Avant la sortie

Entretien avec Frédéric BESSY autour de Yuigahama Bad Seeds aux Éditions du Troisième Oeil

C’est toujours avec une certaine émotion que je vois débarquer un nouveau jeu chez LETO1, les propositions étant en général aussi fortes que variées. Que l’on adhère ou non aux jeux en question, on ne pourra certainement pas reprocher à cet éditeur de ne pas prendre de risques en s’aventurant régulièrement là où bien peu osent aller (entre Cobra2, Kabbale3, One %4 ou Against the Dark Master5, mon cœur balance) dans notre petit paysage ludique.

Et ouais, quand on parle de propositions variées, LETO n’est jamais bien loin

Le dernier né, Yuigahama Bad Seeds ne déroge pas à cette règle tacite de surprendre les clients, tant par son univers, que par sa prise en main aux antipodes de AtDM (au hasard), ainsi que par sa méthode de financement.
En effet, le projet est prêt, et alors que la campagne court toujours, les heureux souscripteurs tiennent déjà entre leurs petites mains fébriles (et virtuelles) les pdf du livre de base ainsi que de l’écran de jeu.

Yum yum yum

Après avoir lu la bête (je confesse toutefois n’avoir pas encore finit de lire les scenarios), c’est, comme bien souvent, séduit par ce jeu, que je me suis dit qu’un entretien avec son auteur pourrait être le bienvenu et permettre à celles et ceux dont il serait passé sous le radar, de rejoindre le bateau avant clôture du financement (courant janvier, à priori). Aussi, sans plus attendre et sous vos applaudissements mesdames et messieurs, voici venir Frédéric Bessy, l’heureux papa de YBS.

Bonjour Frédéric, et merci de prendre un peu de ton temps, en dépit du décalage horaire, pour répondre à mes quelques questions.
Décalage horaire me direz-vous ? Hé bien oui, car notre auteur pourrait bien être plus proche du monde qu’il nous dépeint dans son jeu que de la tour Eiffel.
Frédéric, tu pourrais nous en dire un petit peu plus sur toi et la manière dont ton mode de vie a pu influencer ton jeu ?

Merci pour ton invitation !
Je nous imagine dans un petit café, à mi-chemin entre la France et le Japon. Je suis content de pouvoir faire ta rencontre et de parler un peu du jeu.
Ce qui a motivé la création de Yuigahama Bad Seeds dans les premiers temps n’est pas vraiment glamour. C’est un jeu qui est né d’un sentiment de frustration.
Je travaille dans une entreprise de jeux vidéo en tant que graphiste 3D.
Quand j’ai intégré cette entreprise basée à Tsukishima (Tokyo), c’était une boîte faisant de l’originalité de ses concepts de jeu son principal argument de vente.

Tsukishima


Au fil du temps, nous sommes devenus des sous-traitants pour d’autres développeurs. Nous leur apportons notre expertise technique pour mettre en valeur leurs concepts.
C’est une formule qui fonctionne, car l’entreprise perdure, bon an mal an. Mais tout un pan du travail basé sur la créativité est à présent atrophié.
Beaucoup de gens me disent que travailler dans ce type d’entreprise est en soi un accomplissement.
C’est vrai.
Je ne me plains pas ni même regrette les choix qui m’ont conduit à travailler ici.
Par contre, il y a des choses que l’on découvre en interne comme une forme de conformisme, de conservatisme et d’attentisme (les trois « ismes » !) contre lesquels on laisse énormément d’énergie.
En 2020, après avoir proposé une dizaine de projets de jeux (je ne me contente pas du travail de graphiste), je me rends compte que je suis dans une impasse. YBS va naître progressivement de ce sentiment de gâchis.
En dehors du travail, le Japon est une source perpétuelle d’étonnement. J’y retrouve mes yeux d’enfant. Encore aujourd’hui après 15 ans, tout m’y semble étrange ; comme cette structure bétonnée aperçue au loin sur une plage vendéenne qui devenait pour le petit garçon que j’étais un artefact venu d’ailleurs (syndrome de Stendhal, quand tu nous tiens !).

Ton parti pris avec YBS est de nous présenter un Japon moderne réaliste (certes chamboulé par des événements apportant une touche de fantastique), par opposition avec les multiples ambiances que l’on nous vend généralement au travers des mangas et autres animés. Tu en avais marre des images d’Epinal ?

La démarche à ce niveau n’est pas vraiment consciente (du moins au départ).
Le jeu n’est pas bâti contre quelque chose. Disons que je souhaitais baser cette création sur un environnement qui m’est familier.
Les mangas forcent souvent le trait quant aux personnages et aux univers choisis comme matériau de base. Il existe bien sûr une branche de la famille manga qui propose de suivre la vie quotidienne assez banale de l’homme de la rue (je pense à le gourmet solitaire6).
Mais en général les thèmes choisis sont traités avec beaucoup de dynamisme et mettent en scène des personnages très typés (là où le japonais réel est plutôt réservé et silencieux).
Beaucoup de ces mangas et animes se servent de choses qui relèvent du fantasme ; y sont présentés des personnages héroïques incarnant une image flatteuse du Japon.
Le gars qui en prend plein la gueule, et qui est battu à la dernière seconde, mais reste fidèle à ses convictions.
Contrairement aux États-Unis, le Japon n’est pas un bon creuset pour le « happy-end ».
Mais je m’égare.
Ce Japon magnifié des mangas n’est pas celui que je voulais mettre en avant.

Bienvenu au Japon Japon

Le Japon des villes de seconde zone est suffisamment curieux et intriguant pour nous occidentaux, sans qu’il soit nécessaire de recourir à ce que contient la culture anime-manga.
Il suffit de voir les ustensiles de cuisine japonais pour comprendre que l’esprit des habitants est tout différent du nôtre.
L’aventure nous attend là, dans le golfe de Sagami, tel qu’il est en réalité (ou presque).

YBS est donc ton premier jeu publié… pour autant, en qualité d’auteur, tu n’en es pas à tes débuts. Qu’est-ce que tu as dû revoir ou ajuster dans ta manière d’écrire pour opérer la transition entre une écriture romancée et une création interactive destinée à être pratiquée par d’autres ?

