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Accessoires : le Tarot

Aujourd’hui, petite disgression autour d’un accessoire fétiche des amateurs de jeu de rôle, le Tarot.

Ce n’est pas innocent que je vous parle de cela, puisqu’en lien direct avec mon précédent retour de lecture sur Thanatos. Or donc, suite à ce retour, je me suis penché sur la question, car Thanatos étant à mon sens un jeu d’ambiance, autant la soigner et jouer la carte (huhuhu) thématique jusqu’au bout. J’ai donc entrepris de fouiller mes armoires en quête de l’accessoire idéal pour instiller la touche macabre/dépressive/morbide désirée à mes futures tables… Et là… C’est le drame.

En effet, mon principal tarot est celui de Florence Magnin¹, réalisé pour Ambre² et que tous les collectionneurs s’arrachent 😜

Haaa Florence, Florence…

Aussitôt, un amer constat s’impose à moi. J’ai beau adorer le travail de Florence (pardon pour cette familiarité), cela ne correspond pas vraiment à l’atmosphère des drames à venir pour nos Faucheurs… Dommage me direz-vous à raison, son interprétation est superbe et très riche au niveau symbolique des cartes; juste trop de couleurs, trop de « positivisme » et de féérie pour faire le job que j’en attendrais. Suivant.

Le tarot pour Jadis

Du coup je fouille encore un peu, persuadé qu’au fil des foulancements de ces dernières années, j’ai quand même dû en accumuler quelques uns. Hé bien non. Le seul qui me vienne à l’esprit est le Tarot de Dame Fortune, magnifiquement réalisé par Nicolas Fructus³ pour la parution de Jadis⁴, un très bel univers entre magie et mécanique improbable où tout s’avère finalement moins « pur » que dans les productions habituelles pour ce style. Là on commence à tenir quelque chose, même si au fond, l’ambiance reste trop propre à mon goût pour coller à ces allées boueuses de nuit d’orage que m’avait imposé la lecture de Thanatos. Par bien des aspects, le côté décalé de certaines illustrations nous rapproche du « malaise » recherché dans l’utilisation à une table de jeu, mais toujours, ce petit côté renaissance nous éloigne trop du moyen âge obscur dépeint comme cadre de jeu dans Thanatos.

Rhooo mais c’est joli ça Monsieur

Damned ! L’auteur, dans les annexes en fin d’ouvrage nous confie qu’il aime à utiliser le tarot de Mage l’Ascension⁵… Hélas je ne l’ai pas et comme qui dirait, on ne le trouve pas sous le sabot de la première mule venue. Le hasard faisant bien les choses, je découvre quelque jours plus tard l’existence d’un tarot Kult Divinity Lost⁶, issu de la gamme suédoise du sulfureux jeu d’horreur glauque éponyme.

J’adore Kult, mais trop moderne pour l’usage que je veux en faire…

Là encore, il brille par son absence sur mes étagères et souffre d’un mal certes moins grave que celui de Mage (la rareté) mais tout de même handicapant : il n’est plus disponible que chez l’éditeur (Modiphius⁷), au doux prix de 25£ plus frais de port 😱 et de surcroît présente trop d’illustrations mettant en avant des éléments contemporains…  Pris d’un espoir insensé (après tout, à défaut de jouer avec, faisons confiance à dame fortune), je décide d’égréner les quelques 600 pages de recherche sur Vinted⁸ contenant le terme tarot et là, suis amené à réaliser plusieurs choses :

1 : je vais y passer deux jours
2 : ma connaissance de la langue est plus limitée que je ne le pensais, le mot tarot servant apparemment à désigner aussi bien un jeu de cartes (quel qu’il soit), qu’un collier, un cabochon, une petite voiture, une paire de bas, un peigne ancien ou encore une vieille soupière 🤔
3 : l’offre est pléthorique en dépit des inévitables redites et des improbabilités linguistiques.

Ni une, ni deux, j’enfile mon monocle et passe à l’action. Je vous en épargnerai les détails, sachez seulement que ce fut long et fastidieux, parsemé d’embûches (damned, à quelle page en étais-je…? 😬🤬🤬🤬 de téléphone qui m’actualise le navigateur sans se soucier de mon consentement) et de franches rigolades (ne serait-ce pas la main de Monsieur sur les fesses de Madame, là dans le reflet du miroir, pour cette annonce de tarot en dentelle sexy ?). Tout ça pour un résultat des plus désolant… Ni Tarot Mage, ni Tarot Kult. Fort dépité (même si d’entrée mon espoir était très diffus), j’en aurai tout de même retiré deux ou trois petites choses qui me font penser que je n’aurai pas non plus totalement perdu mon temps.

Cela m’aura effectivement permis de découvrir l’existence d’un tarot pour Jrtm⁹ en français (traduction et adaptation d’une belle boîte américaine avec des cartes à la tranche dorée du plus bel effet en VO… hélas, pas de dorures en vf…ni de belle boite…) datant de 1999 chez Cartamundi¹⁰ qui m’a fait hésiter, le doigt prêt à cliquer sur la souris, avant que je ne me ressaisisse dans un élan de lucidité (tu ne t’en serviras jamais…tu ne t’en serviras jamais…). A réserver donc aux vrais fans de Tolkien.

Les deux versions (vo/vf) du tarot Seigneur des anneaux… Une différence de traitement ? Où ça ? 😅

Deuxième point intéressant, n’achetez pas vos tarots d’occasion sur vinted, à moins de vraiment y connaître quelque chose. Je m’explique. En continuant ma fouille, je suis donc tombé sur deux ou trois jeux qui auraient pu coller à l’imagerie que je recherchais pour Thanatos. Hop, sélection faite et passage à l’étape examen des prix… hmmm, avec une moyenne de 20/30€ pour des jeux ayant l’air neufs/proches du neuf, ça ne parait pas exagéré… Mais, car il y a un mais… La fin du mois approchant, les viles considérations pécuniaires sont à prendre en compte… Vais-je mettre 40€ dans deux jeux de cartes qui ne me serviront pas avant plusieurs mois (confinement ou couvre-feu et allergie aux parties en ligne obligent) ?

Sur cette saine pensée, un éclair de lucidité me frappe de plein fouet… Nos amis chinois n’auraient-ils pas un équivalent bon marché à proposer ? Ali Express¹¹ me voici… Et là, sous mes yeux ébahis, une foultitude de jeux s’offre à moi. A nouveau quelques dizaines de pages de catalogues plus loin, je me félicite de ma démarche avec une petite sélection dans mon panier, pour le prix d’un seul exemplaire d’occasion sur Vinted. Le plus drôle ? Ce sont les mêmes 😮

Haaa, la Chine pays merveilleux

Ce qui m’amène à la réflexion suivante : il y a quand même de beaux escrocs qui font de la vente sur ce genre de site. On commande des jeux à 7€ pièce port compris sur Ali Express et paf, dans la foulée on les vends entre 20 et 40€ pièce sur Vinted. Donc à moins de savoir très exactement ce que vous recherchez, évitez autant que possible de vous faire avoir par ce profil de vendeur (dans les commentaires typiques de ces annonces, on retrouve évidemment des arguments type : jeu rare en excellent état, affaire à saisir, et j’en passe).

Deux semaines plus tard, je reçois donc mes exemplaires et au final, en suis plutôt satisfait. Les cartes sont entre le format standard cartes à jouer et celui du beau Tarot habituel, mais soit… Vu le prix, je ne m’en plaindrai pas (environ 7€ pièce donc).

Nous avons donc : The Light Visions Tarot, 79 cartes illustrées par James.R.Eads¹², qui n’est autre qu’une copie bon marché de celui que l’auteur propose à 45$ sur sa boutique et qui dans sa version d’origine est livré dans un joli coffret, tranche des cartes dorée et avec livret d’une centaine de pages.

Voici un prétendant sérieux au titre de tarot pour Thanatos

Il est superbe niveau illustrations et petit plus sympathique, chaque couleur (ici bâton, coupe, épée et pentacle) forme une fresque lorsque les cartes sont posées côte à côte dans l’ordre croissant des valeurs. C’est très très chouette et le ton des illustrations est vraiment dans l’ambiance pour Thanatos (à quelques détails près, dont le « chariot », qui me fait malgré tout hésiter sur l’emploi ou non que j’en ferai).

