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Paroles d’experts S01E02 : Emmanuel Gharbi

Toujours Paris… Toujours 2021…

Suite à la montée en puissance des agissements du C.A.L.E.C.O.N.S (voir premier épisode), le gouvernement a décrété un état d’urgence afin de limiter l’exposition de la population au S.Y.Q.S (pour rappel, le Syndrôme des Yeux Qui Saignent), restreignant l’accès aux lieux publics tels que les terrasses, musées, galeries d’expositions, magasins de piles… tous participant activement à la propagation de la maladie.
Le S.S.L.I.P poursuit donc son action plus que jamais et ses membres sont mis à rude épreuve dans leurs tâches quotidiennes. Entre deux opérations coup de poings, nous avons pu nous entretenir avec l’un des éminents représentants de la brigade, responsable de la branche éditoriale/médecine légale et c’est entre deux identifications de corps, au milieu des bodybags qu’il a aimablement pris le temps de nous répondre… behold : Emmanuel Gharbi.

L’uniforme reste à revoir afin que les membres du S.S.L.I.P ne participent pas à la propagation du S.Y.Q.S…

Salut Emmanuel. Déjà, merci de m’accorder un peu de ton temps, comme a pu le faire ton comparse LG¹ il y a quelques semaines. J’ai cru comprendre que vous aviez des comptes à régler niveau temps de parole, ce qui me sert à point nommé pour te tirer de la morgue au sein de laquelle tu officies quand tu te livres à tes œuvres. Alors, parlons trop, parlons bien...
Les œuvres en question, en ce moment c’est quoi ?

Pas de règlement de comptes, rassure-toi 🙂 
C’est bien normal que LG soit plus exposé que moi au vu de son excellente production. Quand tu bosses avec lui, tu te rends compte à quel point il est toujours en pleine réflexion, en pleine ébullition. L’étendue de ses talents est assez flippante, il est une des rares personnes que je connaisse (avec Yno²) à pouvoir gérer un bouquin de A à Z, des textes à la maquette en passant par les illustrations… 
Et puis, quand j’ai accepté de gérer John Doe³, je savais aussi que c’était par définition un rôle moins exposé, un truc qui se déroule pas mal dans l’ombre puisque certaines des tâches que je réalise ne se “voient pas” directement dans les bouquins. Aucun souci avec ça. 
Ce qui est vrai, toutefois, c’est qu’en ce moment, j’ai plus envie d’écrire que de produire. J’ai envie de concrétiser certains de mes projets personnels, et passer moins de temps à aider des auteurs à concrétiser les leurs. Du coup, on refuse pas mal de choses ces derniers temps chez JD pour libérer notre emploi du temps.
Parmi ces projets, il y a bien sûr la seconde édition d’Exil⁴. C’est un énorme chantier sur lequel il reste encore beaucoup à faire. J’aimerais également ressortir Final Frontier⁵. Le jeu est épuisé depuis très longtemps et il nous est souvent réclamé en format papier, même si la version PDF est gratuite sur mon blog. Mais pour ce faire, il faut des modifications substantielles pour qu’une v2 se justifie pleinement. Je développe aussi un jeu à destination du jeune public avec mon compère Antoine Bauza⁶
Côté JD, c’est la finalisation de Donjon & Cie⁷, et celle du supplément pour Meute⁸, “Errances”…

Le travail d’un éditeur et celui d’un auteur n’ont à priori rien à voir… d’un côté, il faut peser des intérêts économiques, structurels, gérer des temps de travail, des délais, des fournisseurs, alors que de l’autre, bien souvent cela relève de l’immersion dans un univers particulier, de la capacité à se couper du monde pour construire quelque chose, ainsi que d’une certaine forme d’oubli de soi au profit d’une création qui peut vite s’avérer envahissante.
Comment, au départ auteur, as-tu évolué vers cet autre aspect de la création d’un livre, et pour toi, c’était quoi le plus dur à changer (si tant est que tu aies dû changer quelque chose à ta manière de voir les choses) ?

L’évolution s’est faite naturellement. Après la sortie d’Exil en 2005, on voulait continuer à faire des bouquins ensemble, décider par nous-même de ce qu’on sortirait et comment. Pas que les choses se soient mal passées avec Ubik⁹, à l’époque. Bien au contraire. Mais on avait des envies de gamme, de projets qui n’auraient pas forcément trouvé leur place chez un éditeur. Le choix du format A5 par exemple, n’était pas si populaire. On nous a souvent répété que Final Frontier serait un four… Donc l’évolution s’est faite toute seule : si on voulait produire nos livres, il fallait apprendre comment se passait la chaîne graphique, trouver un imprimeur, un distributeur, penser à la comm… Et miser un peu de sous, aussi. Le crowdfunding n’existait pas encore… Au départ, c’était vraiment pour nous, nos jeux à John et moi. Et puis on s’est dit qu’une fois la structure lancée, on pouvait y accueillir d’autres auteurs, et le premier fut Yno pour Patient 13¹⁰
Donc, tout ça s’est fait au fur et à mesure.
Ce qui n’a pas changé, et ne changera jamais sinon ça ne vaut plus le coup, c’est l’idée qu’on ne fonctionne qu’au coup de cœur. On ne prend un projet que si nous sommes tous (c’est à dire LG, Pierrick May¹¹, Antoine et moi) emballés. On va forcément beaucoup s’investir dessus et on doit tous être convaincus. 
Ce qui a changé dans ma façon d’aborder un jeu, grâce à l’expérience d’éditeur, c’est que je structure mieux mon travail d’auteur qu’avant. J’ai une tendance naturelle à être bordélique dans l’écriture, à partir bille en tête sans plan et à passer ensuite un temps fou à structurer un bazar touffu. J’ai appris à mieux planifier les choses, à soigner la note d’intention pour ne pas partir dans tous les sens. 

Avec Exil, tu as livré un premier univers à l’identité très forte et sans doute très personnel, en dépit des collaborations. Tu nous as présenté un monde à la fois sombre et poétique, très riche et cohérent, destiné à être joué par d’autres. Tu t’y es pris comment pour coordonner tout ce petit monde et malgré tout respecter ta vision des choses ?

Il existait une bonne base, une version déjà détaillée de l’univers. Ce fut un long travail solitaire, avant d’être d’abord rejoint par Antoine qui m’a aidé à finaliser cette première version. C’est ce gros document qui a servi de base au travail collaboratif qui a été lancé ensuite avec la création du studio Ballon-Taxi¹². On a repris chaque sujet, en fonction des affinités de chacun, et on a tout creusé. Il y avait de nombreuses réunions de travail où on pesait les idées de chacun pour décider si cela rejoignait le bouquin ou pas. Et j’avais le “director’s cut” pour départager en fin de course. Chacun avait forcément sa vision d’Exil, et j’ai essayé de conserver la mienne au fur et à mesure que l’univers était densifié. Dans l’écrasante majorité des cas, ça s’est passé idéalement. Les idées fusaient, se complétaient, étaient adoptées ou écartées assez naturellement, organiquement. Bon, il y a bien eu quelques frictions, comme lorsque l’un des membres de l’équipe a voulu ajouter des êtres fées à Exil. Là ce fut juste non 🙂 Mais on a bien rigolé. Ça reste une magnifique expérience, beaucoup de bons souvenirs.
Après, ce premier jeu édité a été fait dans l’improvisation. Nous n’avions pas vraiment de méthode et, au départ, nous n’avions même pas d’éditeur. L’implication d’Ubik s’est faite en cours de route. Durant la conception, l’idée était vraiment de faire le truc le plus abouti possible, d’y mettre tout ce qu’on imaginait. D’où, sans doute, l’aspect un peu mastoc du résultat final. Nous n’avons pas pensé en terme de gamme, on voulait tout mettre parce que nous ne savions même pas si nous pourrions avoir une gamme !

Et au fait, ta conception du boulot d’un éditeur, c’est quoi ?

D’être un facilitateur au service de l’auteur. On l’aide à aboutir à la version la plus complète possible de son jeu, dont il – et nous – puissions être fiers. L’aider à peaufiner ses textes, à faire des choix s’il a des doutes, lui adjoindre l’artiste qui va bien, réfléchir ensemble à la forme finale du bouquin, définir la forme du suivi s’il y en a. Ce sont des sujets sur lesquels John Doe a évolué, puisqu’au début, on faisait des bouquins courts et tout-en-un, sans suivi, avant de s’écarter de ce dogme. 
On a aussi la responsabilité de pousser la reconnaissance du jeu (et c’est un domaine sur lequel, la communication, nous ne sommes pas bons, je le crains) et d’assurer qu’il soit bien distribué. Pour cela, nous avons un distributeur professionnel car nous n’avons pas les épaules pour faire ça nous-même. 

Je lisais récemment Julien Heylbroek¹³ à propos de WarsaW¹⁴ qui racontait avoir été reçu comme un prince chez John Doe (plutôt cool hein). Souvent les retours des auteurs sur les maisons d’édition sont plus mitigés (surtout quand les manuscrits ne sont pas retenus et je généralise hein, entendons nous bien), du coup, vous faites ça avec tout le monde ou c’est parce qu’il est particulièrement charmant comme garçon ?

Julien est effectivement un garçon charmant, mais on essaie d’avoir le même accueil avec tous les auteurs. On essaie de les traiter comme nous aimerions l’être nous-même. Sans auteurs, pas de jdr. Et c’est ingrat, auteur : on ne gagne pas grand chose et on est en bout de chaîne. La reconnaissance est parfois moindre que pour les illustrateurs par exemple. Il y a encore beaucoup de jeux dont le nom de l’auteur n’apparaît pas sur la couverture. Même nous, on ne l’a fait que récemment.  En 15 années de John Doe, tout s’est je crois bien passé. Il y a bien eu des erreurs ou des frictions, naturellement ! Mais pas, je crois, de grosses fâcheries. 
Concernant les manuscrits, c’est un peu différent. On reçoit des choses très disparates. Des fois, c’est immédiatement clair que ce n’est pas au niveau d’une publication. Parfois, ça demande de creuser un peu plus pour se faire une idée claire du projet. Nous essayons de répondre à chacun, mais il nous arrive de nous louper et de répondre très tardivement. Il suffit que le jeu arrive à un moment tendu, comme un bouclage ou une préco, ou bien qu’il ne provoque pas un intérêt immédiat… J’en suis désolé parce que je sais à quel point c’est frustrant de ne pas avoir de réponses quand on croit à son jeu. Nous faisons au mieux mais nous sommes loin d’être irréprochables sur ce point. 