Ce travail d’écriture a été un sacré défi.
Oui, c’est un exercice bien différent de ce que j’ai pratiqué jusque-là.
Les trois premiers galops d’essai ont été l’occasion de se rendre compte d’une chose qui tombe sous le sens :
Ce qui est évident pour l’auteur ne l’est pas forcément pour le lecteur.
La réalisation de la bande dessinée est peut-être ce qui a été le plus formateur ; parce que le nombre de pages est limité (il faut jeter pour conserver le meilleur plutôt qu’ajouter) et qu’il faut apprendre à varier angles et points de vue pour aspirer le lecteur dans l’histoire tout en évitant qu’il ne s’y lasse.
Cette BD n’est pas une réussite bien qu’elle se tienne, mais elle m’a permis de toucher du doigt toute l’importance du rythme dans un récit.
Ce que j’ai dû changer dans ma méthode de travail pour YBS ?
Il m’a fallu d’abord freiner mes ardeurs, faire preuve de patience et me méfier de mes propres intuitions.
Pour ça Aurélien m’a bien aidé en m’enjoignant à temporiser et à ne pas me lancer immédiatement dans l’écriture.
Pendant longtemps ça a été une bataille avec des schémas et croquis organisationnels, puis tout a commencé à se décanter.
J’ai malgré tout pris quelques risques en écrivant une partie des scénarios sans être certain de retomber sur mes pattes. Dans le cas d’un roman, l’ossature du récit peut être mise en place assez rapidement et être étoffée ensuite.
Là, il s’agissait quand même d’une saga étalée sur douze mois, censée présenter divers points de vue sur les événements qui perturbent la ville.
Il fallait garder une cohérence au fil des 12 nouvelles tout en variant les points de vue.
Faire écrire chaque nouvelle par une personne différente aurait été l’idéal pour montrer l’action passée au filtre de divers individus ; le ressenti de chaque acteur de cette épopée sous-tend la thématique de « théorie du complot ».
Où se trouve la vérité dans tous ces témoignages ?
Pour que la forme suive le fond, il m’a fallu, autant que faire se peut, varier les styles comme s’il s’agissait d’une compilation de nouvelles rédigées par différentes personnes.
Ensuite, le gros défi a été de dépeindre un univers qui soit intelligible par le lecteur en un nombre limité de pages, en partant du principe qu’il ne connaît pas ou peu le Japon et réussir à maintenir des zones d’ombre pour titiller sa curiosité et le pousser à investir ce qui reste volontairement non défini.

Et au fait, ton rapport au jeu de rôle, il consiste en quoi ?
Vivant au Japon depuis une paires d’années, tu vois de grandes différences entre la pratique que l’on peut en avoir entre « occidentaux » et ce qui se fait là-bas ?

J’ai relativement peu d’éléments pour comparer les deux cultures de jeu.
Mes dernières parties de jeu de rôle en France remontent à la période étudiante. J’en garde malgré tout un souvenir assez précis. C’étaient des parties de Donjons & Dragons.
Ces trois dernières années, je n’ai joué que trois parties de Cthulhu7 menées par ma collègue de travail Tadokoro Mana. Je discute souvent avec elle de la scène rôliste au Japon.
Sa préférence va aux sessions en mode analogue, face à face.
Mais elle joue énormément en ligne (Corona oblige). D’après elle, c’est le jeu par le biais d’interfaces qui a le plus de succès.
Les Japonais remettent tout à leur sauce.
Je pense que les couvertures de manuels ou de recueils de scénarios pour Cthulhu ont de quoi faire sourire. Pas sûr que Lovecraft aurait apprécié !

J’ai l’impression que les joueurs japonais ne rechignent pas à utiliser les termes techniques du système en cours de partie.
Moi, ça me fait sortir de l’histoire… Encore une fois, je n’ai pas assez de bouteille pour dégager une différence évidente entre les deux cultures. Toutefois, le compte-rendu de partie en mode roman (replay) semble avoir beaucoup de succès pour son côté immersif.

Bien, rentrons un peu plus avant dans YBS… Le jeu est donc actuellement en financement sur le site de LETO, mais pour autant, il est prêt. Ça représente quoi en terme de durée la création de cet univers (car, rappelons-le tu es aussi bien aux textes qu’aux illustrations ou encore à la maquette, avec Julien Dejaeger8 à tes côtés) ?

La rédaction de Yuigahama Bad Seeds a débuté après octobre 2020 (date de la première visite à Yuigahama). Pendant un peu plus d’un an, Aurélien m’a épaulé après que je lui ai présenté l’ébauche du projet.
À cette époque, la maquette que j’ai bricolée avec le logiciel gratuit Scribus n’est encore composée que de 150 pages et ne contient que la première nouvelle.
Le tout est encore brouillon, avec certains chapitres pas positionnés de manière très logique.
Aurélien m’a aidé à réorganiser le tout et à remettre d’aplomb pas mal de choses bancales.
On a dû échanger pas moins de 400 mails en un an. Un travail de fou !
Aurélien a fait tout ça totalement bénévolement.
Sans lui, j’aurais jeté l’éponge un bon nombre de fois.
Quand on a obtenu quelque chose de correct, j’ai commencé à démarcher des éditeurs et fini par faire la connaissance de Laurent Rambour9 et Jérôme Isnard10 de chez LETO.
Jérôme a pris le relai d’Aurélien et fait un travail formidable pour que l’on assume plus franchement certains aspects du jeu.
Tout comme avec Aurélien, ça a été une longue partie de ping-pong, un échange très agréable et sans concession sur la qualité, pendant lequel les idées jaillissaient.
Julien Dejaeger a gentiment accepté beaucoup de mes caprices pendant la finalisation de la maquette et trouvé plein de solutions à des problèmes de mise en page.
Pendant plus de deux ans, j’ai mis ma vie privée entre parenthèses pour écrire et illustrer le manuel, le soir après le labeur chez mon employeur.
Je pense qu’Aurélien, Jérôme et Laurent ont également fait de gros sacrifices. Merci à eux !

Pour ce qui est du système de jeu, tu as bossé avec Aurélien Trotignon11, et vous nous avez trouvé une approche assez légère des mécaniques régissant YBS.
En général dans le milieu du jeu de rôle, on distingue deux grandes écoles… 
1 : Tu prends Chtulhu et tu adaptes
2 : System does matter
Personnellement, j’appartiens à la deuxième école et trouve important qu’un système, en tant qu’interface principale entre joueurs et univers, vienne soutenir le propos du jeu. 
J’ai bien l’impression que c’est le cas ici, aussi je te pose directement la question.
Qu’est-ce que vous avez tenu à mettre en avant au travers des mécaniques et comment vous vous y êtes pris ?

Tu prends Cthulhu et tu adaptes…? Ouais, mais là non !