Damned, cette Austin Mini vient me casser mon immersion !

Et en second, The Wild Woods Tarot, une copie cette fois de celui de Mark Ryan et John Matthews¹³ (la troisième édition, hélas épuisée en original) qui, bien que moins sulfureux et plus coloré, cadre bien avec cet autre aspect important de Thanatos qu’est la nature, avec les familiers des joueurs et les Seigneurs Bêtes.

Ha ha !!! Le grand vainqueur du jour

Les illustrations sont ici plus « riches » en détails et le côté paganisme va bien dans le sens de ce que je recherche. Comme pour le précédent, s’agissant d’une copie, les cartes sont en « petit » format, mais restent très lisibles, ce qui est pratique pour les tables de jeu encombrées de chips et autres denrées fort salissantes au demeurant, pour les belles cartes de collection.

En dépit des couleurs, on est bien dans le ton

Voilà voilà… Tout ça pour dire que si vous n’êtes pas un puriste de la tarologie (comme moi), ne vous faites pas avoir sur les sites d’occasion et privilégiez d’autres circuits de distribution, cela vous évitera de grincer des dents devant les taches de café/de gras de chips et ménagera vos deniers pour plutôt acheter des livres (ou des pâtes, ou des couches, ou …).

Et sur ces bonnes paroles, je retourne à mes lectures (et fouilles d’internet, car maintenant que je sais qu’un tarot Kult existe, je n’aurai de cesse de l’avoir trouvé à prix raisonnable 😅… Gosh !)

Notes et références :

¹ Florence magnin
² Cycle d’Ambre
³ Nicolas Fructus
Jadis
Mage l’ascension
Kult Divinity Lost
Modiphius
Vinted
Jrtm
¹⁰ Cartamundi
¹¹ Ali Express
¹² James.R.Eads
¹³ Mark Ryan et James Matthews

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Ce que j’en pense : Préhistorisk

La forme :

Livre carré, reliure au dos carré collé de 114 pages.
Alors, le bouquin est joli, c’est du gros papier glacé facile à manipuler. Intérieur noir et blanc avec quelques illustrations pleine page ainsi que des vignettes qui viennent soutenir le texte de temps en temps (chaque tribu a droit à sa représentation, ainsi que les armes, sur une double page au chapitre concerné).
Le bouquin est divisé en deux parties, à savoir Manuel du joueur (66 pages), qui regroupe les règles, une présentation de l’univers ainsi que la création de perso, avec sept tribus, les divinités, les différents sorts, et Manuel du Meneur (50 pages), qui lui présente la face cachée de l’univers (on y reviendra 😅), deux méthodes de création de perso alternatives, quelques conseils au meneur, un bestiaire, cinq scénars et un glossaire du meneur sur une page pour conclure.

Le Fond :

Toute la partie la partie manuel du joueur nous pose donc un contexte « préhistorique », que je mets entre guillemets tant celui ci relève plus du romanesque à tendance un peu Pulp que d’une quelconque réalité historique. En effet, nous ne sommes clairement pas sur la même orientation qu’un Würm1 (totalement au hasard), mais plutôt sur un imaginaire préhistorisant assez stéréotypé.
Nos sept tribus évoluent donc sur une île baptisée Paléo, d’environ 200km de long pour 100km de large, aux climats et paysages très variés, avec chacune sont territoire, ses spécialités et ses tribus alliées/ennemies.
Les morphologies varient beaucoup d’une tribu à l’autre, nous présentant des individus allant de 1m15 à 2m10, aux coutumes non moins différentes.

Une membre de la tribu des Céhols


Les Kadchas, solides montagnards adaptés au froids et proches de la nature, ils font du troc sur toute l’île avec les autres tribus.
Les Chyros, amazones guerrières n’hésitant pas à miser sur leur physique ou des paroles aguicheuses pour déstabiliser leurs adversaires.
Les Gronoks, tribus de pillards belliqueux au physique impressionnant, ils sont ennemis avec la plupart des autres tribus de l’île.
Les Erbènes, tribu sournoise vivant cachés autant que faire se peut, ils s’allient de temps en temps aux Gronoks pour se livrer à des raids sur d’autres tribus.
Les Clohads, tribus de pêcheurs athlétiques au tempérament calme, ils font souvent office de diplomates pour arbitrer les disputes entre tribus.
Les Céholes, tribu composée exclusivement de femmes, toutes blondes, très belles et spirituelles, n’ayant « naturellement » pas le besoin d’avoir une vie sexuelle (oui oui, vous avez bien lu).
Les Rahs, tribu de petits hommes du désert très axés sur la spiritualité, la nature et le shamanisme. Ils vivent relativement isolés et respectent l’intellect des Céholes.
Il existe une huitième tribu regroupant tous les membres rejetés par la leur, ce sont les Exys.
L’auteur recommande de jouer des membres appartenant à la même tribu, ce que je trouve dommage au niveau de la variété des personnages… Il est toutefois possible de jouer des parias réunit chez les Exys, mais ils seront pénalisés au niveau des points de création, particularité de cette tribu (25 points à répartir au lieu de 30 pour les tribus « officielles »).
S’ensuit le choix éventuel d’un dieu qui apportera une liste de tabous et rites à accomplir régulièrement par les personnages sous peine de provoquer sa colère (et avoir par conséquent des malus sur les jets de dés), ainsi qu’un pool de points de création supplémentaires, variant pour chacun (de 8 à 20 points bonus).

Houuu le vilain Gronok

PJ ALERTE… PJ ALERTE… arrêtez la lecture maintenant ou acceptez le rôle de meneur à tout jamais sur ce jeu !
Vous pouvez reprendre la lecture sur « les règles », mais évitez la partie « conclusion ».

Ok, amis meneurs, bonjour 👋

Bon, Préhistorisk ne se déroule pas du tout durant la préhistoire mais quelques années après 2015, sur une île isolée du monde contemporain abritant un programme scientifique (que l’on suppose militaire) visant à améliorer la race humaine en étudiant les effets sur le long terme d’une substance baptisée temporelline (extraite d’une plante africaine mystérieuse).
L’ingestion de cette substance provoque des régressions physiques (la désévolution) chez l’être humain, mais surtout des accès aux vies antérieures des sujets, par le biais de leurs rêves… rêves dont ils se réveillent modifiés (entendez par là qu’ils gagnent des pex), plus forts, plus charismatiques, plus rapides, … Voilà voilà.

Les Règles :

Le jeu se pratique majoritairement avec des dés Ty, des « dés » à deux faces (donc, des pièces), une blanche, l’autre noire que l’on jette en général par brouette de six. Blanc égal succès, noir égal échec.
Le personnage s’articule autour de onze caractéristiques elles mêmes regroupant à chaque fois deux sous-caractéristiques.
Chaque caractéristique principale est notée sur cinq et les points investis sont à répartir ensuite entre les deux dérivées.
Exemple :
Force •••°° (donc 3 points en force)
Dérivées :
Ravage ••°°°
Pression •°°°°
Vous avez donc 3 points à répartir entre ravage et pression (ici 2 points pour la première et 1 point pour la deuxième, sachant que toutes les combinaisons sont possibles).
Maintenant, pour résoudre une action, on jette toujours 6 dés Ty et pour réussir une action, il faut autant de succès que les cases blanches de la carac dont dépend l’action…
Il m’a fallu un petit moment pour saisir la logique de la chose (je parle bien de la logique, pas du principe)…
Il s’agit d’une lecture très visuelle de la feuille, les ronds noircis représentant le nombre d’échecs que vous pouvez obtenir sur vos 6 dés Ty tout en réussissant l’action, ce qui implique que même si l’une des caractéristiques ne bénéficie d’aucun point, vous pouvez réussir l’action (si un seul de vos 6 dés Ty affiche une face noire…🤔)
Ça me fait un peu penser à l’ergonomie telle que conçue par Apple, très visuelle et absolument contre intuitive (glisser une icône disque sur la corbeille pour éjecter un cd du lecteur par exemple)… Ça se veut pratique, mais demande des efforts pour acquérir le réflexe.
Bref, d’autres dés serviront pour déterminer les dégâts et l’initiative, mais le gros du système tourne sur ce principe.
Il y a ensuite des réserves de points permettant d’utiliser un certain nombre de fois par partie vos capacités de clan ou vos sorts (car oui, la magie est là, rattachée aux éléments naturels air, terre, eau et feu).
A propos de la magie. Tout est lié à la canalisation d’une énergie intérieure propre à chaque être humain. Ici pas d’incantations ou autres parchemins, vous concentrez votre énergie intérieure et la relâchez par les mains. Donc si vous tenez quelque chose au moment de lancer un sort… Ça échoue.