Ce que j’aime beaucoup dans tes jeux, c’est qu’à chaque fois, ils ont  un caractère unique, que ce soit Exil, Eleusis¹⁵, Final Frontier ou Hellywood¹⁶, et refusent de succomber à l’appât du gain en proposant une resucée des classiques commerciaux à la D&D¹⁷, Cthulhu¹⁸ ou Star Wars¹⁹, tout en restant accessibles. C’est quelque chose que l’on retrouve dans les choix éditoriaux de John Doe et dont à mon sens, vous pouvez être fiers. Comment vous procédez à la sélection de tel ou tel jeu (Meute, Patient 13, Tenga²⁰, Notre Tombeau²¹…) et est-ce qu’il vous est déjà arrivé de passer à côté d’une licence, disons juteuse, sous prétexte qu’elle ne correspondait pas à votre ligne éditoriale ?

On a loupé des licences qui nous plaisaient, parce qu’on a pas été assez réactifs et que nous ne sommes pas très bien organisés pour ça… Des jeux que nous aurions adoré traduire, mais qui nous sont passés sous le nez, parfois de justesse. Il y en a eu plusieurs mais ils ont tous trouvé preneurs donc le public les a eu, c’est ce qui compte. 
Pour le choix des jeux, c’est encore une fois au feeling. Est-ce que c’est bien ? Est-ce que nous avons envie d’y jouer ? Est-ce que la note d’intention du jeu est claire, originale, prenante ? Est-ce que ça n’existe pas déjà et en mieux ? C’est la seule question que nous nous posons, jamais celle de la rentabilité. Avec le crowdfunding, je pense que même la proposition la plus originale trouvera son public si elle est bien calibrée. Donc, ça se résume vraiment à : est-ce qu’on aime le jeu ? Et aussi l’auteur. On va travailler longtemps ensemble et on aime bien se dire qu’on a des atomes crochus avec l’auteur. 
Tout ça pour dire que nous n’avons pas une réflexion du style : refusons ce qui est commercial ou visons forcément un truc cryptique. Moi je suis ravi quand un jeu se vend très bien, parce qu’il entraîne les autres projets, il vit sur les tables et tout ça. Et je joue moi-même à des choses que tu dis commerciales comme D&D ou Cthulhu. Donc, il n’y a aucune volonté d’élitisme dans nos choix. Moi, demain, tu me confies Star Wars ou l’Appel, je suis ravi ! Mais nous n’avons pas forcément les épaules pour, nous ne sommes pas sur les rangs. Certains projets ne passeront jamais par nous. 

Tu fais également de la traduction (avec Icons²² notamment), en plus de tes rôles de directeur de publication et d’auteur (hein, parce que quand même, ce serait dommage de s’ennuyer), donc même question qu’à ton collègue Le Grümph… Tu es hyperactif ou c’est juste pour faire bisquer des gens qui comme moi peinent à faire leur courses et écrire trois questions sur le jdr dans leur journée ? 
Et au fait, le directeur de publication, c’est le type qui casse ton rêve en refusant les manuscrits ou celui qui paie les cake à l’épeautre ?

Le cake à l’épeautre… une recette indémodable au succès garanti

Pour nous, le directeur de publication, c’est justement le “facilitateur” dont je parlais plus haut. Celui qui aide l’auteur à accoucher de son jeu. 
Au niveau charge de travail, comparé à LG, je suis un fainéant 🙂
Mais oui, c’est beaucoup de boulot car j’ai gardé mon job, je ne vis pas de l’édition. Comme toute passion, tu prends sur ton temps perso. Certains font de la pêche à la ligne, moi j’écris du jdr. Comme je te le disais plus haut, j’ai envie en ce moment de passer plus de temps à écrire et moins à gérer. C’est pour cela que nous nous sommes rapprochés de nos amis de BBE²³ qui ont géré la précommande de Donjon & Cie. Ils ont proposé de nous aider, pour nous libérer du temps de créa. Et c’est formidable car ces dernières années, j’avais ressenti un manque. Après, l’écriture reste une maîtresse difficile et changeante. Des fois tu es sec. Je peux rester des semaines sans produire une ligne utile et puis, soudain, sortir un scénario complet en une soirée. Personnellement, je me trouve peu productif. J’ai genre 15 projets esquissés, qui seraient tous, je le pense, des jeux sympas que j’aimerais essayer avec mes potes. Et je sais que faute de temps, certains ne seront jamais aboutis. 

Le paysage français du Jdr commence à être bien chargé niveau maisons d’édition. Du coup je suis curieux (surprenant n’est-ce pas ?), et m’interroge sur les rapports entre professionnels… Il y a de la communication entre vous, c’est une grande et belle famille, une famille normale (avec l’oncle un peu con, la cousine bavarde et le papy pontifiant qu’on écoute par politesse), ça se règle à coup de couteaux dans les allées sombres une fois la nuit venue ?

Avec LG, on a toujours eu une réputation de Bisounours, on se bagarre avec personne. C’est un peu vrai (même si on sait défendre notre pré carré, hein). Donc, comme avec nos auteurs, on n’a jamais eu de gros clash. A vrai dire, lorsque nous avons commencé, nous avons eu un bon accueil, certains éditeurs nous ont aidé, sans contrepartie, et nous leur en sommes extrêmement reconnaissants. Après, en ce qui me concerne, je connais assez peu le milieu, je suis plutôt discret. Donc pas de réunions secrètes de domination mondiale ! Je connais très bien certains éditeurs avec qui le contact est récurrent, et pas du tout certains autres. Idem avec les auteurs. Au fil du temps, on croise quand même plein de gens, notamment sur les grosses conventions, et des liens se nouent. Il y a des auteurs avec qui j’aimerais vraiment bosser, des éditeurs dont j’admire le boulot. Tu vois Pavillon Noir²⁴, tu te dis “mais quel boulot de dingue !”. Tu vois L’empire des Cerisiers²⁵ et tu te dis, wouha, qu’est-ce que c’est bien ! 

Un p’tit dernier avant qu’on ne discute de qui va localiser Deadland²⁶ ?

Si tu avais une recommandation (ou trente) à faire à quelqu’un qui veut éditer son jeu ou au moins essayer de s’insérer dans ce milieu, ça serait quoi ?

Surtout de ne pas rester dans son microcosme, de sortir du cercle d’amis pour faire goûter son univers, son jeu à d’autres. En convention, en club… Voir si le truc prend. Présenter son jeu à de nouveaux joueurs, c’est un exercice en soi, et il est très utile : qu’est-ce que je mets en avant ? Qu’est-ce qui compte dans mon univers, quelle est la proposition de jeu ? En quoi est-elle unique ? 
Se contraindre à cet exercice, c’est parfois se rendre compte qu’il faut élaguer des choses, que certaines mécaniques sont superflues, belles sur le papier mais peu concluantes en live. 
Tout ça va aider à affiner la proposition. Quand on me propose un projet, j’adore recevoir une note d’intention claire, pas plus de quelques pages mais un truc bien charpenté qui explique la vision de l’auteur, l’enjeu de ce qui va être au cœur du jeu.

Quand j’étais prof de guitare, j’avais l’intime conviction que je n’exercerais pas ce métier toute ma vie, même si d’un point de vue extérieur, j’étais à ma place et vivais (vivotais) de ma passion.
De l’intérieur, de nombreuses choses me pesaient, comme le fait par exemple que la dite passion touchait plus à la musique en elle-même qu’à l’enseignement… Pour toi, ça se passe comment dans ton boulot d’éditeur, tu as des regrets, des envies, le sentiment d’avoir trouvé ta place ?

Mmmm… C’est intéressant ça, parce que je suis en pleine réflexion en ce moment. Est-ce que ce qu’on a fait a compté ? Est-ce que ça valait le coup de s’y être autant investi ? Je ne sais pas. Aujourd’hui, il y a une offre pléthorique. Être joueur de rôle aujourd’hui, c’est vraiment avoir l’embarras du choix, que tu aimes les mécaniques simples ou complexes, que tu aimes les univers très touffus ou au contraire si tu privilégies un univers émergent qui se dessine peu à peu en fonction du choix des joueurs… Tu as tout ça. Des produits d’initiation super bien faits, des grosses gammes et des jeux courts… Bref, il y a plein de choses.
Et je me demande parfois si j’ai encore des choses à apporter, qui vaillent la peine qu’on passe parfois deux ou trois ans en développement. Imposer un nouveau jeu, c’est très difficile.
Les gens ont des valeurs refuges, tu n’as quasiment plus aucune gamme existante dans les années 80 ou 90 qui n’ait pas été rebooté. Alors est-ce que ça vaut le coup de continuer à se battre sur de la créa ? J’aurais affirmé oui sans hésiter il y a quelques années, mais aujourd’hui, je ne sais plus. Je prends toujours autant de plaisir à imaginer un univers, c’est vraiment ce que je préfère et je continuerai, c’est certain. Mais tout le reste, le développement pour rendre cela jouable, le long chemin de l’édition. J’ai des doutes, clairement. Je n’ai pas de réponse définitive. Je suis très fier de ce que nous avons fait avec John Doe. On a eu des retours si chaleureux que ça payait toutes les galères, tous les écueils. Mais j’ai parfois l’envie de ne développer que pour ma table de jeu, sans penser à un produit fini. Tout cela est en cours de mûrissement. 
Des regrets, on en a forcément après 15 ans de boulot : n’avoir pas su défendre tel ou tel jeu qui l’aurait mérité, s’être interdit des choses qu’on aurait pu faire, des erreurs factuelles aussi, qu’on assume car au moment où on les a faites, on manquait peut-être d’expérience, de recul… Tout ça fait grandir. 

Question bonus : tu as un teaser à nous faire à propos de la v2 de Exil (comme ça, l’air de pas y toucher) ?

Je vais finir par croire qu’il est attendu ! Que dire ? L’essentiel des efforts portent sur l’accessibilité du jeu. La v1 est un gros pavé sans orientation claire de ce qu’on est amené à jouer. L’idée, c’était “faites ce vous voulez de l’univers, il est à vous”. Mais on peut très bien garder le détail et offrir une perspective claire, que le meneur pourra prendre telle quelle pour aller vite, ou ignorer s’il le souhaite. Donc, il y aura cela, une prise en main rapide avec de nombreuses aides de jeu pour faciliter la vie du MJ. Si on y arrive, naturellement 😉

Question piège : Stars Without Number²⁷, ça en est où ?