Le point le plus important pour nous a été de préserver une certaine fluidité dans les échanges MJ – Joueuses / Joueurs.
Le système est un support pour des interactions entre les PJ et les éléments antagonistes. Mais il a été pensé pour s’effacer autant que possible devant la narration.
Il y a un plaisir dans YBS à manier les dés et à essayer de trouver la meilleure occasion pour utiliser les jetons « Unmei ». Ce couplage dés-jetons offre des possibilités au joueur pour faire levier sur le déroulement du récit et parfois même prendre la parole à la place du MJ.
C’est un système qui peut paraître simpliste au premier regard, mais qui laisse en réalité au joueur la liberté de mettre en place certaines stratégies ; accepter ses ratages de test et conserver ses jetons Unmei pour frapper un grand coup plus tard ou au contraire forcer le destin en puisant dans sa réserve de jetons.
Assister un joueur acteur en acceptant de se délester de sa réserve de jetons ou thésauriser pour venir en aide aux autres à un moment crucial.
Ce type de pari que les Japonais appellent « Kakehiki » n’est pas compliqué à assimiler, car il repose sur des règles simples. Il permet aussi de matérialiser l’entraide entre joueurs.
L’intérêt n’est pas d’amasser le plus de pièces d’or possible pour gagner des niveaux, mais d’utiliser intelligemment les jetons pour parvenir à ses fins.
Pas de comptes d’apothicaire ou de ralentissement subit du temps pour simuler les combats : priorité à la rapidité des résolutions et au plaisir de tisser la trame du récit ensemble.

Énormément de jeux qui sortent (encore actuellement), optent pour un cadre très large dans les possibilités qu’il offre aux joueurs (le fameux « vous pouvez tout jouer »), et bien souvent hélas, une fois qu’on nous as dit ça, c’est « débrouillez-vous, nous on a fait notre boulot ».
Avec YBS, les possibilités sont certes nombreuses (nous y reviendrons), mais néanmoins viennent avec le jeu pas moins de 12 scénarios, étalés sur les 12 mois d’une année. 
Tu nous expliquerais un peu plus avant ton choix de format pour ces scénarios ?

Yuigahama est un cadre pour jeu de rôle, tout ce qu’il y a de plus étroit.
Si l’on ne compte que les quartiers habités, la surface n’atteint même pas le kilomètre carré !
La population est grosso-modo de 5000 personnes (sans doute beaucoup plus l’été) ; c’est un petit village.
Ce qui fait la richesse de ce jeu et son potentiel, c’est l’éventail de possibilités très large de ce qui se produit sur ce petit terrain.
C’est l’endroit idéal pour mettre en scène cette société village qui caractérise si bien le Japon hors mégalopole.

Chacun y est très soucieux de ce que pense le voisin ; on s’épie en se faisant des courbettes, on se jauge. Les gens se connaissent plus ou moins de vue. Les rumeurs circulent (vous n’imaginez pas le nombre de proverbes en japonais concernant le mot « rumeur »).
Le manuel laisse effectivement beaucoup de liberté pour mettre en scène ce qui se déroule en ville, mais est suffisamment documenté pour planter efficacement le décor.
Les joueuses / joueurs ayant lu sérieusement le setting, quel que soit le choix de leur personnage ne seront pas perdus.
Les 12 scénarios sont effectivement en eux-mêmes un guide pour comprendre une certaine « japonité ».
En filigrane se ressent l’esprit japonais, un curieux mélange de résilience et de fatalisme.
L’épopée étalée sur 12 mois permet également de cerner ce qui rythme la vie du peuple japonais, son sens de l’honneur, une certaine propension à réagir de manière extrême sous la pression.
Les Japonais s’émerveillent devant les transformations qu’apportent les changements de saison.
Un récit sur un an montrant ce qui peut arriver quand ce rythme se dérègle me paraît être la meilleure formule pour mettre à profit tout le potentiel de la ville.

Généralement, quand un jeu est livré avec autant de matériel de jeu, on n’est pas loin du burst, c’est à dire plus ou moins une campagne/jeu à usage unique, qui une fois jouée, aura fait le tour des points forts du jeu (et de son intérêt).
Est-ce que c’est ce que vous avez mis en place ici, ou est-ce que c’est un peu plus compliqué que ça ?

Je pense que c’est un peu plus compliqué que ça.
Mais ça dépendra beaucoup de l’inventivité du MJ et des participants.
Si le jeu est joué en campagne, il y a bien une chute lors du dernier opus.
En révéler la nature gâcherait le plaisir de jouer.
Ce que je peux dire, c’est qu’un effort a été fait pour augmenter sensiblement la durée de vie du jeu au-delà des 12 mois de scénarios.
On peut clairement continuer à jouer à YBS une fois la campagne terminée.
Il y a tant à exploiter dans cette ville, sans compter sur ce que chaque table de jeu va inventer !

Quand on lit le jeu, on s’aperçoit qu’au delà d’un cadre de jeu bien défini (pour rappel, une station balnéaire japonaise qui se remet d’une « catastrophe écologique » étrange et vit plus ou moins coupée du reste du monde), une très grande liberté est laissée aux maîtres de jeu quant aux explications derrière la situation, ce qui fait qu’il y a très peu de chances que deux tables de YBS se ressemblent à l’arrivée. 
C’est un choix de game design assez fort et qui pourra laisser certains utilisateurs perplexes (Comment !?! Un jeu à secrets sans les secrets ?!?)…
Vous en êtes venus comment à choisir cette approche ?

Mais puisqu’on te dit que le Japon ne se résume pas à Akira ou One Piece… il y a aussi les stations balnéaires.

Ce point divise pas mal de monde.
Je ne regrette pas ce choix de laisser les coudées franches au MJ pour développer ce qui lui plait à lui et à sa table (je ne nie pas que ça demande un peu plus de travail).
Il est libre de faire des arrangements, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait aucun élément de réponse aux mystères dans le manuel. Les choses y sont suggérées plus qu’imposées.
Il est tout à fait possible de jouer la campagne telle qu’elle est sans opérer de grands changements.
Comment est-il possible de laisser traîner le mystère si longtemps sans en révéler un « gros morceau » ?
Tout est une question de dosage dans la manière de présenter les indices.
Il faut se souvenir que les PJ évoluent dans une ville où tout commence à dysfonctionner.
C’est une petite bourgade sans gros laboratoire d’analyse. Les preuves trouvées sont difficiles à interpréter ; on joue des gens « normaux », pas des scientifiques capables de passer au crible tout ce qui traîne sur le terrain.
Par ailleurs, je trouverais dommage de graver dans le marbre tout ce qui sous-tend les intrigues dans YBS.
Ce serait juguler d’entrée de jeu l’inventivité du MJ ; qui connaissant les tenants et les aboutissants guiderait inconsciemment les participants vers un but trop défini.
Savoir ce qui se passe réellement est-il le seul point important de ce jeu ?
Offrir aux participants quelques éléments de réponse aux mystères est nécessaire pour maintenir leur motivation.
Mais ce n’est pas l’unique centre d’intérêt de YBS.
Comment évoluer dans un tel environnement ?
Comment faire la part des choses avec toutes ces rumeurs ?
Comment défendre ses intérêts quand la tension est à son comble et que chacun tente de tirer la couverture à soi?
Les scénarios offrent bien d’autres plaisirs que la seule élucidation de mystères.
Oui, à chaque table, un déroulé de partie différent !
Vive Raymond Queneau12 et ses Exercices de styles !

ce livre est magique… si vous ne l’avez jamais lu, jetez vous dessus !