Les fameux des Ty

Conclusion :

Bon, je n’irai pas par quatre chemins, c’est un rattage (rhooo le vilain).
L’idée aurait pu être bonne si traitée autrement.
Des hommes préhistoriques caricaturaux, pourquoi pas.
Un projet scientifique en twist/trame de fond, pourquoi pas.
De la magie… Admettons (là on touche à ma limite)
Mais…
Les « régressions oniriques »… ?
En effet, d’après l’auteur lui-même, 90% du temps de jeu consistera en « voyages temporels », l’aspect préhistoire et donc, l’île décrite ainsi que les tribus et leurs relations, ne sera que cosmétique.
L’ouvrage se termine sur 5 « scénars » (appellation officielle d’un… scénario…), tous bâtis sur le même modèle.
Vos PJ partent chasser (un sanglier, un canard, une loutre, …on s’en fout), l’essentiel étant qu’ils consomment de la viande dans laquelle on aura injecté de la Temporelline afin de déclencher une régression (on vous fait bien comprendre qu’il ne faut pas s’éterniser sur la séquence de chasse, quitte à faire clamser le sanglier déjà boiteux aux pieds de vos chasseurs, histoire de ne pas perdre de temps).
Hop, on enchaine avec une séquence onirique (toujours la même) dans laquelle vos joueurs suivent une femme blonde aux longs cheveux soyeux jusqu’à un puit de lumière (???) et re hop, ils se réveillent dans une autre époque… Et là, autre précision de l’auteur, ils ont automatiquement une compréhension instinctive de leur environnement, des outils qu’ils peuvent être amenés à utiliser, de la langue, bref, de tout, sauf qu’ils doivent composer avec leur capacités d’hommes (ou de femmes) préhistoriques… Mais POURQUOI ?
Les situations proposées vont du jugement de Louis XVI (qu’ils devront défendre) à la Zone 51 en 1969, en passant par la guerre de sécession ou encore le chouchou, une O.V.A (pour Odyssée de Vie Antérieure) dans laquelle ils incarneront des soldats nazis à Auschwitz… et, telles que présentées, ne revêtent à mon sens que peu d’intérêt.
Me voilà donc bien embêté avec ce jeu qui me pose un contexte dans une main, des situations complètement aux antipodes dudit contexte dans l’autre, et me dit en gros : démerdez vous pour que ça marche, sans autre forme de procès.
Comme pourrait dire maître Yoda, « dubitatif je suis » 🤔.
Si vous tenez donc à pratiquer ce jeu, les quelques conseils que j’aurais à donner sont les suivants :

  • Jouez dans le contexte proposé (l’île de Paléo) dans la partie « manuel du joueur »
  • Gardez l’aspect expérimentation scientifique, mais n’en n’usez en twist qu’au bout de quelques parties, en lâchant quelques éléments perturbateurs occasionnellement (un outil moderne égaré par un technicien de maintenance venu injecter de la Temporelline à un animal de l’île, un cadavre d’homme moderne à moitié dévoré par des bêtes, un câble électrique dépassant du sol, …) afin d’aiguiller vos joueurs vers une ambiance à la « Lost préhistorique ».
  • N’utilisez les O.V.A qu’au bout de plusieurs parties, et si possible dans un contexte shamanique, de préférence en lien avec une situation liée aux présent des PJ.

Sous ces trois conditions, on peut peut-être arriver à quelque chose de cool (à mon sens, et je dis bien peut-être), mais en l’état, le jeu me paraît complètement à côté de la plaque et inexploitable.
Je n’aime pas être dur à l’égard d’un jeu (il y a un gros boulot de création derrière et certainement une vision de l’auteur qui m’échappe), mais là je peux difficilement faire autrement tant la partie « secrets » et « scénars » donnent l’impression de venir saborder ce qui est développé auparavant, nous encourageant gentiment à n’en pas tenir compte une seule seconde.
Une formule désormais classique vient bien résumer ce que j’en pense : What the Fuck ?!?

Une dernière pour la route. Madame est donc une Chyros

Il s’agit d’un jeu de Olivier Vallin, édité chez Oliz en 2011, que vous pourrez peut-être encore trouver en magasin ou sinon, sur le marché de l’occasion.

Notes et références :

1 Würm : http://www.legrog.org/jeux/wurm/wurm-2eme-edition/wurm-2eme-ed-fr

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Ce que j’en pense : Thanatos

La Forme :

Thanatos se présente sous la forme d’un cahier à spirale d’environ 170 pages. Papier glacé suffisamment épais pour ne pas en faire redouter la manipulation, noir et blanc. La grande majorité des illustrations est réalisée par l’auteur (JYP, Jean Yves Pattus¹), ce qui confère une belle unité graphique à l’ouvrage, dans un ton très gothique qui vient bien poser l’ambiance du bouquin. Personnellement, j’adore… après, ça plait ou ça ne plait pas, question de goûts, mais dans tous les cas, il y a une identité forte qui se dégage de l’ensemble. Les dernières pages de l’ouvrage proposent des marques pages à découper 😱😱😱, récapitulant sommairement l’interprétation des cartes (car oui, le jeu se pratique avec un tarot) ainsi que quelques points de mécanique utiles en jeu.

Exemple de Faucheur

Le Fond :

Le jeu est sous titré « jeu tragique de drames et d’horreurs médiévales »… et c’est exactement ça 😀 Les joueurs vont incarner des Faucheurs, des individus à priori lambdas, qui ont été marqués par l’un des visages de Thanatos après une rencontre avec un non-mort. Or donc, Thanatos est le dernier dieu ancestrale du royaume d’Haltdörf, dans lequel vont se dérouler les « aventures » des pj. C’est un dieu de colère et de justice, de création et de destruction, aux multiples facettes (il possède quatre visages pour refléter ces aspects : Borrh, Satyr, Skragg et Yul), qui n’est pas des plus commode.

Satyr, un visage de Thanatos 😍

Il a donc fait des pj ses émissaires dans le royaume, leur conférant certains pouvoirs, mais surtout des obligations, notamment chasser les non-morts… Histoire que les choses ne soient pas trop simples (ce n’est pas un dieu très communicatif), les pj auront pour seul guide un familier (qui lui, représente une autre force d’importance dans le jeu : les seigneurs bètes) et qui peut plus ou moins communiquer avec eux, ainsi que leur octroyer certains pouvoirs. Petite précision quant aux familiers… ils ne sont pas acquis d’emblée aux personnages, la relation les unissant va devoir se travailler afin d’évoluer dans le bon sens (ou pas) et sont donc là non pas juste pour aider les pj, mais avant tout pour les surveiller, les aiguiller, et rapporter au tribunal des bètes leurs agissements… Effectivement, si vos pj abusent de leur pouvoirs, ne respectent pas certaines règles tacites, ou sombrent dans la violence gratuite, ils seront jugés… et là, ça craint pour eux 😅 Ne vous attendez donc pas à vivre de grandes aventures épiques et colorées, peuplées de féérie, de joyeux repas autour d’un feu de camp ou de grandes fètes de village… vos Faucheurs ne sont et ne seront pas des héros… tout est fait pour leur conférer un destin tragique, au service d’un dieu ingrat (comme tous les dieux), et les faire évoluer dans un monde qui ne veut pas d’eux. Dans le meilleur des cas, ils seront perçu avec une sorte de crainte respectueuse, mais leur lot commun sera surtout d’être ostracisés par une population qui redoute leur venue au moins autant qu’elle l’espère… en effet, c’est une vie de vagabonds qui vous guette, guidés par votre familier vers des endroits hantés, des communautés déchirées et des situations dramatiques… Non contents de chasser les non-morts, vous devrez aussi parfois servir de passeur pour les âmes des mourants (ou du moins, ceux appelés à mourrir 😅), et bien souvent, vous devrez vous salir les mains pour « aider » les personnes désignées par votre dieu à partir, ce qui n’aidera pas à redorer votre blason auprès des familles concernées.