Ça ne sortira pas. Le projet a été abandonné. LG avait commencé une traduction puis est parti sur autre chose (Oltréé²⁸ à l’époque je pense), le temps a passé et nous avons décidé de ne pas poursuivre sur la VF. Désolé…

😭😭😭😭😭😭😭😭😭😭😭😭

Nos courageux agents du C.A.L.E.C.O.N.S vont-ils réussir à juguler la propagation du S.Y.Q.S au sein des couches de la population refusant de se protéger ?
Le S.S.L.I.P est-il en train d’ourdir de nouveaux complots visant à propager le virus ?
Autant de questions auxquelles seul l’avenir sera à même d’apporter des réponses.
Mais dans l’attente, gardons espoir, car nos défenseurs sont sur la brèche et ne ménagent pas leurs efforts, même si l’ampleur de la tâche peut parfois leur paraître décourageante.
Soutenons-les, encourageons-les, car s’ils venaient à flancher, l’exil pourrait finir par s’avérer indispensable et immanquablement, il ne serait pas possible pour tous.
D’innombrables étoiles seraient amenées à s’éteindre si cela devait advenir, aussi l’esprit de la meute doit prévaloir et c’est seulement en maintenant cette volonté de cohésion que nous pourrons triompher des obstacles…
Jusqu’à la frontière finale…
Ensemble contre la barbarie
Vers l’infini et au-delà.

Propos d’Emmanuel Gharbi recueillis par David Barthélémy

Notes et références :

¹ LG (Le Grümph)
² Yno
³ John Doe
Exil
Final Frontier
Antoine Bauza
Donjon & Cie
Meute
Ubik (aujourd’hui Edge Entertainment suite à une fusion)
¹⁰ Patient 13
¹¹ Pierrick May
¹² Ballon-Taxi
¹³ Julien Heylbroeck
¹⁴ Warsaw
¹⁵ Eleusis
¹⁶ Hellywood
¹⁷ D&D
¹⁸ L’appel de Cthulhu
¹⁹ Star Wars
²⁰ Tenga
²¹ Notre Tombeau
²² Icons
²³ Black Book Editions
²⁴ Pavillon Noir
²⁵ L’empire des cerisiers
²⁶ Deadland
²⁷ Stars Without Number
²⁸ Oltrée !

Dossier

Dossier Grümph part 2 : Interro Surprise


John Grümph en 2017 lors des journées d’étude Jeu de Rôle à la Sorbonne

Le petit monde du jeu de rôle français s’élargit de plus en plus depuis quelques années et c’est très positif comme témoignage de la relance de ce loisir. Nous avons d’un côté les « survivants » de la grande époque et de l’autre les « petits » nouveaux qui investissent la place avec de nouvelles créations … comme bien souvent, ce qui m’intéresse le plus est l’entre-deux, à savoir ceux qui en pleine déconfiture n’ont rien lâché et participé contre vents et marées au renouveau que nous connaissons aujourd’hui.
Lorsqu’au tout début des années 2000, Magic1 décimait les rangs des rôlistes aussi bien que la dysenterie le fit des philistins en leur temps, certains irréductibles se dressèrent pour faire face à l’ennemi et affirmer qu’il y avait encore de la vie dans ce petit bout de culture à l’agonie qu’était le jeu de rôle.
Parmi eux, l’homme qui nous intéresse aujourd’hui, à savoir : John Grümph2
Que ce fut avec le collectif Ballon Taxi3, les éditions John Doe4 ou encore la collection Chibi5, le personnage n’a eu de cesse que de fournir des heures et des heures d’évasion à des individus somme toute assez louches : les rôlistes. Pourtant, en dépit de tout cela et malgré un rythme de production à faire pâlir Henry Ford6, je ne peux que faire le triste constat que justice n’est pas rendue à ce travail de Titan (& fils … joke inside) dans les colonnes des différents organes de presse privilégiant bien souvent les mastodontes anglo-saxons, plus porteurs commercialement parlant.
Hé bien Mesdames et Messieurs, je ne suis pas d’accord et vous propose, afin de corriger ceci à la hauteur de mes petits moyens, un entretien avec cet auteur au cours duquel nous évoquerons son travail, sa conception du jdr, la vie, l’univers et le reste.

Bonjour à toi John Grümph (mes petits doigts tremblotent sur le clavier … non non je ne suis pas fan du tout) et merci d’avoir accepté de répondre à mes quelques questions.
Comme je le disais plus haut, ça commence à faire un petit moment que tu es dans le paysage rôliste français… qu’est-ce qui t’as décidé à t’y investir, au-delà du simple loisir, de surcroît à un moment où ça ne paraissait pas forcément très porteur ?

Bonjour m’sieur. Pour commencer, le plus simple c’est juste de dire que j’ai commencé à jouer en 1983, grâce au grand-frère d’un copain. J’avais d’autres envies de carrière – musicien, animateur de l’éducation populaire – mais aussi bien le caractère du bonhomme que ses capacités réelles ou l’état du marché de l’emploi l’en ont détourné. Du coup, pour ne pas rester à rien faire et avec une illusion de soi-même qui aurait pu être dramatique, je me suis mis dans l’idée de dessiner et de proposer mes créations à des éditeurs. Forcément, ça ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais grâce à la triple circonstance de bénéficier d’un RMI pour vivre, d’être en couple avec une femme compréhensive et encourageante et d’avoir fait la rencontre de quelques belles personnes, j’ai fini par décrocher un premier contrat (Chamourai, avec Tarek et Darwin7). En vérité, ça m’a pris trois ans à apprendre sur le tas en bossant tous les jours (en grande partie pour ne pas décevoir ma moitié en me transformant en couch potatoe et puis aussi parce que c’est devenu de plus en plus facile de se mettre au boulot le matin).

Chamouraï tome 2

Le métier d’auteur de bandes-dessinées étant ce qu’il est et les éditeurs étant, en majorité, des crevards, c’était assez compliqué d’en vivre malgré tout – ou comment produire deux albums complets sans jamais être parvenu à se faire payer.
Dans le même temps, je jouais beaucoup – genre cinq ou six parties par semaine (en présentiel bien sûr) – et je produisais du texte et des univers-maison pour ma consommation personnelle. Fin 2003, l’arrivée de l’ADSL (et de l’internet 24/7) dans mon coin paumé m’a permis de rencontrer Emmanuel Gharbi8 via les mails et les forums. Il bossait sur Exil9 et le proposait en libre téléchargement. Une équipe s’est constituée autour de lui pour essayer de transformer son jeu amateur (on est en pleine période CDJRA10) en quelque chose de professionnel. On fonde Ballon-Taxi (avec Antoine Bauza11 et Pierrick May12, qu’on retrouvera plus tard, et d’autres personnes) et un an et demi plus tard, on sort Exil chez Edge13. C’est à peu près à ce moment-là que j’ai décidé que les éditeurs de BD étaient définitivement des crétins et que je n’avais pas spécialement besoin d’eux. Avec Manu, on se lance dans la création de John Doe avec l’idée de sortir les bouquins qui nous plaisent sans devoir attendre le bon vouloir de quiconque.
Proposer un bouquin à un éditeur, c’est trois mois de taf minimum juste pour lui présenter le projet. Quelques semaines à quelques mois d’attente. Et une réponse négative neuf fois sur dix, au mieux. Quand c’est positif, c’est juste décrocher un rendez-vous, pas un contrat.
En faisant les choses soi-même, on se décide très vite si un bouquin va sortir ou pas. Et on le sort. Sans perdre de temps. Et on se paye dessus si tout va bien.
C’est ce qu’on a cherché à faire avec John Doe, avec des succès variés. Mais la motivation, c’était vraiment de faire (enfin) le boulot que je m’étais choisi (auteur-illustrateur), dans un domaine qui me plaisait infiniment (le jeu de rôle) et avec des conditions correctes (en indépendant). Une fois lancé, le principe c’est seulement de mettre un pas devant l’autre et de recommencer, bouquin après bouquin.

Bon, faire vivre le jdr n’est pas chose aisée, s’en nourrir encore moins. Comment as-tu géré les choses au fil du temps, de Ballon Taxi à nos jours ?

Le collectif Ballon Taxi

Clairement, les revenus ont été longs à se mettre en place. Mais je le savais en commençant. Il faut dix ans après son premier contrat pour plus ou moins vivre de ce boulot – j’avais été prévenu par des professionnels.
Il y a eu plusieurs phases. D’abord, tant que mes gamins étaient petits, on considérait à la maison que j’étais seulement auteur à mi-temps. J’ai fait la nounou et l’homme au foyer pendant une dizaine d’années tout en produisant des bouquins pour JD ou en bossant comme traducteur pour d’autres éditeurs (Sans-Détour14, Edge, la Bibliothèque interdite15). Les rentrées étaient irrégulières, mais ma femme est professeur en lycée et donc elle a toujours assuré la chasse au mamouth pendant que je m’occupais de la grotte et des lémuriens qui l’habitaient. Les choses ont changé quand les petits sont devenus plus grands et qu’ils n’avaient plus besoin d’une nounou, mais de tas de trucs utiles pour des primates en phase de prise d’indépendance. C’est à ce moment-là que j’ai créé Chibi en 2015, dans l’espoir d’assurer des revenus plus importants et plus réguliers. Et j’ai eu la chance que ça marche.
Du coup, je ne me plains pas. Partant du RMI (genre 300 balles par mois), j’ai toujours augmenté mon salaire jusqu’à atteindre les 1000 balles aujourd’hui. C’est sans doute pas bézef, mais
1/ je n’ai pas besoin de vider des poulets pour ça et
2/ j’ai un métier que j’adore et qui me comble et tout le temps dont j’ai besoin pour faire les choses comme je veux.
Et, franchement, vu mon niveau graphique, je ne pourrais pas espérer travailler comme art designer pour une grosse boite avec un gros salaire, donc ça me convient parfaitement.

Tu es auteur, illustrateur, traducteur, maquettiste, éditeur avec John Doe et indépendant avec ta collection Chibi. Un véritable Swiss Army Man16 (mais bien vivant) de l’édition …
Tu t’es formé sur le tas ? Et ça c’est fait comme ça ou c’est issu d’une réelle volonté d’indépendance de ta part ?