Avec LETO, vous avez fait le choix de diffuser le pdf du jeu auprès des souscripteurs durant le financement du jeu, et ce quelque soit le résultat de ce dernier.
À mon sens, c’est très chouette, car ainsi, quoiqu’il advienne, le jeu pourra vivre…
Toutefois, il y a un petit effet de bord à agir ainsi, qui est que « tout le monde » va vouloir y aller de son conseil « bienveillant » par rapport à ce que « pourrait encore devenir le jeu » (non ma bonne dame, les rôlistes ne sont bien sûr ni pointilleux, ni des créatures d’habitudes à la dent dure persuadées d’être individuellement universelles en matière de bon goût 😅).
Par conséquent, vous gérez comment les différents retours que vous avez sur le jeu (autant toi que tes collègues et éditeurs), et (question à tiroirs) comment on s’y prend pour porter sa vision d’auteur envers et contre tous (ou pas) ?

J’avoue que c’est un des aspects de la campagne auquel je ne m’attendais pas.
Qu’il y ait des difficultés à convaincre quand on est inconnu et qu’on propose un jeu au format et au thème inhabituel, ça n’a rien de surprenant.
En revanche, certains retours en pleine campagne de financement ont bien failli me désarçonner.
Quand on a couvé son bébé pendant longtemps, et que quelqu’un dit soudain « Il serait mieux avec les cheveux roses » ou « Je n’aime pas son nom », c’est parfois dur à encaisser.
Mais à présent, je pense que c’est une occasion de tester ses propres convictions.
Est-ce qu’on garde le cap ou est-ce qu’on lâche du lest face à la critique ?
Comme pour le rugby (que j’adore) ; comment savoir ce qu’on vaut si on évite d’aller au contact ?
C’est sans doute ça de plonger dans le grand bain. On prend des coups, c’est formateur.
Par ailleurs, il y a parfois des retours constructifs.
Des choses auxquelles on n’avait pas pensé parce que trop occupé à pédaler la tête dans le guidon.
Par chance, la plupart du temps ce ne sont pas des suggestions qui, si elles étaient intégrées, dénatureraient l’esprit du jeu.
La gestion de ces retours est assez simple.
Spontanément, une liste des doléances a été créée (merci Aurélien).
Tout est stocké et étudié au cas par cas. On en débat quand il s’agit de micro réglages qui n’impliquent pas une refonte totale de l’ouvrage et quand ces suggestions paraissent en accord avec l’esprit du jeu.
Je me permets pour ma part de dire non, quand par exemple quelqu’un demande à ce que le système soit complexifié pour correspondre un peu plus à ce qu’il connaît.
Il n’y a pas d’intérêt à produire le clone de jeux déjà existants. YBS a son propre ADN ; d’après Eldon Tyrell13, reconfigurer brutalement cet ADN pourrait amener la mort du sujet avant même qu’il ne quitte la table d’opération.
Des réglages sur l’ergonomie, oui. Une chirurgie plastique lourde, non 😊

Alors comme ça, tu veux qu’on change les règles ?

Enfin, si tu vois quelque chose à ajouter, fais-toi plaisir, la place est à toi.

C’est probablement un vœu pieux (pieu de bois, dégâts +2), mais j’aimerais que le jeu de rôle se démocratise un peu plus.
Pas pour la gloriole ou l’argent.
Plutôt parce que c’est un média que je trouve passionnant.
Faire travailler l’imaginaire, assouvir des rêves sous la forme du jdr, c’est quelque chose à laquelle chacun devrait pouvoir goûter.
Je pense qu’en temps de crise, c’est à l’industrie du jdr de redéfinir ses propres limites, et pourquoi pas, de partir à l’assaut d’un nouveau public.
YBS est une création hybride conçue pour être abordable par tout type de lecteur (son format, le choix du système basé sur le dé six, son aspect “carnet de voyage”). J’espère que, même à petite échelle, elle permettra de faire découvrir le jeu de rôle à des personnes ignorant tout de ce domaine.
YBS est considéré pour le moment comme un jeu de niche.

Allé, venez les gens, ça va être fun

J’espère qu’il séduira au contraire des joueurs de tout acabit.
Redéfinir les limites…
Pour faire un parallèle avec le domaine du jeu vidéo au Japon : les développeurs ont longtemps misé sur les jeux sur smartphone facilement monétisables pour jouir d’un profit rapide auprès d’un public large.
Mais avec leurs jeux simplistes, ils ont eux-mêmes fait du consommateur un joueur capricieux qui se lasse très vite (je ne dis pas qu’il faille revenir au jeu sans sauvegarde, mais…).
Je pense que le jeu de rôle souffre du phénomène inverse.
Les jeux proposés sont de qualité, mais s’adressent à un public d’initiés. 
Conquérir un nouveau public et proposer de nouvelles formules de jdr est un pari audacieux et risqué.
Pour cette raison, j’ai beaucoup de respect pour Laurent Rambour qui a misé sur le jeu d’un inconnu et tenté de proposer une expérience différente, à 500 coudées du « mainstream ».

Mainstream ou pas, simple ou pas, fictif ou réaliste, le jeu de rôle nous prouve ici une fois de plus qu’il peut revétir énormément d’aspects différents et que de nos jours, absolument tout le monde peut trouver jeu à son pied (enfin…).
Je remercie Frédéric pour le temps qu’il a consacré à répondre à mes questions, entre travail, financement participatif qui bat son plein, re travail et fêtes de fin d’année, ce n’était pas forcément le moment le plus propice à se poser une heure pour satisfaire la curiosité d’un rôliste bavard.
Je ne peux que vous encourager à aller jeter un oeil sur la page du financement de Yuigahama Bad Seeds, si ce n’est déjà fait, afin de vous faire votre propre idée sur le jeu, pour ma part, j’adore ce que j’en ai lu.
Sur ces bonnes paroles, je vais filer finir la lecture des 12 nouvelles qui constituent la campagne du livre de base (et si possible faire tester le jeu à mes cobayes habituels)
afin de vous faire un retour avant la fin de la souscription.
Mata aimashō.