Yul… un autre visage…un peu moins avenant

L’ambiance :

Le monde est dark, injuste et cruel… en lisant le livre, je n’ai cessé de visualiser des soirées orageuses, des nuits profondes, de la crasse et de la misère… bien sûr, le jeu ne se résume pas à cela (la nature sauvage étant l’une des grandes forces en présence), mais quand même… Le gros de l’action tourne autour des non-morts, qui viennent hanter des communautés (vampires, revenants, nécromanciens, …), communautés qui bien souvent auront elles mêmes généré le drame qui conduit à la naissance d’un non-mort. Les personnages vont donc venir remuer tout ça pour en tirer la substantifique (ou plutôt l’horrifique) moelle et si possible régler la situation sans y passer. Le jeu se veut mature, horrifique et viscéral, ne convenant pas forcément à toutes les tables.

Le Système :

Un Seigneur Bête

Le jeu tourne autour du tarot et de sa symbolique. De la création à la résolution des actions, tout passe par les cartes. Même si la mécanique est simple (tirage de carte et comparaison de la valeur avec une compétence afin de calculer une marge de réussite), ça va demander pas mal de boulot au mj comme aux joueurs, car l’auteur étant un grand fan de « tarologie », il charge bien au niveau symbolique. Si comme moi vous n’êtes pas expert en la matière, il va falloir se pencher sérieusement sur la chose, au risque de passer à côté d’une part essentielle de l’ambiance du jeu, ce qui serait franchement dommage. Pour ce qui est des aventures, qui sont appelé ici des Drames, la recommandation de l’auteur est de générer des « zones de chasse », autrement dit, des bacs à sables dans lesquels on prévoit différents facteurs de jeu, comme un ou des non-morts, des communautés, la géographie de la zone, le seigneur bète qui chapeaute l’endroit, etc. Une fois tout ceci posé, on lâche les pj dans la zone et advienne que pourra. C’est une approche qui me plait bien car pas ou peu dirigiste et que ça permet d’éviter le sempiternel « vous êtes dans une auberge », tout en donnant l’illusion de la liberté alors que comme pour un scénario standard, les choses sont balisées (et en partie scriptées).

Conclusion :

Ben c’est très chouette, hautement évocateur en peu d’espace et original dans l’approche. Il y a des conseils pour étendre cela à d’autres périodes historiques, mais l’ambiance crasse du moyen âge convient à merveille au propos du jeu. Je ne sais trop pourquoi (enfin, si un peu quand même), mais j’y vois comme une sorte de Hurlement² bien glauque, coupé avec du Sorceleur³ (je parle exclusivement de celui des premiers livres, qui pour moi relevait bien plus du cradingue désespéré que ce qui fut proposé ensuite avec jeu vidéo et série ou jdr). Bref, un très bon jeu, une très bonne surprise que j’ai envie de faire jouer plutôt que de juste le ranger sur l’étagère 😁

Ps, le jeu coute dans les 17€ sur lulu pour l’édition 2020 (c’est celle que j’ai)

https://www.lulu.com/en/gb/shop/jean-yves-pattus/thanatos/paperback/product-78pk44.html?page=1&pageSize=4

Notes et références :

¹ Jean Yves Pattus : https://www.lulu.com/search/?adult_audience_rating=00&contributor=Jean+Yves+Pattus&page=1&pageSize=10

² Hurlements : http://www.legrog.org/jeux/hurlements

³ Le Sorceleur : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Le_Sorceleur

Focus

Focus Hong Kong – Les Chroniques de l’Étrange (article initialement publié sur le blog « Cultures de l’imaginaire »)

Chères toutes, chers tous, 

Nous allons aujourd’hui découvrir un phénomène rare pour un Focus, avec l’observation d’une entité bicéphale, responsable d’un projet de jeu de rôle baptisé « Hong Kong – les Chroniques de l’Étrange ».

Pour celles et ceux qui s’intéressent aux littératures dites « de genre », ce nom ne semblera pas tout à fait inconnu puisqu’il vient d’une série de romans nous faisant découvrir le quotidien de Johnny Kwan, exorciste de son état, dans la très exotique (du moins pour nous) ville de Hong Kong (d’où le titre 🧐… y’en a là-dedans hein ! 😁)

Sans plus attendre et sous vos yeux ébahis, après Laurel et Hardy… Behold :

Lameire-d’Huissier (rien à voir avec la Mère Miche…non, allez, j’arrête)

couverture du jdr par Xavier Colette

1 : Salut Romain (d’Huissier), salut Cédric (Lameire) 👋… bon, je déboule un peu en catastrophe pour vous passer à la question, en rapport notamment avec Hong Kong – les Chroniques de l’Étrange, qui est en financement participatif jusqu’au 4 décembre… il était temps, me direz-vous à raison !

Si l’on passe sur mon sens du timing des plus déplorable, que reste-t-il à dire sur Hong Kong – les Chroniques de l’Étrange qui ne l’ait déjà été par le FIX1 ou le podcast Ind1002 (dur d’arriver après la guerre…) ?

[Romain] Peut-être peut-on dresser un bilan de ce financement avant la dernière ligne droite ? Dans l’idée de convaincre les derniers indécis. 

C’est en plus l’occasion pour moi de rendre hommage à Antre Monde3. Récapitulons donc.

Tout d’abord, les diverses offres restent tout à fait raisonnables : un pack tout PDF, une possibilité de ne prendre que le livre de base, une offre classique permettant de se procurer ce dernier avec l’écran et enfin la dernière proposition donne en plus de cela l’opportunité d’acquérir la trilogie de romans. En parallèle, quelques options – dont certaines se révèlent bien utiles (le dice tray avec le diagramme Ng Hang, notamment). Et voilà ! Pas de surenchère inutile ou de bonus à faible intérêt ludique risquant de mettre le projet en retard. Le cœur de ce financement, c’est le jeu et rien que le jeu.

Et afin que le public puisse se familiariser avec Hong Kong – les Chroniques de l’Étrange – et décide alors s’il est tenté ou pas par le financement –, l’éditeur propose un kit de découverte très complet (quatre-vingt-dix pages, quand même) et fort illustré. Résumé de l’univers, système, scénario et cinq personnages prétirés permettent en effet de tester sur quelques séances le potentiel de l’univers, ainsi que les règles originales du jeu. Et puis la bande-annonce du jeu – avec musique, voix off, animation ! – a de quoi donner envie de découvrir tout cela.

Il n’aura échappé à personne que le financement a débuté en plein confinement et qu’Antre Monde a alors pris la mesure de l’importance du jeu de rôle en ligne, qui gagne en puissance. Aussi a-t-il été proposé successivement pour faciliter l’utilisation du kit sur internet : une macro Dice Parser pour Discord, une fiche pour Let’s Rôle et une fiche pour Roll20 – à ma connaissance, aucun éditeur n’en a jamais fait autant. Rajoutons qu’Antre Monde s’est engagé à ce que l’un des Taonet (suppléments PDF débloqués durant le financement) sorte avant la livraison du jeu, pour permettre aux rôlistes de prolonger l’utilisation du kit (dans le même ordre d’idée, une petite surprise devrait arriver durant la semaine à venir). 

Tout cela s’accompagne d’actual play et de vidéos explicatives ainsi que de la création de salons Discord dédiés pour répondre à toutes les éventuelles questions. Un effort important a donc été accompli pour que Hong Kong – les Chroniques de l’Étrange soit un projet le plus transparent possible et que son kit de découverte ait une durée de vie suffisamment longue pour faire patienter les participants jusqu’à l’arrivée du jeu ! 

2 : Cédric, aussitôt arrivé dans l’industrie du jeu de rôle professionnel (tremble, Arcelor Mittal !) avec ton boulot sur Knight4, tu enchaînes avec Romain sur rien de moins qu’une adaptation de son univers en objet ludique… Pas trop intimidant de bosser avec Monsieur Brigade chimérique5, ça se passe comment ?

[CEDRIC] Cela se fait avec beaucoup de passion, de travail et un peu d’humour aussi ! Romain et moi, nous avons une méthode de travail basée sur l’échange. Nous avons découvert au cours de ces échanges qu’il y a une réelle complémentarité entre nos différents talents. 