Je suis entièrement autodidacte – avec l’aide précieuse de plein de gens qui m’ont conseillé, montré des trucs, donné ma chance et ainsi de suite… Tout s’est fait selon les opportunités et les nécessités. Quand j’ai besoin d’apprendre un truc, j’essaie de trouver le temps pour ça. Ensuite, c’est des heures et des heures à pratiquer jusqu’à trouver des méthodes qui fonctionnent. J’ai appris le dessin comme ça (et je continue à l’apprendre en regardant des profs sur youtube), j’ai appris à écrire en soumettant mes textes à la critique et en discutant avec d’autres auteurs. La traduction, au début, c’était seulement pour mon usage personnel, jusqu’à atteindre une certaine fluidité (mais, là encore, je ne suis pas au niveau d’un vrai pro qui a fait des études dans le domaine et qui maîtrise infiniment mieux toutes les subtilités du travail).
Je présume que tout provient des besoins. Je n’ai pas les moyens de faire faire les choses par d’autres. Donc j’apprends à faire moi-même. Au début, c’est pas terrible. Et puis on se met à tricher et à simplifier. Je ne peux prétendre à la maîtrise dans aucun des domaines nécessaires au métier que j’exerce – je fais au mieux, mais je profite surtout de pouvoir intégrer tout ça dans une même chaîne de production, en réfléchissant à toutes les étapes à la fois tout au long du processus de création et de développement. Et puis, surtout, ça me donne la possibilité de lancer n’importe quel projet perso en sachant ce que je peux espérer atteindre comme résultat et ce que je ne saurai pas faire.

Quand j’étais en formation de musicien professionnel, l’ un de mes profs un jour, nous a dit que tout artiste renfermait en lui une part de mégalomanie, ne serait-ce que par le fait d’estimer que sa vision méritait d’être exprimée devant le plus grand nombre … c’est certes un peu réducteur, mais l’image m’a marquée durablement. Les rôlistes sont (d’expérience) souvent bien pourvus en la matière, mais de ton travail se dégage, à mon sens, une forme de modestie que j’ai bien du mal à m’expliquer. Comment tu fais ça ? Et surtout, suis-je totalement à côté de la plaque dans mon ressenti ?

Par principe, je fais les choses d’abord pour moi. Je ne cherche à prouver à personne que je suis le meilleur ou que mes idées sont les seules qui vaillent. J’ai un gros ego, je pense, mais je ne ressens pas le besoin d’aboyer pour le prouver au monde.
Fac et Spera : fais et espère.
J’en ai fait ma devise. Je fais les choses d’abord pour moi et j’ai la chance immense de trouver un accueil et un écho chez plein de gens qui suivent mon boulot. J’essaie aujourd’hui d’être au service de la clientèle et de leur proposer le meilleur possible, mais je continue quand même à bosser d’abord pour mon plaisir, les besoins de ma table, mes envies de jeu et ainsi de suite. C’est aussi pour ça que je produis peu de suite à mes bouquins – je vais au bout de ce que j’ai à dire et de ce dont j’ai besoin, puis je passe à autre chose qui me fait envie.
Je ne sais pas si c’est tellement modeste comme approche, en fait. C’est juste que je ne m’embête pas tellement avec ce qu’on peut penser de moi – sauf des rares personnes qui comptent vraiment. Je suis plus intéressé par ce qu’on peut dire de mon boulot. Quand j’ai commencé de manière professionnelle dans le JdR, j’avais déjà fait toutes mes expériences de désillusion et d’échec – et de leur non-importance pour continuer à avancer. J’imagine qu’en vieillissant, on s’attache de moins en moins à ces choses.
D’un autre côté, intérieurement, ce qui m’intéresse, c’est de faire “oeuvre” – de produire plein de bouquins, de développer des trucs, de laisser quelque chose. J’espère que quelques-uns passeront à la postérité, mais ce n’est pas à moi de dire – je peux très bien être le Sainte-Beuve de ma génération. Pas grave – je ne serai plus là pour m’en désoler. Et en attendant, j’ai juste à faire du mieux que je peux (et surtout du bon boulot – merci Laurent). Fac et Spera.

En parcourant tes jeux, notamment depuis Les Mille Marches17, j’ai l’impression que tu t’es lancé dans une sorte de quête du système de jeu « ultime », ou du moins de ton système de jeu « ultime », remettant sur l’ouvrage des mécaniques d’un jeu à l’autre et les affinant ou les poussant de côté au fil du temps.
En ce sens, Oltree !18 (que j’apprécie tout particulièrement) m’a toujours semblé faire office de phylactère contenant une grande part de tes réflexions ludico-narratives (bouhou, nan mais sortez-le avec ses grands mots) … il y a de ça ou bien ?

Oltree ! un jeu qu’il est bien, un jeu qu’il est beau !

J’écris les jeux et je développe les mécaniques dont j’ai besoin pour ma table. C’est moins vrai pour les traductions, qui sont toujours des coups de cœur mais qui ne proviennent que rarement d’une nécessité. L’essentiel des jeux que j’ai écrits l’ont été pour ma table de jeu, selon mes besoins ou les envies de mes joueuses. Généralement, je me pose des questions sur la manière dont je mène, sur les outils dont j’ai besoin, sur les mécaniques de gamedesign qui seraient utiles pour améliorer l’expérience ou pour amener les joueuses à jouer de telle ou telle manière. Toutefois, j’essaie de ne pas passer mon temps à réinventer l’eau froide.
Quand un outil semble fonctionner, je l’utilise et je le réemploie à chaque fois que j’ai besoin, ajoutant de nouveaux outils à ma panoplie, les affinant aussi. Parfois, il y a des outils mécaniques qui finissent par ne plus être que des conseils – des principes de jeu à garder dans un coin de l’esprit mais qu’on peut gérer de manière plus informelle.
Là, j’ai passé pas mal de temps à réfléchir aux mécaniques de l’improvisation, au player’s skill, à la manière dont l’esprit de la maîtresse de jeu fonctionne quand elle invente ou rebondit sur les inventions des joueuses. Je commence à avoir quelques pistes que je transforme en principes ou en mécaniques.
Plus tard, quand ça sera digéré, je passerai sans doute à autre chose, mais ça sera toujours là quelque part. Je présume que c’est ça qui donne une impression de continuité dans mon travail. Il n’est jamais détaché de ma pratique, y compris quand je me foire.
Ensuite, et c’est peut-être un souci, j’ai aussi toujours peur de me répéter et de remplir mes bouquins avec des évidences déjà rabachées. Il y a des choses qu’on va trouver dans d’anciens bouquins mais pas dans les nouveaux alors que ce sont des choses que j’emploie en permanence à ma table, quel que soit le jeu. Je dois penser que c’est intégré par mes lecteurs et qu’il n’y a pas forcément besoin d’y revenir…

Au moment de se lancer sur un nouveau jeu, tu pars le plus souvent sur un concept bien particulier, des illustrations évocatrices ou des points de règles que tu souhaiterais mettre en situation ? Et sinon, tu es plutôt du genre à avoir besoin d’une vision globale des choses avant de te lancer, ou risque-tout fonçant au gré des idées pour voir où ça le porte ?

Il n’y a pas de méthode particulière. Certains jeux naissent en quelques heures ou jours – le matin pour le soir presque si j’ai une ouverture pour faire jouer ; d’autres ont nécessité des mois de boulot et de tests.
Les idées peuvent provenir de plein de choses – en fait, la plupart du temps, je ne sais même pas trop comment ça peut naître : après une sieste, en montant l’escalier pour aller me coucher, en voiture, en discutant avec les potes, en reposant un bouquin… Des fois c’est un thème, d’autres fois une mécanique – presque jamais des images ou des illustrations, sauf peut-être des plans et des cartes.
Ensuite, j’ai un processus d’élaboration et de maturation assez particulier : je bosse sur un projet donné pendant quelques jours parce que ça m’amuse ; parfois il avance bien, des fois non ; et puis je passe à autre chose, qui avance à son tour, avant de laisser sa place à un autre projet – j’en ai toujours une quinzaine d’ouverts sur mon bureau. De temps en temps, un projet arrive suffisamment à maturation pour que je sente qu’un dernier coup de rein peut le faire aboutir. Là, je vise la parution et je boucle aussi vite que possible, en rentrant dans une sorte de zone exclusive assez intense.
C’est, en fait, ce qui explique la productivité. Je ne bosse pas sur un truc mais sur dix et je laisse l’inspiration faire son boulot. C’est seulement que je bosse tous les jours et que je peux passer d’un truc à un autre, des fois dans la même journée.
C’est parfois compliqué quand je bosse en collaboration, pour le coup, parce qu’il m’est difficile de livrer quand je suis sur autre chose, que je n’ai pas d’inspiration ou d’idées pour le projet en collab, que mon cycle de travail m’a emmené vers d’autres projets, que j’ai l’esprit ailleurs ou que je suis à fond sur une finition de bouquin. Alors bon, maintenant j’essaie de ne plus faire faux bond en ne disant plus oui aux projets extérieurs (ou le moins possible), histoire de ne plus me fâcher avec personne.
Dernièrement, avec la nécessité du gratuit mensuel pour le patreon, j’ai commencé à aborder les choses avec un peu plus de discipline qu’avant. Il y a désormais au moins un truc que je dois absolument boucler chaque mois.

Ça ressemble à quoi une journée de travail du Grümph ?

Levé entre 6h et 9h la plupart du temps, selon l’état du sommeil ou l’heure du réveil de ma femme. Un peu de glandouillage devant les mails, les forums, discord, youtube, en prenant le tidéj et puis boulot jusqu’à l’heure de se mettre au lit entre minuit et deux heures du mat. Entre les deux, j’ai du temps pour les courses, ma part des tâches ménagères, la cuisine quand c’est mon tour, une petite sieste (toujours), pour jouer de la musique, faire des trucs avec la famille et jouer avec les copains.

Hé bien oui, tout le monde doit faire le ménage !

C’est un peu fonction des jours.
Mais dans l’ensemble, j’ai entre 6 et 12 heures de bon boulot tous les jours, sept jours sur sept, sans vraiment de vacances (les gens autour de moi ont des vacances, mais je continue toujours à passer du temps à écrire, à concevoir, etc. ne serait-ce qu’avec un carnet ou un cahier – ou alors serait-ce que je suis toujours en vacances ?). Tout ça, ça occupe une vie, tranquillement et sans stress.

Et d’ailleurs, en toute indiscrétion, tu bosses sur quoi en ce moment ?