En bonus, le lien vers le fichier pdf présentant 29 pages du jeu

Propos de Frédéric BESSY recueillis par David BARTHELEMY

Notes et Références :

1 LETO Games
2 Cobra
3 Kabbale
4 One %
5 Against the Dark Master
6 Le gourmet solitaire
7 Cthulhu (l’appel de)
8 Julien Dejaeger
9 Laurent rambour
10 Jérôme Isnard
11 Aurélien Trotignon (entretien sur la chaîne Vieux Geeks)
12 Raymond Queneau
13 Eldon Tyrell

Focus

Focus sur Frédéric Meurin autour de l’élevage des huitres

Pour beaucoup de rôlistes, au delà des parties plus ou moins régulières, il est une aspiration qui revient souvent… Travailler dans le Jdr.
Tout le monde en parle à un moment ou un autre, mais « relativement » peu y parviennent.
Comment, qui, pourquoi eux et pas nous ?
Mais quelle injustice criante nous frappe au point que les 124 concepts révolutionnaires qui sont dans les tiroirs… restent dans les tiroirs ?
Souvent, la réponse tient en peu de mots… IL FAUT BOSSER !
Ok, bosser donc. Par là dessus, il faut également guetter les opportunités et se jeter dessus quand elles se présentent, ce que j’ai bien intégré puisque je profite honteusement de l’arrivée imminente du prochain financement des suppléments pour la V2 de Vampire : Le Requiem pour arracher une interview à Frédéric Meurin, responsable de la com’ autour du projet et auteur de Jdr…
Prenez en de la graine et aiguisez vos canines, ça va saigner.


Salut Frédéric et merci de prendre un peu de ton temps pour répondre à mes quelques questions.
Bon alors, j’ai cru comprendre que depuis quelque temps, ton activité dans l’édition de Jdr s’était pas mal intensifiée… Entre 7e Mer¹, Vermine 2047², Valérian³ ou encore Tiny⁴, tu as de quoi t’occuper.
Tu peux nous en dire un peu plus sur ton parcours pro dans le Jdr et comment les choses se sont mises en place ?

Salut Barthus et bonjour à toutes celles et ceux qui nous lisent !
Tu as pas mal résumé la situation, ça bouge de tous les côtés.
J’ai découvert le JdR comme beaucoup dans les années 90, au lycée. Certains ont persisté et sont passés pro, pour ma part c’est à la fin des années 2010 que j’ai mis le pied de l’autre côté. Le Studio Agate⁵ cherchait des relecteurs pour la toute fraîche 2e édition de 7e Mer, et de là les choses se sont enchaînées. Relecture pour Vampire : Le Requiem 2e Edition⁶, toujours chez Agate, rédaction des suppléments Le Coffre à jouets et du Bestiaire des cauchemars pour Tiny chez Jdr Editions⁷, de scénarios pour 7e Mer, participation à Valérian chez LETO⁸, au premier supplément pour Oreste⁹ chez Elder Craft¹⁰… 2020 a été très riche en rencontres et en opportunités, chaque travail ouvrant presque la porte d’un autre !

Et 2021 promet de ne pas être en reste avec comme tu l’as dit, de gros morceaux de rédaction et de coordination éditoriale sur Vermine 2047, plus d’autres projets donc je ne peux pour le moment pas parler.

Toutes ces participations à droite à gauche semblent faire de toi une sorte de mercenaire de l’édition. C’est un choix délibéré, une question d’opportunités, un réel besoin de se diversifier ? Dans tous les cas, ça te permet de “voir” le fonctionnement de différents éditeurs et leurs méthodes de travail. Tu dois t’ajuster aux différentes exigences de chacun ou telle une rock star tu poses tes conditions et advienne que pourra ? 

Ouh là, c’est me faire trop d’honneurs ! Et je ne crois pas que quiconque ait les moyens d’imposer ses conditions dans le petit milieu du JdR, les budgets n’ont rien à voir avec une tournée de Beyoncé.
Quant au mercenariat, cela reste finalement très limité : je n’ai travaillé qu’avec quatre éditeurs entre 2019 et 2020. J’ai des copains qui bossent pour bien plus de monde (d’ailleurs, je me demande quand ils dorment) ! Là encore, c’est pour beaucoup une réalité économique. Cette passion – de l’écriture, du jeu de rôles ou des deux – peine à faire vivre les auteurs et les autrices en France, par manque d’un statut et d’une meilleure reconnaissance dans la chaîne du livre.
Donc cette relative diversité visait clairement un objectif : celui de me professionnaliser, ce que je viens de concrétiser. J’ai pas mal décroché mon téléphone ou mes mails, rencontré du monde sur des salons, répondu à des annonces – ça existe ! Il fallait franchir un certain volume pour oser abandonner mon boulot en CDI et devenir saltimbanque option écriture.
Des opportunités, un peu d’insistance pour “mettre le pied dans la porte” et beaucoup de chance m’ont donc permis de travailler sur des projets très divers dans les circonstances très particulières que nous avons tous connues avec les confinements à répétition. C’est parfois compliqué de switcher entre la SF space-opera-réaliste d’Oreste, celle beaucoup plus pulp de Valérian ou celle encore différente de Projet-secret-je-ne-dirai-rien. D’autant qu’au-delà de l’ambiance, le cahier des charges change du tout au tout : Sébastien Moricard¹¹ a une vision très précise de son univers, et il t’invite à l’enrichir tout en gardant un cap aussi bien pour son jeu que pour les joueurs qui vont l’explorer. Pour Valérian, les albums constituent une bible incontournable. C’est une mine d’informations, donc tu ne veux rien oublier sans trop pouvoir broder, de peur d’exploser le signage ou pire, de voir les ayants-droits retoquer ta copie. Le vide intersidéral n’offre pas toujours la même marge de manœuvre !
Après, c’est un lieu commun, et pourtant une réalité : “de la contrainte nait la créativité”.
Ces cadres permettent justement de travailler l’imaginaire et d’explorer des voies très variées avec comme tu le dis, des méthodes de travail très différentes.
Cela reste très enrichissant d’un point de vue créatif et méthodologique : le niveau d’exigence s’en trouve souvent relevé et on prend le meilleur de chaque méthode pour l’appliquer à chaque commande. S’inspirer et améliorer, mhm, ouais, j’ai peut-être encore quelques réflexes de ma vie d’informaticien d’avant ! 

Ton travail au sein du Studio Agate ne s’arrête pas à la rédaction et à la coordination puisque tu es aussi chargé de la com autour de la gamme Vampire le Requiem. C’est une part de l’édition souvent problématique pour pas mal de monde, du coup comment tu gères ça et en quoi ce travail consiste exactement ?