Effectivement, je débute en tant qu’auteur. C’est une chance de pouvoir profiter de l’expérience et de conseils de l’équipe d’Antre Monde et de travailler avec Romain. Une chance que je ne me voyais pas laisser filer ! J’ai simplement fait ce qui me plaisait, avec l’énergie et la persévérance qui me caractérisent. 

Je ne suis pas vraiment néophyte en ce qui concerne le jeu de rôle en tant que hobby. Je suis tombé dedans quand j’étais petit – et c’était il y a longtemps ! J’ai toujours eu envie d’écrire du jeu de rôle. J’avais fait quelques essais en amateur étant étudiant, mais les moyens de se faire publier n’étaient pas les mêmes à l’époque. Pouvoir le faire aujourd’hui m’enchante. 

Mais bien sûr qu’il y a de la pression, la peur de décevoir ou simplement de commettre des erreurs, en travaillant désormais parmi les pros. 

[Romain] Au départ, c’est moi qui ai demandé à Antre Monde de me trouver un coauteur un peu pointu sur la technique. Car je voulais que les règles de Hong Kong – les Chroniques de l’Étrange soient vraiment travaillées, en accord avec les concepts de l’univers. 

Et le contact avec Cédric a immédiatement été fructueux et détendu. On travaille ensemble de façon très naturelle et sa précision compense largement mes lacunes ! 

3 : Romain, ça faisait quelque temps que tu t’étais mis un peu en retrait du monde dujeu de rôle (hormis quelques participations par le biais d’articles ou de scénarios dans des recueils à droite à gauche) au profit de l’écriture de romans… et là pouf, coup sur coup on te retrouve avec Les Partisans6 (pour Hexagon Universe⁷) qui vient d’être livré et le portage des Chroniques de l’Étrange⁸… tu boudais ou c’était juste reculer pour mieux sauter ?

[Romain] Ni l’un ni l’autre ! En réalité, cette impression de « désertion » n’est que le reflet du temps éditorial. Par exemple, j’ai écrit les Partisans avec Yohan Odivart en 2019 – mais financement et livraison de ce projet ont eu lieu en 2020. Donc pendant que je bossais, on pouvait imaginer que je ne faisais rien. De même, on travaille avec Antre Monde et Cédric sur Hong Kong – les Chroniques de l’Étrange depuis septembre 2019 en réalité. 

Et si l’on remonte, on voit que j’ai produit Mythic Battles: Pantheon⁹ (2017) alors que j’écrivais encore ma trilogie de romans (écrite entre 2014 et 2018) – ainsi que les suppléments Aventuriers & Seigneurs de la Jungle (2015) et Rois des Profondeurs (2016) pour Hexagon Universe. Je n’ai pas vraiment de raisons de rougir de ma production.

Donc en réalité, je mène vraiment écriture littéraire et écriture ludique de front sans jamais mettre de côté l’une au profit de l’autre. C’est simplement qu’il faut le temps pour produire des textes et que ceux-ci ne sortent pas immédiatement après leur achèvement. 

une petite soupe d’anguille pour se requinquer ?

4 : À moins d’écrire pour un guide touristique du moustachu qui balade son sac à dos depuis maintenant une paire d’années, Hong Kong n’est pas une « ville » connue du grand public au point de la retranscrire aisément autour d’une table de jeu (je m’y suis déjà frotté avec Feng Shui¹⁰… c’était chaud 😅). Vous vous y prenez comment pour en transmettre l’ambiance si particulière et en extirper une trame ludique exploitable… disons… par moi (au pif), qui ne vais plus en ville que pour acheter le lait des petits (et quand je dis ville, je parle de cinq milles habitants 😅) ?

[CEDRIC] À mon avis c’est un faux problème. Je vais citer quelques grandes villes du monde réel telles que Seattle, Chicago ou Tokyo (qui sont utilisées dans certains jeux de rôle assez célèbres) ou quelques grandes villes de mondes imaginaires comme Mos Eisley¹¹ ou Minas Tirith¹² dont vous reconnaitrez sans doute la provenance. Puis je vous pose la question : avez-vous eu besoin d’être des « experts » de ces villes pour y faire jouer des aventures palpitantes à vos PJ ? Moi j’avoue n’avoir jamais mis les pieds à Seattle ou Chicago et ne pas être suffisamment expert de Tolkien pour prétendre connaître Minas Tirith. Et pourtant, en jeu ça fonctionne bien.

À la base, je connaissais un peu le Japon mais pas du tout la Chine quand j’ai lu les romans de Romain. Je suis loin d’être un spécialiste de Hong Kong mais j’ai lu des romans, j’ai vu des films et à moins d’avoir un PJ qui a visité Hong Kong à la table, l’illusion est possible comme elle l’est avec n’importe quel autre décor de jeu qui ne se passe ni à Lille, ni à Lens (pour citer des villes que je connais… d’ailleurs, vous avez déjà essayé de jouer dans une ville que vous connaissez vraiment bien ? Personnellement, je n’y arrive pas : le dépaysement n’y est pas…).

[Romain] Comme le dit Cédric, l’illusion ludique doit primer sur la vraisemblance pour évacuer ce souci. D’ailleurs, mon travail de documentation pour les romans m’a permis de bien connaître la ville et je me suis aperçu à la vision de plusieurs films hongkongais que leurs réalisateurs n’hésitaient pas à tordre la géographie de leur propre cité dans un but cinématographique ! Par exemple, une poursuite en voiture qui passe d’un quartier à un autre en un virage, lesdits quartiers ne se trouvant même pas sur la même île ! Si des Hongkongais n’ont aucun complexe à ce niveau, autant dire que des joueurs français ne devraient pas avoir à s’en faire à ce sujet…

Selon moi le plus important, c’est de transcrire une ambiance – l’âme de Hong Kong, en quelque sorte. Que le lecteur comprenne ses spécificités (son mélange occident / Chine, sa modernité côtoyant le traditionnel, etc.), celles qui lui donnent son identité et font qu’il s’agit d’une cité unique qui ne peut se comparer à aucune autre dans le monde. 

Une fois ceci fait, on peut se plonger d’un peu plus près dans ses rues – mais là encore, sans forcément avoir de souci de réalisme total ou de connaissance encyclopédique. Dans le livre de base, notre description de Hong Kong mêle ainsi des lieux réels et assez iconiques (le Bouddha géant de Lantau, le quartier de Mongkok, le temple de Wong Tai Sin…) à des endroits que nous avons inventés (Chez Lau, par exemple). Et tout est bien sûr passé au filtre « Chroniques de l’Étrange » : ce qui fait que même les lieux connus sembleront différents, imprégnés de magie et de mystère.

Que le meneur de jeu comprenne qu’il peut tout à fait créer ses restaurants, ses temples, ses triades, ses îles même ! S’il comprend comment y injecter l’ADN de Hong Kong – de notre Hong Kong –, alors il sera dans l’esprit.

la trilogie aux éditions Critic

5 : Quand on adapte un univers existant pour permettre à des geeks lambdas d’y faire vivre leurs propres personnages, quels sont selon vous les pièges à éviter afin de ne pas les enfermer dans le carcan du matériau originel ? (je pense notamment à des jeux comme le Trône de Fer¹³ ou, de mon point de vue très personnel, Star Wars qui ont des enjeux tellement marqués dans la fiction qu’il semble difficile d’y trouver sa place)

[CEDRIC] Nous avons pris le parti de ne pas présenter les personnages des romans sous forme de statistiques de jeu, ni de figer les évènements qui s’y déroulent comme canoniques. C’est bien le même univers, la même ambiance et les mêmes saveurs, mais les meneurs de jeu et joueurs sont invités à écrire leurs propres histoires et à décider par eux-mêmes de la place des romans dans tout cela. 

[Romain] Voilà, tout à fait. Les romans qui mettent en scène Johnny Kwan et ses amis ne constituent pas une storyline particulière. Il s’agit de l’aventure de ces personnages littéraires et elle ne change pas le cadre du jeu (là où la fin de la saga d’Elric¹⁴ voit la destruction de son monde). Un meneur de jeu peut même s’emparer de la trame de la trilogie et l’adapter en campagne pour ses joueurs (bon, il faut qu’ils n’aient pas lu les bouquins !). 