Plein de choses. Le temps que l’article paraisse, je serais sur d’autres trucs encore et une partie de ce sur quoi je bosse aujourd’hui sera peut-être sortie. Mais j’ai largement de quoi m’occuper.

Quelques bruits de couloir trainent concernant une V2 de Oltree, ainsi qu’un jeu de plateau du même nom.
A moins qu’une certaine top secrétitude ne soit de rigueur, mon petit doigt m’a dit qu’une V2 du Exil d’Emmanuel Gharbi reposant sur certaines mécaniques abordées dans N.YX19 pourrait bien être sur le feu du côté de John Doe … Tu en es ?

Le magnifique écran de la V1 de Exil

Oltréé² est dans les tuyaux depuis plus d’un an. Les divers confinements ont arrêté les tests en plein vol et il est très difficile de jouer en distanciel, avec les cartes et les accessoires. Mais c’est très avancé. Je reprendrai quand j’aurai l’envie et la possibilité de jouer.
Antoine Bauza sort effectivement un jeu de plateau Oltréé, chez Studio H20, illustré par Vincent Dutrait21. ça envoie du bois grave ! Le jeu est magnifique, les mécaniques au top. C’est du coopératif, avec plein d’histoires à jouer et une ambiance fidèle au JdR.
Pour Exil2, je ne sais pas ce qu’il en est du secret autour du projet. On vient juste de lancer des tests de trucs avec la Dream Team et effectivement, le système de N.Y.X a l’air de trouver un écho favorable autour de la table. Dans tous les cas, ça va être très bien…

Et puisqu’on est sur les V2, c’est quoi l’intérêt et les difficultés quand on reprend un jeu qu’on connaît bien pour en proposer une relecture ?

Une V2 c’est l’occasion d’affiner des points, de virer des scories, de lisser l’écriture en profitant d’années d’expérience en tant qu’auteur – et de relire un jeu comme si on ne l’avait jamais écrit soi-même. On ne fait plus les choses de la même manière. On n’attache plus la même importance aux mêmes choses. Certaines deviennent secondaires, d’autres gagnent en force. On ne tient plus le même discours non plus. C’est assez intéressant de se relire (avec horreur) et de tenter d’être plus fin, plus subtil.

Si tu avais un conseil à donner à un jeune auteur qui veut se lancer, le genre de truc que tu aurais aimé qu’on te donne à tes débuts, ça serait quoi ?

Alors, attention aux TMS. Une bonne position de travail, c’est juste le truc le plus important qui soit. Sinon, c’est lumbago, sciatiques, tendinites, et tout ce qu’on veut comme douleurs dans tous les sens. Et pourtant, si on a le bon poste de travail, on peut s’éviter tout ça. Donc surtout, surtout, ne bossez pas sur une table à la con avec la première chaise venue. Travaillez l’ergonomie de votre espace et réévaluez-le aussi souvent que nécessaire.
Et épousez un.e fonctionnaire.

Je le disais dans l’introduction, mais tu es plus que discret dans les différents médias rôlistes, c’est un choix, une malédiction ?

Je ne sais pas. Je ne suis pas un communicant. D’une part, je n’ai pas le temps et le goût pour ça. ça m’emmerde de devoir me vendre. Je trouve ça limite indigne. Mon boulot c’est de créer et d’inventer, pas de convaincre le monde que je suis un génie. D’autre part, j’estime, à tort sans doute, que c’est le boulot des journalistes que d’aller chercher les infos, pas juste d’attendre des communiqués de presse.
D’un autre côté, c’est pas comme si la presse rôliste existait pour de vrai. Il y a des revues et des sites, mais les gens qui y écrivent n’ont pas le temps pour tout lire, tout critiquer, tout citer – c’est bien normal. Et qu’ils lisent et critiquent en priorité les trucs qui leur plaisent, c’est normal aussi. Du coup, je suis assez détaché de ça. Je suis content des articles et des critiques sur mes jeux, je réponds aux questions qu’on me pose, j’aime bien participer aux tables rondes et aux conférences, mais je ne cours pas après. Je préfère prouver mon existence par mes jeux que par ma gueule sur Youtube
De toute manière, c’est la malédiction des auteurs. On a entre 1 et 3% de retours sur ce qu’on publie, gratuitement ou non. Les gens suivent, lisent, s’intéressent, mais c’est pas non plus leur boulot que de faire des retours ou de pondre des critiques. Du coup, moi je regarde seulement les chiffres de vente. C’est un bon indicateur. Et puis, pour le reste, il y a quand même les discussions sur Discord ou les forums.

D’un jeu à l’autre, tu peux totalement changer d’approche dans tes illustrations. Si l’on compare Les Cahiers du Vastemonde22 à Aux seuil d’Abysses très anciens23 ou Technoir24, on se rend bien compte des différences.
Je ne suis pas illustrateur (en fait, je suis à peu près incapable de reproduire Peppa Pig sans papier calque), mais en tant que musicien, je vois bien l’effort que ça demande de passer mettons du blues au métal ou au funk, tout en restant convaincant. Tu opères comment tes transitions d’un style à un autre ?

Ouiiii, alors je ne dessine pas très bien… Nan mais ho… il suffit hein !

En fait, je suis terriblement limité techniquement. Je fais bien comme je peux. J’essaie seulement de coller à l’esprit du jeu en essayant de trouver des solutions graphiques que je peux tenir. Un vrai musicien, c’est quelqu’un qui peut tout jouer – pour ça, il faut à la fois des compétences techniques monstrueuses et d’autre part un feeling et une ouverture d’esprit incroyable (genre Thomas Gansch25, le trompettiste). Un vrai illustrateur, c’est pareil, il peut tout faire – genre Moebius26 ou Uderzo27. Moi je fais ce que je peux. Je cherche beaucoup pour trouver les approches intéressantes. J’ai juste quelques tours dans mon sac – savoir bien composer une image, un encrage pas trop foireux et puis remplacer le talent par le remplissage avec des tas de détails qui font trop genre. C’est le principe d’un bon prestidigitateur : regardez ici et vous ne verrez pas l’illusion.

Une petite dernière pour la route ?
Qu’est-ce que tu penses du marché du JDR en France ? Il y a plein de « nouveaux » auteurs qui arrivent, dont pas mal qui s’inscrivent dans une démarche similaire à la tienne en terme d’indépendance (je pense à des gens comme James Tornade28, Anthony Combrexelle29, Vivien Féasson30 ou encore Romaric Briand31)… Tu suis un peu le travail de certains ou pas le temps ?
Tu penses que c’est ça l’avenir du Jdr (au moins chez nous) ?

Non, l’indépendance n’est pas sale… Vous pourriez même y trouver quelques jolies pépites

Même à l’époque où le JdR était mort, personne n’avait réclamé le corps et tout le monde continuait comme si de rien n’était. C’était l’époque bénie de la CDJRA ou de la Cour d’Obéron32. Mine de rien, pas mal d’auteurs (ou même d’éditeurs actuels) viennent de cette scène-là – y compris des “nouveaux” que tu cites et qui sont quand même dans le coin depuis longtemps, comme Yno ou Romaric.
Dans tous les cas, la scène française a toujours été bouillonnante. Ce n’est pas récent. Dans les années 90, j’appartenais à un club où chacun avait son ou ses petits mondes maison, avec un système commun au club, etc.
Et pas loin, on avait Finrod33 qui éditait son fanzine Arkenstone. C’était déjà bouillonnant, mais dans notre coin, parce que les canaux de diffusion n’existaient pas tellement.
Avec la CDJRA, ça partait dans tous les sens.
Ensuite, pas mal de gens ont maintenu cette activité – en écrivant des jeux, en podcastant, en bossant pour des éditeurs installés – tout le monde n’a pas le goût de l’indépendance et c’est très bien aussi. Et des nouveaux n’ont jamais arrêté de se mêler de ça non plus, en amenant de nouvelles choses. Moi je suis juste content de durer un peu au sein de cette scène, de ne pas devenir trop vite dépassé et vieux-jeu.
D’une manière générale, j’essaie de rester au taquet avec les sorties et la production. Je ne lis pas tout, mais je reste informé et puis pas mal d’auteurs sont des potes ou au moins des relations – Johan Scipion34, Romaric, Melville35, Thomas Munier36, Koba37, les Lapins Marteaux38, Mangelune39, etc.
Il y a toute une partie de cette production avec laquelle je suis moins en phase – les storygames, les PbtA, les jeux à drama, et ainsi de suite – parce que c’est pas mon kif de joueuse, mais je les lis et je trouve ça très intéressant, a minima pour évaluer ce que j’aime et ce que je n’aime pas, ce à quoi j’ai envie de jouer ou les domaines dans lesquels j’ai encore des trucs à dire. Je dois certainement rater plein de monde, forcément, notamment plein de trucs qui sortent sur itchio40.
Ceci étant, je teste réellement très peu de choses en dehors de mes productions, sauf les créations des joueuses à ma table (qui vont bientôt arriver) ou quand on organise un one-shot de quelque chose. Mais je suis super content de cette variété, de ces recherches, de toute l’énergie qui existe.

Et voilà qui conclura notre entretien. Vous l’aurez compris, être auteur de jdr n’est pas simple et demande de nombreuses concessions en plus d’une passion certaine, mais quand on s’en donne les moyens … quel bonheur.
On notera également qu’une vie existe en dehors des maisons d’édition (c’est d’ailleurs à mon sens là qu’il se passe le plus de choses) et qu’il est important de donner plus de visibilité à celles et ceux qui font le pari de mener leur barque en dehors de ces grands canaux, ne serait-ce que pour qu’ils aient un retour sur leur travail (et parce qu’ avouons-le, un minimum de reconnaissance fait toujours du bien quand on doit se lever le matin pour aller ramer à contre-courant).
Un très grand merci à John Grümph pour ses réponses à mes questions, en dépit d’un emploi du temps bien rempli et pour tous les jeux qu’il continue inlassablement de mettre à la disposition de ce public turbulent (ayant de surcroit souvent la dent dure) que constituent les rôlistes
de France et de Navarre.

Et pour toujours plus de Grümphitude, revenez vite nous voir pour le très imminent « Dossier Grümph part Two »TATATAAAAA !!!