Tel que je le vois du petit bout de ma lorgnette, et de ce que j’entends de mes collègues d’ici et d’ailleurs, le petit monde du JdR français arrive à un moment charnière. Les difficultés qui ont frappé le secteur, avec les confinements, les boutiques qui ont dû fermer, les clubs qui ont interrompu leurs activités et une année ou plus de conventions et salons annulés, obligent un peu tout le monde à se réinventer. La concurrence reste cordiale mais elle existe bien évidemment, donc il faut sortir son épingle du jeu (pun intended). Les concours de circonstances, encore eux, font que l’essentiel de mon activité se fait désormais sous les couleurs d’Agate – avec encore un peu de temps pour les jouets de Tiny.
Cela comporte pour le Studio la mise en œuvre de (progressivement) tous les aspects communication. L’actualité du Studio pour 2021 est très dense, avec beaucoup de très gros projets qui arrivent à leur conclusion à la rentrée – ou plutôt qui arrivent à la fin de leur phase une, un peu comme le MCU¹². Je pense bien sûr à la Tétralogie Dragons¹³, à Melwan¹⁴ et Romantisme Noir¹⁵ pour Esteren¹⁶, dont les livraisons vont avoir lieu si tout se passe bien à l’automne. C’est une très grosse étape et les pôles logistique et fabrication du studio mettent les bouchées doubles pour conclure ces projets très attendus (avec en plus Démon : La Damnation¹⁷, Sociétés secrètes pour 7e Mer, et la prochaine précommande de Vampire : Le Requiem qui se tiendra du 5 au 19 juillet 2021).
Nous nous devons de tenir nos souscripteurs au courant de l’avancée de ces travaux, et surtout de préparer la suite.


Parce qu’il n’y pas de phase une sans une belle phase deux, et celle-ci promet d’être extrêmement riche. Les gammes Dragons et Esteren vont poursuivre leur développement, Vermine 2047 va perdre son E final pour traverser l’Atlantique, d’autres projets sont en cours de réalisation, et nous préparons d’ores et déjà deux beaux projets pour la rentrée.
Le premier consistera en une grande campagne originale pour 7e Mer, de création 100% française, afin de compléter notre offre de scénarios pour ce jeu. Et si les aficionados de la V1 regrettaient n’avoir “que” quatre nouveaux scénarios à se mettre sous la dent en plus de ceux repris de la première édition, cette fois, ils auront de quoi emmener leurs Héros de la Théah aux quatre coins du monde ! Les textes sont intégralement rédigés, les illustrations prêtes à 80%, et l’été promet d’être très studieux pour ceux qui bossent sur ce projet pour qu’il arrive sur Ulule¹⁸ le plus finalisé possible.
Le deuxième concrétisera une annonce faite par le Studio il y a bientôt un an et concerne Brancalonia¹⁹. Il s’agit d’un jeu indépendant motorisé par la 5e, édité en Italie par Acheron Games²⁰. Plutôt que de sauver le monde, ce cadre original propose aux joueurs de réaliser rapines, escroqueries et autres coups pendables : ici pas de Héros, juste des Canailles, dans le plus pur esprit des westerns spaghettis. Si vous avez toujours rêvé de jouer Tuco plutôt que Blondin dans Le Bon, La Brute et Le Truand²¹, ce jeu est pour vous ! Par contre, il se peut qu’à un moment, on vous rappelle que le monde se divise en deux, ceux qui savent lancer Boule de feu, et ceux qui creusent… et que vous, vous creusiez !  La traduction est finalisée – autant pour le livre de base que le kit d’initiation et plein de belles surprises sont là aussi en cours de préparation pour un Ulule haut en couleurs dans le courant de l’automne.
Et pour répondre à ta question : voilà en quoi consiste mon travail de communication pour le studio. Donner envie et teaser ! Blague à part, cela comporte beaucoup d’échanges avec la presse, les chaînes Youtube et plus encore avec les passionnés comme toi. Sans flagornerie, votre enthousiasme et votre soutien nous aident beaucoup à faire connaître nos créations, parce que malgré leur puissance, les rézosociaux ne font pas tout !

Comme beaucoup dans ce milieu, tu as également un job en dehors de l’édition.
C’est une question de confort, de sécurité, une réelle nécessité ?

A vrai dire, ce n’est plus une question ! J’ai franchi le pas en juin 2021. Cela reste un pari un peu osé, cependant assez calculé pour me dire que je ne devrai pas vendre un rein pour manger à la fin de l’année.

Alors, écriture de scénarios, relecture, roman, coordination, com… ça c’est fait.
Pour la suite, tu nous as prévu quoi ? Charleston, ébénisterie, élevage d’huîtres ?

Si je te dis que je m’essaye à la lutherie de guitare quand je n’en joue pas, tu me crois ? Bon ok c’est plus de la bricole, mais c’est pourtant vrai. Et j’essaye de remplir mon potager, mais là non plus c’est pas encore ça.

Et du coup, c’est quelle tâche parmi tout ça qui a ta préférence ? (et ne me dis pas l’élevage d’huîtres hein, c’est une catégorie à part)

C’est très injuste pour les huîtres qui sont des créatures sensibles, souvent incomprises parce que dépourvues de caractéristiques permettant l’identification anthropomorphique. Les Shoggoth²² souffrent du même problème.

Frédéric dans ses œuvres de crustaço-thérapie entre deux scénars

Le soin psychologique des mollusques à part, ma préférence demeure à l’écriture créative au sens large du terme. D’ailleurs en ce moment, il me tarde de retrouver un peu de temps pour me retourner à l’écriture de mon troisième roman.

Pour en revenir à Requiem, comme il s’agit d’une traduction, les apports du studio sur la gamme sont fatalement plus limités que sur d’autres jeux (comme Vermine 2047 par exemple)… Pour le coup, tu y trouves quand même ton compte ? 

Requiem reste un projet très intéressant parce qu’il s’inscrit dans une même volonté du studio de faire vivre des histoires aux gens. Ce que vivront les joueurs et leurs personnages de Vampire : Le Requiem se déroulera dans un contexte très différent de Vermine 2047 ou de Dragons, mais le dénominateur commun demeure les personnages. Ce qu’ils vivent, ce qu’ils ressentent, pourquoi ils font ces choix. Bien sûr dans Dragons, la dimension “tourment intérieur” est moins marquée mais un cadre épique pose aussi des questions sur la nature humaine (vous vous souvenez d’un certain roi du Gondor qui doit choisir ou non de prendre un petit bijou ?).
Alors, oui, nous sommes plus limités dans l’aspect créatif. Cela ne nous empêche pas d’apprécier pourquoi nous avons voulu traduire cette gamme et l’offrir au public français : pour offrir une proposition de jeu qui nous semblait pertinente et riche de possibilités.