Les héros du jeu de rôle Hong Kong – les Chroniques de l’Étrange, ce sont les PJ des joueurs et personne d’autre. Peut-être croiseront-ils Ann Lung ou Helena Shiu mais uniquement pour le clin d’œil ou s’il y a besoin d’un PNJ de leur style – et ces PNJ ne résoudront pas les scénarios à leur place ! 

Au final, les romans doivent être vus comme une source d’inspiration où puiser plein de détails ou de PNJ secondaires, mais pas une chronologie contraignante. 

6 : Cédric, en terme de gamedesign, tu as (semble-t-il à mes yeux de profane) une approche assez différente de ce qu’a pu présenter Romain dans ses jeux précédents (on peut difficilement comparer les mécaniques de Knight à celles de la Brigade chimériqueou d’Hexagon Universe)… Vous avez fait comment pour trouver un terrain d’entente ? Y a-t-il eu du sang, de la sueur et des larmes ou ça s’est fait assez naturellement ?

[CEDRIC] En fait quand on a constitué l’équipe, Romain ne me connaissait pas du tout mais moi, j’avais déjà lu pas mal de jeux sur lesquels il avait travaillé ou dont il était l’auteur ou un des auteurs. Je savais donc que j’appréciais son boulot, au-delà des romans et de leur univers spécifique. Je précise aussi que je n’ai pas conçu le système COMBO de Knight : c’est le travail de Simon & Coline¹⁵-¹⁶. Je me le suis très bien approprié et j’œuvre aujourd’hui un peu en tant qu’expert dudit système, mais c’est parce que j’aime les belles mécaniques !

La toute première proposition de système que j’avais faite à Romain pour les Chroniques de l’Étrange ne l’a pas vraiment convaincu. J’étais arrivé avec quelque chose de plutôt classique. En fait, je n’avais pas osé en faire « trop ». Nous avons eu un échange à ce sujet et je me suis rendu compte qu’on ne s’était pas compris sur ce qu’il recherchait. C’était un échange un peu magique. Plus il expliquait ce qu’il voulait, plus j’avais de nouvelles idées. De fil en aiguille, les premières bases du système actuel ont été posée lors de cette très longue discussion.

Depuis, il y a eu de nombreuses autres discussions fleuves. Nous échangeons sans langue de bois dans une atmosphère agréable de co-construction, sur tous les sujets. J’interviens au-delà du système – sur des lieux, des personnages, des scénarios. Il y a une vision commune du jeu dans son ensemble, que Romain et moi partageons à présent. Tout cela se fait très naturellement. 

7 : Petite question qui s’éloigne un peu de l’univers des Chroniques de l’Étrange et du jeu en lui-même… Ça se gère comment un financement participatif, en termes d’investissement des auteurs ? Vous êtes au taquet, plutôt relax 😎 ?

[CEDRIC] Alors autant j’étais prêt à travailler dur pour devenir un auteur pro après y avoir gouté dans le cadre de Knight, en ayant une vision très claire de ce qu’il fallait faire pour m’améliorer et y parvenir, autant j’ai été surpris par la partie financement, en effet ! Je ne m’attendais pas du tout à devoir répondre à des interviews, faire des vidéos Youtube ou me poser la question de gérer des actual play

Toute la promotion et toute l’organisation du financement, c’est l’œuvre et l’expérience de notre éditeur, en fait. J’avoue être beaucoup plus à l’aise pour écrire des pages et des pages de jeu que pour passer devant une caméra. 

[Romain] Pour ma part, j’ai aussi été surpris par l’implication que cela m’a demandé. Sans même parler de construire le kit de découverte (un vrai travail !), il a fallu assurer une promotion sur un temps assez long : faire jouer un actual play filmé, répondre à pas mal d’interviews sur divers formats, mener une démo durant Octogône, répondre à de multiples questions… Et puis ce petit cœur qui s’accélère le soir quand je regarde la progression du financement, que je la compare aux paliers qui restent à débloquer, etc. 

Mais d’un autre côté, Cédric a raison : c’est Antre Monde qui a vraiment mouillé la chemise afin de promouvoir le jeu du mieux possible. Je ne pouvais pas faire moins car après tout, c’est mon univers que porte cet éditeur ! 

8 : Il reste encore quelques jours pour faire avancer les choses sur la page du financement, toutefois c’est déjà une belle réussite (312 souscripteurs à l’heure à laquelle j’écris ces lignes) – surtout quand on voit la quantité de projets sur les deux derniers mois… En dehors d’un ou deux tristes sires étalant leur amertume sur internet (blink blink 😜), l’accueil semble plutôt bon… Alors, vous êtes du genre à faire la danse du slip devant la concrétisation de la chose ou à ronger les angles de la table basse, serrant les fesses en fixant le compteur jusqu’à la dernière seconde ?

[CEDRIC] Moi, je garde un œil sur le compteur et je fais un petit hakka jouissif à chaque fois qu’un palier est franchi. 

[Romain] Ha ha, moi je suis un gros anxieux nanti d’un terrible syndrome de l’imposteur. Donc oui, je surveille le financement d’un œil angoissé. Je regarde ces gens qui nous font confiance au point de payer avec un an d’avance un produit et je redoute de les décevoir… alors je redouble d’efforts, je cherche de nouvelles idées pour les satisfaire, je relis et corrige ce qui a été fait tout en réfléchissant à ce qui reste à faire. Pas bon du tout pour mon stress, tout ça ! 

Visuel de l’écran de jeu par William Bonhotal

9 : Bon, on a parlé textes et mécanique, mais dans un jeu de rôle l’univers graphique fait également beaucoup… Pour le coup, vous êtes servis entre les couvertures de Xavier Collette¹⁷ (qui se chargeait déjà d’illustrer les romans chez Critic¹⁸) ou l’écran de William Bonhotal¹⁹ (bien connu des lecteurs de Knight)… Ça fait quoi de voir son imaginaire transcrit en image par des gens de talent ? Et quelle part de liberté ont-ils eu pour s’approprier les choses à leur tour ?

[CEDRIC] Voir nos idées et nos écrits devenir de splendides illustrations, c’est extrêmement gratifiant. 

[Romain] Xavier Collette avait réalisé les couvertures de la trilogie chez Critic et afin de bien démontrer que jeu de rôle et romans ont une égale importance à mes yeux, il me semblait important qu’il illustre aussi la couverture du jeu. Quant aux autres illustrateurs, ils sont en effet bluffants ! J’adore voir ces visions d’artistes divers sur mon univers, car elles nourrissent la perception que j’en ai à mon tour, la transforment en y ajoutant un imaginaire qui n’est par définition pas le mien mais qui l’enrichit grandement.

Pour la réalisation de ces illustrations, nous donnons des directives puis laissons les artistes se débrouiller avec ces instructions pas forcément très précises. Le but étant justement qu’ils apposent leur marque sur l’univers et l’étendent ainsi au-delà de ce qu’il est dans ma tête.

10 : Les éditions Antre Monde semblent prendre soin de leurs auteurs tout en leur laissant une belle part de liberté sur les projets portés… Alors Cédric, tu les fréquentais déjà de par ton travail sur Knight mais toi Romain, ça s’est passé comment ce premier chantier en commun ?

[Romain] Je pense que l’interview est assez claire à ce sujet : bosser avec Antre Monde est une expérience gratifiante. Comme déjà précisé, cet éditeur s’est énormément impliqué pour rendre le projet le plus accessible possible pour son potentiel public – avec un financement bien pensé et riche de cadeaux. 

Dès le départ, Antre Monde a compris le potentiel ludique de l’univers des Chroniques de l’Étrange et a mis à ma disposition tout le nécessaire (ouais, Cédric fait partie du nécessaire – mais aussi les auteurs invités comme Julien Moreau²⁰, Antoine Bauza²¹ ou Yohan Odivart²² et les illustrateurs.) pour le concrétiser à mon idée, sans pour autant me laisser sans encadrement ou soutien. On discute, on propose, on décide ensemble et je sais que je peux me fier à lui et à son expérience – en témoigne le succès rencontré sur Knight.

Je resigne avec Antre Monde quand il veut.