Propos de John Grümph recueillis par David Barthélémy

Notes et Références :

1 : Magic l’Assemblée
2 : John Grümph
3 : Ballon Taxi
4 : John Doe
5 : Chibi
6 : Henry Ford
7 : Chamourai
8 : Emmanuel Gharbi
9 : Exil
10 : CDJRA
11 : Antoine Bauza
12 : Pierrick May
13 : Edge Entertainment (UbIk, la maison d’édition de Exil a fusionné avec Edge en 2008)
14 : Sans-Détour
15 : Bibliothèque Interdite
16 : Swiss Army Man
17 : Les Mille Marches
18 : Oltréé !
19 : N.YX
20 : Studio H
21 : Vincent Dutrait
22 : Les Cahiers du Vastemonde
23 : Au Seuil d’Abysses Très Anciens
24 : Technoir
25 : Thomas Gansch
26 : Moebius
27 : Uderzo
28 : James Tornade
29 : Anthony « Yno » Combrexelle
30 : Vivien Féasson
31 : Romaric Briand
32 : La Cour d’Obéron
33 : Finrod et Fanzine Arkenstone
34 : Johan Scipion … P.S. achetez Sombre … Sombre c’est bon, mangez-en !
35 : Melville
36 : Thomas Munier
37 : Kobayashi
38 : Les Lapins Marteaux
39 : Mangelune : Vivien Féasson
40 : itch.io

Dossier

Dossier Grümph part 1 : Petit Scarabé deviendra grand

Il faut savoir une chose… les monstres existent… Pas forcément ceux qui font peur, avec des cornes, des crocs, des yeux rouges ou tout autre attribut destiné à faire comprendre que l’on va passer un sale moment en leur compagnie, mais ceux qui interpellent.
À l’instar d’un abominable homme des neiges, que l’on désigne parfois sous le sobriquet affectueux de Yéti, nous avons nous aussi dans le jeu de rôle un abominable homme des textes, terreur des portefeuilles de fans et des inconditionnels ne jurant que par le même système de jeu depuis quarante ans (mais pas pour les mêmes raisons)… Le Grümph.

Au-delà d’une pilosité fournie, le Grümph partage avec son collègue tibétain une autre caractéristique : il ne s’expose pas facilement, préférant son terrier d’auteur aux flash des photographes.
Conséquence de tout cela, il (ainsi que son travail) n’est à mon sens pas assez mis en avant dans les différents média rôlistes, qui lui préfèrent les grosses machines (Kraken et autres Dragons) n’ayant pourtant plus besoin d’assoir leur légende.

Hé bien il suffit… À défaut de coincer l’animal en personne pour vous prouver qu’il existe bel et bien, nous ferons comme tout cryptozoologue digne de ce nom et examinerons les traces qu’il laisse derrière lui (hé non, il n’y aura rien de sale, promis)
Je ne vous ferai pas l’affront de vous ressortir le wiki du monsieur, vous n’avez pas besoin de moi pour cliquer sur sa biographie, par contre je vais faire quelques arrêts sur certains de ses jeux (je ne serai pas exhaustif dans le sens où je ne parlerai que de ceux que je possède, ai lus et pour la plupart, fait jouer) afin de dire ce que j’en pense (méthode au combien scientifique s’il en est).

John Grümph au saut du lit… haaa non! Pardon

Comme nous l’avons établi précédemment, ma démarche sera des plus approximative et fortement guidée par mes propres affinités avec les jeux traités. C’est pourquoi nous allons commencer avec non pas un jeu à proprement parler, mais un système générique, bien connu des afficionados de John Doe1 ou des intégrales des XII Singes2.
Ben oui hein, quitte à faire, autant quasi démarrer avec un truc qui va gentiment s’imposer un peu partout. Donc le Dk System3 c’est quoi ?
Il s’agit d’un système de jeu fortement hérité de Donjons et Dragons4, dont il reprend l’essentiel des mécaniques tout en le simplifiant d’une manière ma foi fort bienvenue.
La première version est détaillée dans le livre de base (et seul livre d’ailleurs, bien qu’un écran soit disponible) de Lanfeust de Troy5, par Eric Nieudan6.

Dk² chez John Doe avec une illustration de devinez qui … ?

En 2006, c’est donc en collaboration avec le dit Eric Nieudan que sortira chez John Doe ce petit bouquin qui mine de rien va s’imposer au travers de toute une succession d’univers comme Mahamoth7 (réédition d’un jeu du Grümph chez les XII Singes, la première version pdf tournant sous un dérivé de Barbarians of Lemuria8), Mantel d’Acier9, Plagues10, Mississippi11, B.I.A12, Necropolice13
On prend D&D, on vire tout ce qui est trop tactique/pénible, on ajoute une petite mécanique maison autour des dés Krâsses (des dés bonus qui fournissent des billes aux meneurs pour qu’il puissent ensuite s’en servir contre les PJs), et roule ma poule on arrive sur un truc facilement adaptable, que l’on customisera à grand renfort d’avantages dédiés aux univers abordés.
C’est malin, simple et pratique à défaut d’être vraiment en capacité de coller étroitement à un univers de jeu très spécifique. On notera qu’une foultitude d’adaptations d’univers connus ont été faites pour le Dk (Cadwallon14, ArKipels15, Tsuvadra16 …) et qu’une deuxième version est disponible (sobrement baptisée Dk²).

Faisons ensuite un saut jusqu’à 2011, avec l’arrivée de mon premier chouchou, à savoir Les Mille Marches17. Là, on attaque les choses sérieuses (je vous avais prévenu, je parle en toute subjectivité).

Ce jeu est une création 100% Grümph et va nous proposer d’évoluer dans un multivers très chouette, en partant d’Oröpa, une énorme mégalopole ayant pour centre Bruxelles, englobant une bonne partie de la Belgique et courant jusqu’à Dunkerque. La « cité » comprend des agglomérations, des forêts et toutes sortes de paysages aptes à servir vos aventures. Il existe un nombre infini de versions d’Oröpa, autant que de Marches, les différents pans de ce multivers. Si vous avez lu le cycle d’Ambre de Roger Zelazny18, vous ne serez pas perdus ici.
Pour moi, cet univers dégage une réelle poésie (même s’il peut s’avérer cruel), avec sa cité tentaculaire utopique où toutes les histoires se racontent et se percutent. La magie est bien présente, mais n’exclue pas la technologie (voir l’inclue fortement avec la Mage-Tech), faisant se côtoyer féérie et criminalité, bosquets enchantés et zone d’ombres pour croquemitaines en goguette.
Je ne déflorerai pas plus la cosmogonie du jeu, vous en laissant (ainsi qu’à vos PJs) la surprise, sachez juste que telle une choucroute aux fruits de mer, c’est riche sans être bourratif et que si vous cherchez du dépaysement, vous serez servis.
C’est aussi avec ce jeu que débarquent les MUSAR, pour Mécaniques Universelles de Simulation d’Aventures Romanesques, toute une liste d’outils pour vous aider à gérer simplement certaines situations incontournables des parties de jdr (combats, poursuites, inventions diaboliques, planification d’opérations …). Ce sont à chaque fois des aménagements légers qui permettront de privilégier la narration aux mathématiques durant vos parties, et pour la plupart fort bien vus.
Je suis particulièrement fan de la manière de traiter la planification … avant une scène d’infiltration par exemple, vos PJs feront quelques jets de dés en vue d’activer leurs contacts, chopper du matériel, se renseigner sur l’endroit où ils vont mettre les pieds … le tout sans détailler les infos en questions. Les jets de dés vont permettre de quantifier un pool de points qui seront utilisés au fur et à mesure de la résolution des situations pour surmonter les différents obstacles que le MJ aura mis en place.

Ex : le groupe se retrouve face à une serrure à code électronique pour pénétrer dans le hangar au sein duquel sont entreposées les marchandises qui les intéressent. Les joueurs prélèvent 2 points dans leur réserve et expliquent que 2 semaines avant l’opération, ils ont soudoyé un homme d’entretien travaillant sur place, obtenant le dit code.
C’est simple, élégant et permet de monter des plans à la Ocean’s Eleven19 sans pour autant y passer des heures.

C’est à mon sens à partir de ce jeu que la démarche d’ergonomie dans le Game-design Grümphien devient flagrante, et nous retrouverons plusieurs des mécaniques amenées dans les 1000 Marches au cœur des productions ultérieures, toujours affinées et de plus en plus pertinentes.
Le jeu s’enrichit également d’un supplément (Stormchasers20), proposant un écran de jeu et un livre de 64 pages détaillant de nouveaux éléments de magie, apportant des précisions sur quelques points de règles, ainsi qu’une nouvelle Marche orientée Pulp années 30.
Un recueil de nouvelles intitulé Trois Contes Oropaens21 est aussi disponible dans la collection Chibistouri, écrit par Ireann Delaunay et illustré par le Grümph, vous permettant de vous plonger plus avant dans cette ambiance si particulière.

Mon second jeu fétiche arrive en 2013 avec Oltréé !22
C’est celui-ci qui a finit de me convaincre que quelque chose se tramait véritablement au niveau du Game-design afin de proposer une manière de jouer décomplexée, basée sur l’improvisation et résolument moderne, tout en s’inscrivant pleinement dans la mouvance OSR.

Une magnifique version collector était disponible lors du financement du jeu … Rhaaaa Lovely !

Je vais essayer de faire court, mais ne m’en voulez pas si je digresse, Oltréé ! étant pour moi un véritable jeu de cœur (si je devais n’en conserver que deux sur ma ludothèque, je pense qu’il trônerait fièrement à côté de Rêve de dragons23, au grand dam de tous les autres).
Donc, avec Oltréé ! , LG (diminutif de l’auteur) nous propose sa version d’un jeu d’exploration med-fan d’apparence traditionnel, avec carte à hexagones, anciennes colonies d’un empire renaissant (les satrapies) et bestiaire classique revisité à sa sauce.
Vos joueurs incarneront donc des patrouilleurs au service d’un Empire en pleine reconstruction suite à une terrible guerre contre des forces obscures, patrouilleurs dont la mission sera de renouer le contact avec les anciennes colonies ayant pris leur indépendance (souvent forcée) durant les siècles passés.
Pour la plupart, l’Empire n’est plus qu’un souvenir se manifestant au travers des ruines d’anciens fortins ou la persistance de certaines traditions tombant petit à petit en désuétude.
Là où ce jeu se démarque des autres, c’est par la multitude de mécanismes visant à émuler l’exploration d’une terre redevenue barbare (au sens grec ou romain du terme), qui mettront véritablement l’accent sur l’improvisation et l’aspect Bac-à-sable en fournissant des outils et une approche dynamique du jeu, ne nécessitant pas de poncer son scénario pendant des heures avant chaque partie.
Merci pour tous les MJs débordés par la vie de tous les jours, dont je fais partie.
Le principe est donc de fournir un travail en amont du jeu par la création d’une carte à hexagones sur laquelle figureront diverses cités, factions, menaces, ruines … et l’agenda des différentes forces en présence à plus ou moins long terme (à la manière des Fronts de Dungeon World24). Le livre fournit quantité de tables aléatoires (ou non, c’est selon) pour aider à la construction de ce squelette sur lequel viendront se greffer vos patrouilleurs et qui fournira les aventures tant recherchées.