Tu peux nous teaser un peu sur le financement à venir, ce qui est prévu, les délais approximatifs de livraison ?

Très volontiers, je suis venu ici pour ça !
Cette précommande se déroule sur Ulule du 5 au 19 juillet 2021. Elle permettra d’acquérir les versions papier du Guide de la Nuit et de Semi-Damnés, pour Vampire : Le Requiem 2e Edition
C’est une précommande, et pas un financement participatif : la traduction, le maquettage et les relectures ont déjà été réalisés. D’ailleurs les PDF correspondants ont été envoyés ou sont en passe de l’être pour les souscripteurs du précédent financement de la gamme (qui portait sur Un millénaire de nuit et Le Secret des Ligues). Il n’y a donc pas de paliers à débloquer, de bonus à obtenir : une fois que la précommande aura atteint cinquante ouvrages de chaque, nous pourrons lancer l’impression.
Plusieurs raisons nous ont poussé à ce choix : d’abord, nous souhaitons aller vite. Là, avec les ouvrages prêts en numérique, il ne reste que les délais d’impression – – et connaître les volumes à commander auprès de notre partenaire situé en Europe. Cela nous permet de viser une livraison à l’automne. Nous ne voulions pas compromettre cette rapidité avec des bonus qui auraient peut-être retardé le moment où les gens tiendront le livre en main.
Ensuite, ces deux ouvrages font partie pour les Chroniques des Ténèbres de la phase une évoquée plus tôt. Quand celle-ci sera terminée, notamment avec la livraison des souscriptions Démon : La Damnation, du Guide de la Nuit, de Semi-Damnés et des autres gammes évoquées auparavant, le Studio pourra se poser et évoquer la suite des Chroniques des Ténèbres.
Mener une précommande courte et rapide, pour assurer les impressions au meilleur coût comporte cela dit plusieurs avantages pour les souscripteurs. S’ils ont participé à l’un des précédents financements participatifs du Studio, parmi Démon, Dragons, 7e Mer – Sociétés secrètes, EsterenMelwan ou Romantisme noir, l’envoi du Guide de la Nuit ou de Semi-Damnés n’occasionnera pas de frais de port supplémentaires. Nous combinerons les envois pour une livraison à la rentrée scolaire 2021.
Sachant que durant cette précommande, vous pourrez aussi acquérir n’importe quel ouvrage des Chroniques des Ténèbres (donc oui, aussi des intégrales Démon ou des intégrales Vampire voire les deux !), la ristourne peut devenir conséquente.
D’ailleurs, autre petit bonus de cette précommande, achetées ensemble, les versions collector du Guide de la Nuit et de Semi-Damnés seront au même tarif que la version standard. C’est donc vraiment l’occasion pour compléter sa gamme à moindre coût.

Ok, alors précommande et délais courts c’est parfait comme démarche (d’ailleurs de plus en plus d’éditeurs tendent à fonctionner comme ça, n’est-ce-pas Arkhane Asylum23), mais au-delà de ça, le Guide de la Nuit et Semi-Damnés, c’est quoi exactement ?

Le Guide de la Nuit pourrait presque s’intituler : 138 pages d’idées pour Conteurs de Vampire. Ce livre regorge d’inspirations et de conseils sur comment mener sa Chronique, à quelle époque, comment faire intervenir les Ligues, comment complexifier les rapports au sein et entre coteries, et comment mélanger tout ça pour trouver le cocktail qui vous convient. Il y a bien sûr quelques mécaniques supplémentaires : des Styles, des Dévotions et même un système de joute verbale qui permettra d’enrichir le roleplay et de restituer cet aspect primordial pour beaucoup de Vampire qu’est la réputation.
Bien sûr tout cela reste très libre : ce ne sont que des suggestions. Chaque Conteur, chaque joueur, pourra venir y piocher pour enrichir sa Chronique ou son Requiem. À titre personnel, c’est un de mes aspects préférés de ce jeu : il affirme haut et fort quelque chose qui est trop souvent passé sous silence. “Vous avez acheté ces livres, désormais c’est votre jeu et vous en faites ce que vous voulez !” Cela laisse une grande latitude aux Conteurs pour animer leur Chronique : si un aspect leur déplaît, ils peuvent le laisser de côté.
Semi-Damnés va aller lorgner du côté des goules, des revenants et des dhampirs. Les premiers sont généralement bien connus. Ce sont des humains drogués à la Vitae, généralement par un Vampire qui va s’en servir pour faire quelque chose dont il est incapable : marcher en plein soleil. Ils ont en VO leur propre supplément, pour mettre en scène des serviteurs PNJ et des antagonistes. Ici, ils seront jouables en tant que personnages. Les défis d’une telle interprétation sont multiples. Incarner un serviteur totalement soumis n’a que peu d’intérêt, mais imaginez un peu jouer une goule dont le Vampire a été éliminé. Comment trouvez-vous votre dose de Vitae ? Une autre idée : vous jouez dans le Monde des Ténèbres, mais au lieu d’incarner un Vampire ou un Démon, et de profiter de l’arsenal de pouvoirs qui va avec… vous êtes une goule. Pas aussi faible qu’un bête humain, mais quand même, pas au même niveau de puissance. Pas du tout au même niveau. Quels trésors d’inventivité allez-vous déployer pour accomplir la mission que vous a donnée votre maître ? De quoi bien réinventer le jeu, surtout que la goule a sa propre vie, ses propres relations avec des vivants et donc ses propres tourments – et cette soif, bon sang, cette soif !
Les revenants étaient jusque là présentés comme des accidents regrettables, des négligences de vampires peu précautionneux, qui compromettaient par leur soif inextinguible la mascarade. Et si vous en jouiez un ? Un résidu d’Étreinte ratée, un infant non-désiré, un buveur de sang inachevé qui subit tous les inconvénients de l’immortalité, sans aucun avantage – pas de clan, pas de ligue, juste la solitude d’un être condamné à la nuit… et à la compagnie de ses semblables. Sentez-vous cette colère ? Cette puissance ? La bête ? Mais qu’elle vienne, si votre “sire” peut y goûter, ça lui apprendra peut-être à assumer !
Les dhampirs enfin, sont bien souvent les moins connus des Semi-Damnés. Pourtant eux aussi ont leur supplément en VO, où ils sont là encore présentés comme PNJ et comme adversaires. Les dhampirs sont nés d’un parent humain et d’un autre vampire. Il y en existe un très connu dans le monde de la BD qui a même eu son adaptation au cinéma. Alors autant vous prévenir tout de suite : les dhampirs sont moins badass que le daywalker24 et leur existence beaucoup plus dramatique. Vampire le Requiem oblige, les personnages dhampirs devront composer avec une ascendance mystérieuse et condamnable, et leurs pouvoirs les feront passer par des hauts et des bas. D’ailleurs, êtes-vous un humain avec des pouvoirs de vampire, ou un presque vampire avec des résidus d’humanité ? Là encore, dans le Cercle du bout de la Nuit, peu de chance que votre place soit très enviable par son côté bâtard.