11 : un petit quickie sur l’imaginaire en général :– Si vous étiez un livre (roman / BD…) :

[CEDRIC] SILO de Hugh Howey²³

[Romain] Planetary de Warren Ellis²⁴- Si vous deviez cosplayer quelqu’un :

[CEDRIC] Dark Vador (il porte un masque)

[Romain] Johnny Kwan- Si vous étiez un jeu (de rôle / vidéo…) :

[CEDRIC] Exalted²⁵ (pour le côté dragonballzedesque)

[Romain] En ce moment, je me sens très Meute²⁶ (il faudra vraiment que je le mène un jour…)- Si vous étiez une période historique :

[CEDRIC] Antiquité (j’aime les jupettes)

[Romain] Dynastie Ming- Si vous étiez un univers fantastique :

[CEDRIC] celui d’Altered Carbon²⁷

[Romain] Je triche un peu, mais ce serait l’univers cinématographique de la Shaw Bros²⁸

Et pour conclure, la question vache… Selon vous, quelle est la place de l’imaginaire dans la culture (qu’elle soit populaire ou autre) et comment vous positionnez-vous dans ce vaste tableau ? 

[CEDRIC] Le monde réel est beau mais pas toujours très sympa. Pour ne pas dire souvent très dur. L’imaginaire, c’est le monde intérieur. C’est un monde infini. Je crois avoir un imaginaire très riche. Et il s’est enrichi toute ma vie avec les romans, les livres, les films, etc. que j’ai pu voir ou lire. Le jeu de rôle m’a donné le goût du fantastique, de la science-fiction, mais aussi de l’histoire, et me donne, je crois, un regard plus ouvert sur la culture en général. Savoir se mettre à la place des autres et savoir imaginer des mondes différents, c’est quelque-chose d’incroyablement enrichissant. 

Pour moi le jeu fait partie de la culture. C’est peut-être de la « pop » culture pour certains, mais pour moi c’est de l’évasion et du bonheur au quotidien. Et c’est aussi la source de nombreuses pistes de réflexions très sérieuses, utiles pour le réel. Je suis reconnaissant de tout ce que le jeu de rôle en particulier et l’imaginaire en général m’apportent dans la vie. 

[Romain] Je ne sais jamais trop quoi répondre à ce genre de questions. Je produis de l’imaginaire de façon professionnelle, cela constitue une partie de mes revenus – c’est mon métier. Impossible de faire cela si l’on n’est pas passionné (car la rémunération des auteurs…) et surtout persuadé d’avoir un impact sur le monde – même à une échelle minuscule. Les quelques milliers de personnes qui ont joué à mes jeux ou lu mes romans y ont pris du plaisir, j’espère : cela a pu les distraire, les faire réfléchir, leur faire découvrir une culture ou un genre – voire leur donner à leur tour envie de produire de l’imaginaire. Et c’est pour cela qu’on le fait : on renferme une flamme qui réchauffe l’âme et tout ce que l’on veut, c’est qu’elle se répande pour apporter aux autres cette chaleur et leur donner envie de la nourrir et de la partager à leur tour.

J’ai conscience que tout ça sonne un peu pété voire pédant mais il s’agit de ma conviction personnelle – l’art, l’imaginaire, les histoires sont des éléments essentiels de l’esprit humain et plus il y en a, mieux se porte le monde. 

Et voilà pour aujourd’hui… Merci à nos deux auteurs pour ces réponses (pas si pétées que ça 😉)  et en leur souhaitant toute la réussite possible pour ce projet (je vous mets le lien vers la page de financement dessous si tout ça vous a donné envie, comme à moi, de participer à l’effort de guerre).

Pour ma part, ayant fortement apprécié la trilogie de romans, je suis impatient de faire déguster des xialongbao à mes joueurs entre deux exorcismes (allez, en cuisine feignasse, tu as un an pour apprendre à ne pas empoisonner tes invités).

Slurp 🍜🥠

Yum… les bons dim sum

Propos recueillis par David Barthélémy

Liens utiles :

Le projet :

https://www.gameontabletop.com/cf428/hong-kong-les-chroniques-de-l-etrange.html

Romain d’Huissier

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Romain_d%27Huissier

Cédric Lameire

http://www.legrog.org/biographies/cedric-lameire

Références :

¹http://lefix.di6dent.fr/

²https://www.youtube.com/c/Ind100Podcast

³https://antre-monde.com/

http://knight-jdr.fr/

http://www.legrog.org/jeux/brigade-chimerique

https://www.unificationfrance.com/spip.php?page=pages_mobiles&squelette_mobile=mobile/article&id_article=62369&lang=fr

http://www.legrog.org/jeux/hexagon-universe

https://www.babelio.com/livres/dHuissier-Les-chroniques-de-letrange-tome-1–Les-81-freres/778322

http://www.legrog.org/jeux/mythic-battles-pantheon/mythic-battles-pantheon-fr

¹⁰http://www.legrog.org/jeux/feng-shui

¹¹https://starwars.fandom.com/fr/wiki/Mos_Eisley

¹²https://jrrtolkien.fandom.com/fr/wiki/Minas_Tirith_(Gondor)

¹³http://www.legrog.org/jeux/trone-de-fer

¹⁴https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Cycle_d%27Elric

¹⁵http://www.legrog.org/biographies/simon-gabillaud

¹⁶http://www.legrog.org/biographies/coline-pignat

¹⁷https://www.xaviercollette.com/

¹⁸https://editions.critic.fr/

¹⁹https://www.artstation.com/william-bonhotal

²⁰http://www.legrog.org/biographies/julien-moreau

²¹https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Antoine_Bauza

²²https://data.bnf.fr/fr/16595475/yohan_odivart/

²³https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Silo_(roman)

²⁴https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Planetary

²⁵http://www.legrog.org/jeux/exaltes

²⁶http://www.legrog.org/jeux/meute/meute-fr

²⁷https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Carbone_modifi%C3%A9

²⁸https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Shaw_Brothers

Retour de lecture

Ce que j’en pense : Contes de Minuit

La forme :

Solide bouquin de 238 pages au format A5, dos carré/collé et couverture cartonnée en dur. On verra sur la durée si ça tient bien, pour l’instant pas de soucis malgré pas mal de manipulations (il semblerait que lulu s’améliore sur sa colle).
L’intérieur est en noir et blanc, ce qui cadre tout à fait avec l’ambiance du jeu. C’est donc l’auteur, Yno1 qui s’occupe des textes (bien sûr 😅), mais aussi des illustrations et de la mise en page, ce que je trouve toujours mieux pour être au plus proche de l’intention du texte (bon, sauf si c’est moi qui illustre, auxquels cas je dirais « fuyez pauvres fous »).
Les illustrations sont relativement peu nombreuses, mais c’est compensé par une mise en page soignée et aérée, ainsi que les très nombreux culs de lampe qui parsèment le texte.
Niveau mise en page, le texte est sur une large colonne centrale et est émaillé tout du long de petits « encarts » (je mets entre guillemets car se sont des encarts sans cadre 😁) précisant certains points du texte adjacent, apportant des notes d’ambiances, ou encore des pistes/rumeurs utiles pour le jeu.

les fameux encadrés sans cadre 😀


Là où la maquette et pour moi très réussie (on sent bien tout le boulot qu’il y a eu derrière), c’est qu’à six exceptions près (oui oui, j’ai compté), vous n’aurez pas à tourner de page pour finir une phrase, les textes étant répartis pour apparaître entier sur chaque double page… Cela ne parait pas grand chose énoncé comme ça, mais c’est vraiment hyper confortable à la lecture 👍
Clairement, les textes ont été usinés et poncés pour un résultat assez irréprochable (je n’ai relevé que deux ou trois coquilles sur l’ensemble, ce qui est une belle performance pour 240 pages), à croire que l’auteur a passé de nombreuses années dessus (on me glisse à l’oreille que c’est le cas et que l’ensemble fut enfanté dans la douleur, en dépit de l’amour pour le projet).

