dans mon univers, quelle est la proposition de jeu ? En quoi est-elle unique ? 
Se contraindre à cet exercice, c’est parfois se rendre compte qu’il faut élaguer des choses, que certaines mécaniques sont superflues, belles sur le papier mais peu concluantes en live. 
Tout ça va aider à affiner la proposition. Quand on me propose un projet, j’adore recevoir une note d’intention claire, pas plus de quelques pages mais un truc bien charpenté qui explique la vision de l’auteur, l’enjeu de ce qui va être au cœur du jeu.

Quand j’étais prof de guitare, j’avais l’intime conviction que je n’exercerais pas ce métier toute ma vie, même si d’un point de vue extérieur, j’étais à ma place et vivais (vivotais) de ma passion.
De l’intérieur, de nombreuses choses me pesaient, comme le fait par exemple que la dite passion touchait plus à la musique en elle-même qu’à l’enseignement… Pour toi, ça se passe comment dans ton boulot d’éditeur, tu as des regrets, des envies, le sentiment d’avoir trouvé ta place ?

Mmmm… C’est intéressant ça, parce que je suis en pleine réflexion en ce moment. Est-ce que ce qu’on a fait a compté ? Est-ce que ça valait le coup de s’y être autant investi ? Je ne sais pas. Aujourd’hui, il y a une offre pléthorique. Être joueur de rôle aujourd’hui, c’est vraiment avoir l’embarras du choix, que tu aimes les mécaniques simples ou complexes, que tu aimes les univers très touffus ou au contraire si tu privilégies un univers émergent qui se dessine peu à peu en fonction du choix des joueurs… Tu as tout ça. Des produits d’initiation super bien faits, des grosses gammes et des jeux courts… Bref, il y a plein de choses.
Et je me demande parfois si j’ai encore des choses à apporter, qui vaillent la peine qu’on passe parfois deux ou trois ans en développement. Imposer un nouveau jeu, c’est très difficile.
Les gens ont des valeurs refuges, tu n’as quasiment plus aucune gamme existante dans les années 80 ou 90 qui n’ait pas été rebooté. Alors est-ce que ça vaut le coup de continuer à se battre sur de la créa ? J’aurais affirmé oui sans hésiter il y a quelques années, mais aujourd’hui, je ne sais plus. Je prends toujours autant de plaisir à imaginer un univers, c’est vraiment ce que je préfère et je continuerai, c’est certain. Mais tout le reste, le développement pour rendre cela jouable, le long chemin de l’édition. J’ai des doutes, clairement. Je n’ai pas de réponse définitive. Je suis très fier de ce que nous avons fait avec John Doe. On a eu des retours si chaleureux que ça payait toutes les galères, tous les écueils. Mais j’ai parfois l’envie de ne développer que pour ma table de jeu, sans penser à un produit fini. Tout cela est en cours de mûrissement. 
Des regrets, on en a forcément après 15 ans de boulot : n’avoir pas su défendre tel ou tel jeu qui l’aurait mérité, s’être interdit des choses qu’on aurait pu faire, des erreurs factuelles aussi, qu’on assume car au moment où on les a faites, on manquait peut-être d’expérience, de recul… Tout ça fait grandir. 

Question bonus : tu as un teaser à nous faire à propos de la v2 de Exil (comme ça, l’air de pas y toucher) ?

Je vais finir par croire qu’il est attendu ! Que dire ? L’essentiel des efforts portent sur l’accessibilité du jeu. La v1 est un gros pavé sans orientation claire de ce qu’on est amené à jouer. L’idée, c’était “faites ce vous voulez de l’univers, il est à vous”. Mais on peut très bien garder le détail et offrir une perspective claire, que le meneur pourra prendre telle quelle pour aller vite, ou ignorer s’il le souhaite. Donc, il y aura cela, une prise en main rapide avec de nombreuses aides de jeu pour faciliter la vie du MJ. Si on y arrive, naturellement 😉

Question piège : Stars Without Number²⁷, ça en est où ?

Ça ne sortira pas. Le projet a été abandonné. LG avait commencé une traduction puis est parti sur autre chose (Oltréé²⁸ à l’époque je pense), le temps a passé et nous avons décidé de ne pas poursuivre sur la VF. Désolé…

😭😭😭😭😭😭😭😭😭😭😭😭

Nos courageux agents du C.A.L.E.C.O.N.S vont-ils réussir à juguler la propagation du S.Y.Q.S au sein des couches de la population refusant de se protéger ?
Le S.S.L.I.P est-il en train d’ourdir de nouveaux complots visant à propager le virus ?
Autant de questions auxquelles seul l’avenir sera à même d’apporter des réponses.
Mais dans l’attente, gardons espoir, car nos défenseurs sont sur la brèche et ne ménagent pas leurs efforts, même si l’ampleur de la tâche peut parfois leur paraître décourageante.
Soutenons-les, encourageons-les, car s’ils venaient à flancher, l’exil pourrait finir par s’avérer indispensable et immanquablement, il ne serait pas possible pour tous.
D’innombrables étoiles seraient amenées à s’éteindre si cela devait advenir, aussi l’esprit de la meute doit prévaloir et c’est seulement en maintenant cette volonté de cohésion que nous pourrons triompher des obstacles…
Jusqu’à la frontière finale…
Ensemble contre la barbarie
Vers l’infini et au-delà.

Propos d’Emmanuel Gharbi recueillis par David Barthélémy

Notes et références :

¹ LG (Le Grümph)
² Yno
³ John Doe
Exil
Final Frontier
Antoine Bauza
Donjon & Cie
Meute
Ubik (aujourd’hui Edge Entertainment suite à une fusion)
¹⁰ Patient 13
¹¹ Pierrick May
¹² Ballon-Taxi
¹³ Julien Heylbroeck
¹⁴ Warsaw
¹⁵ Eleusis
¹⁶ Hellywood
¹⁷ D&D
¹⁸ L’appel de Cthulhu
¹⁹ Star Wars
²⁰ Tenga
²¹ Notre Tombeau
²² Icons
²³ Black Book Editions
²⁴ Pavillon Noir
²⁵ L’empire des cerisiers
²⁶ Deadland
²⁷ Stars Without Number
²⁸ Oltrée !