Carte d’Elysia basée sur la satrapie proposée dans le livre de base

Une fois votre travail préparatoire effectué, amis MJs, faites bosser vos joueurs et mettez les pieds sous la table pour découvrir ce qu’ils vont bien pouvoir vous pondre.
En effet, Oltréé ! fonctionne avec un système très malin de cartes d’exploration. Chaque fois que votre patrouille va explorer (ou simplement traverser) un nouvel hexagone, l’un des joueurs va tirer une carte dite de Patrouille, sur laquelle figureront certaines données.
Il peut s’agir d’une menace, d’une opportunité, d’une complication ou pour certaines cartes, d’un laconique « rien à signaler ». En fonction des événements, une liste de mots clés est donnée sur la carte, à partir de laquelle le joueur ayant effectué le tirage lancera un début de scène, posant les bases de l’action à venir … et le MJ reprend la main ensuite pour animer la scène à sa sauce.
C’est très chouette dans l’idée (même si ça ne conviendra pas à toutes les tables de part les aspects participation des joueurs et lâché prise du MJ) et permet aux joueurs de s’approprier le jeu au delà de la simple réaction à une situation donnée, puisqu’ils en seront bien souvent eux-mêmes les instigateurs.
Pour résoudre les actions, vos PJs lanceront trois dés à 8 faces de couleurs différentes afin d’identifier : un dé de maîtrise, un dé de prouesse et un dé d’exaltation, contre un seuil de difficulté.
Seuls deux de ces trois dés seront conservés au final : le dé de prouesse et celui de maîtrise, le dé d’exaltation étant éventuellement destiné à remplacer le score affiché par l’un ou l’autre de ses confrères. Petit twist intéressant sur les jets de dés, le résultat du dé de prouesse permettra de déclencher des effets (mécaniques ou narratifs) parmi une liste, au choix des PJs.
C’est un coup à prendre, mais une fois habitué, cela permet de fort jolies choses quant à l’interprétation des jets.
Le livre comprend également tout l’attirail nécessaire pour faire vivre le fortin des patrouilleurs et le transformer en véritable générateur d’évènements dans vos parties.
Le livre de base est rempli de trouvailles mécaniques visant à fournir une expérience différente de ce que l’on pratique habituellement en jdr et souffre, par là même d’être parfois « trop » riche, chaque aspect traité amenant sa « petite règle ». C’est un travers qui fait que Oltréé ! a du mal à trouver son public en dépit de la souplesse de jeu qu’il accorde. Sachez toutefois que si vous consentez à faire l’effort de le faire votre (en triant notamment les points de règles que vous souhaitez conserver), je pense qu’il saura satisfaire à peu près toutes vos envies ludiques en leur apportant un petit vent de fraicheur non négligeable.
Dernier point et non des moindres.
Devant la quantité de « petites règles » présentes dans le jeu, l’ergonomie devient ici un point important dans la présentation du matériel qui ne quittera plus les productions de LG. Pour preuve, la fiche de patrouilleur de Oltréé ! qui a le bon goût de rappeler le fonctionnement des différents détails du personnage (en gris sous chaque entrée) :

Enfin, on notera qu’un supplément, sobrement baptisé Le Compagnon25 est également disponible et qu’il vous fournira à peu près tous les outils qu’il pouvait manquer (et bien d’autres encore) au livre de base, ainsi que de nouvelles cartes adaptées cette fois à l’exploration de cités médiévales. L’animal fait bien une fois et demi la taille du livre de base et dorénavant si un outil particulier venait à vous faire défaut, c’est vraiment que vous le faites exprès.

Les plus observateurs d’entre vous aurons probablement remarqué de gros trous dans ma chronologie … Je précise, à toutes fins utiles, que je n’évoque ici que les productions 100% Grümphiennes (ou presque) et pas les collaborations, illustrations, mises en page et compagnie, car si je devais me lancer là-dedans, c’est un blog entier qu’il me faudrait consacrer à l’auteur, au risque de passer pour un dangereux maniaque encourant une ordonnance restrictive pour harcèlement.
Oltréé ! sort en juillet 2013 et le tournant dans la carrière de l’auteur arrive en décembre de la même année avec … Chibi26.
Chibi qu’est-ce que c’est ?

Le catalogue Chibi/Chibig chez Lulu

C’est sur cet intolérable suspens que se clôturera la première partie de notre dossier, la collection Chibi méritant à elle seule pleinement un article dédié.
Pour me faire pardonner de vous laisser tout pantelant devant tant de Grümphitude, vous pourrez retrouver ce week-end une interro surprise de notre aimable sujet, dont j’ai fini par remonter la piste et qui, en contrepartie de ma persévérance a consenti à répondre à quelques questions indiscrètes
.
Mais quel odieux procédé que le cliffhangerMOUAHAHAHAHAHAHAHA !!!

Affaire à suivre

Notes et Références :

1 John Doe
2 Les XII Singes
3 Dk System
4 Donjons & Dragons
5 Lanfeust le jeu d’aventures
6 Eric Nieudan
7 Mahamoth
8 Barbarians of Lemuria
9 Mantel d’Acier
10 Plagues
11 Mississippi
12 B.I.A
13 Nécropolice
14 Cadwallon
15 Arkipels
16 Tsuvadra
17 Les Mille Marches
18 Le Cycle d’Ambre de Roger Zelazny
19 Ocean’s Eleven
20 Stormchasers
21 Trois Contes Oropaens
22 Oltréé !
23 Rève de Dragons
24 Dungeon World
25 Le Compagnon
26 Chibi

Et enfin, l’adresse direct vers Le Terrier du Grümph, où vous pourrez poursuivre l’exploration de son travail (tout en attendant impatiemment la suite du présent dossier)

Focus

Focus sur Julien Heylbroeck (article initialement publié sur le blog « Cultures de l’imaginaire »)

Fans de littératures de genre ou de jeu de rôle, amateurs de catch mexicain et de totalitarisme rouge, le tout sur fond d’afro beat des 70’s et avec toujours une pointe d’humour, ce focus est pour vous.

« This is ground control to major Tom »… c’est parti.

1 : Bonjour mon grand, alors dis moi, comment tu t’appelles ?

Julien Heylbroeck. J’ai pas mal sévi sur les forums de jeux de rôles sous le pseudo de Wyatt Scurlock (un mélange de deux légendes de l’Ouest car j’aime bien les westerns). Et il m’est aussi arrivé d’écrire avec les alias : Green Tiburon, Degüellus et Julian C Hellbroke. Voilà, voilà. Je crois que c’est bon, j’ai tout dit sur les noms.

2 : C’est un joli prénom ça…et lorsque tu étais en âge qu’on te pose la question, tu savais ce que tu voudrais faire quand tu serais grand ?

Pas vraiment, mais j’ai toujours aimé l’histoire, alors je pense que ça explique un peu pas mal de choses. Donc du coup, j’ai embrayé sur des études d’histoire, logique. Et puis en cours de route, je me suis dit que j’allais faire coller mes études avec mes engagements politiques donc je suis allé du côté de la socio, j’ai fait un stage dans une asso à thématique sociale pour les besoins de mon mémoire de recherches et j’ai abandonné l’université pour le travail social.

3 : Allé, j’arrête les « Martineries » pour attaquer les choses sérieuses.

La première fois que j’ai croisé ton nom dans des bouquins, c’était en lisant le jeu de rôle WarsaW¹, peu de temps après sa sortie… ce n’était pas une thématique « facile » pour un début (je sais je sais, il y a eu Kuro² avant, mais WarsaW m’a toujours parût plus « personnel ») …en général on démarre par des elfes un peu fachos et des nains bourrus qui s’engueulent avec des paladins non ?

WarsaW aux éditions John Doe

Alors avant même Kuro, il y a eu Humanydyne³, toujours en compagnie de Willy Favre⁴. Et même avant ça, des productions en amateur. WarsaW était effectivement mon premier vrai projet perso, qui a germé pendant un long moment dans ma cervelle. Toujours avec Willy, j’ai pu développer cet univers et John Doe⁵ a permis de le proposer sous une forme idéale. Résultat : j’ai pu travailler sur tout ce que j’aime : un jeu court, qui laisse de la place au MJ, avec un système de règles adapté à la tension de cet univers, sur mes obsessions du moment et avec un rendu graphique somptueux.

4 : On a vu, au titre de tes obsessions, un Staline ressuscité dans WarsaW, après quoi tu as abordé avec Luchadores⁶ le monde coloré de la Lucha Libre, joyeusement mêlé à beaucoup de pulp et une grosse touche de fantastique… il ne manquerait pas un jeu sur les rats et un autre sur Bowie pour faire bonne mesure ?

C’est vrai que j’ai quelques thématiques de référence auxquelles je m’accroche et que j’aime à caser un peu partout. C’est parfois un peu comme un défi. Après je ne force pas si je vois que c’est vraiment incongru. Mais ouais, j’adore caser des rats, c’est une bestiole que j’adore. L’univers de la lucha libre, je suis tombé dedans il y a une dizaine d’années, c’est un monde passionnant et très proche de ce que j’aime dans la culture populaire. Et l’horrible totalitarisme stalinien, c’est assez fascinant, dans le sens presque morbide du terme, une telle emprise sur l’ensemble de la société, à l’échelle d’un continent (voire davantage). 

David Bowie, bon, j’évite d’en parler, sinon, je vais avoir la larme à l’œil et je ne veux pas que tu me vois pleurer, cher lecteur.

5 : Snif, je comprends…passons prudemment à autre chose.

C’est en 2012 au Utopiales de Nantes que j’ai découvert que tu étais passé du jeu de rôle à l’écriture de romans, en me faisant dédicacer « Stoner Road »⁷ (bon collectionneur que je suis), un Road Trip sous acides que j’ai beaucoup apprécié… qu’est ce qui t’as fait basculer dans cet autre pan de l’imaginaire en délaissant le jeu de rôle ?