Je t’avouerai que j’avais beaucoup hésité à me lancer dans Requiem… Échaudé par la politique éditoriale du White Wolf25 des années 90, je redoutais une énième gamme à rallonge qui s’empilerait jusqu’au plafond, enchaînant les rumeurs contradictoires jusqu’à plus soif (comment ça Mascarade j’écris ton nom ?).
Tu peux me rassurer là-dessus parce qu’il commence à y avoir quelques bouquins déjà et j’aimerais continuer à croire à un contexte maîtrisé pour ce jeu (du style un ou deux suppléments de plus et basta) ?

Nous, chez White Wolf, on aime bien aller à l’essentiel !

C’est amusant que tu parles de ça, parce que nous venons de publier sur notre blog dédié aux Chroniques des Ténèbres une explication du comment et pourquoi White Wolf a édité Requiem après avoir arrêté Mascarade. (ici)
Je ne vais pas ré-écrire ce long article ici, mais en résumé, Mascarade était un jeu à storyline, à l’époque où le Vampire était LA figure de pop-culture dominante. Aujourd’hui ce serait peut-être le zombie (encore que ça me parait déjà passé de mode), mais c’est moins fun de jouer un cadavre qui grogne “cerveau” qu’un prédateur aux dents longues. Le succès de Mascarade était tel que White Wolf publiait quasi un supplément par mois à partir 1995, avec les soucis de coordination que ça peut impliquer : rapidement, celle-ci était… bon, on sait tous ce que ça a donné – et perso, je trouve que ça a plus dérapé du côté des garous que de Vampire.
Quand ils sortent Gehenna, qui est à la fois un très bon et très mauvais supplément, ils appuient clairement sur le bouton “Self destruct” de leur monde, au moins pour les Vampires.
Et ils décident de sortir Requiem, qui ne comprendra pas de storyline : un souci de moins ! Le fait que le jeu sorte en 2004, à une époque où le JdR peine face aux MMORPG et aux jeux de cartes, ralentit le rythme de publication. Ces problèmes deviennent au final des avantages pour les joueurs : la gamme reste plus ramassée, et les suppléments sont mieux coordonnés. De plus Requiem est envisagé comme un jeu-bac à sable. Pas dans le sens jardin d’enfants, au contraire, ses thématiques sont beaucoup plus sombres et tourmentés que son prédécesseur. Bac à sable dans le sens “construisez votre Chronique”. Chaque table explore les aspects qu’elle veut de cette version plus intimiste et plus désespérée de Vampire. Là où le jeu de 1991 explorait une conspiration de créatures surnaturelles qui cherchent à dominer le monde pendant qu’une super-menace risque de leur tomber dessus (la fameuse Géhenne), Vampire : Le Requiem parle de deuil, de mort et de sacrifice, dans un cadre très politique. L’immortalité c’est long, surtout vers la fin, alors que faire pour repousser la Torpeur ?
Les jeux ne s’adressent pas aux mêmes publics et c’est très bien comme ça. En terme technique, la puissance brute des personnages de Requiem l’emporte quand on les crée… mais plus le jeu avance, plus cette force de frappe passe au second plan derrière le rapport à l’humanité, la lutte contre la Bête et les relations entre Clans et Ligues.
Pour répondre donc à ta question : la gamme Requiem s’enrichit en France (le Guide de la Nuit et Semi-Damnés seront les quatrième et cinquième suppléments) sans devenir “indéchiffrable”. Il en existe d’autres en VO, cependant ces suppléments ne sont pas près de se contredire. Il y a par contre de fortes chances que l’interprétation du Monde des Ténèbres change d’une table à l’autre avec Vampire : Le Requiem. Comme dans n’importe quel JdR, me diras-tu; certes, juste, c’est ici dans l’ADN du jeu.

Bon, finalement mes étagères ne me maudiront pas sous le poids d’une gamme interminable, c’est cool

Et une fois tout ça bouclé, c’est quoi tes projets à plus ou moins long terme en matière d’écriture ?

Actuellement, je mets la main à la pâte sur deux scénarios pour Tiny, qui devraient être publiés pour la fin d’année – je laisse les collègues de JdR Editions vous en dire plus à l’occasion.
Après Vampire, nous avons “quelques” projets avec le Studio Agate, pour lesquels j’ai aussi bien de la rédaction que la coordination éditoriale à assurer. Mais je ne peux rien dire avant la rentrée.
Bon, allez, quand même : il se pourrait que je sois chargé de rédiger des aventures supplémentaires enrichissant la campagne 7e mer, en mode “l’aventure en plus”. Ok, vous allez me dire que ça j’en ai presque déjà parlé, et c’est pas faux.
Le reste… le reste, non, vraiment je ne peux rien dire. Sauf que j’espère bien réussir à reprendre mon roman !
D’ici là, je retourne préparer la précommande pour Le Guide de la Nuit et Semi-Damnés !

Hé bien voilà, comme quoi on peut à la fois jardiner, faire de la musique, se soucier du bien-être de nos amis les mollusques et travailler dans le monde du jeu de rôle… La morale de cette histoire semble être qu’il faut savoir enfoncer les portes et ne rien lâcher être polyvalent pour y arriver et surtout, faire preuve d’une belle motivation.
Merci Frédéric pour cet entretien et bonne chance pour la suite (même si à priori, quand on bosse, la chance n’a plus grand chose à voir là dedans).
De mon côté, je vais filer relire Requiem pour me remettre dans le bain avant la précommande et compter les jours qui me séparent encore des livraisons de Dragons et Melwan 🙂

Propos de Frédéric Meurin recueillis par David Barthélémy

Notes et Références :

le site de Frédéric : https://www.frederic-meurin.com

1 7ème Mer
2 Vermine 2047
3 Valérian
4 Tiny
5 Studio Agate
6 Vampire : Le Requiem
7 Jdr Editions
8 LETO : Les Editions du Troisième Œil
9 Oreste
10 Elder Craft
11 Sébastien Moricard
12 MCU
13 Dragons
14 Melwan
15 Romantisme Noir
16 Esteren
17 Demon : La Damnation
18 Ulule
19 Brancalonia
20 Acheron Games
21 Le Bon, la Brute et le Truand
22 Shoggoth
23 Arkhane Asylum
24 Daywalker : Référence au Personnage principal dans Blade
25 White Wolf