Le Fond :

La ville de Minuit s’élève sur l’île de Sèche noire, perdue au milieu d’un océan infini (ou du moins présumé comme tel) et dont elle recouvre l’entière superficie (une douzaine de kilomètres de diamètre), s’étendant verticalement du fait de la place limité.
L’autre particularité de l’endroit, c’est qu’il existe dans une nuit permanente, le soleil et les étoiles ayant disparus depuis plus longtemps que l’on ne peux s’en souvenir. Seule une Lune perpétuellement pleine habite les cieux, baignant l’île d’une lumière diaphane et observant la ville de son visage souriant (les reliefs observables à sa surface composant sa figure), sans jamais se déplacer.
La mer est peuplée de créatures étranges et parfois titanesque, que les habitants de l’île pêchent/chassent régulièrement pour se nourrir ou certaines propriétés étranges que leur consommation procure.
Les habitants en question, les Nocturnes, sont divisés en deux catégories, à savoir les « humains » et les Comtes et Comtesses, dont le corps présentent des aspects que l’on peut qualifier sans hésiter, de fantastique (hommes scarabés, loup-garous et vampires, cerveau flottant dans un bocal, femme araignée, …), toutes les fantaisies étant permises (voir encouragées).
Une troisième frange de la population serait les Fées, dont la poudre est très prisée par le reste des Nocturnes, leur permettant des effets magiques tous plus improbables les uns que les autres ou encore de masquer leurs traits de Comtes et Comtesses pour apparaître »humains » (car une certaine discrimination sévit, entre la noblesse humaine et le reste de la population). L’obtention de cette poudre nommée l’Ether, se fait bien sûr au détriment de la santé des fées, les amenant à vivre cachées de tous afin de perdurer.
L’ambiance générale se place quelque part entre fantastique Victorien et révolution industrielle sale, le tout vécu part le prisme d’une agence de détectives privés sise au 221b Baker Street2, ce qui a le mérite d’être parlant quant à la tonalité des parties.
Toutes les fantaisies sont permises au niveau des intrigues et la Directrice (mj incarnant l’invisible directrice du 221 Baker Street) est encouragée par l’auteur à ne pas toujours se soucier de vraisemblance afin d’insister sur l’aspect fantastique et baroque des Affaires (les scénarios) ce qui est bienvenu considérant la richesse de l’univers et la variété possible des décors et intrigues.
La ville et ses quartiers, comme les factions qui l’animent, sont abondamment décrits dans le livre, mais fort heureusement, pas sous une forme encyclopédique.
Chaque quartier (il y en a 13 plus le monde sous terrain) est traité dans un chapitre dédié, nous présentant l’ambiance générale y régnant, quelques bâtiments notables et des habitants marquants de l’endroit. Ce n’est pas un guide à proprement parler, mais plutôt une boîte à outil géante, tant chaque paragraphe recèle un scénario potentiel et des idées pour le moins dépaysantes, aussi n’espérez pas saisir la ville dans son ensemble en une seule lecture, c’est tout bonnement trop riche (et c’est tant mieux).

Minuit, dans le jardin du bien et du mal

Le système :

Alors, évacuons tout de suite les angoisses éventuelles, la mécanique du jeu est très simple. Nous sommes sur la base d’un pool de dés 6 dont les résultats affichant 4, 5 ou 6 sont comptabilisés comme des succès (1, 2 et 3 étant bien entendu…des… échecs, il y en a qui suivent).
Le rôle de la Directrice se borne donc à établir des difficultés en fonction du nombre de succès nécessaires à la réussite de l’action entreprise (que j’aime les jeux où le mj ne jette pas de dés).
Par là dessus, les joueurs peuvent utiliser différentes ressources pour modifier leurs résultats, comme l’Adrénaline ou l’Ether.
Les personnages seront donc tous des détectives du 221 Baker Street et seront typés par leurs Particularités (sont ils humains ou Comtes et Comtesses), leurs Motivation (l’argent, le pouvoir, la vengeance, la curiosité, …), leur Quête (retrouver un parent disparu, faire tomber un réseau de criminel, …), leurs Aspects (force, perception, puissance, réflexion) et leurs Expertises (sociales, académiques, pratiques et de combat).
Les scores d’Expertise sont liés à une forme d’attrition lorsque utilisés pour résoudre une action et vont donc diminuant au long de la partie. Pour en récupérer l’usage, les joueurs vont devoir définir une recharge (concept familier aux joueurs de Dying Earth3), qui variera selon les domaines (par exemple, pour recharger une expertise sociale utilisée pour obtenir des informations, le PJ devra passer une soirée dans un salon à discuter des dernières nouvelles de la citée en bonne compagnie ou pour une Expertise de combat, s’entraîner pendant trois heures avec un partenaire dans une salle d’exercice).
Cela crée du jeu de manière simple et élégante, en forçant à mettre en scène la vie des PJ en dehors des affaires, ce qui est toujours bien vu.

Sobre, efficace et lisible, que demande le peuple ?


Reste ensuite le lieu de vie des PJ et leur relations, qui vont à nouveau permettre d’enrichir les personnages tout en leur donnant des billes pour faire vivre l’univers.
La Directrice de son côté bénéficie de points de tension à investir dans les actions qu’elle souhaite corser. Le pool de départ correspond au nombre de joueurs x6, mais une fois cette réserve épuisée, elle peut tout de même continuer à en distiller. Les points excédentaires ainsi utilisés vont venir s’ajouter aux « points d’expérience » qui seront ensuite répartis entre les PJ à la fin du scénario (une fois de plus, c’est bien vu et reflète bien la dangerosité des évènements vécus par les personnages).
Là dessus vient se rajouter le 221 Baker Street, qui dispose de sa propre fiche, que vous allez faire vivre et évoluer au même titre qu’un personnage commun au groupe. C’est très sympa dans l’idée et vous octroiera des ressources supplémentaires exploitables durant les enquêtes ainsi qu’un point de chute commun au groupe.

Conclusion :

Hé bien voilà encore un très bon jeu, avec une ambiance riche en dépaysement, farfelue à souhait, mais permettant de flirter aussi bien avec la féerie que l’enquête traditionnelle, voir l’horreur ou le drame.
Niveau couleur du jeu, ça m’a beaucoup évoqué des décors à la Cités des enfants perdus4, ce qui n’est pas un mal tant l’identité de ce flim permettra à vos joueurs les moins imaginatifs de se représenter le décor… entrecoupez tout ça de références à De cape et de crocs5 ou à certaines illustrations de Florence Magnin6, sur fond de révolution industrielle et le tour est joué.
Le bouquin se conclu sur trois Affaires prêtes à jouer qui vous guideront bien dans la prise en main de l’univers.
Enfin, un petit conseil… Ne cherchez pas à tout exposer trop vite, ce n’est pas possible. Voyez vraiment ce livre comme une super boite à outils pour poser les choses par petites touches.
À mon sens, le meilleur moyen de découvrir Minuit est de choisir un quartier, si possible celui où se trouve le 221 Baker Street (ou un quartier adjacent) et de l’explorer tranquillement avant de chercher à voir ailleurs.
Donc si vous aimez les ambiances décalées, Sherlock Holmes ou une féérie parfois un peu crade (Le labyrinthe de Pan7 est cité dans les inspirations) et ne souhaitez pas un jeu aux mécaniques lourdes et encombrantes, ce livre est fait pour vous.

25€ en couverture dure, 20€ en couverture souple ou 10€ en pdf sur Lulu https://www.lulu.com/en/en/shop/anthony-combrexelle/contes-de-minuit-couverture-dure/hardcover/product-58rrd7.html?page=1&pageSize=4

Notes et Références :

1 Yno : Anthony « yno » Combrexelle, auteur de Jdr/Roman, vous pouvez trouver son travail par là : http://www.misterfrankenstein.com/wordpress/

2 221 Baker street : l’adresse  « historique » du légendaire Sherlock Holmes

3 Dying Earth : adaptation en jeu de l’univers de Jack Vance par Robin D. Laws chez Pelgrane Press http://www.legrog.org/jeux/dying-earth-la-vieille-terre

4 La cité des enfants perdu : film fantastique (ou fantastique film, c’est selon) de Caro/Jeunet https://youtu.be/XZUkwd2a0s8

5 De cape et de Crocs : superbe série de bande dessinée par le duo Ayroles/Masbou https://www.bedetheque.com/serie-3-BD-De-Cape-et-de-Crocs.html

6 Florence Magnin : illustratrice française, notamment connue pour sa mise en image du cycle d’Ambre de Roger Zelazny chez Denoel https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Florence_Magnin

7 Le labyrinthe de Pan : film fantastique de Guillermo Del Toro https://youtu.be/ZRDzfPFIsDE