Stoner Road aux éditions actusf

Le fait de bosser sur l’adaptation en jeu de rôle de l’univers de la Brigade Chimérique⁸ a été déterminant. Je ne peux que remercier Romain d’Huissier⁹ de m’avoir embrigadé (huhu) dans ce projet. J’y ai découvert tout un pan de notre littérature populaire avec des personnages plus grands que nature, des monstres, des voyages spatiaux, des pouvoirs psy, tout un univers décomplexé, inventif, d’une richesse impressionnante. Moi qui avais déjà un peu envie de me lancer dans un récit un peu pulp, ça m’a conforté dans cette voie en nourrissant mon imaginaire comme jamais.

Ça et également le fait d’avoir l’impression d’un cheminement inconscient qui se faisait petit à petit dans ma tête, en me goinfrant de films de série B, de romans de fantastique. A un moment, comme quand tu mets de l’essence, le pistolet de la pompe remonte pour te dire que c’est bon, le plein est fait. Ça a été pareil avec la volonté d’écrire. Je me suis enfin senti prêt d’un coup et ensuite, j’ai écrit une douzaine de romans d’affilé en quelques années. Et puis, un dernier truc : j’avais envie que mes scénarios amoureusement concoctés se passent comme j’aimerais qu’ils se passent. En gros, j’en avais assez de prêter mes jouets à d’autres pour qu’ils s’amusent avec et je voulais en profiter moi !  C’est purement égoïste, en fait.

6 : Sur la liste de tes passions (fort nombreuses au demeurant),on peut ajouter la musique et le gore… Dis moi un peu, comment tout ça alimente ton écriture ? Car quand je te lis, je ne peux m’empêcher de sentir la musique derrière chaque paragraphe (après, je projette surement beaucoup de mes attentes… mais quand même 😅)

C’est vrai que dès que j’aime quelque chose, je farfouille à fond dans le truc, parce que je veux tout savoir ou presque. Alors la musique, c’est simple, je peux difficilement écrire sans. En gros, j’ai toujours une sorte de sélection d’albums pour chaque projet, qui s’affine au fur et à mesure de l’écriture. D’ailleurs, je cite systématiquement ces inspis musicales désormais.

7 : Tu as publié quelques fascicules au Carnoplaste¹⁰, tous plus barrés les uns que les autres et notamment les Green Tiburon, très étroitement liés à Luchadores, de même que « Cartel de sang »¹¹ (qui initie ta série El hijo del Hierofante)…en fait,tu as du sang mexicain qui coule dans tes veines, non ?

Alors effectivement, et c’était pas prémédité. Je veux dire : je ne me sentais pas vraiment attiré par ce pays en particulier avant d’y découvrir la lucha libre et tout le folklore et la culture associées. Désormais, je suis un peu tombé amoureux du Mexique et j’aimerais y aller un jour. Mais je sais bien que j’en ai une vision très formatée par le prisme de mes passions.

8 : Dans « Le dernier Vodianoï »¹¹ (qui chronologiquement serait ton premier roman 🧐), on embarque pour une URSS sous Staline, mélangeant créatures étranges, grandes figures historiques et agence gouvernementale à la Hellboy¹². Au delà de l’aspect littérature de genre, ça sent bon l’amour de l’Histoire et du folklore, alors…une passion de plus ?

Le Dernier Vodianoï aux éditions OVNI

Oui, c’est bien mon tout premier roman, fascicules de Green Tiburon exceptés. Alors, le folklore, pour être honnête, pas vraiment, même si le folklore slave regorge de créatures cheloues, velues et plutôt effrayantes et donc intéressantes. L’histoire, par contre, à fond ! En fait, je n’y connaissais pas grand-chose à l’URSS avant de bosser WarsaW. A l’époque, je me suis documenté et j’ai découvert cette période, que j’évoque brièvement plus haut et là, paf, je me suis dit : c’est, par certains côtés, une espèce d’enfer bureaucratique, anonyme et flippant (attention, je généralise pas sur l’époque, mais disons qu’il y a de quoi piocher pour dépeindre des temps plutôt difficiles à vivre quand même), qui fera un pendant « merveilleux » à un monde féérique bien glauque. Je voulais faire mon labyrinthe de Pan à moi, je suis rien qu’un gros copieur, en fait. Après, quand j’ai commencé à reconnaître tous les gens dans les photos autour de Staline, dans les bouquins, je me suis un peu fait peur et je suis passé au Mexique !!

9 : J’ai surpris sur ta page Facebook plusieurs « teaser » de ton prochain livre à paraître (dont le WIP de la couverture figurant des rats qui m’ont l’air plutôt teigneux… Haha !)… Tu peux nous en dire un peu plus ou c’est top secret ?

Garbage Rampage aux éditions OGMIOS

Alors en fait, c’est une réédition d’un roman édité chez Trash¹³. J’ai voulu écrire une sorte de série B comme on pouvait en trouver dans les vidéoclubs de mon enfance, entre Bad Taste et Hellraiser. Avec ce New York bien craspec des eighties, des rats (ben oui, forcément), des mutations, un duo de flics antagonistes, un clochard qui sait… Du cliché mais en respectant le genre. Du coup, ce roman, c’est comme si vous vous aventurez dans un vidéoclub désaffecté et qu’il reste une pauvre cassette dans un rayon vide et poussiéreux et qu’il y a la petite jaquette cartonnée glissée dans le plastique pour signaler qu’elle est dispo. Normalement, c’est aussi le premier volume d’une espèce de trilogie « Rampage » dont je ne veux pas trop parler pour garder une certaine aura mystérieuse.

10 : Je te soupçonne d’avoir des projets plein les tiroirs pour les années à venir, tu comptes nous surprendre avec de nouvelles thématiques ( de nouveaux supports peut être ) ou creuser plus avant tes univers déjà établis ?

Je me lasse très vite. A mon grand dam, comme on dit. Du coup, des suites, pour moi, c’est compliqué, vu que je pars de suite sur un projet totalement différent. Sauf pour Hierofante, dont j’aimerais proposer le dernier épisode dans pas longtemps. Là, je suis sur un très gros projet SF-médiévalo-craspeco-lovecrafto-futuristo-apocalyptique. Je veux moi aussi écrire un pavé SF dans lequel j’évoque tout plein de thématiques qui me donneront l’air intelligent en dédicaces !

11 : un petit quickie sur l’imaginaire en général :

  • Si tu étais un livre (roman/bd,…) :

C’est pas vraiment un roman mais Hommage à la Catalogne¹⁴ de George Orwell, mon idole (avec David).

  • Si tu devais cosplayer quelqu’un :

Je ne suis pas assez beau pour cosplayer Ziggy Stardust. Trop vieux, trop gras, je serais ridicule. Même si j’aime le look post apo, je crois pour autant que je choisirais The Dude. Ce serait l’occasion de faire sa feignasse en sirotant des white russians et l’idée est séduisante. Et puis c’est physiquement moins exigeant.

  • Si tu étais un jeu (de rôle/vidéo,…) : 

Alors là, forcément, ça fait prétentieux, mais j’aimerais bien être Luchadores car j’aimerais franchement pouvoir y jouer une petite campagne en tant que PJ. Sinon, j’aime beaucoup Miles Christi¹⁵ (vous connaissez pas, gamins ?).

  • Si tu étais une période historique : 

Le Moyen Âge m’a toujours terrifié, les années 30 aussi. Alors je les adore mais j’aimerais pas les « être ». Par contre, les années 70, c’était vraiment spécial : c’est le moment où la musique, les voitures, les films, tout est le plus mieux. Y’a aussi des aspects difficiles à cette époque, c’est sûr mais voilà, je choisis les années 1970. 

  • Si tu étais un univers fantastique : 

Star Wars. J’aime les jawa, l’idée d’aller sur des planètes différentes, l’esprit d’aventure qu’il y a dans chaque plan.

Et pour conclure, selon toi, quelle serait la place de l’imaginaire dans la culture (qu’elle soit populaire ou autre) et comment te positionnes tu dans ce vaste tableau ? (rhaaa, elle est vache celle là hein ?) 

La place de l’imaginaire dans la culture ? Pour moi, elle est plus que prépondérante, elle est la base, en quelque sorte. Comme disait l’autre, à la base de toute création, il y a une négation. Et c’est cette négation qui est comme la mèche de l’imaginaire. Et j’ai construit ma culture autour de piliers de l’imaginaire. Du coup, tout ce qui est littérature blanche, ciné d’auteur rive gauche, tout ça, m’est totalement étranger et ne m’attire guère. 

Ma place dans tout ça, elle est plutôt claire pour moi. Je me vois comme un artisan. Je n’aime pas parler d’écrivain, encore moins d’artiste. Artisan, ça me va, vu que perso, ma démarche est de recycler mes obsessions du moment en les mélangeant pour en tirer des histoires que j’essaie de produire comme les plus efficaces possibles. Je me vois comme un gars qui fait une commode qui sera la plus belle et la plus pratique possible mais moi, je ponce des pages, pas des tiroirs.

Et voilà pour aujourd’hui, n’hésitez pas à jeter un oeil sur les « commodes » de Julien, artisan passionné (qui va jusqu’à utiliser de jolis tampons thématiques pour ses dédicaces) et passionnant des littératures de genre.

Merci à toi pour toutes ces réponses et ton amour des « freaks »…

… … Scary monsters, super creeps

Keeps me running, running scared… …

Propos recueillis par David Barthélémy

Liens utiles :

Biographie et bibliographies :

https://www.moutons-electriques.fr/julien-heylbroeck

http://www.legrog.org/biographies/julien-heylbroeck

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Références :

¹http://www.legrog.org/jeux/warsaw

²http://www.legrog.org/jeux/kuro

³http://www.legrog.org/jeux/humanydyne

http://www.legrog.org/biographies/willy-favre

https://johndoe-rpg.com/

http://www.legrog.org/jeux/luchadores

https://www.editions-actusf.fr/a/julien-heylbroeck/stoner-road

http://www.legrog.org/jeux/brigade-chimerique

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Romain_d%27Huissier

¹⁰https://www.lecarnoplaste.fr/

¹¹https://www.actusf.com/detail-d-un-article/le-dernier-vodianoi

¹²https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Hellboy_(comics)

¹³http://trasheditions.blogspot.com/?m=1

¹⁴https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Hommage_%C3%A0_la_Catalogne

¹⁵http://www.legrog.org/jeux/miles-christi